Introduction 4
campagnes gallo-romaines. S’élargissant graduellement, la recherche s’est naturellement portée
sur les contextes d’élaboration de ces idées. Quiconque a essayé de retirer du sol la racine d’une
ronce sait que cette tâche est ardue. Des rhizomes et un enchevêtrement de réseaux souterrains
que l’on ne soupçonnait pas se découvrent soudain et obligent souvent à poursuivre l’opération
dans les parcelles voisines. De la même façon, l’exercice de généalogie entrepris à l’occasion de
ce mémoire a conduit rapidement dans des territoires disciplinaires limitrophes et il a fallu
convenir que l’histoire agraire de la Gaule était difficilement dissociable de celle de l’Italie et de
Rome et qu’elle ne pouvait être correctement analysée sans une connaissance préalable des
débats sur la nature de l’économie antique.
Le champ d’investigation devenait alors trop vaste et puisqu’il faut bien assigner des limites
à toute entreprise humaine, il fut décidé de conduire ce travail historiographique en
privilégiant quelques thèmes dont l’étude pouvait à la fois éclairer les débats anciens sur les
campagnes de la Gaule et permettre de comprendre certaines des propriétés des recherches
actuelles. Examinant les travaux historiques de la seconde moitié du XVIIIes., il est ainsi
apparu que le regard porté par les fondateurs de la science économique sur l’Antiquité avait
très tôt imposé des objets et des cadres de réflexions qui conservaient, encore aujourd’hui, une
certaine actualité. Depuis lors, les échanges entre les deux disciplines ne se sont jamais
complètement interrompus et il est peu original de constater que quelques-unes des grandes
évolutions de la pensée économique ont plusieurs fois déterminé l’apparition de courants
historiographiques majeurs.
Tout en ayant pleinement conscience que les ambitions modestes de ce mémoire ne
permettaient pas de conduire une analyse poussée des interactions qui unissent ou opposent les
points de vue des économistes et des historiens sur l’Antiquité, il a semblé utile de s’attacher à
décrire l’émergence de plusieurs de ces outils conceptuels, de déterminer l’ampleur de leur
appropriation ou de leur rejet par les spécialistes de Rome et de la Gaule et finalement de
reconnaître leur assimilation, plus ou moins consciente, par les archéologues qui s’intéressent
aux campagnes gallo-romaines. Afin de comprendre les connexions et la cohérence de ces idées
avec les théories économiques qui les ont portées, ce projet imposait de présenter rapidement
ces systèmes de pensée. Ce mémoire mêle donc, de manière peut-être un peu hétéroclite, des
descriptions archéologiques très pointues et des commentaires des travaux d’A. Smith, de J.-
B. Say, de J. Simonde de Sismondi ou des membres influents de l’école historique allemande
d’économie. Ces paragraphes, scolaires et nécessairement incomplets, ne se placent pas sur le
même plan que les exégèses qui leur ont été consacrées. Ils n’ont pas d’autre dessein que de
tenter de restituer des filiations oubliées aujourd’hui, en espérant que cette recherche de
paternité incite les archéologues à prendre conscience de l’obsolescence, de la fragilité ou au
contraire de la pertinence de références qu’ils utilisent sans toujours connaître l’origine. Selon
ces mêmes principes, un chapitre devait être entièrement dédié à l’analyse marxiste de l’histoire
et de l’économie antiques, aux travaux de M. Weber, de K. Polanyi et de M. I. Finley. La
matière en a été rassemblée, mais faute de temps elle n’a pu être complètement ordonnée et
présentée dans ce mémoire. Si le jury trouve quelque intérêt au travail qui lui est soumis, ce
nouveau chapitre pourrait être ajouté à une version corrigée du texte présent.
Cependant, l’histoire agraire de l’Antiquité ne se confond pas complètement avec celle des
écoles économiques qui ont pu s’y intéresser. Elle s’est aussi construite autour de débats et de
conflits historiographiques majeurs qui continuent encore d’influencer son parcours récent.
Ainsi, l’étude des campagnes gauloises est fortement dominée par les discussions sur les causes,
les modalités et les conséquences des deux conquêtes : celle de Rome et des peuples
germaniques. Ces interrogations immémoriales ont pris un tour très particulier dans le
contexte spécifique de l’histoire des États européens aux XIXeet XXes. Des thèmes comme