1 Livret de formation en philosophie

publicité
Livret de formation en philosophie
par Bruno Giuliani, directeur pédagogique
Objectif
L’objectif de ce module est de transmettre les savoirs et les compétences de base utiles à connaître
en philosophie pour assurer l’animation d’ateliers de philosophie avec les enfants. La formation
initiale proposera une base d’enseignement théorique sous la forme de capsules vidéos envoyées au
préalable aux stagiaires pour assurer une base commune à toutes les formations. Elle sera suivie
d’ateliers pratiques de restitution des savoirs effectués oralement avec les formateurs autant que
possible en petit groupe durant les stages pour vérifier la bonne compréhension des enseignements
et l’intégration de la méthode et d’une culture philosophique élémentaire.
Valeurs sous-jacentes
Nous reprenons les valeurs et consignes de base de l’enseignement philosophique proposées au sein
des programmes de l’éducation nationale : formation de l’esprit critique, apprentissage de la
liberté de penser, respect de toutes les opinions, développement de l’autonomie intellectuelle,
apprentissage du dialogue démocratique, exercice de la rationalité ouverte, formation d’une
identité saine et épanouie, promotion d’un équilibre psychique, affectif et social, apprentissage
d’une communication bienveillante et sans violence, épanouissement de la responsabilité civique,
contribution à l’élaboration d’une sagesse citoyenne.
Sujets abordés
Nous avons choisi de concentrer la formation en philosophie sur 3 chapitres fondamentaux :
1. Qu’est-ce que la philosophie ?
2. La méthode philosophique
3. La culture philosophique
a) le vocabulaire philosophique
b) les grands courants philosophiques
En plus des bases théoriques qui sont proposées dans les capsules vidéos et de la bibliographie, voici
une présentation condensée de ces trois chapitres de manière à unifier les formations.
1 1. Qu'est-ce que la philosophie?
1. Les définitions classiques, de Pythagore aux contemporains
Tout au long de son histoire, la philosophie a beaucoup évolué mais elle est toujours restée fidèle à
sa définition originelle socratique de libre recherche de la vérité théorique en vue de dégager un
savoir vivre pratique, une sagesse.
Nous invitons dans un premier temps les stagiaires à approfondir leur compréhension de la
philosophie à partir de sa définition grecque et de se familiariser avec les approches classiques
proposées par quelques grands philosophes :
Pythagore (inventeur du mot philosophie comme « amour de la sagesse »), Socrate (connaissance de soi), Platon (dialogue en vue de la vérité et de la justice), Aristote (connaissance de la nature), Épicure (recherche raisonnable du bonheur), Zénon (connaissance du cosmos), Descartes (libre usage de la raison), Montaigne (art de vivre), Spinoza (joie de comprendre), Kant (réflexion sur l’homme), Nietzsche (quête de sens et de valeur), Bergson (intuition de la vie), Bachelard (critique des opinions), Heidegger (méditation sur le sens de l’être), Deleuze (création de concepts)… Le point essentiel ici est que, quelles que soient leurs différences, tous les philosophes sont animés par une même quête de la vérité en vue d’un art de vivre, un même « amour de la sagesse ». C’est ce désir de comprendre et cet élan naturel vers le savoir par l’échange vivant des idées qu’il est important d’éveiller chez les enfants pour les initier de manière ludique, légère et joyeuse à la pratique philosophique. 2. Les parties de la philosophie, de la métaphysique à la politique
En tant que libre questionnement sur la totalité de l’existence, la philosophie peut aborder tous les
sujets sans exception. Il peut être bon de distinguer les parties de la philosophie en fonction des
domaines abordés pour pouvoir se repérer dans l’océan des questions. On distingue classiquement
plusieurs disciplines en philosophie :
La métaphysique (ou ontologie – science de l’être) s’interroge sur la nature de la réalité, les
principes du monde, l’existence de Dieu, les lois de la nature, la nature de l’âme, la liberté
humaine, la mort, le sens de la vie, soit les questions fondamentales qui animent l’esprit humain et
sur lesquelles on ne peut avoir de connaissance objective. C’est la partie essentielle et souvent la
plus difficile de la philosophie, car elle met en jeu des concepts abstraits qui dépassent
l’expérience. C’est aussi la partie souterraine de la pensée qui soutient toutes les autres (image des
racines proposée par Descartes).
