Aspects cliniques
Le risque de développer une TSP/HAM chez les sujets porteurs
de HTLV-1 est de 2 à 4 % aux Antilles et de 0,1 à 0,25 % au
Japon. La TSP/HAM est deux à trois fois plus fréquente chez les
femmes, reflétant la prédominance féminine de l’infection à
HTLV-1. L’âge médian de début se situe vers 45 ans. L’incuba-
tion dure plusieurs années, mais le délai de survenue peut n’être
que de quelques mois après une contamination transfusionnelle.
La TSP/HAM est une paraparésie spastique associée à des
troubles génito-sphinctériens qui peuvent constituer les signes
précurseurs (26). Le diagnostic nécessite l’élimination d’une
compression médullaire. Le tableau est d’installation progres-
sive, sans rémission. L’évolution et le handicap moteur sont très
variables d’un patient à l’autre. Une synthèse intrathécale d’IgG
comprenant des anticorps anti-HTLV-1 est fréquente. La détec-
tion d’anticorps anti-HTLV-1 dans le LCR est quasiment
constante. L’IRM montre en général une atrophie diffuse de la
moelle dorsale.
Diverses manifestations cliniques sont fréquemment associées
à la neuromyélopathie : alvéolite lymphocytaire généralement
infraclinique et détectée par lavage broncho-alvéolaire (80 %
des patients), syndrome sec (50 %), uvéite ou kératoconjonc-
tivite sèche (15 %), myosite (3 à 5 %), arthrite (discuté). Le
processus inflammatoire peut donc atteindre d’autres compar-
timents, et la TSP/HAM est en fait le syndrome dominant d’une
maladie de système (26).
Plusieurs équipes ont montré une charge provirale circulante
de l’ordre de dix fois plus élevée chez les patients atteints de
TSP/HAM (médiane 250 copies de HTLV-1/1 000 cellules
mononucléées du sang périphérique) que chez les porteurs
asymptomatiques (médiane 25copies/1 000 cellules) (27). La
charge provirale est corrélée au taux d’ARNm Tax, au titre d’an-
ticorps anti-HTLV-1 et à la fréquence des cellules TCD8+ anti-
Tax (28). L’intérêt pronostique de ces marqueurs reste à éva-
luer dans le cadre de cohortes cliniques prospectives.
Le caractère inflammatoire des lésions, du moins au début de
la maladie, et leur étiologie immunologique ont amené à pro-
poser la corticothérapie, l’IFNα,voire des immunosuppres-
seurs. Ces traitements, qui se sont révélés décevants, ne restent
prescrits que dans des formes très évolutives. Si HTLV-1 est
sensible in vitro à la plupart des inhibiteurs de la transcriptase
inverse, il n’existe pas, compte tenu du mode privilégié de répli-
cation, de substratum clair à leur utilisation. Aussi les données
sur l’administration d’antirétroviraux sont-elles limitées (29).
La lutte contre le handicap par la kinésithérapie et la rééduca-
tion vésico-sphinctérienne reste primordiale.
PRÉVENTION
Une prévention efficace de l’infection à HTLV-1 a pu être mise
en place au Japon et dans les Antilles françaises. Le dépistage
des anticorps anti-HTLV-1/2 sur les dons de sang a été systé-
matisé en 1986 au Japon, deux ans plus tard aux États-Unis et
le 1er janvier 1989 pour la région Antilles-Guyane. En France
métropolitaine, le dépistage des donneurs originaires des
régions endémiques, mis en place en 1989, a été généralisé à
l’ensemble des dons le 15 juillet 1991. D’autres pays non endé-
miques (Canada, Pays-Bas, Suède, Danemark) ont initié, dans
les années 1990, un dépistage sérologique. La déleucocytation
des concentrés cellulaires, obligatoire en France depuis le
1er avril 1998, a été pratiquée de façon extensive dès 1993 par
les établissements de transfusion sanguine des départements
français des Caraïbes. Afin de prévenir la transmission de
HTLV-1 par l’allaitement, le dépistage des femmes enceintes
est systématiquement proposé depuis 1990 dans les Antilles
françaises. Les deux voies majeures de transmission, transfu-
sionnelle et verticale, sont ainsi contrôlées depuis plus d’une
décennie dans nos départements comme au Japon. Ces poli-
tiques n’étant pas applicables dans la plupart des pays endé-
miques, la mise au point d’un vaccin est espérée. Sa réalisation
est plausible du fait de la très grande stabilité génétique de
HTLV-1 et de l’existence d’anticorps neutralisants dirigés
contre la glycoprotéine d’enveloppe. Kazanji et al. ont déve-
loppé avec le singe Saimiri un modèle d’infection expérimen-
tale proche de l’infection humaine des points de vue de la chro-
nicité, de la charge provirale et de la réponse immune. Dans ce
modèle, des résultats préliminaires ont été observés avec une
protection de primates par un protocole associant une construc-
tion d’ADN nu contenant le gène env et un virus recombinant
de la vaccine incluant les gènes env et gag (30).
CONCLUSION
Si les caractéristiques épidémiologiques et les manifestations
cliniques de l’infection à HTLV-1 sont bien établies, les raisons
pour lesquelles une minorité de personnes infectées par ce rétro-
virus développe une ATLL ou une TSP/HAM restent énigma-
tiques. La protéine régulatrice Tax joue un rôle central dans la
pathogenèse des infections à HTLV-1 : elle est à l’origine du
long processus menant à l’ATLL et la réponse immune, prin-
cipalement dirigée contre elle, est responsable des lésions
inflammatoires de la TSP/HAM. À ce jour, la lutte contre ces
maladies repose sur la prévention de la transmission du virus
par le sang et le lait maternel, mise en œuvre depuis près de
quinze ans aux Antilles françaises. #
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n
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1 - janvier-février 2003
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