Le porc, hôte intermédiaire pour l`apparition de virus influenza

Le porc, hôte intermédiaire pour lapparition de virus
influenza réassortants à potentiel zoonotique
Gaëlle Simon
Anses,
Laboratoire de Ploufragan-Plouzané,
Unité de virologie et dimmunologie
porcines,
Laboratoire national de référence virus
influenza porcins,
BP 53, 22440 Ploufragan, France
Résumé. Des virus influenza A de sous-types H1N1, H3N2 et H1N2 sont
devenus enzootiques chez le porc dans toutes les régions à forte densité
porcine. Les virus influenza porcins (SIV) sont issus dintroductions, chez le
porc, de virus influenza humains ou aviaires, ou résultent de réassortiments
entre virus de ces différentes espèces. Ainsi, de nombreuses lignées génétiques
différentes existent-elles au sein de chaque sous-type viral. Les SIV sont à
caractère zoonotique. Linfection humaine à SIV est généralement bénigne,
mais quelques cas graves ont été rapportés. Le virus pandémique (H1N1)
2009 présente une constellation inédite de gènes de SIV et a acquis un poten-
tiel de transmission interhumaine très efficace. Lespèce porcine étant elle-
même très sensible à ce virus, on peut craindre quil ne sy adapte, avec le
risque de futurs réassortiments. Les facteurs limitant la transmission et ladap-
tation des virus influenza dune espèce à une autre apparaissent multigéniques
mais sont encore largement incompris. Il apparaît donc indispensable, tant
dun point de vue de la santé animale que de la santé publique, de renforcer
la surveillance des virus influenza chez le porc et daccentuer les efforts de
recherche pour mieux évaluer le rôle du porc comme hôte intermédiaire pour
ladaptation de virus aviaires à lhôte mammifère et/ou la génération de virus
réassortants à potentiel zoonotique.
Mots clés
:
grippe, influenza, porc, zoonose, pandémie, réassortiments
Abstract. Swine influenza, due to swine influenza viruses (SIV) H1N1, H3N2
and H1N2, has become enzootic in densely pig-populated areas worldwide.
Several genetic lineages can be distinguished within each subtype, as pigs are
susceptible to both avian and human influenza viruses and can generate reas-
sortant viruses. SIV is a zoonotic pathogen. Transmission to humans is usually
without symptoms, but some cases of severe infections have been reported.
Pandemic virus (H1N1) 2009 contains a new gene constellation originating
from several SIVs and has acquired an efficient inter-human transmission
capacity. Pigs being also very susceptible to this pandemic virus, it could
adapt to swine and further reassort with other influenza viruses. This emer-
gence again poses the question about the role played by pigs as an interme-
diate host for the adaptation of avian viruses to mammalian hosts and the
generation of new reassortant viruses. Thus, it is necessary to reinforce surveil-
lance of SIV for Public Health and Animal Health issues. Factors that limit
interspecies transmission and adaptation to a new host are polygenic but
poorly understood as yet.
Key words
:
flu, influenza, pig, swine, zoonosis, reassortment, pandemic
Virologie 2010, 14 (6) : 407-22
doi: 10.1684/vir.2010.0326
Tirés à part : G. Simon
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Rôle du porc dans la transmission
interespèces des virus influenza A
Chez le porc, la grippe est une maladie aux conséquences
économiques importantes. Elle est due à des influenzavirus
A, famille des Orthomyxoviridae, devenus enzootiques
dans toutes les zones de forte production. On entendra par
virus influenza porcin ou SIV pour swine influenza virus,
un virus influenza de type A isolé à partir dun prélèvement
biologique de suidé (porc ou sanglier).
Bien que le spectre dhôte des virus influenza A soit géné-
ralement restreint à une espèce donnée, des événements de
franchissement des barrières despèces sont régulièrement
observés et le schéma de la transmission interespèces na
cessé de se complexifier au cours des dernières années
(figure 1). Les oiseaux aquatiques sauvages, notamment
les canards, constituent le réservoir de la diversité
génétique des virus influenza A. Les virus influenza aviaires
se répliquent préférentiellement dans les cellules épithéliales
du tractus gastro-intestinal des oiseaux sauvages, entraînant
des infections subcliniques avec excrétions virales à hautes
concentrations dans les fientes. Les virus libérés dans leau
et propagés du fait des migrations saisonnières peuvent
occasionnellement être transmis aux oiseaux domestiques.