L’Épistémologie (philosophie des sciences) s’interroge sur la nature et les limites de la
connaissance du monde et de l’homme. C’est la partie la plus technique de la philosophie, parce
qu’elle présuppose la connaissance des sciences (logique, mathématique, astronomie, physique,
chimie, biologie, anthropologie, linguistique, sociologie, psychologie, économie, mythologie, etc.)
et la capacité de les questionner. Cette partie renvoie surtout à la question de savoir dans quelle
mesure nous pouvons accéder à la vérité sur le réel.
L’Éthique s’interroge sur la bonne manière d’agir, les comportements, les valeurs, les morales, la
liberté, l’amour, le sens de la vie, le bonheur. C’est la partie la plus commune de la philosophie
parce qu’elle met en jeu directement notre vie quotidienne et qu’elle répond à la question
socratique inaugurale de la philosophie : comment vivre ?
L’Esthétique s’interroge sur la beauté, le processus créatif et les œuvres d’art. C’est la partie la
plus récente de la philosophie, qui se déploie diversement en fonction des arts (musique, peinture,
poésie, littérature, sculpture, architecture, photo, cinéma, théâtre, arts plastiques, cuisine, etc.).
2 La philosophie politique s’interroge sur les questions relatives au vivre ensemble, le pouvoir, le
gouvernement, le droit, la justice, la liberté, la société, l’État, la violence, la paix, la relation
humaine, la fraternité…
On considère généralement comme un « grand philosophe » un penseur qui apporte une innovation
majeure dans un des ces domaines et qui créé une école de pensée, mais toute personne qui
développe des idées personnelles argumentées sur ces questions peut être considéré comme un
philosophe, quel que soit son âge, son degré de culture et d’intelligence.
Dans le cadre limité de cette formation, le but de ce module est d’inviter les stagiaires à s’ouvrir à
la profondeur à la puissance de la réflexion philosophique dans sa capacité à éclairer les questions
métaphysiques, épistémologiques, éthiques, esthétiques et politiques de la vie humaine.
Une question pratique – par exemple « doit-on toujours obéir aux lois ? » - demande ainsi de creuser
ses différentes dimensions pour dégager une réponse qui englobe tous les types de lois (divines,
naturelles, sociales, scientifiques, juridiques, politiques, morales, etc.)
Dans le cadre de la philosophie avec les enfants, il s’agit surtout d’attiser l’intérêt pour la pensée
en suscitant le désir de penser, d’échanger, d’évoluer vers plus de compréhension et d’intelligence,
et autant que possible dans le climat originel de la philosophie : la joie de dialoguer entre « amis de
la sagesse ».
3. A quoi reconnaît-on un philosophe ? L’esprit philosophique
Contrairement aux idées reçues, le philosophe n’est pas un érudit ou un expert, mais un esprit
ouvert qui est animé par le désir de comprendre et d’évoluer. Les premières qualités philosophiques
sont donc l’ouverture d’esprit, la curiosité, l’humilité, l’authenticité, la lucidité… Un philosophe se
reconnaît surtout à sa capacité de s’étonner devant les mystères de la réalité, à son désir de
s’améliorer et à sa passion pour la vérité. Quel que soit son âge et son degré de culture, c’est un
aventurier de la vérité, un esprit libre et un ami du savoir.
4. L’origine de la philosophie : de la Grèce à la planète
Bien qu’elle soit historiquement située à Athènes au 5ème siècle avant J.C. avec les présocratiques
(Pythagore, Parménide, Héraclite, Thalès, Empédocle, etc.) puis les premières écoles de sagesse
(académie platonicienne, lycée aristotélicien, portique stoïcien, jardin épicurien, Ecole
Pyrrhonienne), la philosophie est sans doute née bien avant et s’est développée un peu partout où
des humains se sont interrogés librement de manière rationnelle sur le sens de l’existence. On
trouve ainsi de la philosophie et des sources de sagesse dans toutes les grandes civilisations, de la
Chine à l’Amérique en passant par l’Afrique et l’Inde. La philosophie est aujourd’hui présente
partout sur Terre et invite à une pensée qui intègre toutes les cultures et toutes les sciences. La
philosophie est en ce sens depuis les grecs la recherche d’une vérité universelle qui permette
l’accord entre les consciences et l’harmonie cosmopolitique.
