PDF 153k - Cahiers de praxématique

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Cahiers de praxématique
33 | 1999
Sémantique de l'intertexte
Christin, Anne-Marie, L’écriture du nom propre
Sarah Leroy
Éditeur
Presses universitaires de la Méditerranée
Édition électronique
URL : http://praxematique.revues.org/1990
ISSN : 2111-5044
Édition imprimée
Date de publication : 10 janvier 1999
Pagination : 234-236
ISSN : 0765-4944
Référence électronique
Sarah Leroy, « Christin, Anne-Marie, L’écriture du nom propre », Cahiers de praxématique [En ligne],
33 | 1999, mis en ligne le 01 juin 2014, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
praxematique.revues.org/1990
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Cahiers de praxématique 33, 1999
Anne-Marie CHRISTIN (éd.)
L’ECRITURE DU NOM PROPRE, L’Harmattan, Paris, 1998, 320 p.
Cet ouvrage rassemble les actes du colloque éponyme (8-10 juin 1995,
Paris) organisé par le Centre d’étude de l’écriture (Paris VII – CNRS). La
thématique de l’écriture du nom propre s’inscrit dans la problématique générale
du rôle du sujet dans la production écrite et en particulier du « rôle décisif [du]
lecteur dans la genèse de la communication écrite ». Le nom propre, par sa
double fonction individualisante et catégorisante, se trouve à l’intersection de
ces deux approches : marque de l’Autre désignateur, il est aussi substitut du Je,
et ainsi pose la notion du sujet dans l’écriture. De plus, sa transcription permet
d’aborder les relations entre parole et écrit ; enfin, le nom propre, désignation
« magique » à bien des égards, reconduit l’iconicité première de l’écriture.
Ces trois aspects sont diversement abordés, dans plusieurs types d’écritures,
répartis selon leur mode de relation à cette iconicité : Ecritures de l’origine, de
la métamorphose, héritées, retournées à l’image…
La première partie concerne ces écritures dans lesquelles l’image est restée
très présente, à travers le pictogramme et l’idéogramme. Le rôle du nom propre
dans la genèse de l’écriture hiéroglyphique y est décrit par P. Vernus, tandis
que sa fonction individualisante, ainsi que son pouvoir d’authentification, sont
abordés à propos du sceau, babylonien (D. Charpin) ou chinois (R. Schneider),
ou des glyphes nominaux mayas (M. Davoust). Dans ces deux types de
marquage de l’identité, l’écriture du nom propre et l’image se mêlent étroitement. Le nom propre chinois, au carrefour de l’écrit et de l’oral, est traité par V.
Alleton, tandis que l’importance pour l’historien des inscriptions de noms
Lectures et points de vue
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propres est soulignée par J.M. Durand, à travers le problème de la double
dénomination dans les manuscrits mésopotamiens, ainsi que par D. Charpin.
Il est question dans la seconde partie des Ecritures de la métamorphose,
écritures sémitiques et de l’Asie du Sud-Est. Le nom propre y reste le lieu privilégié d’une expression iconique, que ce soit dans les manuscrits hébreux
médiévaux (M. Garel), où l’absence de majuscule est palliée par des graphismes divers, ou dans des emblèmes mêlant écriture et motifs, tugra ottomane (G. Veinstein) ou kâo japonais (Y. Hayashi). Il s’y affirme également
comme élément à la fois classifiant et individualisant, comme le montrent les
multiples possibilités d’écriture du nom propre arabe (J. Sublet) ou l’expression
de relations socio-familiales dans l’inscription du nom propre sur les stèles
ottomanes (N. Vatin). Le rôle du lecteur est particulièrement crucial dans le cas
de ces stèles, comme l’est celui du guru dans l’interprétation des noms du
Bouddha (C. Beccheti et F. Bizot), où se nouent des relations complexes entre
écriture et représentation graphique, inscription et oralité, contenu sémantique
et dimension magique.