Les virus aviaires, issus doiseaux sauvages ou de la
volaille, peuvent être transmis à des espèces mammifères.
Ainsi, des virus se sont-ils adaptés aux espèces humaine,
porcine, équine et canine, entraînant des infections à
tropisme respiratoire plus ou moins sévères. Le porc peut
être infecté par des virus aviaires, des virus humains et
Figure 1. Place du porc dans le schéma de la transmission interespèces des virus influenza A. Les flèches indiquent les transmissions
documentées de virus influenza A dune espèce donneuse vers une espèce receveuse. Les flèches rouges concernent la transmission
des virus influenza A vers et depuis lespèce porcine. Lépaisseur des flèches donne une indication relative quant aux fréquences
apparentes de transmissions. Les flèches en pointillés indiquent que lhypothèse de la transmission interespèce repose uniquement sur
des investigations sérologiques et non virologiques.
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même des virus équins (voir plus loin). Inversement, les SIV
peuvent être transmis à certaines volailles, comme la dinde
et la caille, entraînant alors des chutes de ponte chez les
animaux reproducteurs, et des segments génomiques de
SIV ont été retrouvés chez des canards sauvages, illustrant
lampleur des échanges pouvant exister dans la nature [1-4].
Les SIV peuvent également être transmis à lHomme
(voir plus loin), et il a été rapporté linfection de visons
par un SIV [5].
Dès le milieu des années 1980, lhypothèse était avancée
selon laquelle lespèce porcine constituerait un maillon
dimportance dans la génération de virus à potentiel pandé-
mique, car permettant, dune part, ladaptation de virus
aviaires à lespèce mammifère, dautre part des échanges
de matériel génétique entre virus de lignages différents et
donc la génération de nouveaux virus réassortants [6-10].
Les analyses de virus pandémiques avaient montré quil
sagissait de virus réassortants humain/aviaire [6, 11], et le
porc est le premier mammifère domestiqué chez qui on a
retrouvé à la fois des récepteurs pour virus aviaires et des
récepteurs pour virus humains [7]. Cependant, le virus
H2N2, responsable de la pandémie de 1957, na jamais été
isolé chez le porc. Par ailleurs, les premières détections,
chez le porc, des virus H1N1 et H3N2 responsables des
pandémies de 1918 et 1968 respectivement, nont pas
précédé mais suivi lémergence de ces virus chez lHomme.
Par ailleurs, des cas dinfections humaines par des virus
aviaires de sous-types H5, H7 et H9 ont été rapportés depuis
1997, sans intervention dte mammifère intermédiaire
[12]. Certains de ces virus ont ponctuellement été détectés
chez des porcins mais ne sy sont pas adaptés. Des inocula-
tions expérimentales ont en outre montré la faible suscepti-
bilité de ces animaux aux infections par des virus humains
ou aviaires, même hautement pathogènes [13-20]. Des anti-
corps sont détectés dans le sérum des animaux inoculés,
mais les virus se multiplient peu efficacement dans le tractus
respiratoire supérieur. Ils ne provoquent pas de signes clini-
ques et ne sont pas transmis aux porcs contacts. Lensemble
de ces observations constitue autant darguments en faveur
dune barrière despèce forte et a pu conduire à minimiser,
voire controverser, le rôle du porc comme te intermédiaire
potentiel et « creuset de mélange » pour la génération de
virus réassortants à caractère zoonotique [21]. Lémergence,
en avril 2009, du virus réassortant H1N1, responsable de la
première pandémie du XXI
e
siècle, a relancé le débat, puisque
tous les segments génomiques de ce virus proviennent de
virus influenza A préalablement adaptés à lespèce porcine.
