La Direction marketing stratégique comme dispositif d`intégration du

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La Direction marketing stratégique comme dispositif d’intégration du
marketing à la stratégie : Le cas LaSer-Cofinoga
Valentina Kirova
Enseignant – Chercheur
ESC La Rochelle – Erm IRGO
Groupe Sup de Co La Rochelle
102 rue de Coureilles - Les Minimes, 17024 La Rochelle Cedex 1
e-mail : [email protected]
Tél. 05 46 51 77 00 / 06 24 74 54 63
La Direction marketing stratégique comme dispositif d’intégration du marketing à la
stratégie : Le cas LaSer-Cofinoga
Résumé :
Cette recherche a pour objectif de clarifier les apports de la fonction marketing à la stratégie
générale de l’entreprise. Il s’agit de comprendre comment se réalise le lien entre les deux
fonctions dans le contexte spécifique d’une entreprise ayant créé une Direction de marketing
stratégique. D’un point de vue méthodologique, une démarche de recherche qualitative a été
privilégiée. Les résultats de l’étude de cas révèlent trois leviers d’intégration organisationnelle
réussie du marketing à la stratégie : la cohérence entre l’orientation stratégique et la structure
des activités marketing, la délimitation du périmètre d’activités et le rôle du dirigeant du
marketing stratégique.
Mots-clés : Marketing, Stratégie, Organisation
Strategic Marketing Department as an integration tool of marketing and strategy: The
LaSer-Cofinoga case study
Abstract :
This study aims to clarify the contribution of the marketing function to corporate strategy. We
want to uncover the link between these two fields in the specific context of a company having
a Strategic marketing department. From a methodological point of view, a qualitative research
approach was adopted. The results of the case study reveal three control levers of successful
integration of marketing in the strategy: the consistency between strategic orientation and
structure of the marketing activities, the delineation of the scope of marketing activity and the
role of the strategic marketing manager.
Key-words: Marketing, Strategy, Organization
La Direction marketing stratégique comme dispositif d’intégration du marketing à la
stratégie : Le cas LaSer-Cofinoga
Introduction
« Les directeurs marketing en quête de dimension stratégique »1, « La fonction marketing en
pleine mutation »2 ou « Les directions marketing reprennent de la hauteur »3 constituent de
façon récurrente les titres d’accroche de la presse économique et managériale. Cette volonté
de cerner la place de la fonction marketing dans les entreprises est visible aussi dans les
enquêtes périodiques publiées par les grands instituts de recherche français ou internationaux.
Dans une étude publiée en 2004 par la TNS Sofres 4 à la question : « Pourquoi faire du
marketing aujourd’hui ? », presque 80% des managers interrogés répondent : « Pour prendre
part à la réflexion stratégique ». Dans le même temps, il semble que les responsables
marketing se sentent « dessaisis » de leur rôle stratégique dans l'entreprise : 81% déclarent
avoir une vision claire des priorités de l'entreprise seulement à court terme. Une enquête plus
récente du cabinet Forester Research5 révèle que la plupart des cadres marketing interrogés ne
contrôlent plus que la promotion des produits et des services. Enfin, l’Observatoire Cegos
confirme l’intérêt pour le sujet, en lançant en 2007 un baromètre destiné à clarifier les
priorités des directeurs marketing dans les entreprises françaises. Périodiquement ce
baromètre fait état : « d’une dimension stratégique qui prend le pas sur le marketing
strictement opérationnel »6 dans les prérogatives des dirigeants exerçant cette fonction.