5. La pratique philosophique : la maïeutique socratique
La philosophie peut certes se pratiquer seul (comme « dialogue de l’âme avec elle-même » selon
Platon), mais c’est dans l’exercice du dialogue avec autrui qu’elle se déploie dans toute sa force.
L’attitude philosophique par excellence est le questionnement socratique appelé maïeutique
(accouchement de l’esprit) dans la mesure où elle interroge sans cesse l’autre sur les raisons pour
lesquelles il affirme une thèse ou défend une conviction. Le rôle d’un animateur d’atelier
philosophique est essentiellement de savoir poser les bonnes questions pour permettre aux
participants de progresser vers une pensée plus claire, plus solide, plus riche, plus libre, plus
intelligente, sans nécessairement trouver une réponse unique et définitive.
3 6. La finalité pratique de la philosophie : une éthique vers une sagesse
Bien qu’elle soit dans son essence une activité théorique qui se déploie au niveau du discours
conceptuel et argumentatif, la philosophie a pour vocation d’éclairer la vie pratique et d’apporter
des réponses aux questions existentielles qui concernent tout être humain dans sa vie quotidienne :
comment bien vivre ?
Toutes les questions philosophiques de type métaphysique, épistémologique ou esthétique ont donc
pour but d’éclairer la dimension éthique et politique de la vie humaine. C’est de progresser vers
une plus grande sagesse – un art de vivre - tant dans la vie individuelle que collective. C’est en ce
sens que l’apprentissage de la pratique philosophique dès le plus jeune âge peut grandement
contribuer à l’évolution sociale vers plus de « savoir être et vivre ensemble. » Quelle que soit la
question abordée, il s’agit toujours d’apprendre à mieux penser pour mieux vivre.
2. La méthode philosophique
Avant d’être recherche d’un art de vivre, la philosophie est d’abord et essentiellement un art de
penser qui peut s’apprendre dès le plus jeune âge. Cet art demande de maîtriser quelques
opérations de base de l’intelligence philosophique qui sont valables tant dans l’exercice solitaire
(méditation, écriture, enseignement) que dans sa pratique collective (dialogue, cercle,
colloques...)
1. Questionner
La réflexion commence toujours par une question qui surgit de la rencontre d’une difficulté
théorique ou pratique. Devant le ciel étoilé ou l’existence de la vie sur Terre, l’esprit s’interroge :
comment le cosmos s’est organisé ? Pourquoi avons-nous été créés ? Quel est le but de la vie ?
Devant le désastre de la guerre et les tragédies de la violence, il se questionne sur les causes du
mal et sur les moyens de la paix. Face aux malheurs dus aux ravages de la folie humaine, face à la
misère et à l’injustice, il se demande comment améliorer l’éducation et créer une société plus sage
et plus heureuse.
La philosophie commence toujours par un questionnement sur un sujet qui suscite notre intérêt et
attise notre désir d’évoluer. Cela suppose de sortir de l’opinion, du dogmatisme fermé, de la
croyance irraisonnée, de l’adhésion idéologique et du conditionnement mental. Cela suppose
d’utiliser notre liberté fondamentale de penser avec notre raison pour ouvrir les yeux sur la réalité.
Il est donc toujours intéressant de commencer une réflexion en formulant une question précise,
ouverte – par exemple « quel est le but de l’éducation ? » ou fermée – par exemple « la vie a t-elle
un sens ? », pour stimuler l’intelligence.
