« les politiques climatiques sont le seul moyen sérieux d`engager la

publicité
Dossier : l’économie du carbone
entretIen
avec
laurence tuBIana
Directrice de l’Institut du développement durable
et des relations internationales
« les politiques
climatiques sont le seul
moyen sérieux d’engager
la transition énergétique »
Propos recueillis par Jean-marc Daniel
Selon vous, quels changements
majeurs la prise en compte
de la contrainte carbone va-telle imprimer aux économies
développées ?
Laurence Tubiana – Le problème commence à être mieux compris, notamment
sous la poussée des jeunes générations.
Le changement climatique n’est plus
seulement un problème abstrait, une
occasion de pointer du doigt les uns ou
les autres. Le problème est en cours d’intégration dans les raisonnements individuels et collectifs, les décisions publiques
et les orientations stratégiques des
acteurs économiques. Les implications
des décisions ordinaires de consommation ou d’investissement sont de mieux
48 • Sociétal n°64
en mieux comprises, et parfois même
prises en compte. Progressivement on
devrait voir s’assimiler et se généraliser certains comportements et attitudes collectives et institutionnelles. Les
consommations matérielles inutiles, les
emballages superflus, les équipements
inefficients, les transports automobiles
évitables : les choses doivent changer
et elles le peuvent, contrairement à ce
qu’en disent les Cassandres ; elles ont en
réalité déjà beaucoup changé depuis les
chocs pétroliers et l’émergence de l’écologie citoyenne.
Au fil des années, le parc d’équipements
urbains et ménagers va se renouveler et
progresser vers une efficacité énergétique
toujours croissante. Si le prix de l’énergie
s’envole, l’efficacité doit en faire autant,
Entretien avec Laurence Tubiana
de sorte que la note ne doit pas augmenter. Au-delà, c’est la fabrique urbaine
dans son ensemble qui doit se renouveler.
Combien de temps les trappes à énergie que sont les banlieues pavillonnaires lointaines seront-elles encore viables
avec des prix de l’énergie à la hausse ?
Travail à distance, équilibrage des pôles
urbains, investissement dans les transports en commun sont des options. Si
la ville future se conçoit comme un lieu
ou cent mille personnes vivent à moins
d’une demi-heure les unes des autres, on
devra également pouvoir y vivre à tonnes de CO par personne et par an.
De nouveaux marchés vont
apparaître avec la dynamique
carbone. Pensez-vous que
la France y soit préparée ?
Laurence Tubiana – La France est un
pays ayant à la fois une culture politique avancée et un respect traditionnel
des sciences de l’ingénieur. Cela nous
donne par exemple un avantage international indéniable dans certains domaines comme les services parapublics. Les
entreprises françaises sont en effet bien
présentes à l’étranger pour soutenir les
processus transformationnels nécessaires et conduire le changement dont ont
besoin les sociétés pour s’engager dans
des sentiers de développement sobre,
notamment dans les grand pays émergents. On le voit bien dans les secteurs
tels que l’eau, les transports, les services
énergétiques, l’aménagement forestier,
etc.
Les grands industriels français, ceux qui
vont être impliqués dans le marché carbone, sont depuis longtemps associés aux
réflexions sur ce marché et l’expérience
européenne leur confère un avantage
important en termes d’apprentissage
d’un tel mécanisme.
S’agissant de la finance de la lutte contre
l’effet de serre, si les Français n’ont pas
inventé le marché du carbone, ils ont
certainement rattrapé leur retard ces
dernières années. La place parisienne
comprend désormais certains des plus
grands operateurs mondiaux reconnus
dans ce domaine.
La construction automobile française
bénéficie encore de sa politique de petite
voiture économe mais n’est pas dans le
peloton de tête des constructeurs qui
réfléchissent plus largement sur la mobilité. Les réflexions viennent plus du secteur des services que des constructeurs.
On parle beaucoup
de taxe carbone :
est-ce une bonne idée ?
Laurence Tubiana – La taxe carbone
est un instrument économique permettant de donner un prix aux émissions de
CO afin que ce signal prix soit intégré
dans les décisions des acteurs économiques en vue d’orienter leurs choix vers
des modes de production et de consommation moins émetteurs. L’assiette de
2
eme
trimestre
2009
• 49
Dossier : l’économie du carbone
la taxe est fixée ex ante par le régulateur
et s’applique uniformément aux acteurs
visés, ce qui leur donne de la certitude
sur le prix du CO qui sera réintégré
dans l’économie. Mais ce mécanisme
ne présage pas des effets environnementaux, au contraire d’un système dit
« cap and trade » où l’objectif en termes
d’émissions de CO est prédéfini mais
le prix d’équilibre en résultant inconnu.