Le paradoxe entre une faiblesse fonctionnelle du marketing et en même temps un désir
d’exercer un rôle privilégié dans la stratégie n’est pas nouveau. À la fin des années 1990, on
1
Enquête de l’Observatoire Cegos, 7/01/2008
Stratégies.fr, 24/11/2006
3
Les Échos, 17/02/2010
4
État des lieux de la fonction marketing dans l’entreprise, TNS Sofres, Décembre 2004
5
Reinventing the Marketing organization, Forrester Research, Juillet 2006
6
Enquête de l’Observatoire Cegos, 7/01/2008
2
1
assiste à la création d’un certain nombre de Directions marketing stratégique dans les
entreprises françaises. Ces nouvelles structures ont pour but d’accomplir le rapprochement
entre marketing et stratégie. Le phénomène s’estompe quelque peu les années qui suivent,
avant de gagner en ampleur à partir du milieu des années 2000. Plusieurs grandes entreprises
françaises, Crédit Agricole, Accor et très récemment l’Oréal se dotent d’une Direction
marketing stratégique. Le communiqué de presse 7 du groupe de cosmétiques annonce : « La
création d’une Direction du marketing stratégique répond à la volonté du groupe L’Oréal,
dans un monde en pleine mutation, d’anticiper et d’appréhender ces évolutions afin
d’accompagner les transformations du Groupe en matière de veille stratégique, de
compréhension des consommateurs, de créativité marketing, de création publicitaire, de
communication digitale et de mode de distribution. »
L’objectif de cet article est d’examiner le bien-fondé du choix d’une intégration
organisationnelle du marketing à la stratégie d’entreprise à travers l’exemple concret de
l’entreprise LaSer-Cofinoga (encadré 1). Est-ce que la création d’un département de
marketing stratégique permet de développer des synergies entre la fonction marketing et la
stratégie générale de l’organisation et à quelle condition ? À la fin des années 1990,
l’entreprise a choisi de créer une Direction marketing stratégique. Conçue comme une entité
de coordination transversale, elle a pour but de concilier les objectifs stratégiques avec la
politique marketing poursuivie.
L’analyse de ce cas repose sur un dispositif de recherche longitudinal dont la démarche
principale est l’observation participante. Sur le plan conceptuel, l’étude va s’appuyer sur le
fructueux débat théorique traitant du lien entre marketing et stratégie. Après un bref éclairage
de la nature des liens entre les deux champs, on va illustrer, au travers de l’exemple LaSerCofinoga, trois leviers qui jouent un rôle essentiel dans l’intégration organisationnelle réussie
7
Communiqué de presse L’Oréal - 21 Septembre 2010
2
du marketing à la stratégie : la cohérence entre l’orientation stratégique et la structure des
activités marketing, la délimitation du périmètre d’activités et le rôle du dirigeant du
marketing stratégique.
Encadré 1 : Présentation de la société LaSer-Cofinoga
LaSer - Cofinoga est un groupe français spécialisé dans les domaines du crédit à la
consommation, l’intermédiation et la relation client. Cofinoga (Compagnie Financière des
Nouvelles Galeries) a été créée en 1968 par les Nouvelles Galeries avec l’objectif de gérer
les activités financières du distributeur. Entre 1968 et 1985 Cofinoga peine à trouver un
positionnement adéquat et à générer une rentabilité suffisante. L’entreprise se stabilise à
partir du milieu des années 1980 en combinant son métier historique d’offre de crédit
renouvelable avec une politique de croissance à travers des partenariats. En 1992 Cofinoga
et son enseigne mère les Nouvelles Galeries sont acquises par les Galeries Lafayette. La
période qui s’étale entre 1995 et 2008 est caractérisée par une expansion rapide en France et
en Europe, menée de front avec une diversification de l’offre. Le métier principal de
l’entreprise a été consolidé pour permettre le développement des services d’intermédiation
et de relation client, des centres d’appels ou encore du rachat de crédits. Aujourd’hui LaSerCofinoga est détenu à parité par deux actionnaires : Les Galeries Lafayette (50%) et BNP
Personal Finance (50%). Le groupe possède des filiales dans neuf pays européens et
emploie environ 10 000 personnes en 2010.
