MISE AU POINT Hépatite E : une infection virale sous-estimée dans les pays industrialisés Hepatitis E: an underestimated viral infection in industrialized countries F. Legrand-Abravanel*, **, C. Garrouste*, **, ***, J.M. Mansuy**, N. Kamar***, J.M. Peron****, L. Rostaing*, ***, J. Izopet*, ** L e virus de l’hépatite E (VHE) responsable d’hépatite à transmission entérique représente un problème majeur de santé publique dans les pays en développement ayant de faibles infrastructures sanitaires. Dans les pays industrialisés, les infections avec le VHE étaient traditionnellement associées à une notion de voyage dans les pays tropicaux où le virus est endémique. Toutefois, de nombreux cas d’hépatites E acquises localement ont été rapportés en Europe, au Japon et aux ÉtatsUnis. Le VHE constitue donc un agent pathogène émergent dans les pays industrialisés, ce qui justifie une stratégie diagnostique adéquate (1). Le virus de l’hépatite E * INSERM, U563, centre de physiopathologie de Toulouse-Purpan, Toulouse. ** Laboratoire de virologie, institut fédératif de biologie de Purpan, hôpital Purpan, CHU de Toulouse. *** Département de néphrologie, dialyse et transplantation multiorgane, hôpital Rangueil, CHU de Toulouse. **** Département de gastro-entérologie, hôpital Purpan, CHU de Toulouse. Le virus a été identifié en 1983, mais son génome n’a été caractérisé qu’en 1991. Le VHE est un virus non enveloppé, à ARN simple brin d’environ 7,2 kilobases. En 2002, il a été classé dans le genre Hepevirus, au sein de la famille des Hepeviridae, dont il est le seul représentant. Quatre génotypes différents, ainsi que de nombreux sous-types, ont été décrits chez les mammifères (figure 1). Des souches aviaires pourraient constituer un nouveau genre. Ces génotypes du VHE diffèrent selon leur répartition géographique et leur spectre d’hôte (2). Les génotypes 1 et 2 sont strictement humains et endémiques dans les pays tropicaux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique centrale. Le génotype 3 a été identifié lors d’infections humaines dans les pays industrialisés mais également chez le porc, le sanglier et le cerf dans de nombreuses régions 14 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 1 - janvier-février 2010 du globe. Le génotype 4, retrouvé chez l’homme et le porc, est présent uniquement en Asie. La proximité génétique des souches humaines et porcines est très élevée pour un même génotype (jusqu’à 94 % d’homologie en nucléotides et 98 % en acides aminés) [2-4]. En France, le génotype 3f est prédominant mais les génotypes 3c, 3e et 3b ont également été identifiés (3). Épidémiologie et source de contamination Le principal mode de transmission du VHE est fécaloral. Toutefois, des transmissions mère-enfant ainsi que des contaminations par transfusion ont été rapportées. La majorité des épidémies dans les pays en développement sont liées à des mesures d’hygiène collectives insuffisantes (5). Ces épidémies sont liées à une transmission hydrique et sont plus importantes lors de la saison des pluies. D’après les études publiées, le VHE est responsable de plus de 50 % des cas d’hépatites aiguës en Inde, et de 15 à 25 % des cas en Afrique et au Proche-Orient (4). La prévalence des IgG est donc très élevée dans les pays du Sud, tels que l’Égypte (de l’ordre de 70 %). Cependant, de façon surprenante, les études de séroprévalence conduites dans les pays industrialisés ont retrouvé des valeurs très élevées dans certaines régions : 20,6 % au Danemark (6), 18 % aux ÉtatsUnis (7), et 16 % au Royaume-Uni (8). En France, la séroprévalence était de 3,2 % dans la région parisienne et la région nantaise (9), mais de 16,6 % dans le Sud-Ouest (10). L’incidence des infections Résumé Le virus de l’hépatite E (VEH) est endémique dans de nombreux pays en développement. Dans les pays industrialisés, l’infection était considérée comme rare et confinée aux patients revenant de voyage d’une zone d’endémie, mais des hépatites E autochtones sont en fait identifiées de plus en plus souvent. L’infection est de mauvais pronostic chez un patient présentant une hépatopathie sous-jacente ou durant la grossesse. Elle peut évoluer en hépatite chronique