Epidémiologie, pathogenèse et expression clinique des infections à

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Épidémiologie, pathogenèse et expression clinique
des infections à HTLV-1
Epidemiology, pathogenesis and clinical forms of HTLV-1 infection
! R. Césaire*, A. Lézin*
RÉSUMÉ. Le virus HTLV-1 (human T-cell lymphotropic virus type 1) est endémique au Japon, en Afrique intertropicale, dans les Caraïbes et
en Amérique du Sud. Ce rétrovirus est l’agent étiologique de la leucémie/lymphome T de l’adulte (ATLL) et de la paraparésie spastique tropicale ou myélopathie associée à HTLV-1 (TSP/HAM). L’ATLL est une hémopathie lymphoïde TCD4+ au pronostic gravissime. La TSP/HAM
est une méningomyélite chronique de sévérité variable d’un patient à l’autre. Pour des raisons méconnues, seuls 2 à 6 % des sujets infectés
développent, après une longue latence clinique, une ATLL ou une TSP/HAM. La protéine Tax codée par la région pX du génome de HTLV-1
joue un rôle central dans la pathogenèse en modulant la synthèse ou la fonction de protéines régulatrices de la prolifération et de la survie
cellulaire. La division mitotique de la cellule hôte stimulée par Tax constitue le mode de réplication prédominant de HTLV-1, expliquant la
grande stabilité génétique de ce rétrovirus et l’expansion polyclonale des lymphocytes infectés. Dans l’ATLL, une altération de l’intégrité
génétique de la cellule, induite par Tax, participerait à l’émergence du clone leucémique. Dans la TSP/HAM, la réponse immune cellulaire,
principalement dirigée contre les lymphocytes infectés exprimant Tax, pourrait jouer un rôle délétère par libération dans le système nerveux
central (SNC) de cytokines pro-inflammatoires.
Mots-clés : HTLV-1 - ATLL (leucémie/lymphome T de l’adulte) - TSP/HAM (paraparésie spastique tropicale/myélopathie associée à HTLV-1).
Keywords : HTLV-1 - Adult T cell leukaemia/lymphoma - Tropical spastic paraparesis - HTLV-1 associated myelopathy.
L
e virus HTLV-1 a été découvert en 1980 par Gallo et
al., à partir d’une lignée issue d’une culture à long
terme de lymphocytes du sang périphérique d’un
patient atteint d’un lymphome T cutané (1). Il s’agissait du premier rétrovirus exogène isolé chez l’homme. En 1982, la même
équipe isola le HTLV-2 d’une lignée dérivée du tissu splénique
d’un patient ayant une forme particulière, à cellules T, de leucémie à tricholeucocytes (2). HTLV-1 et HTLV-2 ont une homologie de séquence nucléotidique de 65-70 %.
HTLV-1 est le seul rétrovirus humain connu en tant qu’agent
étiologique direct d’une affection maligne : la leucémie/lymphome T de l’adulte (ATLL) (3). La responsabilité de HTLV-1
dans la survenue de la paraparésie spastique tropicale ou myélopathie associée à HTLV-1 (TSP/HAM) fut mise en évidence
à la Martinique (4). HTLV-2 n’a, à ce jour, été associé à aucune
hémopathie. Des neuromyélopathies ont été décrites chez des
patients infectés par HTLV-2, mais le caractère pathogène de
ce dernier n’est pas formellement établi.
* Laboratoire de virologie-immunologie et FERMAH (Fédération de recherche
multidisciplinaire martiniquaise sur les affections liées à HTLV-1), CHU de
Fort-de-France, 97261 Fort-de-France Cedex.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - no 1 - janvier-février 2003
CARACTÉRISTIQUES DE HTLV-I ET RÉPLICATION
Génome, tropisme et régulation du cycle viral
Le HTLV-1 appartient au genre Deltaretrovirus. Le génome de
HTLV-1, un ARN d’environ 9 kb, comporte les gènes habituels
des rétrovirus : gag, pol et env. L’extrémité 3’ du génome comprend une région caractéristique d’environ 2 kb nommée pX
(figure 1), codant principalement les protéines non structurales
Tax (p40) et Rex (p27 et p21), qui jouent un rôle majeur dans
la régulation du cycle viral, mais aussi p12, p13 et p30 (5).