1. Cadre conceptuel : le lien marketing - stratégie
Le questionnement sur les apports du marketing à la stratégie générale émerge dans les années
1980 (Biggadike, 1981)8. Avant même de devenir une préoccupation managériale
8
On constate que la majorité des travaux traitant du lien entre le marketing et la stratégie date des années 1980 et
3
explicitement formulée, les travaux de recherche abordent le sujet en se penchant
successivement sur la contribution du marketing à la théorie d’entreprise et sa contribution
pour la pratique au sein des organisations. D’un point de vue théorique la discipline a su
engendrer un grand nombre d’apports conceptuels et techniques, comme la segmentation, le
positionnement et le ciblage. On regrette toutefois une orientation majoritairement
opérationnelle qui laisse peu de place aux défis stratégiques. Sur le plan managérial la
contribution du marketing au sein de l’organisation est généralement établie sur la base de la
grille hiérarchique définie en management stratégique. On admet que le rôle du marketing
varie en fonction du niveau organisationnel : corporate, domaine d’activité, ou fonctionnel
(Piercy et al. 1997). De façon corollaire, l’architecture des activités marketing (en termes de
structure, coordination interfonctionnelle et pouvoir) est susceptible d’exercer une influence
directe sur la performance de la fonction marketing et par prolongement sur la performance de
l’entreprise (Moorman et Rust, 1999).
La conjonction de ces deux approches du lien marketing-stratégie aboutit à la genèse d’un
cadre de compréhension intégratif. La vision d’un double niveau de rapprochement entre les
deux fonctions – à travers la stratégie marketing et le marketing stratégique – s’impose à
partir du milieu des années 1990. D’un point de vue théorique les chercheurs différencient la
stratégie marketing, faisant part du marketing management et le marketing stratégique
entendu comme la contribution du marketing à la stratégie générale de l’entreprise (Antoine,
1995 ; Trinquecoste, 1999). D’un point de vue managérial, les atouts principaux du marketing
stratégique sont la connaissance des besoins des consommateurs et la capacité à appréhender
les comportements concurrentiels. Il permet de conjuguer les ressources internes de la firme
avec les opportunités de l’environnement dans la recherche d’une position concurrentielle
1990. Ce sujet a été progressivement écarté au début des années 2000 au profit de deux autres aspects
apparentés, ayant une implication terrain plus tangible. Le premier est relatif à la contribution du marketing à la
performance de l’entreprise et le second se développe autour de la théorie sur l’orientation-marché, solidement
ancrée sur des bases empiriques.
4
optimale à long terme (Sharma, 1999). Par complémentarité, le concept de stratégie marketing
est généralement associé d’une part aux stratégies de segmentation et positionnement sur des
marchés cibles, et de façon parallèle, à l’allocation des ressources de manière optimale entre
ces différents marchés.
La différenciation du marketing stratégique et de la stratégie marketing trouve encore une
démonstration dans la représentation de l’avantage concurrentiel à double visage - l’avantage
concurrentiel commercial et son soubassement - l’avantage concurrentiel stratégique
(Trinquecoste, 2004). La stratégie marketing a pour fonction de produire un avantage
concurrentiel commercial par le fait de positionner l’offre de manière optimale. Par extension,
le marketing stratégique vise à créer les conditions favorables pour qu’une telle offre puisse
réellement procurer de la valeur à l’entreprise.
2. Méthodologie de recherche
Les choix méthodologiques ont été dictés par deux facteurs. En premier lieu, le programme de
recherche ne pourra aboutir à des résultats concluants, que si l’approche et les données sont en
adéquation avec la question de recherche (Baumard et Ibert, 1999). En second lieu, les
finalités de cette étude sont de nature exploratoire, compte tenu du caractère novateur du
questionnement soulevé. Dans ce cadre, Huberman et Miles (2003) préconisent le recours aux
recherches et aux données qualitatives en affirmant qu’elles constituent la meilleure stratégie
de découverte et d’exploration d’un nouveau domaine. Au sein des méthodologies qualitatives
on a choisi l’étude de cas comme méthode de collecte des données, car elle permet de
développer une description détaillée et profonde du sujet étudié (Girod-Séville, 1995). Dans la
mesure où l’objet de recherche principal est de faible visibilité, très dépendant du contexte et
du type d’organisation, on a mobilisé un cas unique qui présente un intérêt en soi, en raison de
sa particularité, mais aussi de sa capacité à répondre aux interrogations soulevées (Yin, 1989).