2. Conceptualiser
Le questionnement passe toujours par des concepts qui vont expliciter la pensée autour d’idées
essentielles dont on va clarifier et enrichir progressivement le sens pour en dégager une plus grande
intelligibilité. Si on s’interroge par exemple sur les conditions du bonheur, on va préciser le sens de
ce concept en le distinguant des concepts voisins tels que plaisir, joie, contentement, gaieté,
sérénité, extase, béatitude et distinguer différents types de bonheur (durable/éphémère,
superficiel/profond, lucide/illusoire, partiel/complet, physique/spirituel, solitaire/partagé, etc.). A
chaque fois qu’on utilise un concept, il est bon de clarifier le sens dans lequel on l’emploie, de
donner une courte définition, et de voir comment peut évoluer cette définition. Ainsi le concept de
travail peut signifier « toute activité pénible et contraignante nécessaire pour satisfaire nos
besoins » ou bien « toute activité intelligente et utile qui permet de devenir plus libre et de
produire de la richesse ».
4 Le plus souvent le questionnement va mettre en jeu plusieurs concepts. Par exemple dans la
question « peut-on être heureux sans travailler ? » Ici le concept de travail va d’abord être
progressivement clarifié pour aller vers une définition globale, par exemple « toute activité plus ou
moins pénible demandant un effort en vue d’un but utile » et on pourra distinguer des formes de
travail libératrices qui rendent heureux et d’autres aliénantes qui s’opposent au bonheur mais
peuvent y contribuer. On pourra aussi distinguer différents types de travail : libre/forcé,
rétribué/bénévole, pénible/jouissif, physique/spirituel, mécanique/créatif, reconnu/non reconnu
(mère au foyer), etc. On pourra également montrer les limites du travail par rapport à d’autres
activités nécessaires au bonheur (repos, oisiveté, jeu, fête, loisirs, méditation, contemplation,
etc.). Même si une réponse simple ne s’impose pas, on pourra ainsi enrichir notre compréhension de
l’humanité et progresser en sagesse pour distinguer les formes libératoires ou aliénantes du travail.
La pensée philosophique est donc essentiellement un art du concept, et c’est pourquoi son
apprentissage passe par une exploration des différents sens des mots, de leur étymologie, de leurs
nuances sémantiques pour aller vers une pensée toujours plus subtile et intelligente qui recouvre
autant que possible la richesse et la complexité du réel.
3. Problématiser
Derrière chaque question philosophique on retrouve un ou plusieurs problèmes philosophiques : ce
qu’on appelle en philosophie une « problématique » recouvre les questions fondamentales qui ont
pour particularité d’être à la fois essentielles, universelles et « éternelles » dans le sens où elles se
posent depuis toujours et se poseront sans doute toujours à l’humanité.
La problématique est en fait simplement ce qui rend une question quelconque intéressante,
profonde, riche, matière à réflexion et à progresser humainement sur le chemin de la sagesse.
Ainsi la question pratique apparemment simple « peut-on être heureux sans travailler ? » demande
de résoudre plusieurs questions plus profondes pour trouver une réponse satisfaisante : - quelle est
la véritable condition du bonheur au delà des opinions superficielles qu’on s’en fait ? Pourquoi
l’homme doit-il travailler ? Peut-on penser une forme de travail qui soit dégagée de toute
pénibilité et soit en elle-même source de joie ? Peut-on penser une humanité libérée du travail ?
On arrive alors à dégager des problèmes philosophiques de base : Le travail n’a-t-il pas une vertu
humanisante indispensable ? Quelle est alors l’essence du travail, l’essence de l’homme et le but
même de la vie humaine ? On peut alors élargir la réflexion non seulement au travail manuel,
technique et professionnel, mais aussi au travail intellectuel, artistique, philosophique, spirituel…
La problématisation est sans doute la partie la plus difficile de la pensée philosophique car elle
demande d’aller au-delà des opinions et des habitudes de pensée et de mettre la question
particulière que l’on pose en perspective à l’intérieur du champ complet de la réflexion humaine,
de la métaphysique à la politique.
Autre exemple de problématisation :
Par rapport au sujet « Quel est le but de l’éducation ?, la problématique (la question
philosophique fondamentale qu’il est nécessaire de résoudre pour pouvoir répondre au sujet) est
quelle est l’essence de l’homme ? En effet, l’éducation ayant pour but de faire passer l’humain de
l’enfance à l’adulte accompli, il est nécessaire de réfléchir sur les différentes définitions de
l’homme pour savoir quelle est la valeur essentielle à développer par l’éducation : est-ce la
sociabilité ? la raison ? la liberté ? l’amour ? etc.)
