1ère Journée Sorbonne Philosophie | Entreprise

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1ère Journée Sorbonne
Philosophie | Entreprise
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Réactions et mises en lumière
des participants
Théophile BAGUR
Théophile Bagur, étudiant de l’Université Paris-Sorbonne en Master de Sociologie,
« Notes prises lors de la Première Journée Sorbonne Philosophie et Entreprise »
1er intervenant, Michel Puech, philosophe et enseignant à l’université Paris-Sorbonne, il est
également intervenant en entreprise.
Michel Puech propose de penser les liens entre philosophie et entreprise à travers deux notions
: Cloison et Connexion. Deux précisions quant à ces notions, une cloison n’est ni un silo ni un
mur porteur, elle est optionnelle et peut-être déplacée. En parlant de connexion nous parlons de
connexions directes, des connexions qui n’abolissent pas les cloisons mais les ignorent. Ce sont des
connexions de type hacking.
Il y a des cloisons sociales et disciplinaires, celles qui empêchent le passage de philosophie à
entreprise, où l’interdisciplinarité. Remarquons que nos organisations sont des pyramides construites
sur des cloisons, leur base est donc fragile et éphémère.
Il y a également des cloisons à un niveau plus micro, celui de l’individu. En entreprise, il est courant
d’observé ce que Michel Puech appelle ‘la cloison de la fausse conscience’. Tout le monde ment et tout
le monde le sait, mais personne ne réagit. L’absurdité de cette situation entraîne et est entraînée par
une scission de soi et soi. Une cloison intérieure s’érige.
Cette cloison intérieure, c’est exactement ce que la philosophie n’est pas, puisqu’elle tente de
construire l’inverse. L’intérêt de la philosophie, intégrée au monde de l’entreprise, c’est la possibilité
d’y réconcilier réflexion et action. Le philosophe est suffisamment extérieur à l’entreprise pour voir
ces cloisons et effectuer des connexions. Nous renvoyons sur ce point au rôle thérapeutique de
la philosophie pointé lors des discussions entre les participants de la journée, mais également à la
présentation d’Adélaïde De Lastic.
2ème intervenant, Didier Cazelles, formé à la philosophie et directeur de clientèle dans une agence
de communication.
La communication institutionnelle est la communication d’entreprise qui porte sur elle-même, c’està-dire sur son image et la nature de son activité. Pour qu’une communication soit efficace, il faut
comprendre l’entreprise qui cherche à améliorer ou changer son image. Une entreprise est un système
complexe, souvent très technique. Comprendre les enjeux et les activités portés par une entreprise
nécessite une réflexion profonde.
Didier Cazelles fait l’expérience de l’utilité de sa formation philosophique en ce qu’elle lui a appris à se
confronter à la complexité. La capacité à se confronter à la complexité, y réfléchir, et restituer cette
réflexion est pour lui un atout dans son métier.
Il fait la distinction entre le savoir-faire philosophique, qui est une méthode, une façon de penser, et
le savoir philosophique, un savoir spécialisé. Le lien entre entreprise et philosophie peut se faire à son
sens à travers le savoir-faire philosophique.
3ème intervenant, Sophie Berlioz, docteure en philosophie et consultante en stratégie sociale en
entreprise.
Elle pose un premier paradoxe : la philosophie est en effet valorisée et valorisable une fois la cloison
dépassée, mais comment la dépasser ? Elle a du faire un complément d’étude pour entrer dans le
monde de l’entreprise.
Elle pointe des difficultés pratiques et une friction quotidienne liée à la confrontation entre philosophie
et entreprise. Son intervention s’articule autour de la question du temps. L’exercice philosophique
nécessite le temps de la réflexion, un temps relativement long, ainsi que l’isolement. Ce sont des
conditions qui n’existent pas en entreprise, où les échéances sont proches : un jour, deux jours, une
semaine dans le meilleur des cas. On peut également pointer une difficulté de méthode. En entreprise,
il n’y a que peu de place pour le doute et la remise en cause.
