4
Pastorale-Québec • Avril-Mai 2012
nistère des prêtres aujourd’hui et demain, j’adopterai trois
points de vue : d’abord celui de la théologie de la mission,
puis celui de la pratique de la mission, et enfin celui de la spi-
ritualité de la mission.
La mission a une Église
Un premier point de vue est celui de la théologie de la
mission. Dans la mouvance de Vatican II, nous avons redé-
couvert le sens théologique de la mission. Son origine, son
centre et son but se trouvent dans le mouvement de l’amour
trinitaire vers toute l’humanité. Plus qu’une activité de l’Église,
la mission est sa raison d’être comme communauté croyante.
Nous connaissons cette affirmation du décret Ad Gentes : « De
par sa nature, l’Église, durant son pèlerinage sur la terre, est
missionnaire, puisque elle-même tire son origine de la mission
du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de
Dieu le Père. Ce dessein découle de “l’amour dans sa source”,
autrement dit de la charité du Père » (Vatican II, Ad Gentes, 2).
Toute l’Église est missionnaire car elle trouve son origine
et son but dans ce mouvement de l’amour trinitaire qui la
précède et la dépasse pour rejoindre toute l’humanité et l’em-
brasser de ses deux mains que sont le Verbe et l’Esprit, la Parole
et le Souffle de Dieu. L’horizon de la mission s’élargit consi-
dérablement. Plus qu’une activité de l’Église, c’est la mission
qui a une Église. L’Église est au service de cette mission de
Dieu comme signe et sacrement. Mentionnons seulement
deux enjeux de ce nouvel horizon de la mission pour le service
que l’Église est appelée à rendre.
Un premier enjeu est le passage à une compréhension de
la mission qui dépasse le salut individuel. Cette mission, qui
prend forme sacramentelle dans l’Église, concerne la réalisa-
tion dans toute l’histoire humaine du dessein de Dieu dans
l’ordre de l’amour, de la libération du mal, d’une nouvelle créa-
tion. Il en résulte un regard plus positif, quoique critique, sur
les projets d’humanisation que portent les différentes cultures,
idéologies et traditions religieuses de l’humanité. Le service
de l’Église missionnaire exige un constant discernement des
« signes des temps », des signes de l’amour de Dieu à l’œuvre
dans l’histoire. C’est la condition indispensable pour que
l’Église soit fidèle à sa raison d’être et puisse dire aux femmes
et aux hommes de son temps : « Si tu savais le don de Dieu. »
Un deuxième enjeu de ce nouvel horizon de la mission
est une conversion du regard ecclésial sur soi et les autres. Si
nous avons longtemps défini les autres, les destinataires de la
mission, en fonction de nous (qu’il s’agisse des païens, des
infidèles, des hérétiques, des non-chrétiens, des non-prati-
quants, des distants, etc.), le service de la mission de Dieu à
l’œuvre dans le monde par sa Parole et son Esprit nous conduit
à découvrir notre identité comme Église dans la relation avec
les autres, dans le dialogue et le service. Selon le théologien
Karl Rahner au lendemain de Vatican II, au moment où l’or-
ganisa tion missionnaire de l’Église était en pleine crise, si
l’Église est missionnaire, c’est parce qu’elle a besoin des autres
La charité pastorale implique une loyauté et un effort in-
lassable, à la manière du Bon Pasteur qui appelle ses brebis
chacune par son nom, qui donne sa vie pour elles, qui s’éloigne
même du gros du troupeau pour rechercher celle qui est per-
due. Cette loyauté et ce don de soi sans compter s’accommo-
dent mal d’une froide description de tâche, d’un encadrement
juridique bien défini, d’un horaire régulier non négociable,
de directives officielles à appliquer mur à mur. La charité pas-
torale semble appartenir plus au domaine de l’improvisation
qu’à celui de la planification. Elle appartient plus à la relation
d’amitié et de liberté qu’à la responsabilité administrative et
aux procédures contraignantes. Elle appartient plus au don
gratuit qu’au devoir professionnel de répondre à des besoins,
tels les besoins religieux de nos concitoyens. (…)
Prêtres-missionnaires : héritiers et pionniers…
(…) J’aime bien me rappeler cette affirmation du rabbin
Abraham Josuah Heschel : « Pour être un héritier spirituel, il
faut être un pionnier. Pour être digne d’être un pionnier, il faut
être un héritier spirituel. » Les prêtres du Québec, ou mieux
encore les prêtres de Québec, sont les héritiers d’une longue
tradition de prêtres-missionnaires, de prêtres-pionniers ou-
vrant des chemins nouveaux. Jusqu’en 1908, toute l’Amérique
du Nord était considérée comme une terre de mission et plu-
sieurs prêtres d’ici ont fait leurs valises pour aller vers l’Ouest,
vers le Sud ou vers le Nord comme missionnaires. Et ceux qui
restaient ici ouvraient de nouvelles paroisses, bâtissaient des
églises, fondaient des communautés religieuses et peut-être
même devenaient chanoines.
En 1921, il y a 90 ans, les évêques du Québec ont exercé
leur service missionnaire en fondant une maison de forma-
tion, un Séminaire en vue d’organiser la participation de leur
clergé diocésain à la mission universelle de l’Église. Ce Sémi-
naire sera le berceau de la Société des Missions-Étrangères. À
l’époque, on partait en mission au loin, comme ambassadeurs
d’un peuple apostolique, pour sauver une par une les âmes
« qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort » et surtout
pour fonder une Église locale à l’image et à la ressemblance de
celle qui vous envoyait. L’attitude de ces missionnaires, gé-
néreux et audacieux, n’en était pas toujours une de sympathie
face aux autres cultures et aux autres religions. Les jugements
sévères et la confrontation des différences accom pa gnaient la
disponibilité à rendre service aux gens et le désir de leur faire
connaître la religion du Bon Dieu, comme on disait alors.
(…) La perspective missionnaire a beaucoup changé de-
puis 1921, dans la mouvance des transformations sociales,
religieuses et ecclésiales du 20esiècle, mais l’imaginaire ec-
clésial n’absorbe que très lentement ces changements. La
mission actuelle en dialogue prophétique avec les pauvres,
les cultures et les religions est toujours confrontée aux tenta-
tions de puissance, d’uniformité et de confrontation qui refont
surface sous des habits nouveaux. (…) Pour évoquer briève-
ment ces horizons nouveaux de la mission et y situer le mi-
PREMIER PLAN