Dans le cadre des ateliers avec les enfants, on pourra faire simplement surgir les problématiques en
mettant en évidence la possibilité de différentes réponses rationnelles sur un même sujet, de
manière à susciter l’étonnement et l’approfondissement du questionnement.
5 4. Mettre en dialogue
Autre point décisif, la pensée philosophique est toujours dialogique et dialectique, et c’est
pourquoi elle est toujours dynamique, vivante et en évolution.
Elle est dialogique dans le sens où elle met en dialogue différents points de vue possibles,
cherchant notamment à confronter des thèses différentes, voire opposées. Elle est dialectique dans
le sens où elle progresse selon un ordre logique en allant toujours du plus simple au plus complexe,
du plus évident au plus problématique, de l’opinion superficielle vers une connaissance mieux
fondée, allant donc de questions en réponses de plus en plus intelligentes et satisfaisantes pour
l’esprit.
Ainsi dans le sujet « peut-on être heureux sans travailler » on peut défendre plusieurs thèses et
questionnements successifs :
1. Comme activité pénible, le travail semble s’opposer directement au bonheur
2. Mais comme activité utile produisant des richesses, il semble aussi être nécessaire au
bonheur
3. pourtant il est possible d’être heureux sans travailler !
4. le travail n’est donc source de bonheur qu’à certaines conditions, notamment quand il
respecte la nature humaine et les lois de la vie
5. comment distinguer le travail épanouissant et le travail aliénant ?
6. quelle est la véritable condition du bonheur et en quoi est-il compatible avec le travail ?
7. quelle est finalement la véritable valeur du travail et ses limites ?
8. On peut donc être heureux sans travailler mais le travail ajoute une valeur, une profondeur
et une richesse au bonheur, dans tous les domaines, à condition de respecter les besoins
humains
9. peut-on imaginer une société heureuse où chacun aimerait son travail ? Une société qui ne
travaillerait que dans et pour le bonheur de tous ?
5. Argumenter
Toute thèse est acceptable en philosophie pourvu qu’elle soit rationnellement argumentée et
qu’elle réponde de manière pertinente à la question posée. Un argument est simplement une idée
qui soutient la véracité d’une autre idée de manière logique et compréhensible en apportant un
éclairage à la problématique philosophique.
On peut utiliser des exemples comme arguments. Dans le sujet traité, Il suffit ainsi d’évoquer les
êtres heureux qui ne travaillent pas (jeunes enfants, vacanciers, retraités, joueurs, riches, rois,
contemplatifs, artistes, etc.) pour argumenter contre la nécessité du travail pour atteindre le
bonheur. On peut aussi proposer des arguments scientifiques (par exemple que les sociétés les plus
heureuses sont celles où on travaille le moins et où le travail est le mieux organisé en fonction des
talents et des aptitudes. Ou au contraire que les êtres les plus heureux ont atteint un niveau
d’excellence qui a demandé beaucoup de travail, non au sens ordinaire de s’assurer les moyens de
survie mais de maîtrise d’un art, d’une science, d’une compétence, d’une excellence). C’est alors
la notion d’effort qui peut être mise en avant : on peut être heureux sans travailler au sens étroit
du terme, mais pas sans un certain effort pour satisfaire ses besoins, réaliser ses désirs et accomplir
son humanité. On peut alors proposer d’autres concepts plus riches comme celui d’action créatrice,
d’œuvre ou d’ouvrage.
Une thèse devient philosophique quand elle peut être soutenue par un ensemble d’arguments qui
permettent de lui donner une solidité suffisante pour emporter l’adhésion de l’esprit malgré toutes
les critiques qu’on peut lui adresser. Sans argumentation, une thèse n’a aucune valeur en
philosophie, même si elle exprime une certaine vérité.
