La résurrection dans l`islam - Revue des sciences religieuses

Revue des sciences religieuses
87/2 | 2013
Christianisme et islam
Lasurrection dans l’islam
Piotr Kuberski
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1202
DOI : 10.4000/rsr.1202
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 1 avril 2013
Pagination : 179-200
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Piotr Kuberski, « La résurrection dans l’islam », Revue des sciences religieuses [En ligne], 87/2 | 2013,
mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://rsr.revues.org/1202 ; DOI :
10.4000/rsr.1202
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© RSR
LA RÉSURRECTION DANS L’ISLAM
Le concept de la résurrection des morts est profondément ancré
dans les eschatologies des trois monothéismes abrahamiques. La
croyance en la résurrection s’appuie tout d’abord sur l’affirmation
centrale de la foi d’Israël en Dieu, maître de la vie et de la mort (Dt
32, 39; 1 S 2, 6). Le Dieu du Coran comme le Dieu de la Bibleest
celui «qui donne la vie et qui fait mourir» (23, 80, voir aussi : 15, 23 ;
30, 40; 40, 68; 44, 8).
Les confessions de foi dans ces trois religions font référence à la
résurrection. Elle fait partie de deux credo chrétiens (carnis resur-
rectio, resurrectio mortuorum). La prière juive Šemoné Esré (Dix-huit
bénédictions) et les Treize Articles de foi de Maïmonide (XIIIes.) en
font mention. Quant à l’islam, si la Šahâda n’en parle pas, en
revanche, la sourate 4, 136 évoque le jour du jugement, qui est le jour
de la résurrection : «Ô les croyants! Soyez fermes en votre foi en
Dieu, en Son messager, au Livre qu’il a fait descendre sur Son
messager, et au Livre qu’il a fait descendre avant. Quiconque ne croit
pas en Dieu, en Ses anges, en Ses Livres, en Ses messagers et au Jour
dernier, s’égare, loin dans l’égarement».
L’eschatologie musulmane se compose des données coraniques et
de celles de la Sunna. Elle est donc comparable sur ce point aux
eschatologies juives et chrétiennes. Celles-ci s’appuient également,
d’une part, sur les textes bibliques, d’autre part, sur les développe-
ments théologiques des corpus canoniques.
Smith et Haddad distinguent quatre événements clés dans l’escha-
tologie musulmane : les signes de l’heure finale (išârât al-sâ‘a), le
son de la trompette suivi de la résurrection, le Jugement dernier, le
passage par le pont (ṣirâṭ)1. D.Galloway différencie dans le Coran
Revue des sciences religieuses 87 n° 2 (2013), p. 179-200.
1. SMITH J.I., HADDAD Y.Y., The Islamic Understanding of Death and Resurrec-
tion, Oxford, Oxford University Press, 2002, p.65. On peut distinguer dans l’escha-
tologie musulmane des éléments coraniques (balance, jugement, résurrection,
paradis, enfer) et ceux qui viennent de la tradition (pont aṣ-ṣirâṭ, et supplices de la
tombe), DIEM W., SCHOLLER M., The Living and the Dead in Islam : Studies in Arabic
Epitaphs, Wiesbaden, Harrassowitz, 2004, p.115.
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trois groupes d’éléments eschatologiques : le matériel descriptif
concernant les fins dernières, les avertissements sur la nature du Juge-
ment, des références vagues au sujet du jour dernier2.
Le vocabulaire
Le Coran reprend à son tour le concept eschatologique de résurrec-
tion des morts et emprunte l’imagerie sémitique commune. La résurrec-
tion est désignée par les termes suivants : al-kiyâ’ma3,(22, 5, 30, 55),
al-ba‘th (7, 167; 30, 56; 31, 28) ou an-noušoûr (25, 3, 40; 35, 9)4. Pour
l’évoquer l’arabe du Coran emploie les verbes suivants : kâ’ma5, baatha6,
našara7, ḥayiya8, ou encore ḥašara9.Le participe passif mab‘oûthoûn
du verbe baatha est utilisé afin de désigner au pluriel ceux qui ressus-
citent («les ressuscités») (11, 7; 17, 49; 56, 47). E.Weber recense vingt-
cinq termes coraniques relatifs à ce concept10.