C’est une antinomie naturelle, liée à deux systèmes de valeurs différents. Néanmoins il y a une
connivence entre ces deux mondes. Comme le pointe Didier Cazelles, la réflexion philosophique, en ce
qu’elle apporte une grille de lecture de la réalité, permet de penser l’abstrait et le complexe. Elle est
également une science de l’argumentation. Ces deux points sont valorisés en entreprise. On retrouve la
distinction entre savoir philosophique et savoir-faire. A travers cette distinction, c’est la différence entre
cheminement philosophique et formation philosophique qu’il faut dégager.
4ème intervenant, Christian Pousset, directeur d’un cabinet de conseil pour dirigeants.
On retrouve une particularité du philosophe pointée par Michel Puech. Quand il intervient en
entreprise, il est un élément extérieur. Cette position décalée et décentrée est nécessaire pour
comprendre la complexité de l’entreprise. L’accompagnement philosophique des dirigeants leur permet
de réfléchir à ce qu’est leur entreprise. Il use non seulement de philosophie mais également d’art
contemporain pour permettre une prise de distance.
La philosophie est d’autant plus nécessaire qu’elle permet d’agir sur trois dialectiques, mobilisation/
démobilisation, Vitesse extrême/transformation extrême, et le triptyque Fierté de son métier/
entreprise/soi. Nous retrouverons le thème de la vitesse dans les présentations d’Yves Serra et d’Alban
Leveau.
Récapitulatif de la matinée :
La difficulté de concilier philosophie et entreprise relève d’une différence de temporalité entre les deux
univers. La cloison est construite par l’exercice : la philosophie demande un temps long, un isolement,
quand le monde de l’entreprise demande l’action immédiate et le collectif.
Malgré ces difficultés, la philosophie et le philosophe peuvent apporter à l’entreprise et ce pour deux
raisons. La première tient au raisonnement philosophique, un savoir-faire qui permet de se confronter
à la complexité et d’argumenter efficacement. De plus, un intervenant philosophe est extérieur à
l’entreprise et peut dès lors plus facilement la prendre en compte dans sa complexité.
5ème intervenant, Adélaïde De Lastic, docteure en philosophie et consultante-chercheuse en
entreprise.
Son parcours l’amène à devoir concilier les pratiques de l’entreprise à a recherche
philosophique. En fait, c’est la conciliation entre recherche fondamentale et recherche opérationnelle
dont il est question ici. A l’aune de l’objet RSE, les enjeux sont différents. La recherche fondamentale
philosophique se penche sur des aspects éthiques quand la recherche opérationnelle prend en compte
des aspects plus technico-juridique. Ce sont deux aspects de la normativité qu’on aborde par ce biais :
une normativité éthique et une normativité juridique. Notons que les deux sont complémentaires.
Le monde de l’entreprise lui apporte la seconde. De plus, il lui permet de confronter théorisation
éthique et situations éthiques. Les recherches d’Adélaïde De Lastic se rapprochent en un sens de
la sociologie, son matériau principal étant composé des situations éthiques qu’elle observe dans
l’entreprise. A partir de ces observations, elle distingue l’éthique accidentelle d’une éthique ordinaire
et quotidienne. La première est collective car médiatisée, à partir d’elle, on se penche sur les risques
sociaux, la souffrance au travail, la dénonciation de pratique contraire à l’éthique. La seconde est une
éthique non médiatisée, elle est transparente et relève de l’habitus. Adélaïde De Lastic parle d’éthique
invisible, d’intégrité ordinaire.
Au contraire de l’éthique accidentelle, les souffrances induites sont plus fines, plus légères. Elles sont
causées par un léger décalage entre l’individu et le groupe. Ces souffrances peuvent être liées au
constat de l’absurdité d’une situation ou des processus, au temps de l’entreprise, à l’infantilisation qui
peut y régner, etc. On se rapproche sur ce point de ce que Michel Puech appelle la cloison de la fausse
conscience.
6ème intervenant, Yves Serra, ancien cadre dirigeant chez Publicis, inscrit en master de philosophie
et consultant en organisation.
