Le Cœur Numérique Le cœur est un organe - Serpico

publicité
Le Cœur Numérique Le cœur est un organe complexe dont la fonction est d’assurer la circulation du sang dans l’organisme. Il est constitué du cœur droit et du cœur gauche, chacun étant formé de deux cavités : une oreillette et un ventricule. Le ventricule droit envoie le sang vers les poumons tandis que le gauche se charge d’alimenter le reste du corps, cette éjection résultant de la contraction du myocarde (tissu cardiaque). Cette description est à présent connue de tous mais le rôle du cœur dans le corps humain est resté longtemps mystérieux. Durant l’antiquité, les grecs y localisaient les manifestations de l’âme puisque la fréquence des battements du cœur est corrélée avec les émotions ressenties. Galen et ses disciples au IIème siècle ont correctement distingué les 2 réseaux sanguins, artériels et veineux, mais rendant les seules artères responsables de la circulation du sang, le cœur étant vu comme un aspirateur du sang plutôt qu’une pompe. Au Xème siècle, Avicenne, médecin-­‐philosophe d’origine perse, décrit le rôle des ventricules et des valves cardiaques, mais ce fut Ibn al-­‐Nafis, savant universel arabe du XIIème siècle, qui découvrit la circulation sanguine, en particulier de la circulation pulmonaire. En occident, 5 siècles plus tard, William Harvey compléta les travaux de Ibn al-­‐Nafis en mettant en évidence le rôle des capillaires et en faisant une analyse quantitative de la fonction cardiaque. La connaissance de la physiologie du cœur a fait des progrès considérables depuis le XVIIème siècle, le siècle de Harvey et de Louis XIV. Conséquence positive de ce progrès, la prise en charge des maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité en occident, est en partie responsable de l’allongement de l’espérance de vie, inférieure à 25 ans au XVIIème et supérieure à 80 ans à présent. En France, on dénombre cependant encore quelque 150 000 morts par an d’origine cardiovasculaire, soit un tiers du nombre total de décès. Afin d’améliorer le diagnostic et la thérapie de ces maladies mais aussi d’approfondir la connaissance de la fonction cardiaque, une nouvelle discipline scientifique s’est développée depuis prés d’une vingtaine d’année : la modélisation numérique du système cardiovasculaire. L’objectif de ces modèles est de fournir une description mathématique, quantitative, objective et tridimensionnelle de la fonction cardiaque qui soit complémentaire de celle littéraire, qualitative et graphique utilisée traditionnellement dans la formation médicale. Bien sur, mettre au point une telle description universelle relève de l’utopie tant la machine cardiaque est complexe. Tout d’abord, citons comme source de complexité le fait que plusieurs phénomènes physiques et chimiques entrent en jeu lors d’un battement cardiaque. En effet, la contraction est contrôlée par la propagation, des oreillettes aux ventricules, d’une onde dite de dépolarisation électrique : celle-­‐ci est induite par la dépolarisation de proche en proche des cellules musculaires (passage d’un potentiel négatif à une valeur positive), qui ensuite se repolarisent, et ainsi de suite. La capacité du tissu cardiaque à se contracter dépend aussi de l’apport (perfusion) d’oxygène aux cellules par les artères coronaires. Enfin, la pression et le débit du sang dans les artères, les veines et les cavités cardiaques à la fois commandent et résultent de la contraction et relaxation du muscle cardiaque. Tous ces phénomènes physiques (électrophysiologie, perfusion, mécanique des fluides et des structures) sont donc intimement couplés les uns avec les autres et sont essentiels à la compréhension du système cardio-­‐vasculaire. Une autre source de complexité est que les principes physico-­‐chimiques impliqués interviennent à des échelles de temps et d’espace très étendues. Par exemple, pour comprendre les troubles du rythme cardiaque, il est indispensable de bien comprendre les migrations d’ions qui interviennent au niveau de la