plans auxquels bien des réalisateurs auraient succombé : un paysage n’est jamais montré seul,
mais il contient toujours en son sein une présence humaine, quelques silhouettes dans un coin, un
train, une camionnette.
Le travail sur le son s’attache aussi à refléter la présence constante de la dimension collective et
l’impossibilité pour les individus de s’en affranchir. Dans la séquence où Yin Ruijuan dit à
Mingliang qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre, scène éminemment privée, la bande son est
saturée de chants d’une manifestation d’ouvriers et d’annonces de haut-parleurs pour le départ
de bus. Les bruits de travaux s’immiscent également dans la scène de ménage où le père de
Mingliang se fait pincer pour adultère.
Il y a une grande pudeur et beaucoup d’intelligence dans la manière de capter la négation
constante de l’intimité. Dans la scène où Cui Mingliang demande à Yin Ruijuan si elle est veut être
sa fiancée, chaque personnage disparait tour à tour derrière les fortifications de la ville, laissant
l’autre dialoguer avec un mur, qui devient à la fois le symbole de l’incompréhension entre les
amoureux, celui du poids de la civilisation et des traditions chinoises, et un obstacle à
l’établissement d’un échange réellement intime. De même, c’est uniquement dans des dortoirs
collectifs et lors de scènes de groupe que le film s’intéresse à la relation entre deux des membres
de la troupe, rendant encore plus criant le manque d’intimité.
Immuabilité
Platform a souvent été quelque peu réduit à sa dimension contestataire, le geste consistant à
montrer de jeunes chinois provinciaux jouant du hard-rock ayant eu tendance à phagocyter les
autres dimensions du film. Les aspirations à l’émancipation culturelle et sexuelle de la petite
bande de jeunes servent effectivement de fil conducteur au film, tout comme il dénonce de
nombreuses pratiques peu respectueuses des droits humains (évocation de la dernière marche
(publique) d’un condamné à mort ou lecture des détails d’un contrat de travail d’un mineur). Mais
ce qui frappe le plus dans Platform, c’est l’imperméabilité de la Chine aux élans de cette
jeunesse, comme dans cette scène magnifique où deux danseuses de la troupe entament une
chorégraphie disco déjantée au bord de la route et où les camions défilent au premier plan,
indifférents à cet évènement.
Le cinéma de Jia Zhang-Ke travaille inlassablement cette question de l’immuabilité de la Chine, en
construisant – de manière un peu paradoxale – la plupart de ses films autour de lieux ou de
groupes en mutation. Platform suit cette troupe de théâtre qui passe en quelques années de
l’étroit contrôle de l’état à des concerts punk sauvages mais qui ne parvient pas à échapper au
quotidien morose de Fenyang. Car, au-delà du changement, c’est ce qui persiste qui semble
intéresser Jia Zhang-Ke. Dans 24 City ou dans Still Life, la transformation de l’usine ou la
construction du barrage ne fait que substituer l’aliénation du système communiste par celle, tout
aussi cruelle, du capitalisme sauvage. Dans Platform, malgré des rêves de départ et de multiples
tournées, on revient inlassablement à Fenyang. Le chemin qui semble avoir été parcouru en dix
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