232 / Corinne Fortier
corps du défunt est conduit au cimetière sur une civière que les hommes pré-
sents aux funérailles veulent tour à tour porter car c’est là une œuvre méritoire
(’âjr) sur le plan religieux, fait que l’on retrouve dans d’autres pays musulmans,
notamment en Égypte (Galal, 1937 : 179, note 2) et dans le constantinois
algérien (Breteau et Zagnoli, 1979 : 305)5. Quant aux femmes, elles suivent un
peu en arrière le convoi funèbre, ainsi que le conseille le droit malékite (Khalîl,
1995 : 110) :
« Que la vieille ou la jeune fille dont on ne craint pas la tentation sortent pour
accompagner le convoi funèbre d’un parent, tel que le père, la mère, le fils, la fille,
le frère, la sœur et l’époux ».
En islam, le fait de dénigrer une personne décédée est considéré comme par-
ticulièrement sacrilège, aussi le silence est-il requis au moment où l’on amène le
mort vers sa nouvelle demeure : « Celui qui accompagne le défunt vers sa tombe
doit s’abstenir de parler » (wajaba al-imsaku idhâ sara fî qabri).
La fosse, d’une profondeur équivalente à la taille d’un homme, est constituée
de deux niveaux et c’est au niveau le plus bas (la‘ad) que l’on recueille le corps
de la personne défunte. La position du mort, selon les prescriptions musul-
manes, consiste à être allongé sur le côté droit, les pieds dirigés vers le nord, la
tête tournée vers le sud, et les yeux orientés vers la Mecque (qibla) (Qayrawânî,
s.d. : 111).
Le corps est d’abord déposé au bord de la fosse creusée pour la circonstance,
le temps d’accomplir la prière des funérailles (Òalat al-janâ’iz ou Òalat al-mayyit)
qui nécessite que le cadavre se trouve à même le sol (Khalîl, 1995 : 107). Cette
prière, qui a la particularité de ne pas comporter d’inclination, demande un
imam pour la diriger car elle obéit à des règles déterminées6. Les proches parents
du défunt le choisissent généralement parmi les marabouts les plus savants du
lieu, conformément au principe musulman qui veut que, dans les domaines
juridico-religieux, les habitants d’une localité se réfèrent à la personne la plus
compétente.
Celui qui connaît la prière des funérailles a l’obligation religieuse de l’accom-
plir, et peut même, selon certains juristes, recevoir une rétribution en contre-
partie (Ould Bah, 1981 : 105). Prononcer cette prière fait en outre partie des
obligations solidaires (far∂ al-kifâya) en droit malékite (Qayrawânî, s.d. : 291),
à la différence de la prière rituelle qui ressort des obligations individuelles (far∂
al-‘ayn) ; aussi, théoriquement, dès que deux musulmans l’accomplissent, les
autres en sont dispensés, mais la négliger pouvant entraîner une punition divine
(Qayrawânî, s.d. : 109), la plupart s’y prêtent volontairement.
5. Ces auteurs remarquent par ailleurs (1979 : 308, note 19) qu’il en est de même pour le portage des
statues de saints en Calabre. Cela témoigne que le statut sacré qui est attaché au corps de certains saints
ou à leur représentation imagée dans les sociétés chrétiennes s’étend de façon diffuse en islam aux morts
en général, ce qui n’exclut pas que certains en soient les dépositaires privilégiés.
6. Lors de cette prière, l’imam dit à quatre reprises que « Dieu est grand » (Allâh akbar) (Qayrawânî, s.d. :
111), mais dès la prononciation du premier takbîr, les prieurs demandent à Dieu sa protection contre
Satan le lapidé (ta‘awudh) et récitent la première sourate du Coran dite fâtiÌa (Nawawy, 1991 : 260). Après