cellule cardiaque dont la taille est de l’ordre de plusieurs microns (10-­‐9 m). Par contre, les régions du cœur altérées suite à un infarctus du myocarde ont une taille de l’ordre du centimètre (10-­‐2 m). De même, le cycle cardiaque a une durée de l’ordre de la seconde mais l’évolution de la forme du cœur suite à une intervention chirurgicale (phénomène appelé remodelage) s’établit sur plusieurs semaines. Enfin, le dernier obstacle à surmonter pour la modélisation numérique du cœur est l’infinie variabilité de forme et de comportement qui existe entre les individus en raison de la génétique mais aussi de la présence de maladies cardiaques. Malgré ces difficultés, les travaux de recherche sur la modélisation physique et physiologique du cœur ont débuté il y a prés de quarante ans au sein de l’université d’Oxford en Grande-­‐Bretagne ainsi qu’à l’institut de Bioengénierie de l’université d’Auckland en Nouvelle-­‐Zélande. Ils se sont amplifiés depuis dans plusieurs autres centres de recherche dont celui de l’INRIA en France au sein de l’action CardioSense3D lancée en 2005. Les objectifs y sont à la fois plus modestes et plus ciblés que ceux énoncés précédemment. Plutôt que de décrire de manière universelle le fonctionnement du cœur, on se concentre principalement sur les phénomènes électriques et mécaniques qui interviennent à l’échelle macroscopique (à l’échelle des tissus et non de la cellule). De plus, en vue d’améliorer le diagnostic et la thérapie de malades souffrant de maladies cardiovasculaires, on cherche à personnaliser ces modèles numériques, c'est-­‐à-­‐dire à représenter le cœur d’un patient à partir de données acquises lors d’examens cliniques. Par exemple, la fréquence cardiaque et la pression sanguine sont couramment acquises lors d’un examen médical et fournissent des renseignements quantitatifs sur le flot sanguin et le battement du cœur d’un patient. De même, l’imagerie échographique, scanner ou par résonance magnétique fournissent des informations en trois dimensions sur l’anatomie du cœur et des vaisseaux sanguins mais aussi sur le mouvement cardiaque. Enfin, l’électrocardiogramme ou encore l’exploration électrophysiologique par cathéters permettent de connaître la forme et la vitesse des ondes électriques parcourant le cœur. Ainsi, en fonction d’hypothèses sur la condition du cœur d’un patient, on en construit un modèle numérique en s’aidant des données disponibles. Le premier objectif du modèle est de reproduire fidèlement les observations visibles dans les images médicales. Le second objectif, plus ambitieux, est d’utiliser ce modèle pour prédire l’évolution de maladies cardiaques ou encore de mieux planifier une intervention thérapeutique (chirurgie, prise de médicaments…). Pour mettre en œuvre un modèle numérique du cœur, il faut tout d’abord définir un domaine de calcul sous la forme d’un maillage tridimensionnel. Ce maillage est reconstruit à partir d’images médicales du patient et sa taille varie de quelques dizaines de milliers à quelques millions d’éléments suivant la nature des phénomènes que l’on cherche à simuler. Sur ce maillage, il est nécessaire de rajouter des informations anatomiques comme l’emplacement des valves cardiaques ou encore l’orientation des fibres cardiaques. En effet, le cœur est un muscle constitué de minuscules fibres qui se contractent et se relâchent durant le cycle cardiaque. Ces fibres s’enroulent autour des cavités cardiaques et leur structure joue un rôle important pour la mécanique et l’électrophysiologie cardiaque. En plus de ce domaine de calcul, on définit des équations mathématiques qui représentent les phénomènes physiques généralement couplés que l’on souhaite étudier. Ces équations définissent comment certaines variables, comme le potentiel électrique ou la position d’un point du ventricule gauche, évoluent au cours du cycle cardiaque. Bien sur, les équations incluent des paramètres tels que la diffusivité électrique ou la raideur du muscle dont la valeur influence l’évolution des grandeurs