Variabilité des SIV
Le génome des SIV, comme celui des autres influenzavirus
A, est composé de huit segments uniques dARN
monocaténaire de polarité négative, de 890 à 2 341 nucléo-
tides de long (figure 2). Les segments 1, 3, 4, 5 et 6 codent
chacun une protéine virale, à savoir respectivement, la pro-
téine basique 2 (PB2), la protéine acide (PA), lhémagglu-
tinine (HA), la nucléoprotéine (NP) et la neuraminidase
(NA). Les segments 7 et 8 produisent deux ARN messagers
par épissage différentiel et codent ainsi chacun deux
protéines différentes : la protéine de matrice M1 et le
canal ionique M2 pour le segment 7, la protéine non struc-
turale NS1 et la protéine dexport nucléaire NEP pour le
segment 8. Enfin, le segment 2 code la protéine basique 1
(PB1), mais chez certaines souches, une deuxième phase
ouverte de lecture permet aussi de coder un petit poly-
peptide nommé PB1-F2, voire une troisième protéine, N40,
correspondant à la protéine PB1 tronquée en N-terminal.
Les sous-types sérologiques sont définis par la nature des
deux glycoprotéines de surface HA et NA, antigènes viraux
impliqués dans linduction dune immunité protectrice.
Comme pour les autres espèces cibles des influenzavirus A,
lémergence chez le porc de « nouvelles » souches
virales, i.e. antigéniquement différentes des souches circu-
lant précédemment dans lespèce, peut résulter de divers
mécanismes :
le transfert in toto dun virus dune autre espèce ani-
male,enloccurrence lespèce aviaire ou lespèce humaine,
les cellules de larbre respiratoire du porc exprimant les
récepteurs des virus influenza aviaires et/ou les récepteurs
des virus influenza humains ;
le réassortiment génétique, dû au fait que le génome
viral est segmenté. Lorsquune cellule est co-infectée
par deux virus différents, il peut se former, lors de
ARNv Produit(s) d’expression
1 PB2 Protéine basique 2
2
PB1 Protéine basique 1
PB1-F2
N40
3 PA Protéine acide
4 HA Hémagglutinine
5M1 Protéine de matrice 1
M2 Canal ionique
6NA Neuraminidase
7 NP Nucléoprotéine
8NS1 Protéine non structurale 1
NEP Protéine d’export nucléaire
PB1
HA
NP
NA
M
NS
PA
ORF5’-c
PP
c -3’
PB2
Figure 2. Organisation génomique des virus influenza A et pro-
duits dexpression des ARN viraux (ARNv). ORF : phase ouverte
de lecture. 5-C et 3-C : séquences nucléotidiques non codantes,
conservées aux extrémités des huit segments dARNv et pour tou-
tes les souches de virus influenza A. P : séquences nucléotidiques
impliquées dans lempaquetage des ARNv.
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lassemblage et du bourgeonnement, un virus réassortant
ayant emprunté des segments génomiques à lun et lautre
des virus originaux. Quand le réassortiment concerne les
gènes codant HA ou NA, il entraîne une cassure anti-
génique, i.e. le remplacement dun antigène majeur. Le
réassortiment peut parfois correspondre à lémergence de
souches de pathogénicité accrue. Chez le porc, il apparaît
que la fréquence des réassortiments a augmenté au cours
des dernières années (voir plus loin) ;
le glissement antigénique, sous-tendu par des modifica-
tions génétiques ponctuelles dues à linfidélité de lARN
polymérase ARN-dépendante virale, enzyme dépourvu
de mécanisme de relecture et dactivité de correction.
Les modifications non silencieuses introduites dans les
séquences des gènes peuvent, si elles affectent un site anti-
génique, contribuer à léchappement du virus à limmunité
spécifique de lhôte. On notera que le glissement anti-
génique des virus influenza A sopère sur des périodes plus
longues chez le porc que chez lHomme et que les souches
évoluent donc différemment dans les deux espèces. Ainsi,
il existe peu de relations antigéniques entre les souches
humaines saisonnières et les SIV de mêmes sous-types,
même ceux ayant acquis, à un moment donné, des HA
dorigine humaine [22-24].
Dans les populations de porcs, lapparition dun nouveau
sous-type viral ou dun nouveau variant au sein dun
sous-type donné nentraîne pas toujours la disparition du
ou des virus précédemment en circulation.
Historique des différents lignages de SIV
Tous ces mécanismes ont contribué à la situation épidémio-
logique actuelle des SIV. Trois sous-types, H1N1, H3N2 et
H1N2, circulent simultanément de manière enzootique
depuis plusieurs années chez le porc dans toutes les régions
à forte densité porcine. Cependant, la nature et lorigine de
ces trois sous-types varient en fonction des continents, et il
faut distinguer les souches circulant en Europe de celles
affectant les porcs du continent nord-américain et de celles
affectant les porcs du continent asiatique (figure 3A, B, C).