Les inscriptions arabes des VIIe-IXesiècles emploient plus
fréquemment le terme ba‘atha «le relèvement» que celui de kiyâ’ma,
2. GALLOWAY D., «The Resurrection and Judgment in Kor’an», The Muslim
World, 1922, vol. 12, p.349.
3. «Action de dresser debout », KAZIMIRSKI DE BIBERSTEIN A., Le Dictionnaire
Arabe-Français, Paris, Maisonneuve et Cie, 1860, vol.II, p.841.
4. GODIN A., FOEHRLE R., Coran thématique. Classification thématique des
versets du Saint Coran, Paris, Al Qalam, 2004, p.881-883.
5. Kâ’ma : se lever, se dresser, se tenir debout, susciter, soulever, raffermir,
établir solidement, redresser, rendre droit (ce qui était courbé), corriger, ressusciter,
diriger, surgir, être sur le point d’agir, entreprendre, s’arrêter. KAZIMIRSKI, Le Diction-
naire…, vol. II, p. 837-839; BADAWI E. M., HALEEM M. A. (éd.), Arabic-English
Dictionary of Qur’anic usage, Leiden, Boston, Brill, 2008, p.782-783; Dictionary of
Holy Qur’ân, p.471-474. Le terme apparaît essentiellement dans sa forme nominale
(2, 85; 2, 174 ; 6, 12; 22, 69).
6. Ba‘atha : envoyer, imprimer (une marche plus rapide à une monture), éveiller,
tirer du sommeil, exciter, ressusciter, suivre quelqu’un, rendre clair, évident, être
éveillé, être excité, couler, se répandre de la bouche d’un poète (se dit des poésies),
(2, 56; 2, 259 ; 6, 60), KAZIMIRSKI, Le Dictionnaire…, vol. I, p.140;’OMAR ‘A.M.,
Dictionary of Holy Qur’ân, Hockessin, Noor, 2010 (2eéd.), p.56; Arabic-English
Dictionary of Qur’anic usage, Leiden, Boston, Brill, p.99-100.
7. Našara : déployer, ouvrir, étayer, étendre, répandre, disperser, disséminer,
scier, couper, éloigner une maladie, reverdir, revivre, ressusciter (21, 21), KAZIMIRSKI,
Le Dictionnaire…, vol.II, p.1258; ’OMAR,Dictionary of Holy Qur’ân, p.563-564.
8. Vivre, redonner la vie, ressusciter (26, 81, 36, 12 ; 75, 40). Les écrits post-
bibliques utiliseront l’expression hébraïque teḥiyyat ha-metim la «reviviscence des
morts» (Sanhedrin 10, 1) ou en araméen (Tg Os 6, 2 ; Tg 2 R 7, 4; Tg Ps 68, 10).
9. Rassembler, réunir, rassembler le genre humain au jour de la résurrection,
ressusciter, KAZIMIRSKI, Le Dictionnaire…, vol. I, p.432.
10. WEBER E., «Attestations de la notion de résurrection dans le Coran »,
Mélanges in memoriam Michel Allard, Beyrouth, Dar El-Machreq, 1984, p.747-764.
D’autres verbes peuvent être employés pour parler de la résurrection : dhakhafa,
‘ada, radda. L’auteur note un changement notable de vocabulaire au cours de la
Révélation coranique et la disparition progressive de certains vocables.
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«la résurrection», terme théologique11. Cet état des choses ne s’ex-
plique pas forcément par le fait que le premier implique l’action de
Dieu et le second plutôt l’action des hommes12. Le mot ba‘atha fut
certainement plus facile à employer que son synonyme, jugé proba-
blement comme trop savant.