HTLV-1 a un tropisme préférentiel in vivo pour les lymphocytes TCD4+, mais l’infection des TCD8+ a été récemment
démontrée (6). Le récepteur reste inconnu, mais semble exprimé
par de nombreux types cellulaires qui sont permissifs in vitro
(7). Les particules virales libres sont relativement peu infectieuses, et l’infection de cellules cibles est généralement obtenue par coculture avec des cellules infectées.
Tax est une phosphoprotéine transactivatrice agissant au niveau
du TRE (Tax responsive element) situé dans le LTR 5’ proviral. Cette action est indirecte et relayée par des facteurs cellulaires. Rex agit au niveau post-transcriptionnel en favorisant le
passage dans le cytoplasme des ARNm non- ou mono-épissés
codant les protéines structurales, au détriment des ARNm
doublement épissés codant les protéines de la région pX (5).
En résumé, après une phase initiale d’activation de la
transcription virale par Tax, Rex oriente la synthèse vers les
protéines structurales et freine l’expression virale.
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Dérégulation cellulaire et “expansion clonale”
Tax possède la propriété d’altérer l’expression de gènes et la
fonction de protéines impliqués dans la prolifération, l’apoptose, le cycle ou l’intégrité du génome de la cellule hôte. L’une
des principales voies cellulaires dérégulées est NF-κB, qui est
activée de façon constitutive dans les cellules infectées par
HTLV-1. Tax déstabilise le complexe NF-κB/IκB, favorisant
ainsi la translocation nucléaire des protéines de la famille
NF-κB. Par ce biais, Tax stimule l’expression de multiples
gènes (figure 1) : cytokines (notamment IL-2 et IL-15),
chaînes α des récepteurs des IL-2 et IL-15, molécules antiapoptotiques et proto-oncogènes (5). Tax forme également
avec le SRF (serum response factor) un complexe transactivant les oncogènes c-fos et c-egr. À l’inverse, Tax réprime la
voie de la protéine p53 et les inhibiteurs de kinases cyclinedépendantes (8). Enfin, Tax réprime l’ADN β-polymérase et
d’autres enzymes impliquées dans la réparation cellulaire. Les
propriétés mutagènes de Tax pour la cellule ont été confirmées in vitro (9).
les ADN polymérases cellulaires pourvues d’activités correctrices, contrairement à la transcriptase inverse. Cependant, certaines observations suggèrent la coexistence de propagation par
contact entre cellules non infectées et cellules infectées de façon
productive, ces dernières tendant à être éliminées par la réponse
lymphocytaire T cytotoxique (CTL) spécifique, qui est intense
et persistante (11).
ÉPIDÉMIOLOGIE
Répartition géographique
Entre 15 et 25 millions de personnes sont infectées par HTLV-1
dans le monde (12). Les zones de forte endémie sont le Sud du
Japon, l’Afrique intertropicale, le bassin Caraïbe et ses alentours en Amérique centrale ou du Sud, certaines régions du
Moyen-Orient (région de Mashad au Nord de l’Iran) et de Mélanésie (Papouasie-Nouvelle-Guinée, îles Salomon…). La prévalence de HTLV-1 est environ cent cinquante fois plus élevée
dans les Antilles françaises (1 à 2 % de la population générale)
qu’en France métropolitaine. Il existe des foyers localisés de
très haute endémie, comme les îles de Kyushu et Okinawa (jusqu’à 30 % de la population), et certaines régions du Gabon ou
de Guyane. Ces foyers seraient consécutifs à un effet fondateur
associé à un isolement géographique ou socioculturel, voire à
des facteurs génétiques.
L’infection à HTLV-1 est caractérisée par une très faible variabilité génétique du virus et des charges provirales très élevées.
L’hypothèse formulée par Wattel et al. afin de concilier ces deux
caractéristiques est celle d’une réplication provirale par division de la cellule hôte (10). La mitose stimulée par Tax utilise
5'LTR
gag
pol
pX
env
3'LTR
ARNm génomique
pr53
p19 p24 p15
pro
pol
Transcriptase inverse
Intégrase
ARNm env
gp62
gp46
gp21
ARNm pX
Rex
p27/p21
Tax
p40
+
SRF
ADN β-polymérase
IL-2, IL-15, RαIL-2, RαIL-15, GM-CSF, c-fos, c-egr
IL-6, TNFα et β, TGFβ,
Bcl-2, Bcl-xl, Bax,
c-myc, etc.