5
2.1. Démarche d’accès au terrain
La procédure d’accès au terrain s’articule autour de deux phases complémentaires. La
première phase consiste en l’immersion sur le terrain à travers la démarche d’observation
participante entre 2005 et 2006. Cette méthode fait du chercheur un observateur – acteur à
part entière de la vie de l’entreprise. L’objectif est de fournir une nouvelle compréhension de
l’objet étudié, ou le cas échéant, d'affirmer celle qui émerge de la littérature (David, 2000).
L’observation participante implique une imprégnation forte du chercheur avec le terrain et
une compréhension empathique des individus qu’il observe (Bootz, 2005). Sur la base des
observations extrapolées et confrontées avec la théorie, dans une seconde phase entre 2007 et
2009, une série d’entretiens semi-directifs ont été menés avec différents interlocuteurs faisant
partie ou ayant contribué à la création de la Direction marketing stratégique.
2.2. Collecte et typologie des données
Les données collectées sont très riches et diversifiées. Pour respecter le caractère longitudinal
des investigations, un enregistrement chronologique a été effectué dans le journal de
recherche. Suivant les recommandations de Wacheux (1996) on a collecté des informations
issues d’entretiens semi-directifs, d’entretiens informels, d’observation, de documents
produits à usage interne (comptes rendus, reportings, e-mails) ou encore de documents
externes (plaquettes commerciales, documents de presse) etc. Grâce à l’accès à ces différentes
sources de données, la validité de la recherche par triangulation a été renforcée.
2.3. Traitement et analyse des données
Le traitement des données a été mené en deux étapes successives. L’analyse transversale de
l’ensemble des documents a permis de consolider et enrichir le dictionnaire des thèmes
6
provisoire, qui a émergé de la revue de la littérature. Puis, l’analyse de contenu thématique a
permis de repérer et de coder l’ensemble des verbatim recouvrant un thème commun. Afin
d’augmenter la fiabilité et rendre plus transparent ce processus on a choisi d’effectuer le
codage à l’aide du logiciel NVivo. L’intégration du logiciel de traitement des données
qualitatives s’inscrit dans une logique d’adéquation avec le corpus de données traitées, assure
le gain de temps et la pertinence des résultats9 (Fallery et Rodhain, 2007).
3. Résultats de la recherche
Dans une perspective de clarification des domaines de recoupements concrets du marketing et
de la stratégie, le cas de l’entreprise LaSer-Cofinoga s’est avéré particulièrement pertinent. Il
a permis de mettre en exergue les possibilités d’intégration organisationnelle des deux
champs, en illustrant les principaux leviers de réussite ou les raisons de défaillance.
3.1. La cohérence entre orientation stratégique et structure des activités marketing de
l’entreprise
La cohérence entre orientation stratégique et structure des activités marketing apparaît comme
étant le premier levier d’une intégration réussie du marketing à la stratégie. Dans les travaux
de Walker et Ruekert (1987) et Vorhies et Morgan (2003) on trouve un appui à l’idée
qu’organiser les activités marketing en correspondance avec l’orientation stratégique de
l’entreprise est essentiel pour stimuler la performance sur les marchés. Au sein de LaSer on
observe deux grandes périodes de transformation de l’orientation stratégique, accompagnées
par une adaptation des structures organisationnelles. Chaque transformation d’orientation
stratégique conduit l’entreprise à reconsidérer non seulement son architecture globale, mais
également celle de ses activités marketing (annexe 1).
9
Les données recueillies étant volumineuses, il est difficile d’intégrer dans le corps du texte des verbatim. Par
souci de synthèse seulement les résultats ont été restitués.
7
Période 1 : Passage de l’orientation-produit à l’orientation-client
Jusqu’à la fin des années 1990 les efforts de LaSer sont principalement concentrés sur le
produit et les forces de vente avec une préoccupation constante pour le gain financier à très
court terme. D’un point de vue organisationnel le groupe est structuré par fonction, avec une
Direction marketing centralisée. Elle a pour mission de suivre les relations avec les clients
finaux recrutés par chacune des enseignes de distribution de la maison-mère. La gamme de
l’entreprise est centrée sur le crédit, même si elle commence à déployer progressivement une
série de produits et services fidélisants. Les équipes marketing sont organisées en petites
unités chargées chacune du développement d’un produit.