Les Ecritures héritées de l’alphabet grec semblent coupées de toute relation
à l’image. Cependant, S. Le Men, dans cette troisième partie, montre la place
du nom propre dans la caricature du XIXe siècle, nom propre tronqué, transformé, malmené comme l’est l’image dans le portrait caricaturé. Le rôle du
nom propre dans l’affirmation du sujet est mis en lumière par B. Fraenkel à
propos de la signature, exposition de son nom propre par l’individu, tandis que
M. Offerlé, retraÿant le parcours de l’identification à l’anonymisation de l’électeur, aborde la question des fonctions individualisante et socialisante du nom
propre. Dans une perspective historique, M. Bourin considère l’écriture du nom
propre comme un témoin de l’évolution vers la double dénomination anthroponymique et de la transmission de la valeur de preuve de l’oral vers l’écrit.
Dans la quatrième partie sont abordées des Ecritures retournées à l’image,
c’est-à-dire introduites dans un contexte pictural (D. Gamboni, M. Melot) ou
filmique (N. de Mourgues). Dans la problématique de l’inscription du nom
propre comme expression de l’individu et validation de cette individualité par le
lecteur, DG et MM s’intéressent à la place de la signature dans l’úuvre d’art,
concernant sa relation à l’image (D.G. : la signature cachée dans le tableau,
voire motif du tableau, ou la signature-emblème, « iconicisée ») ou sa relation
au statut d’úuvre d’art (M.M. s’interroge sur ce pouvoir de la signature qui fait
d’un objet une úuvre d’art). N. de M. aborde la signature filmique parallèlement
à celle de la peinture, tout d’abord comme une marque symbolique de la présence énonciative, puis dans une dimension iconique à travers la représentation
à l’écran du réalisateur lui-même, procédé qu’elle compare à celui de l’autoportrait.
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L’ensemble de ces travaux, dont il n’est malheureusement pas possible de
rendre compte en détail ici, appréhende le nom propre à travers des problématiques à la fois diverses et croisées. La nature même du nom propre, élément du
langage en relation directe avec une organisation sociale, conduit à une
approche à la fois linguistique et anthropologique. Recoupant ces deux dimensions, la question de la relation du sujet au nom propre (puisqu’il est ici limité
au nom de personne) et, au delà, à la société dans son ensemble, apparaît ou
affleure tout au long de cet ouvrage. On la trouve en particulier dans les travaux
présentant divers symboles de l’individu : sceaux, stèles, signatures, qui représentent une individualité ou s’y substituent. Tous utilisent le nom propre dans
sa dimension individualisante et dans un contexte graphique qui vient en
redoubler la mise en valeur. La construction du sujet à travers ces emblèmes se
fait au sein d’une interaction : l’expression de l’individu par la marque de son
nom est validée par la lecture qui en est faite et par la fonction d’authentification qui lui est attribuée. La classification du sujet dans un ensemble social
passe également par l’expression concrète de son nom propre : le choix de
l’utilisation de tel ou tel élément du nom, le consensus d’une société autour
d’une structure fixe du nom de personne, ainsi que son rôle dans l’établissement
d’une gestion administrative des populations en témoignent. La dimension
historique, présente dans la structure même de l’ouvrage, apparaît lorsque le
nom propre est pris comme témoin d’évolutions sociales ou linguistiques. On
sait l’importance de la toponymie dans l’étude d’états de langue passés, on voit
ici que l’anthroponymie peut elle aussi représenter des étapes de la structuration
d’une société.
La problématique du sujet, pour centrale qu’elle soit, n’épuise pas la
richesse de cet ouvrage qui aborde l’écriture du nom propre comme un élément
d’une approche générale de l’écriture et des civilisations qui l’utilisent. Les
relations de l’écriture avec l’oralité et l’iconicité sont ainsi traitées transversalement. Cette large perspective permet d’envisager le nom propre dans sa
globalité, à travers des travaux d’une érudition et d’une qualité exceptionnelles.
Le lecteur non spécialiste pourra cependant être dérouté par cette diversité qui,
revers de la médaille, donne parfois l’impression d’un éparpillement. Cela reste
l’unique réserve pour cet ouvrage qui réussit à faire le point, à constituer une
somme des travaux sur cet aspect du nom propre tout en ouvrant le débat vers
de multiples directions.
Sarah LEROY
Praxiling, Université Montpellier III.
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