+
NF-κB
p53
Figure 1. Régulation du cycle viral et de l’expression de gènes cellulaires par Tax.
Les trois principaux ARN messagers transcrits à partir du provirus HTLV-1 sont : un ARNm traduit en précurseur des protéines de matrice
(p19), de capside (p24) et de nucléoprotéine (p15) et aussi utilisé comme ARN génomique ; un ARNm mono-épissé à l’origine des protéines
d’enveloppe (gp 46 et gp 21) ; un ARNm doublement épissé servant à la synthèse des protéines Tax (p40) et Rex (p27 et p21), mais aussi p12,
p13 et p30, non représentées sur la figure.
Tax stimule la transcription virale et a la propriété d’activer (par les voies NF-κB et SRF) la synthèse de cytokines, de récepteurs de cytokines,
d’oncogènes et de protéines impliquées dans la réplication cellulaire, et d’inhiber l’ADN β-polymérase et la voie de la protéine p53.
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Modes de transmission
La transmission par voie sanguine a été bien documentée pour
les concentrés de globules rouges ou de plaquettes. Aucune
transmission n’a été rapportée à partir de concentrés cellulaires
déleucocytés, de plasma frais congelé ou de médicaments dérivés du sang (13). Cela corrobore la transmission presque exclusive de HTLV-1 de cellule à cellule, et non par particules virales
libres. La transmission par seringue contaminée chez les toxicomanes a également été décrite.
La transmission sexuelle nécessite des contacts répétés. La séroprévalence augmente avec l’âge, surtout chez la femme. En
effet, la contamination est plus difficile dans le sens femmehomme que dans le sens homme-femme. Après dix années de
vie commune avec une personne infectée, moins de 1 % des
hommes deviennent séropositifs, contre 60 % des femmes (14).
La transmission verticale se fait essentiellement par l’allaitement, du fait de la présence de lymphocytes infectés dans le
lait maternel. Le risque d’infection est faible pendant les premiers mois, mais peut atteindre 20 % au-delà de 6 mois d’allaitement (15). Les anticorps maternels auraient un effet protecteur. La possibilité d’une transmission in utero ou intra
partum n’est pas démontrée, et est considérée comme infime.
Épidémiologie moléculaire
Les séquences de HTLV-1 obtenues chez des patients atteints
d’ATLL ou de TSP/HAM n’ont pas permis la distinction de
variants leucémogènes ou neurotropes. Les discrètes variations
observées sont en fait liées à l’origine géographique des
souches. L’analyse des séquences du gène env et du LTR permet de distinguer plusieurs sous-types (12). Le sous-type A, ou
cosmopolite, est rencontré dans la plupart des régions d’endémie. Il a été notamment introduit dans la Caraïbe lors de la traite
des esclaves. Malgré sa large diffusion, les variations intratypiques n’excèdent pas 2 %. Le sous-type B, ou sous-type
d’Afrique centrale, diverge d’environ 3 % par rapport à la
séquence nucléotidique prototype du sous-type A. Un sous-type
D, dit sous-type d’Afrique centrale-Pygmées, a été décrit dans
cette région. Le sous-type C mélanésien est le plus divergent
(7 à 8 %). Il aurait évolué de façon isolée depuis le peuplement
de la Papouasie-Nouvelle Guinée il y a près de 40 000 ans (12).
ATLL
Leucémogenèse
Le génome de HTLV-1 ne comporte pas d’oncogène analogue
de proto-oncogène cellulaire. L’intégration provirale au sein de
la population de cellules malignes est de type monoclonal, mais
les sites sont aléatoires d’un patient à l’autre, excluant un mécanisme de cis-activation insertionnelle (16). Le provirus
est défectif dans près de 30 % des cas d’ATLL. Les délétions
respectent toujours la région pX (17). Cela a contribué à
incriminer Tax dans la leucémogenèse.
Si le rôle central de Tax dans l’induction du processus leucémique
est l’objet d’un consensus, son intervention dans le maintien du
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phénotype malin est discuté (8). Le processus comporte vraisemblablement une phase prolongée d’expansion oligoclonale
suivie de l’émergence du clone tumoral secondairement à des événements leucémogènes tardifs (figure 2). Les cellules porteuses
de virus défectifs pourraient échapper à la réponse CTL. Plus
généralement, l’inhibition par Tax des systèmes de réparation de
l’ADN cellulaire intervient probablement par l’accumulation de
mutations somatiques au niveau de gènes critiques pour le contrôle
de la division cellulaire (9). Par ailleurs, des cofacteurs parasitaires tels que Strongyloïdes stercoralis pourraient, en zone d’endémie, favoriser la survenue de l’ATLL en stimulant l’expansion
clonale des cellules infectées par HTLV-1 (18).