C’est essentiellement cet art de l’argumentation qui est à développer dans les ateliers
philosophiques en sachant poser les bonnes questions pour faire émerger progressivement les
solutions des problématiques et éveiller les esprits à une plus grande intelligence du monde.
6 6. Répondre à la question
Dernière étape du questionnement, la réponse vient clôturer la réflexion sans pour autant
l’achever. Dans tout dialogue philosophique, la pensée progresse vers une position de plus en plus
argumentée, riche, précise et fondée en raison.
A la fin de tout exercice philosophique (dialogue, atelier, méditation, dissertation, etc.), il est donc
bon d’apporter une conclusion et de dégager une réponse synthétique qui intègre l’ensemble de la
réflexion sans pour autant la fermer. Ainsi au terme de l’argumentation sur le travail, on peut
exprimer qu’il est certes possible d’être heureux sans travailler au sens d’un emploi rétribué ou
d’une activité pénible et contrainte, mais qu’un effort intelligent est nécessaire pour créer les
conditions d’une vie heureuse, tant que le plus matériel que spirituel. On dégage ainsi les vertus du
travail au sein d’une réflexion éthique qui peut mettre en jeu des éléments métaphysiques
(l’homme est par nature un animal qui travaille pour se perfectionner) et politiques (les sociétés les
plus évoluées sont celles où on est heureux de travailler pour le bien commun).
Même lorsqu’elle n’aboutit pas à une solution finale, comme on le voit dans les dialogues
platoniciens aporétiques (de « aporie », sans issue, sans solution), la réflexion est réussie lorsque
l’esprit a progressé en lucidité en se libérant d’opinions, de préjugés et de convictions non fondées.
C’est souvent le cas dans les questions métaphysiques telles que « l’âme est-elle immortelle » ou
« Dieu existe-t-il ? » : même si une réponse ne s’impose pas à l’intelligence, on aura mieux compris
au terme de la réflexion ce que signifie les concepts d’âme, de Dieu, et les raisons pour lesquelles il
est possible d’adhérer ou non aux différentes thèses théistes ou athées sur ces questions, ce qui
constitue de toute façon un progrès philosophique vers plus de tolérance et de compréhension.
2. Le vocabulaire philosophique
La philosophie se pratique généralement à l’aide des concepts du langage courant, mais à la
différence de la conversation ordinaire, il est nécessaire de préciser le sens des termes employés
pour clarifier la pensée et permettre de progresser dans le questionnement, la problématisation et
l’argumentation vers une réponse satisfaisante.
Dans le cadre des ateliers de philosophie avec les enfants il est utile de disposer de définitions
simples des notions de base utilisées dans les discussions. Il est toujours utile de consulter des
dictionnaires et vocabulaires philosophiques pour enrichir notre compréhension des concepts, mais
la plupart du temps il suffit de disposer de définitions simples des concepts de base pour pouvoir
philosopher. La philosophie orale est souvent moins complexe et conceptuelle que la philosophie
écrite, mais elle a tout autant besoin de clarté et de précision pour permettre un dialogue vivant et
ouvert.
Voici une liste sommaire de quelques couples de termes employés couramment dans les discussions
philosophiques avec de courtes définitions (ces définitions sont simplifiées à l’extrême et sont
données à titre de repères pour la discussion).