Il y a deux obstacles à l’usage philosophique en entreprise. Le premier, cela a déjà été abordé, est
la temporalité. Un temps philosophique d’un côté, le temps du commerce de l’autre. A l’heure de la
mondialisation, il n’y a pas de pauses dans le commerce. Le second obstacle est celui de la légitimité,
que pointait également Sophie Berlioz. Il n’y a pas de référence philosophique en entreprise. Elles sont
à construire. Il faut trouver les lieux de la légitimité. Vers qui se diriger ? La direction que doit apporter
un dirigeant à une entreprise doit être expliquée et explicitée. Le recours à un conseil philosophique
dans l’élaboration de cette direction doit suivre les mêmes règles.
Il y a néanmoins un lien à trouver du côté de l’ontologie. Il faut pouvoir dépasser la simple fonction.
Un problème ontologique en philosophie est celui de la stabilité. On rejoint les remarques sur la
complexité pointées par les autres intervenants. L’apport en entreprise est la capacité philosophique à
penser le complexe et l’instable. Choses impossibles pour un programme, une équation. Les systèmes
techniques, à l’inverse de la philosophie, ne peuvent penser l’instable, ils doivent se reposer sur des
modèles.
La réflexion d’Yves Serra repose sur le constat d’un changement profond dans le monde de
l’entreprise. Outre la mondialisation abordée plus haut, la technicisation du monde du travail et de
la société empêche de penser le futur, puisque nous ne pouvons le connaître avec certitude. La
philosophie propose un apport primordial de ce côté-là.
7ème intervenant, Marion Genaivre, titulaires de trois masters en philosophie et cofondatrice d’une
entreprise de philosophie pratique.
Elle parle d’organisation plutôt que d’entreprise puisque son action concerne également
des associations et des organismes publics. A propos de la philosophie, on retrouve chez elle une
perspective marxienne qui, à l’inverse des autres intervenants, ne la fait pas séparer savoir-faire et
savoir mais l’amène à rejeter l’idée d’une philosophie séparée du monde. Elle cite la onzième thèse sur
Feuerbach de Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe
c’est de le transformer ».
Par son activité en entreprise, elle tente d’aider les organisations à faire sens de ce qu’elles sont et de
ce qu’elles font, afin de réconcilier réflexion et action.
8ème intervenant, Alban Leveau-Vallier, doctorant en philosophie et cofondateur d’une entreprise.
Il articule son intervention autour de plusieurs concepts, celui de la prédation, qui rend compte d’une
attitude, celle de prendre l’autre pour un programme, et celui de l’accélération, qui rend compte de
la pression inhérente à la planification. Son projet professionnel s’est construit autour du rejet de ces
deux concepts. Il leur oppose autonomie et liberté. On remarque que le paradigme de fonctionnement
de l’entreprise est celui du projet. Le développement, l’exécution et l’aboutissement d’un projet sont
subordonnés aux deux concepts, il faut toujours faire mieux, aller toujours plus vite. Se dépasser soi
et les autres. Au début du projet est une promesse, qui tient dans un devis. Cette promesse est un
mensonge partagé. Elle fixe des échéances qui ne seront en général pas atteintes, un coût en général
dépassé. L’incertitude de la situation entraîne une pression par défaut qu’il rapproche de la pression
atmosphérique. Elle enserre les acteurs et ici et là elle devient trop forte, dans l’entreprise, c’est un
burn out. On entre dans un statut de l’urgence permanente.
Son intervention qui passe par l’exposé de son expérience professionnelle montre d’une façon claire
le lien entre système de valeur et organisation. On l’a vu avec Marion Genaivre, c’est le lien entre
ce que l’on est et ce que l’on fait. Le système de valeur d’Alban Leveau-Vallier l’a amené à proposer
une organisation fondée sur l’autonomie et la liberté, en contradiction totale avec le paradigme de
fonctionnement de l’entreprise qui repose sur l’accélération et la prédation. Il montre la possibilité
d’une organisation irriguée par des valeurs fortes. Il montre également la réalité de l’entreprise et la
force du paradigme accélérationniste.
