Le jeune moine, n’étant plus chercheur de vérité mais réformateur
plein d’un zèle ardent, fit ses adieux au centre du bouddhisme sur Hiéï
et revint à Seicho-ji qu’il avait quitté quinze ans auparavant. Il rendit
visite à ses parents, ses premiers convertis. Son veux maître et ses
camarades moines l’accueillirent, mais dans leur esprit Nichiren,
l’ancien Renchô, n’était qu’un jeune homme prometteur ayant vu le
monde et étudié à Hiéï. Gardant le silence sur ses projets et ambitions,
Nichiren se retira pour un temps dans une forêt près du lieu. Chacun
supposa qu’il y pratiquait la méthode usuelle d’auto-purification
qu’eux-mêmes, au monastère, utilisaient ; mais en fait, Nichiren
s’employait à une toute autre tâche, s’occupant de son idée originale,
que personne ne partageait ni ne devinait.
Ses sept jours de réclusion, comme le dit la tradition, furent une
période de prières ferventes pour préparer le lancement de son plan de
réforme et la proclamation de son nouvel enseignement. Quand sa
longue méditation fut mûre pour l’action, une nuit, Nichiren quitta la
forêt et gravit au sommet de la colline d’où s’offrait une vue dégagée
sur la vaste étendue du Pacifique. Lorsque les premières lueurs du jour
pointèrent à l’horizon, il se tint debout sans un geste le regard tour
àl’Est, et tandis que le disque doré du soleil perçait à travers la brume
au-dessus de l’eau, d’une voix puissante, un cri retentissant sortit de
ses lèvres : « Namu Myoho Renge Kyo », « Que l’adoration soit au
Apparence publique
et persécution de Nichiren
Éditions MYOHO, 2006, ISBN : 2-916671-00-5
Sûtra du Lotus de la Loi Merveilleuse ! » Nichiren proclamait haut et
fort son enseignement*, faisant de l’astre illuminant ciel et terre son
témoin. Ceci se passa dans la matinée du vingt-huitième jour du
quatrième mois lunaire (28 avril 1253).
La proclamation du Lotus de la Loi Merveilleuse, face au soleil,
était en effet, la première étape traduisant en action l’idéal symbolisé
dans son nom Soleil-Lotus (Nichiren). Après cette unique déclaration,
Nichiren revint parmi les humains, et à midi le jour même, dans le hall
d’assemblée, face au sud, il prêcha sa doctrine et dénonça les formes
dominantes du bouddhisme en présence de son maître, de ses cama-
rades et de beaucoup d’autres. Pas une seule personne ne fut offensée
par son audacieux discours et son attaque féroce. Les murmures se
transformèrent en cris de protestations ; et lorsque le sermon fut
terminé, chacun crut que le pauvre mégalomane était devenu fou.
L’intendant [Tojo Kagenobu] régnant sur cette partie du pays était si
furieux que rien, sinon la mort de ce moine ridicule, ne l’aurait comblé.
Ce seigneur, qui par la suite devint son ennemi juré tout au long de sa
mission, guetta Nichiren, chassé du monastère, pour l’attaquer. Son
vieux maître eut pitié de son ancien élève, et ordonna à deux de ses
disciples plus âgés de le conduire à travers un chemin dérobé. C’est au
crépuscule que, de cette façon, Nichiren se sauva. Le soleil, qui à son
lever avait assisté à sa proclamation, et à midi avait été témoin de son
sermon, se coucha tandis que le moine poursuivi se frayait un chemin
àtravers l’obscurité d’une région boisée ; seul le rougeoiement du soir
éclairait le ciel. Quelles pouvaient être ses pensées ? Quelles perspec-
tives pour son enseignement et sa future carrière a-t-il chéri à ce
moment-là dans son esprit ?
Le sage visionnaire renvoyé s’en alla en campagnes de propagation
dans les provinces avoisinantes, puis se réfugia à Kamakura, siège du
shogunat. Pendant qu’il approfondissait ses études sur les conditions
sociales et religieuses de l’époque, la ville était le théâtre d’évènements
effarants. Des rumeurs de complots contre les Hojo sourdaient, et des
conflits interfamiliaux éclatèrent ; en outre tempêtes, inondations,
tremblements de terre, famines, comètes, se succédèrent rapidement.
Les gens étaient terrorisés, et le gouvernement ne pouvait recourir qu’à
des offrandes aux sanctuaires shinto et à des rituels shingon. Nichiren
lui-même décrit la situation comme suit1:
Nous avons observé beaucoup de signes dans le ciel et sur terre ; la famine, la
peste –le pays dans son entier est plein de misère ! Les chevaux et les vaches
meurent sur le bord des routes, et aussi les hommes ; et personne pour les enterrer.
