Néanmoins, une pratique qui consisterait à permettre à chacun «de donner
son opinion sur des sujets de société impliquant les citoyens, et la possibilité
de la confronter dans l’espace public pour éclairer la décision collective» ne
relèverait pas du café philo si les débats ne comportaient pas de dimension
philosophique – s’ils ne touchaient aux grandes questions existentielles de la
vie –, s’il s’agissait avant tout de convaincre l’autre pour le rallier à son opi-
nion, ou encore s’il s’agissait de faire triompher l’avis de la majorité. Car «la
logique philosophique et la logique démocratique ne peuvent se superposer,
obéissant à des intentionnalités distinctes. La philosophie politique déborde le
champ de la démocratie, et la politique n’épuise pas le champ de la philosophie
(qui touche aussi à l’épistémologie, à l’esthétique…)».
Par son fonctionnement, par la régulation du débat, le café philo est aussi
un lieu où s’exerce concrètement la démocratie de par ses modalités de fonc-
tionnement: droit de chacun de s’exprimer – ce qui implique aussi le droit
de se taire –, priorité donnée à ceux qui n’ont pas encore parlé, respect des
idées et de la parole d’autrui, acceptation des diérences et des divergences
d’opinions… Ainsi le café philo « qui mobilise la capacité à s’exprimer et
argumenter, la capacité à écouter et diérer, la capacité à se comporter comme
‘un parmi d’autres’, entraine des apprentissages propices à l’exercice eectif de
la démocratie, au sens où celle-ci, pour s’approfondir, devra en eet promou-
voir ces pratiques dans de multiples lieux de la société civile et de la sphère
publique».
Tout cela ne va cependant pas de soi car qui dit ‘groupe’ dit ‘rapports inter-
personnels’, et donc aussi ‘rapports de force’, risque que certains veuillent
jouer un rôle de leadeur, imposer leurs idées, convaincre les autres, etc. Mais
le café philo n’ayant pas d’enjeu important, ces manifestations inhérentes
à la dynamique d’un groupe peuvent être limitées: «Ce qui peut faciliter
le déroulement dans un café philo, c’est qu’il n’y a pas de décision cruciale à
prendre pour l’action (tout au plus choisir le sujet à débattre). Il n’y a pas de
vote à faire pour savoir qui a raison ou pas sur le fond d’un débat (…), ce qui
diminue les enjeux de rapport de pouvoir et de force.»
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DÉBAT ET ARGUMENTATION