chez les sujets immunodéprimés. Dans les pays industrialisés, les infections pourraient avoir une origine zoonotique avec le porc et le sanglier comme réservoirs. En conséquence, même s’ils n’ont pas voyagé récemment, les patients présentant une hépatite inexpliquée doivent bénéficier d’un dépistage du VEH fondé sur la mise en évidence des IgM et de l’ARN viral dans le sang et les selles. Mots-clés Hépatite E Pays industrialisé Zoonose Infection émergente Highlights Maroc-Hm Égypte-Hm Tchad-Hm Népal-Hm Birmanie-Hm Inde-Hm Mexique-Hm Chine-Hm 2 1 Indonésie-Hm Japon-cerf 3 4 Japon-porc États-Unis-porc Hepatitis E is endemic in many developing countries. In industrialized countries, it was considered as rare, and largely confined to travellers returning from endemic areas. Autochthonous hepatitis E is now more and more frequently identified in industrialized countries. The infection has a poorer prognosis in the context of pre-existing chronic liver disease or during pregnancy. It might become chronic in immunocompromised patients. The infection might be a zoonosis with swine and wild boar as reservoirs. Patients with unexplained hepatitis should be tested for IgM antibodies and HEV RNA in sera and stools whatever their travel history. Japon-Hm États-Unis-Hm Keywords Chine-Hm Taïwan-porc France-Hm Espagne-Hm Pays-Bas-porc Royaume-Uni-porc Hepatitis E Industrialized countries Zoonosis Emerging infection Figure 1. Arbre phylogénétique, basé sur la séquence d’un fragment de 348 nucléotides du gène de la capside du VHE, représentant les 4 génotypes du virus. Les génotypes 1 et 2 n’infectent que les humains (Hm), alors que les génotypes 3 et 4 ont été retrouvés chez différents mammifères. autochtones par le VHE semble plus importante que celle du virus de l’hépatite A au Royaume-Uni ou en France (11, 12). La source de contamination dans les pays industrialisés reste incertaine, mais l’origine zoonotique des infections semble la plus probable. De nombreux arguments vont dans ce sens. Le porc a été identifié comme un réservoir majeur du VHE dans de nombreux pays. À l’âge de 6 mois, la majorité des porcs d’élevage sont infectés (2). L’homologie génétique entre les souches de VHE humaines et les souches porcines est un élément important en faveur de l’origine zoonotique du virus (1-3, 13). De plus, le franchissement de la barrière d’espèce a été démontré expérimentalement. Le chimpanzé ou le singe rhésus peuvent être infectés par des virus d’origine humaine ou porcine. Les primates développent alors une infection similaire à l’infection de l’homme avec des lésions hépatiques et une séroconversion 6 semaines après l’inoculation (14). Des modes de contamination anecdotiques ont été rapportés : un chirurgien s’exerçant sur les cochons (15) et un petit cochon domestique infectant son propriétaire (16). Des contaminations intrafamiliales sont également La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 1 - janvier-février 2010 | 15 MISE AU POINT L’hépatite E : une infection virale sous-estimée dans les pays industrialisés Tableau. Fréquence des symptômes retrouvés chez 62 patients avec une primo-infection par le VHE (22). Symptômes Fréquence (%) Ictère 67,7 Asthénie 40,3 Fièvre 27,4 Arthralgies, myalgies 21 Douleurs abdominales 11,3 Céphalées 9,7 Nausées 9,7 Anorexie 8,1 Amaigrissement 6,5 Diarrhée 4,8 Purpura 3,2 Références bibliographiques 1. Dalton HR, Bendall R, Ijaz S, Banks M. Hepatitis E: an emerging infection in developed countries. Lancet Infect Dis 2008;8:698-709. 2. Meng XJ. Hepatitis E virus: animal reservoirs and zoonotic risk. Vet Microbiol 2009 Mar 20 [Epub ahead of print]. 3. Legrand-Abravanel F, Mansuy JM, Dubois M et al. Hepatitis E virus genotype 3 diversity, France. Emerg Infect Dis 2009;15:110-4. 4. Purcell RH, Emerson SU. Hepatitis E: an emerging awareness of an old disease. J Hepatol 2008;48:494-503. 5. Balayan MS. Epidemiology of hepatitis E virus infection. J Viral Hepat 1997;4:155-65. 6. Christensen PB, Engle RE, Hjort C et al. Time trend of the prevalence of hepatitis E antibodies among farmers and blood donors: a potential zoonosis in Denmark. 