Aspects cliniques
Le risque de survenue d’une ATLL chez un sujet infecté par
HTLV-1 est de 1 à 5 %. L’ATLL apparaît après une latence
clinique de 20 à 60 ans, chez un sujet le plus souvent infecté
par l’allaitement.
Plusieurs formes cliniques sont décrites : leucémie aiguë (50 %
des cas), leucémie chronique (20 %), lymphome (25 %) et
forme indolente dite smoldering (5 %), pouvant évoluer vers
une forme chronique ou aiguë (16). La forme aiguë prototype
associe lymphocytose atypique, polyadénopathies, hépatosplénomégalie, localisations cutanées et hypercalcémie. Cette
dernière est secondaire à la transactivation du gène de la PTHrP
(parathyroid hormon related protein). Un déficit de l’immunité cellulaire est à l’origine d’atteintes opportunistes telles que
des pneumonies à Pneumocystis carinii.
La prolifération est constituée de cellules au noyau multilobé
en forme de trèfle, à l’origine de la dénomination flower cells.
Le phénotype de ces cellules est de type T mature helper
(CD2+, CD3+, CD4+, CD45RO+, CD8-), exprimant la chaîne
α du récepteur de l’IL-2 (CD25+) et d’autres marqueurs d’activation (HLA-DR+). Les anomalies cytogénétiques sont fréquentes, mais non spécifiques. La démonstration de la monoclonalité de l’intégration provirale contribue au diagnostic des
ATL de type lymphomes ou indolents.
Le pronostic est constamment péjoratif, avec des médianes de
survie de 6, 10 et 24 mois pour les formes aiguë, lymphomateuse et chronique. Les chimiothérapies conventionnelles se
heurtent à une résistance intrinsèque de la cellule ATLL (16).
L’immunodépression préexistante et l’observation de rechutes
très précoces limitent les indications d’allogreffe. Des progrès
ont été obtenus récemment par l’adjonction aux protocoles de
chimiothérapie d’une combinaison d’interféron alpha (IFNα)
et d’AZT ou de 3TC (données non publiées). L’effet immunologique de l’IFNα pourrait se conjuguer à une action cytotoxique directe de l’analogue nucléosidique, mais un mécanisme antiviral n’est pas exclu (19).
TSP/HAM
Neuropathogenèse
Sur le plan anatomopathologique, la TSP/HAM se caractérise
par un processus inflammatoire chronique prédominant au
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TCD4+
Tax
TCD8+
Expansion clonale
des lymphocytes T
CD4+ infectés
AntiTax
AntiTax
Réponse CTL
spécifique
Tax
Tax
Tax
Tax
Passage par les lymphocytes
activés de la barrière
Tax
hémato-méningée
Tax
Événements leucémogènes
tardifs
Instabilité génétique ?
Tax
(Tax)
Tax
SNC
AntiTax
Tax
AntiTax
Cytotoxicité ?
Prolifération monoclonale
du clone leucémique
AntiTax
“Témoin innocent” ?
Tax
Cellule
gliale
Clones
autoréactifs ?
TSP/HAM
ATLL
Figure 2. Pathogenèse de la TSP/HAM et de l’ATLL.
niveau de la moelle épinière dorsale basse avec infiltration périvasculaire de cellules mononucléées et démyélinisation (20).
entraîne une altération de l’homéostasie de médiateurs (cytokines,
métalloprotéinases) aux conséquences myélinotoxiques (23).
