PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
Requêtes nos 57665/12 et 57657/12
Ioanna KOUFAKI contre la Grèce
et ADEDY contre la Grèce
La Cour européenne des droits de lhomme (première section), siégeant
le 7 mai 2013 en une chambre composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites devant la Cour européenne
des droits de lhomme le 31 août 2012,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. La première requérante, Mme Ioanna Koufaki, est une ressortissante
grecque née en 1967 et résidant à Athènes. Elle est représentée devant la
Cour par Mes I. Adamopoulos, V. Chirdaris et A. Argyros, avocats à
Athènes. La seconde requérante est la Confédération des syndicats des
fonctionnaires publics (ADEDY). Elle est représentée devant la Cour par
Mes M.-M. Tsipra et M. Miliarakis, avocats à Athènes.
2 DÉCISION KOUFAKI ET ADEDY c. GRÈCE
A. Les circonstances de lespèce
2. Les faits de la cause, tels quils ont été exposés par les requérantes,
peuvent se résumer comme suit.
3. La première requérante est avocate au barreau dAthènes et, depuis le
2 mars 2001, membre du personnel scientifique du service du Médiateur de
la République. A cette date, elle fut embauchée par contrat de droit privé,
pour une durée initiale de cinq ans puis pour une durée indéterminée, sa
rémunération étant régie par les lois nos 2477/1997 et 3205/2003 relatives
aux « réglementations salariales applicables aux fonctionnaires et employés
du secteur public ». Le 10 avril 2012, elle fut détachée au service central de
la Chambre technique de Grèce (Techniko Epimelitirio Ellados), une
personne morale de droit public.
4. La deuxième requérante est une organisation syndicale représentant
plusieurs syndicats de fonctionnaires (permanents ou engagés par contrat de
droit privé) de lEtat, des personnes morales de droit public et des
collectivités territoriales. Son but principal consiste à protéger les intérêts
économiques, sociaux et professionnels des fonctionnaires, y compris quant
aux questions de retraite.
5. Le 15 mars 2010, fut publiée au Journal officiel la loi no 3833/2010
intitulée « Protection de léconomie nationale Mesures urgentes pour
réagir à la crise financière » (paragraphes 14 et suivants ci-dessous). Cette
loi réduisait dun pourcentage allant de 12 % à 30 % les rémunérations des
personnes travaillant dans le secteur public quelle que soit la nature de
leur lien dengagement , nonobstant toute autre loi spéciale ou générale,
toute convention collective, toute décision arbitrale ou tout accord ou
contrat individuel (article 1). Elle fixait un nouveau plafond aux
rémunérations de tous ceux qui travaillaient dans la fonction publique
(article 2) et établissait la politique gouvernementale des revenus pour
lannée 2010. Les réductions susmentionnées devaient sappliquer
rétroactivement à compter du 1er janvier et du 1er mars 2010.
6. Le 3 mai 2010, le ministre de lEconomie et le gouverneur de la
Banque de Grèce, représentant la République hellénique, dune part, et le
commissaire aux Affaires économiques et monétaires de lUnion
européenne, dautre part, signèrent un texte intitulé « mémorandum
dentente » (memorandum of understanding) (« le mémorandum »). Ce
texte détaillait les mesures dun programme triennal établi par les autorités
helléniques après consultation de la Commission européenne, de la Banque
centrale européenne et du Fonds monétaire international. Il énonçait, entre
autres, que « la politique des revenus et la politique de protection sociale
doivent soutenir leffort dajustement budgétaire et de retour à la
compétitivité. Lajustement des revenus à un niveau viable est nécessaire
pour appuyer la restructuration des finances publiques et réduire linflation à
des niveaux bien inférieurs à la moyenne de la zone euro ainsi que pour
DÉCISION KOUFAKI ET ADEDY c. GRÈCE 3
améliorer la compétitivité en matière de coûts et de prix sur une base
constante ». Le même texte soulignait plus loin :
« Le gouvernement sengage à une répartition équitable du coût de lajustement.