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De même, la séroprévalence des sujets exposés directement au réservoir animal en raison d’une activité professionnelle (agriculteurs ou vétérinaires s’occupant d’élevages porcins) [6, 7] ou d’une activité de loisir (chasseurs dans le Sud de la France) [10] est également plus élevée que dans la population générale. La consommation d’aliments contaminés insuffisamment cuits pourrait être la source des infections dans les pays industrialisés. Le virus a été retrouvé dans des produits d’origine porcine aux États-Unis, au Japon et en France. La consommation de viande de cerf ou de sanglier insuffisamment cuite a été la source de contaminations au Japon (18, 19). Une étude réalisée chez 45 patients infectés par le VHE en Allemagne a montré que la consommation d’abats ou de viande de sanglier était un facteur indépendant associé à la contamination (20). Une exposition à un environnement souillé pourrait également être en cause : le virus a été détecté dans des eaux usées en France et en Espagne (21), ainsi que dans des cours d’eau, comme la Meuse aux Pays-Bas (13). Manifestations cliniques Les formes cliniques peuvent varier des formes asymptomatiques jusqu’aux hépatites fulminantes. La période d’incubation est en moyenne de 40 jours (extrêmes : 15-60 jours) [2]. Les formes asymptomatiques sont probablement très fréquentes. Le tableau classique est similaire à celui des autres hépatites virales aiguës, associant asthénie, hépatomégalie et ictère cutanéo-muqueux, mais comporte également des manifestations moins classiques, telles que des atteintes articulaires ou une thrombopénie 16 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXV - n° 1 - janvier-février 2010 (tableau) [22]. L’ictère est présent dans 68 % des cas. À l’inverse des infections survenant dans les pays tropicaux, les infections autochtones diagnostiquées dans les pays industrialisés surviennent plus souvent chez des hommes d’âge mûr (1, 22). La majorité des infections sont spontanément résolutives sans complications. Toutefois, les formes fulminantes, estimées à 1 à 4 % des hépatites aiguës, sont plus fréquentes que pour l’hépatite A. Le taux de mortalité est très élevé (20 %) chez la femme enceinte, pour des raisons encore inexpliquées. La sévérité de l’infection chez le fœtus semble liée à la sévérité de l’infection chez la mère. Des formes fulminantes ont également été rapportées chez des sujets présentant une hépatopathie sous-jacente (23). Plus récemment, des formes chroniques ont été décrites chez les sujets soumis à un traitement immunosuppresseur dans le cadre d’une chimiothérapie anticancéreuse (24-26) ou d’une transplantation (27-29). Elles se caractérisent par la persistance de la réplication du virus pendant plus de 6 mois pouvant être détectée dans le sang ou les selles. Cette persistance s’accompagne de lésions hépatiques de fibrose sur la biopsie hépatique avec, dans certains cas, le développement rapide d’une cirrhose après 2 à 3 ans d’évolution (30, 31). Dans une série de 14 cas d’hépatite E survenant chez des transplantés hépatiques et rénaux, 8 patients (57 %) ont présenté une infection chronique caractérisée par la persistance du génome viral dans le sang, une élévation des aminotransférases et des lésions d’hépatite chronique (28). Le développement d’une infection chronique était associé à une contamination survenant peu de temps après la transplantation et à des valeurs faibles de lymphocytes T CD3 et CD4. L’évolution vers la chronicité pourrait être liée à une faible réponse des lymphocytes T CD4 anti-VHE responsable d’une faible réponse des lymphocytes T CD8 qui assurent habituellement l’élimination des hépatocytes infectés. En conséquence, la modulation du traitement immunosuppresseur pourrait favoriser l’élimination du virus. Diagnostic virologique de l’infection Des outils sérologiques et moléculaires permettent la mise en évidence des différents marqueurs (figure 2). La réplication virale est préférentiellement hépatocytaire. L’excrétion du virus dans les selles débute environ 2 semaines après le contage et peut persister pendant plus de 4 semaines. La virémie précède la cytolyse hépatique et l’ictère. Le virus est présent dans