En dehors d’une publication faisant état d’une détection
d’ARNm de HTLV-1 dans des astrocytes (21), la plupart des
études ne sont pas parvenues à mettre en évidence l’infection
des cellules résidentes du système nerveux central (SNC). En
revanche, la présence de lymphocytes TCD4+ infectés et de
CTL anti-Tax a été montrée dans le SNC de patients atteints de
TSP/HAM (22). Ainsi, les lésions ne seraient pas dues à un effet
viral direct, mais résulteraient de mécanismes immunopathologiques. En conclusion, trois mécanismes ont été proposés
(figure 2) :
" modèle T-cytotoxique avec une réponse CD8+ CTL détruisant les cellules du SNC infectées ;
" modèle auto-immun avec soit un épitope croisé entre virus
et cellules gliales, soit une activation de clones T autoréactifs
infectés ;
" modèle du témoin innocent avec passage de lymphocytes
TCD4+ infectés et CD8+ activés dans le SNC où leur conflit
La prédominance des lésions au niveau de la moelle thoracique
serait liée à l’anatomie vasculaire de cette région, à l’origine
d’un flux vasculaire ralenti favorisant l’infiltration lymphocytaire à travers la barrière hémato-méningée.
8
L’une des grandes discussions porte sur l’effet protecteur et/ou
délétère de la réponse immune cellulaire. Dans la population
japonaise, l’allèle HLA de classe I A*02 est associé à une
charge provirale plus faible chez les sujets asymptomatiques,
et également à une fréquence moins élevée de TSP/HAM.
À l’inverse, l’allèle de classe II DRB1*0101 est associé à une
plus grande susceptibilité à la maladie en l’absence de l’allèle
A*02 (24). Selon Bangham, la réponse CTL pourrait être soit
efficace, contenant la charge infectieuse, soit dépassée. Dans
ce cas, la concentration antigénique atteindrait un seuil
susceptible de déclencher la libération par les cellules TCD8+
de cytokines pro-inflammatoires telles que l’IFNγ (25).
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Aspects cliniques
Le risque de développer une TSP/HAM chez les sujets porteurs
de HTLV-1 est de 2 à 4 % aux Antilles et de 0,1 à 0,25 % au
Japon. La TSP/HAM est deux à trois fois plus fréquente chez les
femmes, reflétant la prédominance féminine de l’infection à
HTLV-1. L’âge médian de début se situe vers 45 ans. L’incubation dure plusieurs années, mais le délai de survenue peut n’être
que de quelques mois après une contamination transfusionnelle.
La TSP/HAM est une paraparésie spastique associée à des
troubles génito-sphinctériens qui peuvent constituer les signes
précurseurs (26). Le diagnostic nécessite l’élimination d’une
compression médullaire. Le tableau est d’installation progressive, sans rémission. L’évolution et le handicap moteur sont très
variables d’un patient à l’autre. Une synthèse intrathécale d’IgG
comprenant des anticorps anti-HTLV-1 est fréquente. La détection d’anticorps anti-HTLV-1 dans le LCR est quasiment
constante. L’IRM montre en général une atrophie diffuse de la
moelle dorsale.
Diverses manifestations cliniques sont fréquemment associées
à la neuromyélopathie : alvéolite lymphocytaire généralement
infraclinique et détectée par lavage broncho-alvéolaire (80 %
des patients), syndrome sec (50 %), uvéite ou kératoconjonctivite sèche (15 %), myosite (3 à 5 %), arthrite (discuté). Le
processus inflammatoire peut donc atteindre d’autres compartiments, et la TSP/HAM est en fait le syndrome dominant d’une
maladie de système (26).
Plusieurs équipes ont montré une charge provirale circulante
de l’ordre de dix fois plus élevée chez les patients atteints de
TSP/HAM (médiane 2 50 copies de HTLV-1/1 000 cellules
mononucléées du sang périphérique) que chez les porteurs
asymptomatiques (médiane 2 5 copies/1 000 cellules) (27). La
charge provirale est corrélée au taux d’ARNm Tax, au titre d’anticorps anti-HTLV-1 et à la fréquence des cellules TCD8+ antiTax (28). L’intérêt pronostique de ces marqueurs reste à évaluer dans le cadre de cohortes cliniques prospectives.
Le caractère inflammatoire des lésions, du moins au début de
la maladie, et leur étiologie immunologique ont amené à proposer la corticothérapie, l’IFNα, voire des immunosuppresseurs. Ces traitements, qui se sont révélés décevants, ne restent
prescrits que dans des formes très évolutives. Si HTLV-1 est
sensible in vitro à la plupart des inhibiteurs de la transcriptase
inverse, il n’existe pas, compte tenu du mode privilégié de réplication, de substratum clair à leur utilisation. Aussi les données
sur l’administration d’antirétroviraux sont-elles limitées (29).