La grippe porcine fut pour la première fois observée, en
1918, pendant la pandémie de grippe espagnole, mais le
virus responsable ne fut isolé et identifié par Shope quen
1930 [25]. Ce virus de sous-type H1N1, descendant du
virus pandémique de 1918, devint le prototype dun
lignage dénommé classical swine H1N1. Ces virus circu-
lent encore aujourdhui chez les porcs des continents
américain et asiatique. Ils ont, en revanche, disparu des éle-
vages européens dans les années 1990, ayant été peu à peu
supplantés par un virus H1N1 de canard sauvage, dit avian-
like swine H1N1, introduit in toto chez le porc, en 1979 [26].
Ce virus a diffusé dans les élevages asiatiques en 1993, don-
nant naissance au lignage Eurasian avian-like swine H1N1
[27], mais na jamais été isolé sur le continent américain à ce
jour [28]. En Asie, on isole également des virus dorigine
humaine dits human-like swine H1N1 [29, 30].
Suite à la pandémie de Hongkong en 1968, le virus humain
H3N2 fut retrouvé chez le porc, auquel il sest adapté [31].
Les virus de ce lignage human-like swine H3N2, générale-
ment responsables dinfections asymptomatiques, circulent
encore en Asie [32]. Les virus H3N2 humains saisonniers
seraient dailleurs régulièrement transmis au porc [33]. En
Europe, lexpression clinique des infections à virus H3N2
nest vraiment apparue quen 1984, suite à un réassortiment
entre la souche human-like swine H3N2 et le virus avian-
like swine H1N1 [34]. Ce nouveau variant dit European
reassortant human-like swine H3N2 a acquis les gènes
HA et NA du virus H3N2, les six autres segments génomi-
ques provenant du virus H1N1. En Asie, on décèle égale-
ment un sous-type avian-like swine H3N2 résultant de la
transmission totale dun virus H3N2 depuis la volaille [35].
Les premiers virus H1N2 ont émergé dans la population
porcine mondiale suite aux réassortiments de la souche
human-like swine H3N2, avec la souche classical swine
H1N1 au Japon, en 1978 [36] ; avec la souche avian-like
swine H1N1 en France, en 1987 [37]. Ce dernier a cepen-
dant peu diffusé en Europe, ayant été supplanté en 1994
par un autre variant H1N2 apparu au Royaume-Uni, dit
human-like reassortant swine H1N2 et issu du réassorti-
ment entre la souche European reassortant human-like
swine H3N2 et une souche H1N1 dorigine humaine
apparentée au virus responsable de lépidémie russe de
1977 [38]. Seul le gène HA du virus H3N2 fut échangé,
mais cette modification génomique conduisit à lapparition
de souches dantigénicité différente.
À la fin des années 1990, plusieurs autres générations de
virus réassortants sont apparues en Amérique du Nord.
Des virus H3N2 issus du mélange entre une souche
H3N2 humaine saisonnière et le virus classical swine
H1N1 ont émergé en 1998, mais ce sont des virus H3N2
triple réassortants, virus ayant en outre acquis des segments
génomiques dune souche aviaire, probablement de
sous-type H9N2, qui se sont adaptés et ont acquis un fort
potentiel de diffusion au sein de lespèce [39]. Ces virus
triple réassortants présentent une constellation très particu-
lière de gènes internes qui semble sêtre stabilisée et qui
a été dénommée cassette TRIG (pour triple reassortant
internal gene) : les gènes PB2 et PA sont dorigine aviaire,
le gène PB1 dorigine humaine et les gènes NP, M et NS
dorigine classical swine (figure 4). Dès 1999, ont ensuite
été isolés des virus H1N2 résultant du réassortiment entre le
triple réassortant H3N2 et le virus classical swine H1N1.
Depuis, les virus triple réassortants nord-américains ont
gagné lAsie, notamment des virus H1N2 [32, 40, 41]
mais nont jamais été isolés en Europe [42].
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Figure 3. Historiques simplifiés des virus influenza porcins (SIV). A : Historique simplifié des SIV en Amérique du Nord. B : Historique
simplifié des SIV en Europe. C : Historique simplifié des SIV en Asie.
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