le plasma et dans les selles au début des signes cliniques. L’excré- MISE AU POINT tion du virus dans les selles dure plus longtemps que la virémie. La recherche des IgM, qui persistent généralement 3 mois, est essentielle au moment de la cytolyse hépatique. Les IgG augmentent peu de temps après l’apparition des IgM et peuvent persister des années. Différentes trousses sérologiques sont disponibles en France afin de rechercher les IgM, mais la présence de ce marqueur, lors de la phase aiguë, n’est observée que dans 82 à 90 % des cas (32). La recherche de l’ARN viral par des techniques de biologie moléculaire est donc un complément nécessaire pour poser le diagnostic. La recherche de l’ARN viral dans les selles permet d’identifier 15 % d’infections de plus qu’une détection génomique réalisée uniquement dans le sang. Chez les patients immunodéprimés, la persistance d’une virémie pendant plus de 6 mois définit le passage à la chronicité. Le diagnostic d’hépatite virale E était classiquement orienté par la négativité des marqueurs A, B et C, dans le contexte d’un séjour datant de moins de 2 mois en pays d’endémie. Il doit maintenant être évoqué en France devant toute hépatite aiguë d’origine inexpliquée. Traitement et prévention Le traitement de l’hépatite E est uniquement symptomatique. Les formes fulminantes nécessitent une hospitalisation en milieu spécialisé en vue de l’indication éventuelle d’une transplantation. En zone d’endémie, la prévention consiste principalement à contrôler les eaux de boisson. La prévention des cas autochtones nécessite avant tout de poursuivre les études visant à une meilleure compréhension de l’épidémiologie de cette infection. Le rôle du réservoir animal et de l’environnement dans le maintien de la circulation du virus devra être précisé. Ceci pourrait conduire à la mise en œuvre de précautions alimentaires en matière de cuisson des aliments d’origine porcine. Quant à la disponibilité d’un vaccin, des essais cliniques de phase 2 14. Meng XJ, Halbur PG, Shapiro MS et al. Genetic and experimental evidence for cross-species infection by swine hepatitis E virus. 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Représentation schématique de l’évolution des marqueurs du VHE lors d’une infection aiguë. ont été conduits en 2005 et 2006 chez les militaires népalais. Bien que les résultats d’immunogénicité soient encourageants, on ne sait pas quand un vaccin pourrait être disponible. Conclusion Le VHE représente un problème de santé publique émergent dans les pays industrialisés. Son importance est encore sous-estimée, car la recherche du virus n’est pas actuellement systématique dans une situation d’hépatite aiguë. L’identification de formes graves chez les patients présentant une hépatopathie sous-jacente et chez les patients immunodéprimés incite à préciser les modes de contamination dans les pays industrialisés afin de mieux définir les stratégies préventives chez ces sujets susceptibles de développer des formes graves. ■ 21. Clemente-Casares P, Pina S, Buti M et al. Hepatitis E virus epidemiology in industrialized countries. Emerg Infect Dis 2003;9:448-54. 22. Mansuy JM, Abravanel F, Miedouge M et al. Acute hepatitis E in South-West France over a 5-year period. J Clin Virol 2009;44:74-7. 23. Peron JM, Bureau C, Poirson H et al. Fulminant liver failure from acute autochthonous hepatitis E in France: description of seven patients with acute hepatitis E and encephalopathy. J Viral Hepat 2007;14:298-303. 24. Peron JM, Mansuy JM, Recher C et al. Prolonged hepatitis E in an immunocompromised patient. J Gastroenterol Hepatol 2006;21:1223-4. 25. Ollier L, Tieulie N, Sanderson F et al. Chronic hepatitis after hepatitis E virus infection in a patient with non-Hodgkin lymphoma taking rituximab. Ann Intern Med 2009; 150:430-1. 26. Tamura A, Shimizu YK, Tanaka T et al. Persistent infection of hepatitis E virus transmitted by blood transfusion in a patient with T-cell lymphoma. Hepatol Res 2007; 37:113-20. 10. Mansuy JM, Legrand-Abravanel F, Calot JP et al. High prevalence of antihepatitis E virus antibodies in blood donors from South West France. 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