La révélation musulmane met en exergue le «jour de la résurrec-
tion» (yawm al-ba‘th; yawm al-kiyâ’ma), le «jour dernier» (yawm al-
âkhir)13, ou encore le jour du jugement (yawm al-dîn). «Le mot clef
de cette imagerie est le «Jour». En effet, ce mot revient 440 fois dans
le Coran; mais 385 attestations peuvent désigner la fin des temps,
comprenant parfois la résurrection et le jugement, voire même la rétri-
bution au ciel ou en enfer selon la foi ou la mécréance de l’homme14 ».
Le vocabulaire utilisé dans les trois traditions renvoie au même imagi-
naire15, lié à la résurrection, et aux mêmes racines sémitiques. Pour
désigner le fait de ressusciter, les divers textes, aussi bien bibliques
que postérieurs, utilisent les vocables tirés de la vie quotidienne. Le
terme fréquemment utilisé kiyâ’ma se réfère à la racine sémitique
qwm.L’hébreu et l’araméen qwm et l’arabe kâma signifient respecti-
vement l’action de se lever, d’être debout, de se tenir debout. Dans la
Bible (Is 26)et dans le langage juif post-biblique ce terme sera utilisé
comme verbe pour parler de la résurrection16.
Les sources
Les sources islamiques relatives à la résurrection sont diverses. Le
Coran reprend et réinvestit les traditions eschatologiques juives et
chrétiennes et apporte des éléments qui lui sont propres. Les passages
coraniques consacrés aux événements futurs sont incontestablement
plus nombreux que ceux connus dans la Bible. À l’exemple des deux
11. DIEM et SCHOLLER, The Living…, p.153-154.
12. L’hypothèse est proposée par DIEM et SCHOLLER, The Living…, p.153.
13. Sur l’utilisation du terme âkhir dans le contexte du jugement voir GALLOWAY,
The Resurrection…, p.350-351.
14. WEBER, Attestations…, p.749.
15 Pour la comparaison des textes relatifs à ce concept voir MASSON D., Mono-
théisme coranique et monothéisme biblique, Paris, Desclée de Brouwer, 1976 (2eéd.),
p.698-703. «Kiyāma», GARDET L., Encyclopédie de l’Islam, BOSWORTH C.E., van
DONZEL E., LEWIS B., PELLAT Ch.(éd.), Paris, Leiden, G.-P.Maisonneuve&Larose
S.A., E.J.Brill, 1960-2009, t.5, p.233-236. GNILKA J., Bibel und Koran. Was sie
verbindet, was sie trennt, Freiburg im Breisgau, Herder, 2010 (2eéd.), p.145-156.
WENSINCK A.J., A Handbook of early muhammadan tradition, Leiden, Brill, 1960,
p.205-206.
16. «Qûm », JASTROW M., Dictionary of the Targumim, Talmud Babli, Yerus-
halmi and Midrashic Literature, Messachusetts, Hendrickson Puplishers, 2006,
p.1330-1332. Il ne faut pas oublier talitha qum(i) de l’Évangile de Marc 5, 41.
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autres monothéismes abrahamiques, certains passages de ce corpus
ont paru peu explicites aux yeux des croyants face aux interrogations
concernant l’autre monde. Les ḥadîths et toute la littérature posté-
rieure vont donc expliciter les textes obscurs du Coran, embellir et
compléter les propos énigmatiques.