Lengagement pour la protection des plus vulnérables face aux conséquences de la
récession économique est pris en compte dans la planification des politiques
dajustement. Ceux qui nont pas contribué aux charges fiscales à hauteur de la part
qui leur revient contribueront de manière plus ample à lassainissement des finances
publiques. Quant à la réduction des salaires et pensions de retraite dans la fonction
publique, les bas salaires ont été protégés ; [en ce qui concerne la] baisse des
pensions : la suppression des 13e et 14e mois de pension est compensée, pour ceux qui
perçoivent moins de 2 500 EUR par mois, par la création dune prime unique de
800 EUR par an. La réduction est plus lourde pour ceux qui ont des retraites plus
élevées. Baisse des salaires : le versement des 13e et 14e mois de salaire sera supprimé
pour tous les salariés. Pour protéger les populations ayant des bas revenus, ceux qui
perçoivent moins de 3 000 EUR par mois, il sera créé une prime annuelle de
1 000 EUR, financée par la réduction des allocations jusqualors calculées sur les
hauts salaires. »
7. Le 6 mai 2010 fut publiée la loi no 3845/2010 intitulée « Mesures de
mise en œuvre du mécanisme de soutien de léconomie hellénique par les
Etats membres de la zone euro et par le Fonds monétaire international », qui
ratifiait essentiellement le mémorandum dentente en ce qui concernait les
relations entre la Grèce et les Etats membres de la zone euro. Larticle 3 de
cette loi réduisait encore de 8 % supplémentaires les rémunérations de ceux
qui travaillaient dans le secteur public. Larticle 4 augmentait le taux de la
TVA et des taxes spéciales sur la consommation.
8. Les 8 et 10 mai 2010, le ministre de lEconomie signa deux accords
intitulés « Loan Facility Agreement between certain Euro Area Member
States and KfW (as Lenders) and the Hellenic Republic (as Borrower) and
the Bank of Greece (as the Borrowers Agent) » et « International Monetary
Fund Stand-by Arrangement ».
9. En application des lois nos 3833/2010 et 3845/2010, la première
requérante, qui percevait un salaire mensuel brut de 3 339 euros (EUR) (lui
laissant 2 435,83 EUR de salaire net), vit son allocation spéciale réduite de
20 % à partir du 1er janvier 2010, et son allocation de « Pâques » réduite de
30 % cette dernière ayant é par la suite totalement supprimée, avec
lallocation de « Noël » et lallocation de congés. Plus particulièrement, son
salaire brut était composé dun salaire de base dun montant de 2 311 EUR,
dune allocation de famille dun montant de 53 EUR, dune allocation
détudes supérieures dun montant de 45 EUR et dune allocation spéciale
dun montant de 752,93 EUR. Cette dernière allocation était fixée au
1er janvier 2008 à 930 EUR, mais fut réduite le 1er janvier 2010 de 12 %,
puis le 1er juin 2010 de 8 % supplémentaires. Avec lentrée en vigueur de la
loi no 3845/2010, les allocations de Noël, de Pâques et de congés de la
requérante furent supprimées, car le total de sa rémunération dépassait
3 000 EUR par mois (paragraphe 16 ci-dessous).
4 DÉCISION KOUFAKI ET ADEDY c. GRÈCE
10. La loi no 3847/2010 diminua le montant de ces dernières allocations
pour les retraités de la fonction publique. Elle les supprima pour ceux qui
avaient moins de 60 ans.
11. Le 26 juillet 2010, avec dautres personnes, les requérantes saisirent
le Conseil dEtat : la première, dun recours en annulation de son bulletin de
paye ; la seconde, dun recours en annulation contre les conséquences que
les lois précitées engendraient au détriment de la situation économique de
leurs membres. Les auteurs des recours alléguaient que les lois précitées
étaient contraires à la Constitution ainsi quà différents textes
internationaux, dont larticle 1 du Protocole no 1.
12. Le 20 février 2012, le Conseil dEtat, siégeant en formation plénière,
rejeta les recours (arrêt no 668/2012, mis au net le 2 mars 2012). Il se
prononça ainsi en ce qui concernait le moyen relatif à la violation de
larticle 1 du Protocole no 1 :
« (...) par leffet de ladoption des lois no 3833/2010 et no 3845/2010, plusieurs
mesures ont été adoptées, entre autres la réduction des rémunérations de ceux qui
travaillent dans la fonction publique (...) et [la réduction] des pensions de retraite aux
fins, dune part, de réagir immédiatement à la crise aiguë des finances publiques
constatée par le législateur, laquelle avait selon lui rendu impossible la satisfaction par
les marchés internationaux des besoins du pays en matière de crédit et [fait naître]
léventualité dune faillite, et, dautre part, dassainir les finances publiques par la
réduction du déficit (...). Plus particulièrement, les mesures prévues par la loi
no 3845/2010, qui comprennent entre autres la réduction des munérations et
pensions de retraite (...) ont été jugées nécessaires par le législateur compte tenu du
fait que celles adoptées antérieurement par la loi no 3833/2010 se sont avérées
insuffisantes pour faire face à la situation économique favorable du pays, de sorte
quil était nécessaire de recourir au fonds européen de stabilité financière créé pour
léconomie grecque par les pays membres de la zone euro (...).