Récapitulatif de l’après-midi :
On y a décelé l’apport inverse, c’est-à-dire celui de l’entreprise à la philosophie, à travers l’intervention
d’Adélaïde De Lastic. Yves Serra a également mis l’accent sur l’apport de la philosophie à l’aune de
grands changements sociétaux liés au développement technique des entreprises, notamment à
l’importance toujours plus grande du programme et de l’algorithme. Sur ce point, Alban LeveauVallier nous fournit des armes conceptuelles intéressantes qui permettent de penser les limites et le
dépassement de l’hyper-technicité (sic.). Son exemple et celui de Marion Genaivre nous montrent la
possibilité d’allier action et réflexion d’une façon fluide, à l’inverse de ce qui a été exposé jusqu’ici, où
les maîtres mots étaient tension, cloison, conciliation.
Lors de la deuxième partie de la journée, beaucoup de choses ont été dites sur le sens. La philosophie
permet de trouver du sens. De donner sens à l’action et ainsi de réconcilier celle-ci avec la réflexion. En
philosophant on répare cette cloison interne que pointait Michel Puech. La place de la philosophie, au
côté de l’entreprise, est celle d’une discipline qui fait sens de l’organisation. La sociologie le fait déjà,
et d’une façon intéressante. Celle-ci n’est cependant pas forcément dirigée vers l’entreprise et vers
l’individu. On retrouve ici le rôle thérapeutique de la philosophie.
La question du sens donc, bien qu’elle soit investie par les entreprises à travers un conseil
philosophique ou à travers la philosophie tout court, n’est pas néanmoins pas une finalité. Un
intervenant l’a pointé, l’entreprise terroriste de Ben Laden a du sens. Toute organisation peut trouver
du sens à son action. Le sens dégagé par l’entreprise philosophe, à quoi peut-il aboutir ? L’enjeu du
sens dans l’organisation et le drame de la séparation dans l’individu de la pensée et de l’action est très
bien présenté par Michel Tereschenko dans son livre Un si fragile vernis d’humanité1. Pourquoi vouloir
faire sens ? On a vu deux finalités lors des interventions. La première était d’horizon commercial,
la philosophie est un outil, une grille de lecture. Faire sens de l’organisation c’est la rendre plus
consistante, plus unie et de fait plus forte puisqu’elle peut se targuer d’une identité et se distinguer
des autres. Les exemples sont légions, Nike ne vend pas des chaussures, elle vend un mode de vie.
AirBnB n’est pas un service de location de particulier à particulier, c’est une plateforme qui offre
une expérience, celle d’être chez soi partout. Quand entreprise veut s’unir et se connaître elle-même,
l’expertise philosophique que pointaient Christian Pousset et Didier Cazelles est un atout dans le
monde de l’entreprise.
Une autre direction est prise, celle qui pointe vers les collaborateurs, c’est-à-dire l’individu. Faire sens
de l’organisation dans un premier lieu, puis du métier et de la relation entre ce que l’on est et ce que
l’on fait. Les travaux d’Adélaïde De Lastic portent sur l’éthique ordinaire, et les souffrances légères et
quotidiennes que l’on peut observer. La philosophie ici permet de réconcilier individu et collectif en
définissant clairement son rôle et son action.
Reste à aborder la question normative. En quoi faire sens par la philosophie diffère de la stratégie
commerciale ? Ces deux axes définis, philosophie thérapeutique et grille de lecture philosophique, le
contenu du sens n’est pas défini. L’absurdité est combattue dans l’entreprise, mais en-dehors ? Ce
que nous tentons de pointer est l’absurdité sortie de l’entreprise, quand celle-ci, à force de vouloir
faire sens, se créer une identité si forte qu’elle est intrusive et inclusive. Un mode de vie Nike, Apple,
Starbucks, est un horizon tout compte fait absurde. Le rôle normatif de la philosophie était peut-être
implicite lors de cette journée, peut-être aurait-il néanmoins dû être abordé.
M. Tereschenko, Un si fragile vernis d’humanité, 2005, La Découverte
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