La moitié de la population est frappée, et pas une seule maison n’y a échappé.
D’où la dévotion religieuse des esprits. Certains, en accord avec les doctrines
secrètes shingon, s’aspergent copieusement d’eau bénite venant des cinq
2NICHIREN, le moine bouddhiste visionnaire
Éditions MYOHO, 2006, ISBN : 2-916671-00-5
vases... D’autres écrivent le nom des sept Dieux de la chance sur des
morceaux de papier, et les collent par centaines aux montants de leurs portes,
tandis que d’autres font de même avec les images des cinq Grands Puissants
et des différents dieux (shinto) du Ciel et de la Terre.... Mais que les hommes
fassent ce qu’ils doivent, la famine et la peste continuent de faire rage ; il y a
des mendiants partout, et les cadavres longent les routes.
Par pitié pour le peuple durement frappé par ces calamités, et aussi à
cause des pratiques superstitieuses dans lesquelles il trouva refuge,
Nichiren examina longuement la question. Quelles étaient les causes
de ces maux, et comment pouvait-on les éviter ?
S’attaquant au problème, il se tourna naturellement vers l’autorité
unique du Lotus,comparée aux pratiques syncrétiques du bouddhisme
dominant. Toutefois il ne fut satisfait qu’après investigations dans les
livres sacrés, et trouvé diverses prophéties concernant les calamités
survenant aux peuples dégradant la vraie religion bouddhique en
recourant aux superstitions. Pour ce faire, il se retira dans un monastère
doté d’une bonne bibliothèque.Il y développa et rédigea ses idées qui
prirent la forme d’un essai intitulé : Risshô Ankoku Ron, (Traité pour la paci-
fication du pays par l’établissement de la Loi Correcte2).
Dans cet essai, Nichiren dénonça avec audace la dégénérescence
du peuple et la bêtise des dirigeants. Il attribua au Nembutsu3, qui les
avait tous deux détournés du droit chemin, la plus lourde
responsabilité des misères de l’époque. En outre, il donna un avertisse-
ment prophétique à la nation qui, si elle ne se convertissait pas immé-
diatement à la Loi unique, souffrirait de plus de calamités dont une
invasion étrangère4et une rébellion. Son expression véhémente se
présenta ainsi :
De toutes les infortunes..., il n’y en a qu’une que nous n’avons pas encore
subie, celle de l’invasion étrangère... Quand je considère ces prophéties dans
le Sûtra et que j’observe le monde autour de moi, je suis enclin à penser que
les dieux et l’esprit du peuple sont dans la plus grande confusion. L’on peut
voir que, dans le passé, elle se sont réalisées, oserons-nous dire que celles qui
ne le sont pas encore avorteront ?
Cet avertissement était suivi d’une admonition à se convertir à son
enseignement, fondée sur le Sûtra du Lotus. Le passionné visionnaire ne
serait satisfait que si toutes les autres formes de bouddhisme étaient
abolies, et leurs chefs sévèrement punis. Et il conclut ainsi :
Malheur à eux ! Ils ont raté l’entrée du portail menant au vrai bouddhisme, et
sont tombés dans la prison des faux enseignements. Ils sont enchaînés,
embrouillés, confus. Où donc les conduiront-ils leurs aveugles errements ?
Vous, hommes de peu de foi, tournez immédiatement vos esprits vers l’unique
vérité du Lotus ! Vous verrez alors que les trois phases de l’existence sont (en
3
Apparence publique et persécution de Nichiren
Éditions MYOHO, 2006, ISBN : 2-916671-00-5
fait) la Terre du Bouddha, qui n’est en aucun cas sujet au déclin ; et que les
mondes des dix directions sont tous des Terres aux Trésors qui ne seront
jamais détruites. Le Royaume est permanent, et les Terres éternelles. Alors
comment se peut-il que vos corps ne soient pas en sécurité et vos esprits,
sereins dans l’illumination5?
Non seulement ces mots étaient prêchés aux masses dans les rues et
les jardins, mais le document fut présenté aux autorités (16 juillet
1260). Le gouvernement fut choqué, les dignitaires ecclésiastiques
furieux, et des instigations secrètes embrasèrent une foule qui attaqua
la cabane de Nichiren [à Matsubagayatsu, le 27 août] et la brûla. Celui-
ci y échappa grâce à l’obscurité de la nuit et, s’enfuyant de Kamakura,
il partit en campagnes de propagation dans les provinces avoisinantes.
