Mais qui sont ces patients… qui ne prennent pas leurs traitements

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c o a c h i n g
Mais qui sont ces patients…
qui ne prennent pas leurs
traitements ?
Améliorer l’observance par
le “profilage” des patients
■ O. Gally, L. Magne*
QU’EST-CE QU’UN PATIENT ?
* Psychothérapeutes comportementalistes,
Paris. www.profilageonline.fr
Un individu, une histoire, une culture, un contexte
de vie, une structure logique, un ensemble complexe d’émotions que le médecin accueille sans
décryptage préalable.
Prendre en considération les modes de fonctionnement majeurs du patient et ses scénarios de
réponse au stress permet de mieux l’accompagner et de savoir reconnaître ses signaux d’alerte.
Nous nous sommes intéressés à l’individualité
du patient : au-delà des théories psychanalytiques, il y a des comportements, des scénarios
reproductibles et prédictibles.
Par le “profilage”, il est possible de se rapprocher de la réalité des patients. On induit alors
une approche systémique de la relation médecinpatient.
Balint (1), Golay (2), Zarifian (3), Prochaska
(4), et d’autres encore ont sensibilisé le corps
médical au sens de la maladie, à la plainte,
aux interactions médecin-patient. Pour créer
une alliance thérapeutique, il est indispensable de comprendre le positionnement du
patient : sa perception de la maladie, les
croyances qu’il y rattache, le ou les bénéfices
qu’il en retire…
Afin de l’accompagner au mieux, le soignant doit
“prendre” la posture mentale de son patient : se
mettre au diapason. Être un “bon” thérapeute,
c’est tour à tour écouter, guider. C’est à la fois
savoir s’associer, en toute empathie, à la
construction cognitive du patient et pouvoir s’en
dissocier pour conserver la juste distance dans
son rôle de soignant.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2006
Un nombre important d’études démontrent que
quelles que soient la pathologie dont ils souffrent et la gravité qu’elle revêt, les patients sont
majoritairement non observants.
Il a été démontré que les pathologies chroniques, dont les symptômes sont “sourds”, sont
davantage sujettes à la non-compliance. Le
changement des habitudes de vie et le respect
du rituel médicamenteux restent des efforts
contraignants – qui n’assurent pas la guérison –
et vont au mieux “limiter” les dégâts. Le
Pr Reach recadre cette réalité dans son dernier
ouvrage : “Considérons d’abord ce que l’on propose aux patients : la récompense de toutes ces
tâches n’est pas particulièrement attractive, elle
est abstraite et souvent exprimée de manière
négative et, d’une manière en quelque sorte tragique, elle ne sera jamais reçue [–] le domaine
consacré au futur m’apparaît fade par rapport
aux récompenses immédiates que me présente
le domaine du présent…” (5).
Vouloir améliorer l’observance, c’est donc
admettre que “24,9 % des patients adhèrent mal
aux règles d’hygiène alimentaire, que les
patients présentant le plus grand nombre de facteurs de risque cardiovasculaires sont ceux qui
adhèrent le moins bien aux règles d’hygiène alimentaire” (6). C’est admettre que seuls 40 %
des patients prennent plus de 75 % des médicaments prescrits (7).
Vouloir améliorer l’observance, c’est, pour le soignant, pouvoir accepter de dépasser le paradoxe
humain et d’envisager les aspects majeurs de la
personnalité de son patient comme une cartographie lui permettant de le comprendre.
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Pour tenter de mieux étudier ce phénomène,
nous avons interrogé 154 patients en consultation de cardiologie à l’hôpital de Lariboisière,
dont 24 % de diabétiques. Ces patients ont
répondu à un questionnaire auto-administré de
17 items en salle d’attente, la validité du questionnaire étant vérifiée en consultation. Le
temps d’administration du questionnaire
variait, en fonction des personnes, de 8 à
12 minutes.
Deux cent cinquante questionnaires ont été
remis ; 59 ont été refusés.
Les items recensés par les questionnaires permettaient de définir :
– les aspects majeurs de la cognition, c’est-àdire de la perception et de la vision que le patient
a de lui-même, d’autrui et des autres ;
– les composantes de l’affectivité, c’est-à-dire
l’intensité, la diversité et l’adéquation de la
réponse émotionnelle ;
– les fonctionnements interpersonnels.
RÉFÉRENCES
1. Balint M. Le médecin, le malade et la
maladie. Collection Bibliothèque scientifique Payot. Paris : Payot, 1988.
2. Golay A, Apfeldorfer G, Zermatila JP.
Restriction cognitive face à l’obésité.
Histoire des idées. Description clinique.
Press Med 2001;32(30).
3. Zarifian E. La force de guérir. Paris :
Odile Jacob, 1999.
4. Prochaska JO, Norcross JC. Systems do
psychotherapy, a transtheoretical analysis.
Pacific Grove (CA) : Brooks/Cole, 1994.
5. Reach G. Pourquoi se soigne-t-on ?
Collection Clair&Net 2005.
6. Allaert FA. Influence du profil sociodémographique et clinique des patients dyslipidémiques sur leur adhésion aux règles
d’hygiène alimentaire associées au traitement hypocholestérolémiant (enquête
Nutrivast). Ann Cardiol Angeiol 2004;
53:279-89.
7. Magometschnigg D. The role of compliance in clinical care. In: Métry JM, Meye
UA, Eds. Drug regimen compliance, issues
in clinical trials and patient management.
Wiley, 1999;157.
8. Hippocrate. Pronostic § 1. Paris : GF
Flammarion, 1999;189.
9. Magne L, Gally O. La grande méthode
du t’as qu’à. Nutrition & Facteurs de
risques 2005;14.