Une diversification et une croissance effrénées de la société jusqu’à la rupture économique
des années 2000 précipitent la réorientation stratégique. Les dirigeants estiment dorénavant
que le client doit être le point focal de leurs stratégies. Le projet de réorganisation de LaSer
émerge lentement sous l’influence de cette nouvelle vision. La restructuration se traduit dans
les faits par le passage d’une structure centralisée à une organisation de la firme en business
units (BU) et en second lieu par l’éclatement de la Direction marketing jusqu’alors unique
pour toutes les activités. Trois nouveaux domaines d’activités stratégiques sont créés sous
l’égide du groupe LaSer. LaSer-Cofinoga gère les activités historiques de distribution de
services financiers. Les activités de fidélisation, centres de contact, relation client et les
services de point de vente sont du ressort de la filiale LaSer-Loyalty. Enfin, l’ensemble des
activités internationales du groupe sont gérées par LaSer-International. À la tête de ces trois
BU, LaSer se dote d’une direction centralisée commune, appelée Direction Corporate. Elle
comporte l’ensemble des fonctions transversales – comptabilité, ressources humaines,
contrôle de gestion, ainsi qu’une Direction marketing stratégique. L’apparition du pôle
marketing stratégique est censée matérialiser le lien entre les unités marketing opérationnelles
au sein des BU, les cadres corporate et la Direction générale. Avant la mise en place de la
8
nouvelle structure organisationnelle les grandes orientations stratégiques sont dictées de façon
informelle par le Comité de direction. L’organisation en business units de LaSer donne place
à une nouvelle vision du marketing, essentiellement de coordination interfonctionnelle et
transversale et de nature à valoriser le client.
Période 2 : Le passage d’une orientation-client à une orientation-client-partenaire
Dans la période comprise entre 1998 et 2002, la scission en business units et la création d’une
unité marketing de pilotage transversal intervient dans la mouvance d’une transformation de
l’orientation stratégique. D’un marketing orienté produit, LaSer se recentre sur la
problématique de la création de valeur pour le client. À partir de 2002 l’apparition d’un
nouveau vecteur de croissance - les partenaires, est également le point de départ d’une suite
d’actions managériales. Cette vision plus large du client, qui inclut l’orientation vers le
consommateur final (B to C), mais aussi vers les « grands comptes » (B to B), remet en cause
le modèle organisationnel traditionnel. Une vision partagée du passage d’un marketing orienté
– client vers un marketing combinant « orientation – client » et « orientation – partenaire » se
dégage de façon explicite. L’orientation vers le partenaire prend une importance pour LaSer,
car la volonté des dirigeants est de proposer une offre globale relative à la relation client et
non plus d’être majoritairement orienté vers la distribution de crédit. Dans ces conditions la
société dispose de deux publics cibles - les clients finaux, mais aussi les entreprises désireuses
de développer une démarche de relation clientèle. Cette orientation est explicitement
annoncée à partir du milieu des années 2000 et résumée dans les documents officiels sous le
sigle « B to B to C ».
D’un point de vue global l’organisation en trois business units autonomes avec à leur sommet
une Direction corporate s’avère performante et ne subit pas de mutation majeure jusqu’en
2008. Toutefois, la nouvelle orientation mixte B to B to C, donne lieu à une restructuration
des équipes marketing. Au sein de la Direction du marketing stratégique un second pôle
9
corporate est créé avec le but de coordonner l’ensemble des grands partenaires de LaSer : «
La coordination commerciale et grands comptes ». Concrètement, la mission de la nouvelle
entité corporate est complémentaire à celle des pôles de réflexion sur le consommateur, car
elle doit contribuer à la valorisation et à la connaissance des enseignes partenaires.
