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arts
Finalement, on n’a pas besoin d’un
matériel ou d’une salle spécifique
pour l’enseignement.
Le manuscrit illustrant Les Sept
Portraits du poète Nizâmî donne-
t-il une bonne idée de l’éducation
réservée au prince ?
S.A. Oui. Ce type de représenta-
tion est vraiment exceptionnel, me
semble-t-il, dans la mesure où le
peintre a tenté de montrer la pro-
fondeur de l’échange assez privilégié
entre le maître et son disciple. Plus
généralement, dans les peintures de
manuscrits, on voit plus souvent un
maître et ses disciples dans une classe,
dans une vue un peu plus large.
É.V. Cette représentation est assez
singulière. La manière d’encadrer
les deux personnages rappelle un
modèle un peu plus ancien : Aristote
et Alexandre. La fameuse lettre d’Aris-
tote à Alexandre, Traité sur le bon com-
portement du souverain, est l’un des
premiers textes à avoir été traduit vers
l’arabe dès le
e siècle.
Vous notez de profondes
transformations au
e siècle.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
É.V. Cette révolution se passe à diffé-
rents niveaux. Il y a d’abord l’appa-
rition d’oulémas professionnels qui
consacrent une grande partie de leur
temps à l’enseignement. En lien avec
cela, on note l’apparition de cercles
permanents institutionnalisés et, dès
la fin du
e siècle, des phénomènes
de transmission de ces cercles d’un
maître à un autre. Ceci s’accentue aux
e et au
e siècles. Par contre, com-
ment vivaient ces savants ? Comment
étaient-ils rétribués ? Les dimensions
matérielles nous échappent en grande
partie. La deuxième révolution est
une révolution technique avec l’intro-
duction du papier qui va entraîner
une diffusion beaucoup plus massive
des écrits.
Qu’entraîne l’emploi des waqfs
pour financer des cercles
d’enseignement ?
É.V. Il existait des moyens pour finan-
cer l’enseignement avant le
e siècle,
mais assez disparates. L’introduction
massive des waqfs à partir de ce
moment – ce que j’ai appelé dans le
catalogue le « waqf académique » –
offre désormais une structure d’en-
seignement pérenne, les waqfs étant
en théorie inaliénables.
Qu’apportent les madrasas,
qui apparaissent au
e siècle
et se développent au
e siècle,
par rapport aux cercles ?
É.V. La madrasa, reposant sur le waqf,
a diversifié et enrichi toute la palette
de l’enseignement possible. Elle n’est
pas devenue le lieu exclusif d’ensei-
gnement. Dans les grandes villes de
l’islam, les madrasas se généralisent
au
e siècle mais les grandes mos-
quées continuent d’être des lieux
très importants d’enseignement tout
comme les couvents soufis, les mai-
sons, les cimetières, les jardins…
Ce système de madrasas, avec son
financement pérenne, a consolidé le
groupe de ces oulémas profession-
nels. Il a aussi sans doute favorisé
l’accès au savoir de certaines caté-
gories de la population en fournis-
sant des bourses. Même avec une
bourse, les étudiants gardaient une
très grande liberté dans le choix des
maîtres. Il y avait une très grande
souplesse dans cet enseignement.
Y a-t-il un type architectural
de la madrasa ?
S.A. Il y a éventuellement plusieurs
types de madrasas. Ce débat d’histo-
riens de l’architecture a son impor-
tance. Il y a des structures récurrentes
que l’on va retrouver dans différentes
madrasas mais qui ne sont pas non
plus des obligations d’un point de vue
architectural : un oratoire, une salle de
prière, une cour qui peut être couverte,
une ou plusieurs salles ou iwans… On
va parfois trouver des chambres pour
les étudiants et un mausolée. On n’a
pas forcément un mobilier pour nous
aider à identifier la fonction d’une
salle. Il y a des éléments qui semblent
donner une identité à la madrasa mais
il serait vain de l’aborder comme un
type architectural cohérent.
Peut-on identifier des types
régionaux ?
S.A. On arrive bien sûr à retracer
des groupes bien identifiés sty-
listiquement. Pour autant, il n’est
pas toujours simple de distinguer
d’un point de vue architectural une
madrasa d’une autre structure : en
l’absence d’une inscription de fon-
dation, d’un waqf ou de quelque
chose qui désigne le bâtiment
comme étant spécifiquement une
madrasa, il s’avère parfois difficile
de différencier une madrasa d’un
couvent soufi, par exemple. Notre
approche de l’architecture doit être
consciente de ces limites.
É.V. Pour revenir à la dimen-
sion comparative de l’exposition,
on pourrait faire le même type de
remarque sur l’architecture de l’en-
seignement médiéval en Occident.
On a des édifices qui se rapprochent
de ce qu’est la madrasa : les collèges.
À partir du
e siècle, ils étaient
d’abord destinés à héberger des
étudiants pauvres et n’étaient pas à
proprement parler des lieux d’en-
seignement. Ces collèges n’ont pas
une architecture qui permette de les
identifier.
S.A. Je me demande dans quelle
mesure ce n’est pas encore plus fort
en islam médiéval, où ces espaces
peuvent être multifonctionnels. Je
crois que cela contribue encore un
peu plus à perturber notre approche
de ce type d’espace.
É.V. Au-delà de ces différences,
on peut tout de même observer
une tendance commune à l’Orient
et à l’Occident. On voit à travers les
miniatures tardives, dans les minia-
tures persanes comme dans l’ico-
nographie de l’Occident latin, que
les livres envahissent cet espace. Un
livre domestiqué par le maître. On lit
sous son contrôle. L’école, c’est par
excellence le lieu où l’on peut rece-
voir le livre. •
Sandra Aube est post-doctorante,
chargée de recherche, Chaire de
dialogues des cultures
Éric Valet est maître de conférences,
Coordinateur de la Chaire de dialogues
des cultures, Université Paris 1 Panthéon-
Sorbonne, Institut universitaire de France
Propos recueillis par Ingrid Perbal
Lumières de
la sagesse
Écoles
médiévales
d’Orient et
d’Occident
> Exposition
organisée
par l’IMA en
partenariat
avec la
Chaire de
dialogue
des cultures
(Université
Paris 1
Panthéon-
Sorbonne/
Université
al-Imam,
Riyad)
> Jusqu’au
au 5 janvier
2014
> Musée de
l’Institut
du monde
arabe,
niveau 5
> www.
imarabe.org
> Catalogue :
Publications
de la
Sorbonne/
Institut
du monde
arabe,
424 p.,
2013, 39 €
Q89 16a24 ArtBonPourEpreuves-AR.indd 20 24/10/13 13:00