Ce faisant, il convertit davantage de personnes, dont certaines apparte-
naient à la classe des samouraïs, des chefs locaux qui n’étaient pas sous
la tutelle directe du Shogun. La suspicion du gouvernement à son
égard augmenta, et lorsqu’il revint à Kamakura l’année suivante, il fut
arrêté et condamné au bannissement puis envoyé sur la côte désolée
de la péninsule d’Izu (12 mai 1261).
Durant cet exil, Nichiren fut si l’on veut hébergé par un pêcheur et
sa femme, au milieu de dangers menaçants. Les lettres qu’il leur écrivit
des années plus tard montrent à quel point était sa reconnaissance
envers ces simples et fidèles convertis ; lettres dans lesquelles il les
comparait à ses parents, probablement dans une vie précédente. Ses
épreuves les plus difficiles ne durèrent pas longtemps. Nichiren fit
d’autres adeptes, et son message trouva refuge dans le cœur dénué de
préjugés des habitants du pays. Cependant il était exilé. Il avait é
attaqué de façon répétée et avait échappé de peu à la mort ; ses perspec-
tives ne semblaient pas prometteuses, et ses espoirs de convertir la
nation entière ténus, sinon vains. Il se demanda si sa mission se réalise-
rait, et réexamina le Sûtra à la lumière de ce doute.
Près de dix ans s’étaient écoulés depuis la proclamation de son
enseignement, et ces années-là avaient été remplies d’aventures et de
dangers. Les menaces et périls accumulés autour de lui, ainsi que les
désastres terrorisant la population, ne lui semblèrent pas pur hasard,
mais la conséquence inéluctable du conflit entre la cécité du peuple et
la cure compatissante qu’il lui proposait. Tout cela –causes et effets,
présentes calamités et la destinée future– lui donna une nouvelle assu-
rance que chaque prophétie serait réalisée avec certitude. Ce qui ancra
plus profondément sa foi dans le Lotus et son enthousiasme était de
découvrir que chaque phrase des vœux de persévérance, comme écrit
dans le chapitre du même nom, s’était réalisée petit à petit dans sa vie.
L’esprit ardent des vœux avait trouvé ses plus féconds échos dans sa
personnalité fougueuse et son existence périlleuse.
4NICHIREN, le moine bouddhiste visionnaire
Éditions MYOHO, 2006, ISBN : 2-916671-00-5
Voyez ce que dit le Sûtra ! Disciples du Bouddha en fixant la vision
sublime de la Tour aux Trésors et en écoutant l’exhortation encoura-
geante, prenez ensemble les vœux de fidélité et d’endurance.
ÔGlorifié ! ne t’inquiète pas pour nous !
Après ton grand départ
Dans les époques impures faites de terreurs et de dangers
Nous proclamerons le Sûtra suprême6.
C’était ce qu’avait fait Nichiren, et maintenant il en souffrait.
Assurément il y aura des hommes malveillants,
Qui nous ridiculiseront et nous abuseront,
Nous assailliront avec des armes et des bâtons.
Tout ça nous l’endurerons avec persévérance.
Cela ne signifie-t-il pas, pensa Nichiren, les laïcs : les dirigeants et le
peuple s’opposant à la Loi par mépris de la justice ? N’avait-il pas été
menacé par les épées et le feu ? De même :
Dans les Derniers Jours, il y aura des moines,
Malveillants à l’esprit malhonnête
Qui prétendront avoir atteint ce qu’ils n’ont absolument pas atteint,
Et leur esprit sera plein de fierté dérisoire.
N’était-ce pas toujours les moines, les instigateurs des persécutions ?
Traîtres au Bouddha, compagnons des démons,adeptes de divinités
inconnues, hommes de vaine arrogance –les pires ennemis de Nichiren.
La prophétie n’avait-elle pas été réalisée grâce à eux ? De même :
Il y en aura qui demeureront dans les forêts,
Vivant en paix et portant la robe régulière,
Prétendant pratiquer la vraie vie monastique,
Et cependant méprisant les autres hommes.
Ils prêcheront aux laïcs
Simplement pour la gloire et le profit ;
Et pourtant ils seront vénérés par le peuple
Comme s’ils étaient dotés des six pouvoirs surnaturels...
Tous les moines ne sont-ils pas de cette espèce ? Observez comment
certains prétendent être des arhats, et sont crus par la population !
Dans les périodes impures de grandes turbulences
Peurs et dangers se multiplieront
De nombreux hommes possédés par les démons `
Nous abuseront et nous insulteront.
En vénérant le Bouddha et en mettant en lui toute notre confiance,
Et en revêtant l’armure de la persévérance
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Apparence publique et persécution de Nichiren
Éditions MYOHO, 2006, ISBN : 2-916671-00-5
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