En dehors du Coran17, de nombreux textes consacrés à l’eschato-
logie et à la résurrection se trouvent dans les ḥadîths, les faits et les
gestes du prophète Muḥammad18. Au Moyen Âge, on voit apparaître
un certain nombre de livres consacrés à l’eschatologie. Parmi ceux-ci,
il faut mentionner : al-Durra al-fâkhira (La Perle précieuse)19 de Abû
Hâmid al-Ghazâlî (mort en 1111), Kitâb al-Ruḥ (Le Livre de l’âme)20
d’Ibn Qayyim al-Jawzîyya (mort en 1350), Bušrâ al-ka’îb bi-liqâ’i al-
ḥabîb (La Bonne nouvelle de la rencontre du Bien-Aimé, annoncée à
l’attristé) de Jalâl al-Dîn Suyûṭî (mort en 1505)21, et l’ouvrage
anonyme Kitâb aḥwâl al-qiyâma22. D’autres sources peuvent être
ajoutées23. De très nombreux livres et des conférences sur le monde
17. Les textes coraniques relatifs à l’au-delà sont présentés dans les différents
ouvrages. Voir à ce sujet : MONNERET J.-L., Les grands thèmes du Coran, Paris,
Dervy, 2003, p.296-381; THYEN J.-D., Bibel und Koran. Eine Synopse gemeinsamer
Uberlieferungen, Cologne, Böhlau, 1993.
18. Les deux corpus les plus importants sont les ḥadîths rapportés par al-Bukhâri
(mort en 870) et Muslim (mort en 875). HOUDAS O., MARCAIS W.(éd.), El-Bokhârî,
Les traditions islamiques, Beyrouth, 1903-1914, (1984). HARKAT A.(éd.), Saḥiḥ d’El-
Boukhari, Beyrouth, Saida, Al-Maktaba, Al-‘Asriyya, 2003; ABOUD A.(éd.), L’au-
thentique de Moslim, Dar-al-Kotob al-Ilmiyah, 2007.
19. Ce texte classique fut l’objet de très nombreuses traductions et de commen-
taires. En langue française, il a été traduit par GAUTIER L.(éd.). Traité d’eschatologie
musulmane, Genève, Bâle, Lyon, H.Georg, 1878. De nombreuses éditions de cette
œuvre sont disponibles. Voir La vie après la mort en islam, Beyrouth, Paris,
Albouraq, 2009. Il est surtout l’auteur de sa célèbre Iḥyâ’ ‘ulûm al-din (Reviviscence
des sciences de la religion) dont le livre 40 est consacré à la vie après la mort. Voir
WINTER T.J.(éd.), Cambridge, Bath Press, 1995.
20. L’âme après la mort, trad. de MILAIKI S., Lyon, Tawhid, 2011.
21. Les mystères de la tombe. Délices et supplices, trad. de BENGHAL J.-E., Paris,
Éditions de la Ruche, 2002.
22. WOLFF M.(éd.), Muhammedanische Eschatologie. Nach der Leipziger und
der Dresdner Handschrift zum ersten Male arabisch une deutsch Anmerkung, Leipzig,
Commissionverlag von F.A.Brockhaus, 1872. The Islamic Book of Dead. A Collec-
tion of Hadiths on the Fire & the Garden, Ibn Ahmad al-Qadi, Diwan Press, 1977.
23. Ibn Taymiyya (mort en 1328), Majmû’at al-fâtâwa, AL-JAZZAR A., AL-
BAZ A. (éd.), Beyrouth, Dar al-Jil, 1997. Les fragments sont traduits dans La tombe
et ses supplices, trad. de RIACHE A., Beyrouth, Paris, Albouraq, 2002; Ibn Abî al-
Dunyâ (mort en 894), Kitâb al-Mawt, (The Book of Death) Kitâb al-Qubûr, (The Book
of Graves),KINBERG L.(éd.), Acre, Suruji Press, 1983; Harith Al-Muḥâsibî (mort en
857), Al-ba‘th wa al-nushûr, La Résurrection. L’ultime épreuve avant la demeure
finale, Paris, Iqra, 2000; Al-Qurtubî (mort en 1273), At-Tadhkirah. Fîaḥwâlil-mawtâ
wal-âkhirah. The Remembrance of the Affairs of the Dead and Doomsday, BEDEIR R.,
FORD K.(éd.), El-Mansoura, Dar Al-Manarah, 2004.
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