En Europe, le choix s’est opéré précisément en faveur d’un tel système dit ETS
couvrant l’industrie et les opérateurs
énergétiques. Il semble peu judicieux
d’intégrer les secteurs du bâtiment, des
transports ou encore de l’agriculture au
système existant, en raison des logiques
de transformations et des prix implicites
du CO très différents selon la nature
des secteurs : coûts de réduction très
élevés dans le transport (tributaire de
rigidités à court terme dans l’organisation de l’espace urbain et des modes de
vie mais aussi du peu d’options technologiques de substitutions aux carburants
fossiles) ou encore insuffisance du seul
signal prix pour orienter les décisions
dans le secteur du bâtiment.
La taxe carbone peut être vue dans ces
secteurs comme un instrument utile
pour faire émerger une incitation économique en complément des instruments
de régulation directs (standards, etc.) et
de politiques intégrées (modes d’urbanisation et de déplacement, organisation
des filières du bâtiment et de production d’énergie, etc.). Cependant, pour
50 • Sociétal n°64
être incitative, c’est-à-dire contribuer
aux réductions des émissions et non pas
constituer uniquement une ressource
budgétaire, la taxe doit être élaborée en
tenant compte des effets différenciés sur
chaque secteur. Une définition de l’évolution de la taxe en amont permettrait
d’orienter et de donner de la visibilité
aux décisions des acteurs. Enfin, les
modes de redistribution des revenus de
la taxe sont cruciaux pour éviter les effets
pervers. La taxe peut et doit constituer
un revenu permettant d’accompagner
la transformation vers une économie
moins carbonée et ainsi soutenir la mise
en œuvre de la politique climatique.
Comment convaincre
les États-Unis et la Chine
de s’inscrire dans la logique
de Kyoto ?
Laurence Tubiana – Ce qui va être
négocié à Copenhague sera différent
de Kyoto aussi bien dans la logique que
dans les instruments. Il y aura cependant, et c’est essentiel, une continuité.
Pour ce qui est des États-Unis, ils ne
souscriront à un accord à Copenhague
que dans la mesure où ils auront établi
une politique nationale de réduction des
gaz à effet de serre. L’administration
Obama espère faire adopter un texte en
ce sens au Congrès courant juin.
D’une certaine façon et à une autre
échelle, la Chine s’est engagée dans l’éla-
Entretien avec Laurence Tubiana
boration d’un plan national climat. Elle a
non seulement des stratégies énergétique
et climatique nationales, mais aussi régionales. Et les cadres chinois sont jugés
sur leur capacité à atteindre les objectifs
qu’elles fixent. La Chine conçoit l’accord
à Copenhague comme la reconnaissance
de sa politique nationale.
En ce sens, ces deux pays proposent à
Copenhague non pas des engagements
chiffrés globaux, mais la reconnaissance
mutuelle, au moyen de vérifications et
de mesures, des politiques menées. Il
s’agit d’une logique fondamentalement
différente de celle de Kyoto.
Cela constitue un progrès car les politiques climatiques sont le seul moyen
sérieux d’engager la transition énergétique nécessaire. Mais c’est une formule
qui telle quelle apparaît trop faible pour
garantir une réduction significative des
émissions globales.
ParCours
LaUREnCE TUBIana
Laurence Tubiana est directrice de
l’Institut du développement durable
et des relations internationales et
de la chaire Développement durable
de SciencesPo. Elle est notamment
membre du CCICED (China Council for
International Cooperation on Environment
and Development) et du conseil
d’administration du Cirad (Centre de
coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement).
De 1997 à 2002, elle a été chargée de mission sur les questions d’environnement
mondial et conseillère pour l’environnement auprès du Premier ministre.
Elle a été membre du Conseil d’analyse
économique. Laurence Tubiana est diplômée de l’Institut d’études politiques de
Paris et docteur en sciences économiques.
Elle vient de publier avec Pierre Jacquet et
Rajendra K. Pachauri Regards sur la Terre
2009 aux éditions Presses de SciencesPo.
2
eme
trimestre
2009
• 51
Téléchargement