La structure de LaSer ainsi composée est préservée jusqu’en 2008, où les bouleversements
liés à la crise des subprimes rendent encore une fois indispensable une redéfinition de
l’architecture organisationnelle. Les trois business units qui composent la société doivent être
restructurées au profit d’une nouvelle organisation plus équilibrée et répondant mieux au
souhait d’intégrer les deux dimensions – client final et partenaire, dans la construction d’une
chaîne de l’offre basée sur la relation client. La nouvelle organisation mise en place est
formée de deux pôles opérationnels correspondants, découpés en business units et disposant
d’une autonomie totale.
La transformation de l’architecture des activités marketing au sein de LaSer au gré des
changements d’orientation stratégique illustre les efforts d’intégration de la fonction
marketing à la stratégie. Mais cette architecture apparaît comme étant un sujet
particulièrement sensible à de multiples égards. Tout d’abord, parce qu’elle invoque la
question des allocations financières accordées. Ensuite, parce qu’elle met en parallèle les
relations déjà controversées entre marketing-managers stratégiques et opérationnels, et
témoigne ainsi de la nécessité d’une définition précise du périmètre d’activités marketing.
3.2. La délimitation du périmètre d’activités de la Direction marketing stratégique
La création de la Direction du marketing stratégique chez LaSer répond au souhait de diriger
l’entreprise vers une prise en considération des clients au sens large. Elle intervient dans un
contexte de mutation ayant pour objectif, entre autres, la valorisation organisationnelle du
marketing au sein de l’entreprise. Le choix de scinder les deux pans du marketing –
10
opérationnel et stratégique, est en cohérence avec le désir de renforcer son rôle au sein de
l’entreprise. Cette dualité dans l’organisation du marketing se traduit par une délimitation plus
précise du rôle du marketing stratégique au niveau corporate et celui du marketing
management au niveau des BU. Au sein de LaSer, trois facteurs clés permettent de distinguer
ces deux pans du marketing.
Le premier facteur est l’impact temporel des décisions (Greenley, 1993). Les activités
opérationnelles sont considérées comme ayant une portée exclusivement à court terme, alors
que les questions stratégiques sont systématiquement orientées vers des problématiques de
long terme. Le rôle du marketing dans chaque BU est majoritairement perçu par les cadres
comme ayant une portée opérationnelle. Par complémentarité le marketing stratégique
comporte une optique de prospection, de réflexion et d’analyse des marchés. À court terme
ces priorités sont généralement d’ordre financier. Toutes les actions des équipes marketing,
finance ou administration sont tournées vers une gestion optimale du couple marges / coûts et
une optimisation de la rentabilité. À long terme les prérogatives sont relatives à l’innovation
et à la connaissance des marchés.
Le second facteur sous-jacent permettant de distinguer les deux niveaux d’apports du
marketing à la stratégie a trait à l’orientation des décisions et des pratiques managériales. Les
activités des équipes du marketing stratégique sont tournées vers l’environnement. Les cadres
surveillent les tendances sur les marchés et observent les comportements des consommateurs
ainsi que ceux des concurrents, pour relayer ensuite les informations recueillies auprès des
parties prenantes internes. Leurs interlocuteurs au sein de l’entreprise sont les cadres
opérationnels, mais aussi les cadres dirigeants. La Direction marketing stratégique joue le rôle
d’une plate-forme d’échange par laquelle transite l’information externe et interne, de même
que l’information qui provient des équipes dirigeantes et des équipes opérationnelles. On lui
confère un pouvoir consultatif et d’accompagnement, à la différence des équipes marketing au
11
sein de chaque BU, qui sont dotées d’un pouvoir décisionnel étendu, relatif aux stratégies de
positionnement, de définition de l’offre et du développement commercial. Orientées
exclusivement vers le marché, ces équipes ont pour objectif de porter des projets qui génèrent
une rentabilité à court terme pour l’entreprise.
