Tribune de Genève | Samedi-dimanche 13-14 février 2016 33
Sciences et découvertes
Contrôle qualité
Quand les virus tirent
profit de la mondialisation
Repéré pour la première fois en Afrique, Zika s’est propagé jusquen Amérique. Un périple pas si étonnant
Bertrand Beauté
Cest l’histoire d’un vi-
rus qui aimait voya-
ger. Identifié pour la
première fois en
Ouganda en 1947,
Zika a depuis par-
couru du chemin. Il a visité plusieurs pays
d’Afrique, l’Asie, la Micronésie, TahitiIl
se trouve désormais en Amérique du Sud.
Avant de se rendre en Europe et aux Etats-
Unis? Probable selon les scialistes. Face
à cette propagation insolente, l’Organisa-
tion mondiale de la san(OMS) a qualifié,
début février, Zika «d’urgence de santé
publique de portée internationale», en
raison de l’épidémie engende qui pour-
rait toucher 3 à 4 millions de personnes
dans le monde en 2016. C’est que les virus
ne restent plus cantonnés à une région.
Désormais, ils se déplacent, voyagent
d’un bout à l’autre de la planète, contami-
nent ici et là.
Les épidémies en hausse
L’histoire n’est pas nouvelle. Au XVe siè-
cle, déjà, les colons européens débar-
quaient sur les côtes américaines, rame-
nant dans les cales de leurs bateaux un
virus inconnu des populations autochto-
nes: la variole. «Ce choc biologique, ap-
peéchange colombien, a décimé près de
80% de la population amérindienne», rap-
pelle Serge Morand, expert en parasitolo-
gie à l’Universi de Montpellier (CNRS) et
à la Faculté de médecine tropicale de
Bangkok.
Les parasites voyagent donc depuis
longtemps, profitant des moyens de trans-
port humain. «Mais autrefois, il fallait
80 jours pour faire le tour du monde. -
sormais, tout va beaucoup plus vite, ré-
sume Antoine Gessain, directeur de
l’unité d’épidémiologie et de physiopa-
thologie des virus oncogènes à l’Institut
Pasteur et coauteur du livre Les virus
émergents (PUF, collection Que sais-je?).
Aujourd’hui, un virus identifié dans un
pays se retrouve le lendemain à l’autre
bout de la planète grâce à ce que l’on
appelle la diffusion aéroportée. Le monde
est devenu un village global, y compris
pour les parasites.» Ce fut le cas, par
exemple, lors de la pandémie du Syn-
drome respiratoire aigu sévère (SRAS) ap-
G. LAPLACE. SOURCE: OMS, LE FIGARO.
La propagation du virus Zika
Première identification du virus
Itinéraire possible vers l’Amérique du Sud
Pays touchés par le virus avant 2015
1947
Ouganda
2007
Micronésie
2014
Iles Cook
2013
Tahiti 2013
Ile de Pâques
Avril 2015
Brésil (Salvador
de Bahia)
2014
Nouvelle-Calédonie
Souche
asiatique
Nombre de cas confirmés
de virus Zika, par pays:
Brésil:
Colombie:
Martinique:
Guyane:
Saint-Martin,
Guadeloupe:
1 300 000
13 500
102
45
2
Pays touchés à partir de
l’expansion du virus au Brésil
parue en Chine fin 2002 et identifiée quel-
ques jours plus tard à Toronto (Canada).
Bref, à la manière de nos marchandi-
ses, les virus jouent la carte de la globalisa-
tion. Ainsi, avant les années 70, seuls neuf
Etats avaient connu des épisodes de den-
gue sévère. Désormais, la maladie est en-
démique dans plus de 100 pays en Afri-
que, Amériques, Méditerranée orientale,
Asie du Sud-Est et dans le Pacifique occi-
dental. Plus véloces, les virus semblent
également plus nombreux et dangereux,
si l’on observe la fréquence grandissante
à laquelle les épidémies se succèdent:
West Nile en 1999, SRAS (2002), H5N1
(2004), H1N1 (2009), chikungunya (2009),
Ebola (2014)
Une étude, publiée en 2008 dans la
revue Nature, montre une augmentation
régulière du nombre de maladies infec-
tieuses nous affectant, entre 1940 et 2004.
