Maladies émergentes et réémergentes chez l’homme
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CONCEPTS
1.1 Histoire d’un concept
L’idée d’émergence est liée à la naissance de l'épidémiologie moderne au XIXe siècle6[20]. La
première pandémie de choléra7 avance lentement vers l’Europe. Son apparition à Londres, puis à
Paris en 1832, de même que sa propagation et sa contagion sont alors étudiées précisément[57] ;
son agent est pourtant inconnu. En 1848, devant l’épidémie de Typhus8 qui ravage l’Allemagne,
Rudolf Virchow, dans sa lutte, prend en compte l’interaction de l’homme avec son environnement ;
le vecteur du typhus9 n’est pas encore identifié.
Avant les années 1990, on parle de concepts pathogéniques10 émergents[25]. Dès les années 1960,
on décrit des maladies émergentes en médecine vétérinaire[174], mais aussi des anthropozoonoses
(zoonoses de l’animal à l’homme) émergentes[90;128;174]. Des agents, virus ou pathogènes
émergents sont décrits dans la littérature scientifique dans les années 1970[186]. Des épidémies
émergentes inquiètent alors les observateurs[144].
Stephen S. Morse est l’un des premiers scientifiques à défendre cette notion au début des années
1990 ainsi que celle de réussite d’émergence[37;135]. Le concept de maladie émergente se serait
réellement « cristallisé » aux Etats-Unis, avec la publication d’un rapport officiel sur ce thème, en
1992[101]11. Joshua Lederberg y envisage les maladies émergentes sous ses aspects
évolutionnistes12, environnementaux, sociaux et politiques13[115;116;117;152]. C’est par un
historien des sciences, spécialiste de l’histoire du sida14, Mirko D. Gmerk, que le concept de
« maladie infectieuse émergente » entre dans la sphère publique. Ce croate avait décortiqué
l’histoire du sida dans un livre célèbre paru en 1989 et introduit le terme de pathocénose (pour
définir les relations d’équilibre que les maladies infectieuses entretiennent les unes avec les
autres)[77;78].
A l’occasion d’épidémies, ce terme s’est révélé utile dans les années 1990 pour attirer l’attention.
Le concept de maladie émergente pour l’homme est cependant largement utilisé pour d’autres
maladies, non infectieuses et non transmissibles. Il permet, de plus, l’imagination et l’interprétation,
par l’idée d’apparition menaçante qu’il véhicule et la curiosité qu’il suscite. Des expressions comme
6 Etude scientifique de la distribution, de la fréquence et des causes des maladies humaines (méthodes modernes de
santé publique et de surveillance). John Snow, un Anglais, est considéré comme le créateur de cette discipline.
7 Le Vibrio cholerae a été identifié en 1883. Seules les souches fabriquant une toxine peuvent donner le choléra. Sept
pandémies successives ont émergé et réémergé depuis 1817. Nous vivons la 7e pandémie depuis 1961.
8 Le typhus exanthématique (ou épidémique) est une bactériose (rickettiose à Rickettsia prowazekii), transmise par les
poux du corps.
9 Organisme hôte de l’agent susceptible de transmettre l’agent à un organisme différent. Le vecteur se réfère au mode
de transmission : piqûre d’insecte ou contact de sang, aérosol de rongeur, expositions aux sécrétions de l’hôte.
10 Relatifs au mécanisme causal des maladies.
11 Rapport de l’Institute Of Medicine (IOM) intitulé : Emerging Infections: Microbial Threats to Health in the United
States.
12 Evolutionnisme : théorie scientifique selon laquelle la vie se développe par l'évolution des espèces (sélection
naturelle).
13 Lederberg est biologiste, prix Nobel de physiologie en 1958 pour ses recherches sur la génétique bactérienne
(recombinaison génétique), coauteur de ce rapport sur les maladies émergentes remis à la Maison Blanche. Près du
quart de toutes les maladies sont dues à une exposition environnementale, selon l’OMS en juin 2006 (tous facteurs
confondus).
14 Syndrome d’immunodéficience acquise dû au virus HIV (Human Immunodeficiency Virus).