Enfin, la séparation des deux pans du marketing est intervenue dans un contexte de scission
des trois métiers de LaSer en trois business units indépendantes. La création d’un pôle
marketing stratégique vise une meilleure définition des facteurs clés de succès stratégiques de
l’entreprise. L’objectif de l’entité est de développer des instruments de veille et d’analyse
pour mieux cerner les forces et les faiblesses de LaSer face aux opportunités offertes par le
marché. Par ailleurs, elle développe progressivement un marketing stratégique proactif
(Lambin et Caceras, 2006). Par complémentarité au marketing stratégique de réponse, qui vise
à satisfaire les attentes des clients, le marketing stratégique proactif stimule la performance de
l’entreprise à travers les innovations technologiques, même si elles reposent sur des besoins
non articulés par les clients. L’innovation, la technologie et une stratégie de croissance fondée
sur les partenariats, constituent un socle solide sur lequel l’entreprise est supposée bâtir son
avantage concurrentiel stratégique. En parallèle, les équipes marketing au sein des BU ont
pour objectif de positionner l’offre de façon à assurer le succès commercial et financier de
l’entreprise.
3.3. Le rôle des dirigeants du marketing stratégique
Il convient enfin d’évoquer le rôle des dirigeants, et plus spécifiquement des dirigeants du
marketing, dans le processus d’intégration du marketing à la stratégie. L’actualité récente
démontre que les caractéristiques de l’équipe dirigeante peuvent influencer de façon
déterminante la place octroyée au marketing dans les décisions stratégiques. On atteste
notamment d’un déclin du pouvoir des directeurs marketing, au profit des directeurs
12
financiers ou des responsables comptables (Nath et Mahajan, 2008). À titre d’exemple Hyde,
Landry et Tipping (2004) font état d’une très grande précarité des directeurs marketing au
sein des sociétés américaines. Une étude dans 18 secteurs de l’industrie et des services révèle
que la longévité moyenne pour un poste de directeur marketing est de 23 mois contre presque
le double pour d’autres fonctions. Par ailleurs, le plus souvent le directeur du marketing est
écarté des Comités de direction, dans lesquels avec le PDG et le DG, les directeurs financiers
et des ressources humaines ont une place de premier plan.
Le cas de LaSer illustre à juste titre le rôle controversé du directeur du marketing stratégique.
Dans les deux périodes étudiées, deux responsables se succèdent à la tête de la Direction du
marketing stratégique. Toutefois, les deux dirigeants consécutifs n’ont pas su fédérer leurs
équipes et au-delà associer l’ensemble des salariés autour de l’objectif de création de valeur
pour les clients. En dépit d’une prise de participation dans le Comité de direction, les deux
responsables successifs n’arrivent pas à endosser le rôle de porte-parole des valeurs et des
compétences maîtrisées pas les cadres. Trois constats relatifs à l’incapacité des dirigeants du
marketing stratégique à affirmer et garantir la pérennité de ce département peuvent être
formulés.
D’abord leur expérience opérationnelle et le fort attachement aux valeurs du « terrain » ont
pour conséquence une perception biaisée et opaque de la nature du marketing stratégique. Les
tensions manifestes entre vision stratégique et vision opérationnelle, aboutissent à une
survaleur accordée au marketing opérationnel, dont les enjeux et les résultats sont mieux
perceptibles. Ces biais cognitifs (Laroche et Nioche, 1994) conduisent les cadres du
marketing stratégique à refuser d’être cantonnés à un pôle stratégique et d’être différenciés
des opérationnels.
Le second constat est celui d’une défaillance dans les échanges d’information. Le responsable
du marketing stratégique est supposé être un relais d’information, fusse-t-elle descendante ou
13
ascendante. Sa participation au Comité de direction lui permet d’avoir un regard direct sur les
décisions stratégiques. Toutefois, très peu d’informations précieuses pour les acteurs du pôle
traversent ce filtre. Il en est de même des informations ascendantes. Le directeur du marketing
stratégique valorise peu le travail effectué par ses équipes. Par ce manque de support
hiérarchique l’existence du pôle est remise en cause.
Enfin, le management autoritaire des responsables marketing est souligné, mais contrebalancé
par un faible pouvoir de décision. La puissance de la vision financière au sein de l’entreprise
est accompagnée par une situation paradoxale des responsables marketing. Ils détiennent en
général peu de latitude dans la décision, qu’ils essayent de compenser par un management
directif de leurs équipes. Au sein même de la Direction marketing stratégique l’ambiguïté –
poste hiérarchique élevé mais faible poids dans la décision, est souvent raison de mutation des
cadres marketing. Le turnover des responsables d’équipe et des responsables d’unité est assez
élevé.
