La Lettre du Rhumatologue - n° 251 - avril 1999
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ISE AU POINT
Conclusion. Il faut rester très prudent avant d’affirmer qu’il existe
un lien étiologique entre virus et syndrome de Sjögren. À partir
des données dont nous disposons aujourd’hui, il est possible
d’imaginer deux schémas étiopathogéniques :
1. Plusieurs virus sialotropes peuvent entraîner des syndromes
secs, qui doivent être distingués du syndrome sec auto-immun,
ce dernier ayant une physiopathogénie différente.
2. Le syndrome de Sjögren reste un syndrome dont les étiologies
sont variées, certaines d’entre elles pouvant être la réactivation
de virus présents à l’état latent dans la cavité buccale. Ces virus
pourraient infecter des cellules épithéliales et, chez des sujets
génétiquement prédéterminés, favoriser la présentation d’auto-
ou d’hétéroantigènes (viraux) par les cellules épithéliales à des
cellules lymphoïdes, aboutissant à la prolifération lymphocytaire
puis à la destruction de la glande.
Les rétrovirus suspectés dans de nombreuses maladies auto-
immunes
Comme il est indiqué dans le tableau II, les rétrovirus ont été
suspectés dans l’étiologie de nombreuses maladies auto-immunes.
Nous avons détaillé l’exemple du syndrome de Sjögren et discuté
à ce propos les différentes questions posées par les résultats
expérimentaux. Les rétrovirus le plus souvent suspectés sont les
rétrovirus endogènes (14). En effet, ces séquences génomiques
rétrovirales endogènes peuvent être traduites en protéines poten-
tiellement immunogènes et des particules rétrovirales peuvent
être produites. Des anticorps dirigés à la fois contre ces protéines
rétrovirales endogènes et contre des protéines rétrovirales exo-
gènes ont été détectés, non seulement dans le syndrome de
Sjögren, mais également dans le lupus érythémateux, la cirrhose
biliaire primitive et la maladie de Basedow (tableau II).
Enfin, de façon plus intéressante, de nouvelles séquences endo-
gènes rétrovirales ont été identifiées dans les méninges de malades
atteints de sclérose en plaques (20) et dans les îlots pancréatiques
de malades atteints de diabète insulinodépendant (21). Dans ce der-
nier cas, les auteurs ont même démontré qu’une protéine codée par
ce nouveau rétrovirus se comportait comme un superantigène et
était capable d’entraîner la prolifération de lymphocytes T Vß7
retrouvés en quantité importante dans les îlots pancréatiques. Il
s’agirait donc, si elle est confirmée, de la première démonstration
à la fois de l’existence d’un nouveau rétrovirus et de son méca-
nisme d’action dans la genèse d’une maladie auto-immune. Mais
là encore, la présence de ce nouveau rétrovirus ne serait pas spé-
cifique du diabète.
CONCLUSION
La possible origine virale de nombreuses maladies auto-immunes
reste une piste passionnante tant pour la compréhension des méca-
nismes physiopathologiques de ces maladies que pour les possi-
bilités de traitement qui en découleraient. Cependant, il faut actuel-
lement rester très prudent dans l’interprétation des constatations
effectuées. Ce n’est pas parce qu’un gène ou un antigène viral est
retrouvé dans un organe cible d’une maladie qu’il a forcément un
rôle dans l’étiologie de cette maladie ; il est indispensable de
démontrer le lien immunopathologique entre la présence du virus
et les lésions observées. La possibilité d’un rôle indirect du virus
entraînant une inflammation et la libération d’autoantigènes dans
un organe cible doit être évoquée. De plus, il faut garder à l’esprit
que l’origine de beaucoup de ces maladies auto-immunes doit être
multifactorielle et qu’une infection virale pourrait n’être que l’un
des agents aboutissant à leur expression. ■
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