nature : tout ce qui naît spontanément / culture : tout ce qui est créé par l’homme (artifice)
plaisir : une satisfaction corporelle, une joie partielle / Joie : une réjouissance spirituelle /
bonheur : une plénitude spirituelle, une joie complète
besoin : nécessité intérieure à satisfaire pour vivre / désir : force qui fait agir vers un but
réalité : caractère de ce qui existe / vérité : accord de la pensée et de la réalité
7 conscience : connaissance immédiate que l’esprit a de lui-même et du monde / inconscient :
partie non consciente de l’esprit (pulsion, mémoire, complexe, pensée)
matière : partie physique spatio-temporelle non consciente d’un être / esprit : partie sensible,
consciente et pensante d’un être
métaphysique : réflexion sur la réalité au-delà de l’expérience / physique : qui concerne la réalité
accessible à l’expérience
subjectivité : réalité telle qu’elle existe pour un être conscient de soi (sujet) / objectivité : réalité
telle qu’elle existe extérieurement et indépendamment des sujets (objets)
expérience : contact direct singulier avec la réalité / théorie : vision intellectuelle globale de la
réalité en vue d’en dégager une intelligibilité
raison : faculté de comprendre, ordonner, expliquer, penser, juger / intuition : connaissance
immédiate et directe de la réalité par l’esprit
imagination : faculté de produire des images à partir de la perception créatrice / mémoire :
faculté de produire des souvenirs à partir de l’expérience
science : ensemble des connaissances rationnelles vérifiables objectivement de manière
reproductible / opinion : idée plus ou moins rationnelle à laquelle on adhère sans pouvoir apporter
de preuve
dogme : idée que l’on admet comme vérité absolue / conviction : idée que l’on admet comme
vérité relative sur la base d’une réflexion
vertu : force spirituelle qui nous détermine à bien agir de manière libre, équilibrée et volontaire /
passion : force affective que l’on subit et qui nous détermine à agir indépendamment de notre
volonté
jeu : activité que l’on pratique en vue du seul plaisir / travail : activité que l’on pratique en vue
d’un but utile
valeur : ce qui est perçu par l’esprit comme désirable et digne d’être recherché (beau, bien, vrai,
utile, sacré…) / sens : ce qui est perçu par l’esprit comme source d’intelligibilité et de
compréhension
art : action créatrice d’œuvres incarnant des valeurs esthétiques sans utilité / technique : action
ou procédé engendrant une efficacité dans l’atteinte d’un but utile
beauté : valeur esthétique ressentie par la contemplation de réalités naturelles ou d’œuvres d’art /
sacré : valeur spirituelle ressentie face à la présence du divin ou d’une réalité possédant une valeur
absolue
folie : incapacité à vivre, penser, agir et aimer de manière raisonnable et équilibrée / sagesse :
capacité à vivre, penser, agir et aimer de manière raisonnable et harmonieuse
liberté : faculté de se déterminer par soi-même à agir selon sa propre loi (autonomie) / devoir :
impératif qui s’impose à la volonté d’agir selon une loi morale indépendante du désir
droit : ensemble des lois en vigueur dans un État / justice : sentiment que la conscience éprouve
face à une situation qui contribue au bonheur de tous dans la Cité
éthique : réflexion personnelle sur les valeurs en vue d’agir avec sagesse en vue d’un plus grand
bonheur / morale : ensemble des mœurs, devoirs, normes, lois et codes imposés aux hommes pour
éviter de faire le mal et faire le bien
8 politique : ensemble des actions et institutions visant le gouvernement du peuple et l’instauration
de la justice dans une société / religion : ensemble des croyances et des rites visant le respect du
sacré dans une société
spiritualité : ensemble des pratiques par lesquelles l’esprit déploie ses valeurs (vérité, beauté,
sacré…) / laïcité : respect de la liberté de penser et plus particulièrement liberté des croyances et
des pratiques philosophiques, spirituelles ou religieuses au sein d’un État
4. Les courants philosophiques
Nous avons délaissé la présentation (trop riche) des courants particuliers de l’histoire de la
philosophie liés à des auteurs et des doctrines pour donner un aperçu synthétique (très simplifié) de
quelques grandes attitudes philosophiques possibles, de manière à faciliter l’orientation du
questionnement pendant les ateliers. Ces définitions ne sont qu’indicatives et n’ont qu’une valeur
pédagogique dans le cadre limité de cette formation.
Scepticisme : doute face à la possibilité d’atteindre des vérités absolues en philosophie
Dogmatisme : certitude face à la possibilité d’atteindre des vérités absolues en philosophie
Criticisme : attitude intermédiaire entre le scepticisme et le dogmatisme, questionnement
permanent pour dégager les limites de la connaissance et progresser en lucidité
Idéalisme : affirmation que l’Être est idée et produit la matière, que le monde est régi par un ordre
spirituel invisible
Matérialisme : affirmation que l’Être est matière et produit l’esprit, que le monde s’organise selon
les lois naturelles
Vitalisme : affirmation que l’Être est vie, que les mondes matériel et spirituel sont régis par les lois
de la vie
Théisme : affirmation de l’existence d’un principe divin transcendant qui crée et organise le monde
On distingue les monothéismes (existence d’un seul Dieu séparé de la Nature), les polythéismes
(existence de plusieurs dieux séparés ou non de la Nature) et les panthéïsmes : (Dieu est tout, Dieu
ne fait qu’un avec la Nature).