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Six profils de patients ont pu être inventoriés.
✓ Le logicien : responsable, logique, organisé. Il
aime s’informer. Il va se documenter sur sa
pathologie et la gérer en essayant de contrôler
le plus de paramètres possibles (alimentation,
traitement, style de vie). Introverti, il exprime
peu ses émotions.
Stressé, il évoque le tableau de l’obsessionnel :
il veut tout gérer, “surcontrôle”, vérifie, se fixe
des objectifs draconiens.
✓ Le moralisateur : observateur, consciencieux,
persévérant. Il a des opinions, des convictions
qu’il veut transmettre, notamment sur sa maladie, sur les traitements. Il s’implique dans ses
actes.
Stressé, il présente les caractéristiques de la personnalité de type A et/ou des traits paranoïaques :
il peut devenir procédurier, entrer en conflit, car il
est sujet à la colère.
✓ Le multi-sensoriel : sensible, chaleureux,
empathique, il est gourmand, il aime manger et
partager des moments conviviaux. Émotif, il se
demande pourquoi il est malade, il est affecté, il
parle de sa maladie, il se plaint.
Stressé, il présente les caractéristiques de la
personnalité dépendante et il décompense en
mangeant.
✓ L’“actionneur” : charmeur, plein de ressources,
il a une grande capacité d’adaptation. Il aime l’action, le mouvement, la vitesse. Il aime les sensations fortes et peut consommer (tabac, alcool,
etc.) avec excès. C’est un patient qui va réagir à
l’annonce de la maladie, puis il adaptera son traitement et son régime en fonction de ses résultats.
Stressé, il a les caractéristiques des personnalités
antisociales et narcissiques : il a des conduites à
risque.
✓ L’“énergisateur” : spontané, créatif, il aime
les rencontres et les contacts qui le stimulent.
Tonique, il aime s’amuser et blaguer. Il réagit de
façon très affective, il aime ou déteste, il accepte
ou refuse catégoriquement sa pathologie.
Stressé, il a les caractéristiques des personnalités histrioniques : il fait comme si tout allait
bien, en fait trop…
✓ Le songeur : réfléchi, rêveur, il aime le calme
et a besoin de “moments” et d’endroits propices
à la solitude. C’est un patient qui a besoin d’être
motivé et soutenu, car il craint l’échec.
Stressé, il a les caractéristiques des personnalités schizoïdes : il s’isole.
Ces profils, outre leurs spécificités caractérielles, ont des “représentations temporelles”
qui leur sont propres. Certains sont axés sur le
présent, d’autres se projettent dans le futur et
d’autres, enfin, se situent dans un présent passéiste (figure 1).
La temporalité ainsi que cette particularité individuelle dont Hippocrate faisait déjà état sont
des aspects essentiels dans l’élaboration du
contrat thérapeutique : “En effet, c’est en prévoyant et en prédisant, au chevet des malades,
le présent, le passé et l’avenir, et en expliquant
en détail ce que les patients laissent de côté
qu’il les persuadera qu’il connaît mieux qu’un
autre les affaires des malades, si bien que les
gens oseront s’en remettre au médecin” (8).
Les profils émergents sont les multisensoriels et
les logiciens. On note l’incidence de l’âge sur les
scores : le moralisateur est un profil plus représenté dans la classe des plus de 65 ans (figure 2).
Pour davantage de finesse dans l’étude et la
répartition des comportements de patients,
nous avons retenu les deux scores de profil les
plus forts pour chacun (figure 3).
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2006
Songeur
46,2
Multisensoriel
11,4
53,8
51,4
37,1
Multisensoriel
Songeur
Profil
Actionneur
Présent
Passé
Moralisateur
83,3
Logicien 9,3
Futur
Logicien
16,7
41,9
48,8
Énergisateur
40
60
Actionneur
40
60
Moralisateur
Énergisateur
0
50
100
%
Moins de 40 ans
Figure 1. Schéma de structure temporelle de pensée (© Magne & Gally).
De 40 à 65 ans
Plus de 65 ans
Figure 2. Les classes d’âge dans chacun des profils.
Une autre étude est en cours afin d’observer des
patients diabétiques, ainsi qu’une population
consultant en médecine générale.
Combinaison de profils
Songeur-logicien
Songeur-multisensoriel
Songeur-moralisateur
Songeur-actionneur
Multisensoriel-logicien
Multisensoriel-moralisateur
Multisensoriel-songeur
Multisensoriel-énergisateur
Multisensoriel-actionneur
Moralisateur-logicien
Moralisateur-sensoriel
Moralisateur-énergisateur
Moralisateur-actionneur
Logicien-multisensoriel
Logicien-moralisateur
Logicien-songeur
Logicien-énergisateur
Énergisateur-multisensoriel
Énergisateur-songeur
Énergisateur-moralisateur
Énergisateur-logicien
Actionneur-énergisateur
Actionneur-multisensoriel
Actionneur-moralisateur
Actionneur-logicien
L’intérêt est de comparer la proportion des combinaisons de profils par pathologie et de comprendre dans quelle structure causale se définit
la non-observance.
L’objectif est de mettre en place un mode d’accompagnement adapté à chaque profil (9).
0
5
10
15
20
Figure 3. La répartition des patients selon leur profil combiné.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2006
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Donner au médecin les moyens d’accéder à la
représentation temporelle du patient, de
reconnaître les signes d’une mauvaise adhésion au traitement et de s’adapter à son “langage” tant sémantique que symbolique permettra, nous en sommes convaincus, de prévenir la non-compliance. Établir un contrat thérapeutique qui respecte la personnalité du
patient, c’est en augmenter les chances de
succès.
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