La lutte contre le handicap par la kinésithérapie et la rééducation vésico-sphinctérienne reste primordiale.
PRÉVENTION
Une prévention efficace de l’infection à HTLV-1 a pu être mise
en place au Japon et dans les Antilles françaises. Le dépistage
des anticorps anti-HTLV-1/2 sur les dons de sang a été systématisé en 1986 au Japon, deux ans plus tard aux États-Unis et
le 1er janvier 1989 pour la région Antilles-Guyane. En France
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métropolitaine, le dépistage des donneurs originaires des
régions endémiques, mis en place en 1989, a été généralisé à
l’ensemble des dons le 15 juillet 1991. D’autres pays non endémiques (Canada, Pays-Bas, Suède, Danemark) ont initié, dans
les années 1990, un dépistage sérologique. La déleucocytation
des concentrés cellulaires, obligatoire en France depuis le
1er avril 1998, a été pratiquée de façon extensive dès 1993 par
les établissements de transfusion sanguine des départements
français des Caraïbes. Afin de prévenir la transmission de
HTLV-1 par l’allaitement, le dépistage des femmes enceintes
est systématiquement proposé depuis 1990 dans les Antilles
françaises. Les deux voies majeures de transmission, transfusionnelle et verticale, sont ainsi contrôlées depuis plus d’une
décennie dans nos départements comme au Japon. Ces politiques n’étant pas applicables dans la plupart des pays endémiques, la mise au point d’un vaccin est espérée. Sa réalisation
est plausible du fait de la très grande stabilité génétique de
HTLV-1 et de l’existence d’anticorps neutralisants dirigés
contre la glycoprotéine d’enveloppe. Kazanji et al. ont développé avec le singe Saimiri un modèle d’infection expérimentale proche de l’infection humaine des points de vue de la chronicité, de la charge provirale et de la réponse immune. Dans ce
modèle, des résultats préliminaires ont été observés avec une
protection de primates par un protocole associant une construction d’ADN nu contenant le gène env et un virus recombinant
de la vaccine incluant les gènes env et gag (30).
CONCLUSION
Si les caractéristiques épidémiologiques et les manifestations
cliniques de l’infection à HTLV-1 sont bien établies, les raisons
pour lesquelles une minorité de personnes infectées par ce rétrovirus développe une ATLL ou une TSP/HAM restent énigmatiques. La protéine régulatrice Tax joue un rôle central dans la
pathogenèse des infections à HTLV-1 : elle est à l’origine du
long processus menant à l’ATLL et la réponse immune, principalement dirigée contre elle, est responsable des lésions
inflammatoires de la TSP/HAM. À ce jour, la lutte contre ces
maladies repose sur la prévention de la transmission du virus
par le sang et le lait maternel, mise en œuvre depuis près de
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quinze ans aux Antilles françaises.
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F ormation M édicale C ontinue
M
C
?
I. Concernant le HTLV-1,
indiquez les assertions correctes :
?
?
?
II. Concernant les infections à HTLV-1,
a.
b.
c.
d.
e.
le lymphocyte TCD4+ constitue la principale cible in vivo
le récepteur viral est la molécule CD4
les particules virales libres sont peu infectieuses
le génome viral se caractérise par une grande variabilité génétique
le provirus est répliqué par division mitotique de la cellule
a. la transmission verticale est essentiellement liée à l’allaitement
indiquez les assertions correctes : b. la déleucocytation des concentrés prévient la transmission transfusionnelle
III. Choisissez la bonne réponse
c. l’infection est plus fréquente chez l’homme que chez la femme
d. la majorité des porteurs développent une TSP/HAM ou une ATLL
e. la latence clinique est longue de plusieurs mois, années ou décennies
a. oncogène viral analogue d’un proto-oncogène cellulaire
concernant le mécanisme b. intégration et promotion d’un proto-oncogène cellulaire
initial de l’ATLL : c. transactivation de gènes cellulaires par une protéine virale
IV. Concernant la TSP/HAM, indiquez
a. elle est due à un variant neurotrope de HTLV-1
les assertions correctes : b. elle évolue par poussées et rémissions
10
c. elle est fréquemment associée à des signes systémiques
d. elle est associée à une charge provirale circulante élevée
e. la détection d’anticorps anti-HTLV-1 dans le LCR contribue à son diagnostic
Voir réponses page 37
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - no 1 - janvier-février 2003
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