Athéisme : négation de l’existence de tout principe divin transcendant ou immanent, affirmation
que seule existe la nature qui s’organise selon ses lois, entre hasard et nécessité
Agnosticisme : doute face à la possibilité d’atteindre une vérité en ce qui concerne l’existence de
Dieu et les questions métaphysiques en général
Rationalisme : confiance en la raison comme principe d’explication de la réalité et de découverte
de la vérité
Empirisme : doute envers le raisonnement théorique et confiance dans l’expérience et le
pragmatisme pour connaître la vérité
Intuitionnisme : confiance dans les intuitions pour connaître directement le réel sans passer par
l’expérience ni le raisonnement
Spiritualisme : affirmation de la supériorité de l’esprit sur la matière, appel à la spiritualité pour
expliquer le monde et diriger la vie humaine
Pragmatisme : doute sur les théories intellectuelles de type métaphysique et recherche de la vérité
efficace au niveau de l’action
Utilitarisme : le critère de la vérité et des valeurs est l’utilité pratique, sans recherche d’un
fondement métaphysique
Hédonisme : doctrine éthique qui fait du plaisir le but de la vie humaine et la source de tout
bonheur
Eudémonisme : doctrine éthique qui fait du bonheur le but de la vie humaine, au delà des plaisirs
Rigorisme : attitude morale qui prône l’indifférence face aux plaisirs et au bonheur au profit du
respect des devoirs et de la justice
9 Optimisme : affirmation que le bonheur est possible, que la vie a un sens, que le monde et
l’humanité évoluent vers une amélioration
Pessimisme : affirmation que le bonheur est impossible, que la vie n’a pas de sens, que le monde et
l’humanité se dégradent et vont vers la destruction
Réalisme : recherche d’un équilibre entre optimisme et pessimisme pour discerner sens et nonsens, bonheur et malheur, évolution et dégradation
Nous reviendrons en formation pendant les ateliers sur tous ces points.
5. Bibliographie sommaire
1. Livres obligatoires
- Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Folio.
- Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Bordas
- Bruno Giuliani, L’amour de la sagesse, initiation à la philosophie, Le Relié.
2. Livres facultatifs conseillés
Œuvres classiques
- Platon, Apologie de Socrate, GF. / Premiers Dialogues, GF. / Le Banquet, GF /
- Aristote, Éthique à Nicomaque, GF.
- Épicure, Lettres, Maximes et Sentences, Livre de Poche.
- Descartes, Les principes de la philosophie, Poche.
- Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, Folio.
- Kant, Qu’est-ce que les lumières ? Poche.
- Nietzsche, Ecce Homo, Poche.
- Alain, Éléments de philosophie, poche.
- Jaspers, Introduction à la philosophie, poche.
Œuvres contemporaines
- André Comte Sponville, Présentations de la philosophie, le livre de poche.
- Jacqueline Russ, Panorama des idées philosophiques, Armand Colin.
- Roger Caratini, Initiation à la philosophie, des présocratiques à Sartre, archipoche.
- Michel Tozzi, Penser par soi-même, initiation à la philosophie, Chroniques Sociales.
- Jeanne Hersh, L’étonnement philosophique, Folio.
- Jostein Gaarder, Le monde de Sophie (Roman sur l’histoire de la philosophie), Poche.
- Roger Pol Droit, Une brève histoire de la philosophie, Poche.
- Michel Onfray, Antimanuel de philosophie, Brial.
- Frédéric Lenoir, Du bonheur, un voyage philosophique, le livre de poche.
- Edgar Morin, Mes philosophes, pluriel.
Pour me contacter : Bruno Giuliani / Email : [email protected]
10 
Téléchargement