La réduction des rémunérations, allocations et pensions de retraite de ceux qui
travaillent dans la fonction publique, décidée par les lois précitées, fait partie dun
programme plus large dadaptation des finances publiques et de réalisation de
réformes structurelles de léconomie grecque qui vise, sil est appliqué dans son
intégralité, à combler le besoin urgent de financement du pays et à améliorer la
situation économique et financière future de celui-ci. Or, ces buts visent à servir
lintérêt général et en même temps coïncident avec ceux des Etats membres de la zone
euro, compte tenu de lobligation de discipline budgétaire et de préservation de la
stabilité de la zone euro instituée par la législation de lUnion européenne. De par leur
nature, ces mesures contribuent à la réduction immédiate des dépenses publiques.
(...) Ces mesures ne sont manifestement pas inadéquates pour atteindre les buts
poursuivis et ne sauraient être considérées comme non nécessaires, compte tenu par
ailleurs du fait que lappréciation du législateur quant aux mesures à prendre pour
faire face à létat critique des finances publiques nest sujette quà un contrôle
juridictionnel limité. Par conséquent, le moyen selon lequel les motifs invoqués pour
réduire les rémunérations et allocations (...) ne seraient pas justifiés (...) et les mesures
litigieuses auraient pour seul but de servir les besoins en liquidités de lEtat est mal
fondé. (...)
DÉCISION KOUFAKI ET ADEDY c. GRÈCE 5
La réduction des rémunérations et pensions de retraite tend à limiter les dépenses du
gouvernement, ce qui contribuera à réduction du déficit budgétaire du pays. Les
dépenses du gouvernement incluent celles des organismes de sécurité sociale,
indépendamment du fait que ces organismes constituent des personnes morales de
droit public ayant une autonomie financière. Compte tenu du fait que la réduction de
la rémunération des fonctionnaires et plus largement des travailleurs du secteur public
tend à atteindre le but susmentionné, la question de savoir si cette duction peut
entraîner aussi celle des salaires de ceux qui travaillent dans le secteur privé na
aucune incidence sur lopportunité de cette mesure. En fait, une réduction éventuelle
des salaires de ceux qui travaillent dans le secteur privé conduira, comme le
législateur sy attend, à une réduction du coût de production des produits grecs, à un
ajustement des prix des produits et des services, à une baisse de linflation, à une
augmentation de la compétitivité de léconomie grecque, à un renforcement de
lemploi et, en définitive, à une augmentation du produit intérieur brut.
Les allégations selon lesquelles il y aurait violation du principe de la
proportionnalité sont mal fondées, notamment quant à lomission [prétendue] du
législateur dexaminer, avant de prendre les mesures litigieuses, la possibilité de
trouver des solutions alternatives plus douces (...). Lassainissement des finances
publiques du pays nepend pas seulement de la réduction des dépenses relatives aux
salaires et des dépenses des organismes de sécurité sociale, mais [aussi] de ladoption
des mesures économiques, financières et structurelles dont lapplication intégrale et
coordonnée contribuera à sortir le pays de la crise et à améliorer les données
budgétaires de manière viable, cest-à-dire après lécoulement de la période de trois
ans visée par le mémorandum.
Certaines des mesures précitées ont été établies par les dispositions des lois
nos 3833/2012 et 3845/2010 (augmentation des recettes publiques par laugmentation
de la TVA et des taxes spéciales sur la consommation et par limposition de taxes
extraordinaires). Dautres lois ont introduit des mesures pour rétablir la justice fiscale
et pour faire face à lévasion fiscale, pour réformer le système de sécurité sociale et le
système de mise à la retraite des fonctionnaires, pour revoir les procédures de
vérification et de contrôle des finances publiques (...), pour ouvrir certaines
professions fermées, pour assainir les entreprises publiques, pour restructurer et
développer lorganisme ferroviaire grec (...).
Il convient aussi de rejeter lallégation selon laquelle il y aurait eu violation du
principe de la proportionnalité en ce que les mesures litigieuses ne revêtent pas un
caractère seulement provisoire. (...) Le législateur, en adoptant un ensemble de
mesures, dont les mesures en cause, tend non seulement à remédier à la crise
budgétaire aiguë mais aussi à assainir les finances publiques de manière durable.
Les mesures litigieuses (...) assurent un équilibre entre les exigences de lintérêt
général et le besoin de protéger les droits patrimoniaux des salariés et des retraités, eu
égard à lampleur limitée des réductions et au fait que les allocations de fête et de
congés ont continué à être versées à ceux dont la rémunération ou la pension ne
dépassent pas 3 000 ou 2 500 EUR, même si elles sont réduites par rapport aux
montants antérieurs (...). Compte tenu de ce qui précède, la législation litigieuse nest
pas contraire à larticle 1 du Protocole no 1 ni au principe de proportionnalité garanti
par larticle 25 § 1 d) de la Constitution (...). Il ny a pas non plus violation du
principe de la sécurité juridique car le droit à recevoir une rémunération ou une
pension dun montant déterminé nest garanti par aucune disposition constitutionnelle
ou autre et il nest pas exclu de les faire varier en fonction des circonstances du
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