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Entretien avec Arie van Beek
Vous allez diriger l’Orchestre d’Auvergne en mai prochain dans une nouvelle pièce de Kaija Saariaho.
Dans un premier temps, pouvez-vous nous dire comment vous percevez sa musique ?
Lorsque Jean-Marc Grangier nous a proposé de jouer cette musique, j’ai écouté certaines œuvres,
je ne me rappelle plus lesquelles, mais je les ai trouvées franchement intéressantes. Et puis, ce n’est pas
n’importe qui Kaija Saariaho, c’est une femme compositeur très jouée partout dans le monde.
Ce qui m’a frappé en écoutant la première pièce, mais aussi en jouant, en dirigeant ses œuvres,
c’est qu’elles sont très différentes. Le concerto pour ûtes, Aile du songe, est une musique assez
accessible, je trouve, comme langue musicale. L’esthétique est belle, la musique est belle, avec une
légèreté presque française. Nymphea Reection c’est une autre langue, beaucoup plus moderne, un autre
son que l’on ne connaît pas trop. Elle a donc plusieurs langues musicales et je trouve ça vraiment bien.
Ce n’est pas un compositeur avec une seule direction de composition. C’est une énorme liberté.
C’est pour cela que c’est très bien de s’attaquer à la musique, aux œuvres de cette femme,
pour le public, pour l’orchestre et pour moi-même bien sûr.
Comment, justement, l’avez-vous abordée techniquement. Et comment l’avez-vous présentée à
l’orchestre, qui ne s’était jamais confronté à ce compositeur ?
Ce n’est pas très différent avec d’autres compositeurs. Chaque œuvre nouvelle pour un orchestre doit
toujours être défendue an d’essayer de convaincre les musiciens. En ce qui concerne la manière
de faire, c’est très intuitif. En tout cas, il y a toujours, dans tous les orchestres du monde, des réactions
mitigées à la première lecture. Toujours. C’est normal, parce que sur la musique de Kaija, Nymphea
Reection par exemple, ce n’est pas du tout facile à comprendre la première fois, même à la deuxième
répétition c’est difcile. Moi, je dis toujours aux musiciens : Jugez après le concert, pas avant
la première répétition. C’est un peu exagéré bien sûr, mais il y a une certaine vérité là-dedans. On sent
l’œuvre pour la première fois profondément au concert, pas même aux répétitions. Donc, ce qu’il faut
faire pendant les répétitions, c’est essayer de résoudre certains problèmes, techniques notamment,
parce que Kaija demande des choses peu habituelles aux musiciens : écraser le son par exemple…
Ce n’est pas toujours facile, ce n’est pas une esthétique qui plaît à tous les musiciens à la première
écoute, mais il faut continuer. Il faut essayer du mieux que l’on peut d’amener les musiciens à sentir
qu’il y a un sens à cela, à travailler pour qu’ils nissent par aimer l’œuvre qu’il joue. Ça, c’est toujours
le but des répétitions.
C’est véritablement le travail du chef d’amener l’orchestre à s’approprier la musique, à l’aimer…
Bien sûr. La tâche d’un chef d’orchestre est polyvalente. D’abord il faut régler les choses, ce qu’on fait
avec les bras… 1234, 123… tout le monde ensemble, la même dynamique, que tout le monde joue
bien pianoforte, que ce soit juste, faire apprendre certaines techniques… C’est mon rôle. Mais de
manière plus large, c’est aussi « inspirer les musiciens », faire que la musique sorte. Un des aspects qui
me paraît très important pour un chef d’orchestre, c’est d’essayer de comprendre le compositeur ou la
composition. Et nous avons la chance d’avoir Kaija. Mozart lui, il est mort, on ne peut plus lui poser
de questions ! Kaija, si je ne comprends pas certains endroits, si je veux lui demander ce qu’elle a voulu
dire avec cette mesure, comment la faire, elle est là.