Texte de paix pour les uns, livre guerrier pour les autres : comment expliquez-
vous que le Coran soit sujet à des interprétations si différentes?
Il semble incompréhensible que dans la perception que les Occidentaux ont de l'islam il puisse se
poser encore aujourd'hui la question de savoir si le Coran est un texte de paix ou bien un texte
guerrier. Le Prophète Mahomet, selon l'islam, est venu révéler aux hommes le vrai message de Dieu,
un message que déjà d'autres prophètes, Moïse et Jésus notamment, avaient entrepris de divulguer
aux hommes, mais chaque fois en le faisant d'une façon imparfaite. Ces prophètes étaient, en effet,
de simples hommes, des hommes certes inspirés par Dieu, mais des hommes néanmoins. Mahomet a
eu, lui, l'insigne honneur d'avoir directement la parole de Dieu et c'est donc lui qui a eu le vrai
message, un message qui vient corriger et compléter finalement les précédents. Par conséquent,
tous les hommes doivent, nécessairement, selon l'islam, se rallier au message de Mahomet. Et il n'y
en aura pas d'autre.
Quel est donc le projet de l'islam? C'est de faire en sorte que tous les hommes vivent selon la loi de
Dieu, pour leur plus grand bien sur terre et pour assurer leur salut, ensuite. Ils assureront leur salut
en obéissant scrupuleusement aux lois dictées par Dieu, telles qu'elles ont été révélées dans le
Coran. Dans une société telle que la voit le Coran, tous les hommes seront des croyants, c'est à dire
des musulmans ou bien encore des «gens du Livre» (juifs et chrétiens). Les polythéistes, ainsi que les
incroyants, seront combattus : ils devront en venir à se soumettre à l'islam. Le rôle des musulmans
consiste donc à œuvrer pour que s'étende le règne de Dieu sur la terre. Aussi distinguent-ils d'un
côté les territoires déjà acquis à l'islam qu'ils dénomment le «dar al islam», et, de l'autre, les
territoires non encore soumis au règne de Dieu qu'ils appellent le «dar al harb», c'est à dire «la
maison de la guerre». Et, en simplifiant, le djihad doit être compris comme le combat qu'ils ont à
mener pour réduire le dar al harb, Allah assurant aux combattants qui en viendraient à périr dans ces
nobles aventures un accès certain au paradis. Et Mahomet, de son vivant, a promis aux combattants
qu'ils auraient les quatre cinquièmes des butins pris aux incroyants, le cinquième étant réservé au
Prophète ou a ses descendants. En quelque sorte un pari gagnant, quoi qu'il en soit.
Voilà donc, très succinctement résumé, la problématique de l'islam : un combat à mener pour le bien
de l'humanité, en proposant aux hommes une société meilleure qui serait totalement régie par les
lois dictées par Dieu. Évidemment, les systèmes d'organisation de la société dans lesquels les
hommes s'arrogeraient le pouvoir prométhéen de se donner à eux mêmes des lois sont totalement
exclus du projet islamique. Alors, le problème est de savoir comment mener ce combat? Les tenants
d'une lecture littérale du Coran, les Wahhabites ou les salafistes, n'hésitent pas à prôner un combat
éventuellement violent, s'il le faut. D'autres, plus modérés, voient un combat plus pacifique. Et les
musulmans modernes, souscrivant pleinement aux avancées de la civilisation occidentale, conseillent
de «contextualiser» le texte du Coran, c'est-à-dire de replacer ce texte dans le contexte de l'Arabie
du VIIème siècle, pour retenir du Coran seulement ses aspects spirituels. En tout état de cause, le
Prophète étant le modèle à imiter, l'islam a la vision d'un homme qui de son vivant a combattu les
armes à la main, guerroyant contre les caravanes des Mecquois qui croisaient au large de Médine, et
réussissant finalement à soumettre ses anciens compatriotes de la Mecque pour leur imposer la
nouvelle religion.
Ces ambigüités n'existent-elles pas dans tous les textes sacrés?
Nous voudrions ici, nous limiter à un parallèle entre l'islam et le christianisme, et constater que les
Occidentaux, fortement imprégnés plus ou moins consciemment des valeurs diffusées depuis deux
mille ans par le christianisme, en sont venus à faire une tautologie entre religion et paix : pour eux,
qui dit religion, dit amour et paix.