physiques. Ces équations sont ensuite discrétisées sur le domaine de calcul et sont résolues par ordinateur. Pour simuler les quatre phases (remplissage, contraction, éjection et relaxation) d’un seul battement du cœur dont la durée est de l’ordre de la seconde, il faut entre 10 minutes et plusieurs heures de calcul en fonction de la complexité du modèle. Pour personnaliser le modèle, il faut enfin estimer les paramètres des équations afin que la simulation corresponde aux observations disponibles pour un patient donné. C’est un problème difficile car il est hors de question de tester toutes les combinaisons de paramètres possibles. D’où l’idée de faire appel à des méthodes d’assimilation de données plus couramment utilisées dans d’autres domaines tels que la météorologie. Elles consistent à affiner le modèle de manière itérative jusqu’à minimiser l’écart entre les quantités simulées et les quantités observées : volume de sang éjecté, électrocardiogramme, etc La validation de tels modèles est un travail de longue haleine qui mobilise des experts en informatique, traitement d’images, mathématiques appliquées mais aussi des médecins cardiologues. Une première étape de cette validation consiste à simuler numériquement le battement du cœur dans des situations normales et en présence de pathologies cardiaques puis de vérifier qu’il y a une bonne adéquation entre le comportement simulé et celui décrit par les experts en cardiologie. Une seconde étape permet de tester le caractère prédictif du modèle. Pour cela, on personnalise un modèle du cœur à partir de données (images et signaux bio-­‐électriques) d’un patient et on prédit le comportement cardiaque lorsque celui-­‐ci est soumis à une thérapie ou de nouveaux stimuli. Par exemple, une procédure courante en cardiologie consiste à stimuler artificiellement le cœur à l’aide de sondes de stimulation (appelées aussi pacemakers). Des travaux récents effectués par l’INRIA et l’hôpital St Thomas de Londres, ont ainsi pu montrer sur un petit nombre de patients qu’un modèle électro-­‐mécanique du cœur pouvait prédire le comportement mécanique du cœur résultant de stimulations artificielles. A terme, une application de ces travaux pourrait donc être l’optimisation de la pose de stimulateurs cardiaques mais aussi une meilleure sélection des patients susceptibles de bénéficier de cette thérapie. D’autres applications sont envisagées telle que la meilleure prise en charge de patients souffrant de troubles du rythme grâce à une planification plus précise de l’ablation radiofréquence de tissus cardiaques. Le cœur est un muscle constitué de minuscules fibres appelées myocytes. Ces
structures allongées sont organisées de manière à maximiser l’éjection du sang depuis
les ventricules lors de la contraction cardiaque. Ainsi, ces fibres ont une orientation
qui varie entre la surface externe et interne des ventricules et elles s’enroulent autour
du grand axe du cœur. Il est à présent possible d’observer cette structure des fibres
grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et en particulier l’imagerie dite
de «tenseur de diffusion». La figure ci-dessus correspond à un traitement
informatique de ces images acquises sur des cœurs canins.
Reconstruction tridimensionnelle de maillages volumiques des 2
ventricules cardiaques (D) à partir d’une image par résonance
magnétique (IRM) du cœur (A). Après une étape de correction
d’intensité (B), les cavités cardiaques sont isolées dans l’image (C).
Simulation de la contraction des 2 ventricules
cardiaques depuis la phase de remplissage (A et D) vers
la phase d’éjection (C et F). La carte de couleur
correspond à l’état de contraction active des fibres
cardiaques.
Simulation de l’activité électrique dans les 2 ventricules
cardiaques. (Gauche et milieu) Carte indiquant le temps de
passage de l’onde de dépolarisation, les couleurs chaudes
indiquant le lieu où la dépolarisation est la plus précoce. (Droit)
Forme de l’onde de dépolarisation se propageant dans les 2
ventricules.
Téléchargement