Sécurité alimentaire et changement climatique en Méditerranée et Afrique de l’Ouest : quel agenda d’action pour la COP 21 ? mai 2015 3
Le problème est aussi européen et mondial. « La
stagnation observée des rendements du blé en France
depuis les années 1990 est due au facteur climatique dans
une proportion de 30 à 70 %. Au niveau mondial, la perte
relative de rendements pour le blé est de 2 % par
décennie » (J-F. Soussana, directeur à l’INRA, membre
du GIEC).
« Ce qui est encore certain, c’est qu’on aura beaucoup
plus de variabilité dans les précipitations : l’eau ne
tombera pas quand on veut ni là où l’on veut : il nous faut
donc faire quelque chose. » (M. Couchoud, présidente de
l’IME).
Les menaces pesant sur les systèmes agricoles et
alimentaires, notamment en zones semi-arides, sont
graves et il faut en prendre conscience.
• « Le changement climatique affecte en premier lieu la
base productive de l’agriculture en raison de la
dégradation de ses ressources en terre et en eau, en raison
des péjorations que le changement climatique entraînera
sur les écosystèmes et en raison aussi des faiblesses
internes des agricultures du Sud. Une prise de conscience
collective des vulnérabilités de nos systèmes agricoles
constitue donc le point de départ d’une démarche
politique » (M. Aït Kadi, président du Conseil général du
développement agricole du Maroc).
• « Ce qui est sûr, c’est que la science se retrouve face à
une situation totalement inconnue et qu’on va avoir des
crises à gérer : migrations, changements d’usages des
terres, conflits et guerres, surtout au Sahel. Il nous faut
réussir à renforcer la résilience des systèmes par des
processus innovants de développement territorial »
(P. Caron, directeur du CIRAD).
• « La Méditerranée concentre la problématique des
ressources naturelles. Les questions agricoles et
alimentaires sont les déclencheurs des révolutions du
monde arabe comme elles l’ont été autrefois pour les
révolutions européennes. Ce n’est pas seulement une
question de climat et d’alimentation : c’est une grande
question politique, un grand sujet de géopolitique. On
doit donc travailler ensemble sur ces sujets » (S. Le Foll,
ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la
forêt).
Des solutions climato-intelligentes pour
relever le défi alimentaire et climatique
L’importance clef du « secteur des terres »
Assurer la sécurité alimentaire à l’ère du changement
climatique, c’est anticiper et c’est réussir à la fois
l’adaptation, l’atténuation, et le développement. Le
« secteur des terres », c’est-à-dire l’agriculture et
l’alimentation, les sols, les forêts, ainsi que les biofilières,
est placé au centre de ce défi mondial car :
• Il représente « de 20 à 60 % du potentiel
d’atténuation à l’horizon 2030 » (GIEC 2014),
• L’agriculture est un secteur crucial pour réduire la
pauvreté et réussir le développement (Banque
mondiale, rapport spécial 2008),
• Son progrès conditionne la satisfaction du droit
universel à l’alimentation,
• L’agriculture et la forêt sont très menacées et doivent
réussir à s’adapter sinon il n’y aura ni réussite de
l’atténuation, ni sécurité alimentaire.
Des marges de progrès possibles importantes
Le rapport « Les contributions possibles de l’agriculture
et de la forêt à la lutte contre le changement climatique »
(CGAAER, février 2015), montre qu’en conjuguant
transition agro-écologique (meilleure gestion de l’azote,
recours accru aux légumineuses, agro-foresterie, zéro
labour, méthanisation…), réduction des pertes (en terres
agricoles, en prairies) et des gaspillages alimentaires, et
gestion dynamique de la forêt et des biofilières, c’est plus
du quart de l’objectif national d’atténuation fixé par la
France en 2030 qui pourra être obtenu.
En plus des réductions directes et indirectes d’émissions,
on peut en effet améliorer les mécanismes naturels faisant
des productions des champs et des bois de véritables
pompes à carbone, capables de le stocker puis de
substituer des produits biosourcés à des énergies et à des
matériaux beaucoup plus émissifs de gaz à effet de serre.
La restauration des terres dégradées :
une priorité de premier rang
La restauration des terres dégradées est une condition
d’une transition mondiale réussie. Elle représente en effet
une priorité de premier rang pour la réussite de
l’atténuation (GIEC, 2014) et peut permettre des
bénéfices considérables en termes de production et
d’adaptation.
L’Afrique de l’Ouest et la Méditerranée sont
particulièrement concernées. Des exemples de réussites
confirment la possibilité de progrès décisifs multiples :
y Au Maroc, l’agriculture de conservation en blé
pluvial (semis direct) permet en moyenne une
séquestration de carbone de 1 à 4 tonne CO2/ha, de
réduire la consommation d’énergie de 70 % et d’accroître
les rendements de 30 à 40 % et la productivité de l’eau de
60 % (M. Badraoui, DG INRA Maroc). Cependant,
seulement 10 000 ha sont aujourd’hui concernés.
y En Afrique de l’Ouest, où les sols sont très dégradés,
les techniques de conservation des eaux et des sols, de
gestion durable des terres et de régénération naturelle
assistée ont fait leur preuve. « En 2007, sur le plateau
central du Burkina, les rendements observés ont été
accrus de 39 % avec la technique des cordons seuls, et de
112 % et 118 % avec la technique des demi-lunes et des
cordons avec zaï » (S. Atta, CILSS). Les paysans du Niger
ont démontré cette dernière décennie que le Sahel peut
reverdir.