Conclusion et perspectives de recherche
D’un point de vue managérial la réflexion sur les rapports entre marketing et stratégie appelle
certaines interrogations. La création d’une Direction du marketing stratégique est-elle une
condition suffisante pour intégrer la fonction marketing aux objectifs stratégiques ? La
fonction marketing est-elle un centre de coût ou un centre de création de valeur pour
l’entreprise ? Est-ce que l’organisation des activités marketing correspond à l’orientation
stratégique de l’entreprise ? Ces questions soulèvent des problématiques prégnantes pour les
cadres de la fonction compte tenu d’un contexte incertain. Les réflexions organisationnelles
sont habituellement occultées dans les départements marketing, plus préoccupés par des
enjeux immédiats. Elles sont néanmoins nécessaires à la pérennisation de la société, de ses
constituantes et de ses marchés.
14
Ce travail a ainsi le mérite de proposer une meilleure compréhension du rôle que le marketing
peur jouer dans l’entreprise à travers la mise en exergue de trois leviers de réussite. En
premier lieu, il faut que la structure des activités marketing soit bien adaptée à l’orientation
stratégique de l’entreprise. Parallèlement, le périmètre d’activité et les tâches de chaque acteur
de la fonction marketing doivent être suffisamment formalisés pour éviter les tensions
internes. De façon corollaire, les efforts de formalisation doivent nécessairement
s’accompagner par des échanges d’information plus dynamiques. Une des figures centrales
dans la dissémination de l’information et dans la promotion de l’équipe marketing stratégique
est le dirigeant de la fonction. La réussite de l’entité est conditionnelle à sa capacité de
valoriser le collectif qu’il gère.
La limite principale de cette recherche est le recours à un seul cas d’analyse. Cette démarche
affecte fortement la généralisabilité des résultats. Toutefois, le choix de mener l’observation
dans une seule organisation a l’avantage de permettre une compréhension profonde et
longitudinale des processus d’intégration du marketing à la stratégie. Par ailleurs, la démarche
d’observation participante ne permet pas le détachement émotionnel du terrain. Le chercheur
peut faire preuve d’un manque d’objectivité lorsqu’il est impliqué entièrement dans la vie de
l’entreprise. C’est la raison pour laquelle une seconde phase d’accès au terrain a été initiée.
La problématique proposée pourrait être explorée en répliquant la grille d’analyse dans le cas
d’une autre entreprise ou de plusieurs entreprises dotées d’une direction du marketing
stratégique. Cela permettrait d’affirmer les résultats et d’affiner les construits théoriques.
L’analyse de plusieurs entreprises, comparables en termes d’architecture des activités
marketing, pourrait aussi faciliter les comparaisons et l’extraction de préconisations sous
forme de « meilleures pratiques ».
15
Bibliographie
Antoine J. (1995), La stratégie vue par les hommes du marketing, Revue Française du
Marketing, 155, 7-12.
Baumard P. et Ibert J. (1999), Quelles approches avec quelles données ?, in R.A. Thiétart
(coord.), Méthodes de Recherche en Management, Paris, Dunod.
Biggadike E.R. (1981), The contributions of marketing to strategic management, Academy of
Management Review, 6, 4, 621-632.
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17
Orientation
stratégique
Structure
centralisée par
fonction
Architecture des activités
marketing
Orientation
Produit
Architecture
globale
Annexe 1 : Orientation stratégique et structure des activités marketing de LaSer
Orientation
Client
Orientation
Client-Partenaire
Structure en Business Units
Création d’une Direction corporate
transversale
Direction marketing
stratégique
Direction
marketing
centralisée
Direction
marketing
stratégique
Coordination
commerciale et
grands comptes
Unités « marketing opérationnel » au sein
de chaque Business Unit
Période 1
Période 2
18
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