«L’homme est certainement l’animal le
plus parasité sur Terre, avec plus de
1400 espèces de parasites et microbes le
touchant, détaille Serge Morand. Et nous
assistons depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale à un accroissement du
nombre de virus et des épidémies asso-
ciées.» Différents facteurs peuvent expli-
quer ce phénomène inquiétant. Il y a
d’abord les progrès de la science et de la
communication: «Un virus qui affecte
100 personnes à l’autre bout de la plate
est identifié très vite par les systèmes de
surveillance et toute la planète est alertée
dans la foulée, résume Serge Morand.
Cela donne l’impression d’une augmenta-
tion du risque.»
Autre raison: l’émergence liée aux con-
naissances lorsque les chercheurs établis-
sent un lien entre une maladie connue et
un virus inconnu. «Ce fut le cas, par exem-
ple, lorsque des chercheurs ont couvert
que le sarcome de Kaposi – une tumeur
cutanée était lié au virus HHV-8», ra-
conte Antoine Gessain. Mais ces facteurs
ne permettent pas d’expliquer entière-
ment l’augmentation du nombre d’épi-
mies. En d’autres termes, de nouveaux
virus totalement inconnus apparais-
sent, tel le sida dans les années 80 et, plus
récemment, le SRAS. Ou des parasites
déjà identifiés connaissent des modifica-
tions conduisant à des manifestations plus
sévères de la maladie, à l’image des for-
mes hémorragiques de la dengue.
De l’animal jusqu’à l’homme
«Les animaux représentent le plus grand
pourvoyeur de maladies infectieuses. Le
sida, Zika ou la fièvre jaune proviennent
des primates, alors que le réservoir
d’Ebola se trouve dans les chauves-souris,
rappelle Serge Morand. A un moment
donné, sans que l’on sache comment, ces
parasites passent de l’animal à l’homme.
Ces zoonoses sont favorisées par une pro-
miscuité grandissante avec les animaux
d’élevage et sauvage, due à l’évolution
démographiqueLa déforestation, par
exemple, a mis l’homme en contact avec
des bêtes porteuses des virus Ebola ou
Nipah.
Ensuite, «les pratiques socioculturelles
favorisant la multiplicité des contacts inte-
rhumains (prostitution, mouvement de
population, pèlerinage, toxicomanie,
transmission nosocomiale…) jouent un
rôle déterminant dans la propagation et
l’émergence de ces maladies virales», pré-
cise Antoine Gessain. Face à cette situa-
tion, la communauinternationale a dé-
veloppé des moyens de réaction extme-
ment puissants. Pour autant, elle peine
encore à évaluer la gravité d’un événe-
ment. L’OMS a ainsi surévalué l’épidémie
du H1N1, puis sous-évalué celle d’Ebola.
Quand sera-t-il pour Zika? Il est encore
trop tôt pour le dire.
Moustiques
L’épidémie Zika progresse à
grande vitesse. Comme la
dengue et le chikungunya, ce
virus est transmis par le
moustique tigre (Aedes
albopictus). «A lorigine, cet
insecte est originaire d’Asie du
Sud-Est, explique Olivier Glaizot,
conservateur au Musée cantonal
de zoologie, à Lausanne. Mais il
est en forte expansion à travers
le monde. Il est aujourd’hui dans
une centaine de pays. Des
études ont montré qu’il s’est
déplacé grâce au commerce des
pneus usagés dans lesquels
leau stagne, permettant aux
œufs de survivre.». Outre en
Amérique du Sud, tigre est
présent dans le sud de la France,
en Italie et au Tessin. Zika
pourrait ainsi infecter ces
régions. «En raison du
chauffement climatique, la
zone où peut vivre Aedes
s’étend de plus en plus vers le
Nord. A terme, il pourrait arriver
sur les rives du Léman.» BE.B.
Apparu en Chine
fin 2002, le SRAS
a été identifié
quelques jours
plus tard au
Canada. AFP
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