L`islam en Indonésie

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HISTOIRE
13 AOÛT 2015
EXPERT- INDONÉSIE PLURIELLE
L’islam en
Indonésie
Anda Djoehana
Wiradikarta
(https://asialyst.com/fr/auteur/anda-djoehana-wiradikarta/)
Des musulmans indonésiens sont rassemblés pour célèbrer la prière de l’Eid el-Fitr dans
la province d’Aceh en juillet 2015. (Crédit : Ipank / Anadolu Agency).
Selon le dernier recensement national de 2010, 87,2 % des Indonésiens
se déclarent musulmans. Les nombreux monuments du centre et de
l’est de Java, auxquels s’ajoutent les quelques-uns de l’ouest de l’île et
de Sumatra, construits entre les Ve et XVe siècles, témoignent pourtant
d’un passé hindou-bouddhique qui a valu à l’Indonésie son nom
(https://asialyst.com/fr/2015/07/16/une-histoire-du-nom-indonesie/)
et qui se prolonge de nos jours notamment à travers les nombreux mots
d’origine sanscrite dans différentes langues d’Indonésie, ainsi que dans
des noms de lieux – Jayakarta, l’ancienne forme de Jakarta, vient de
jaya, « victoire » et krta, « acte » – et de personnes : par exemple l’exprésidente Megawati (megha, « nuage », et le suffixe –vanti) et l’exprésident Susilo (sushila, « bonne conduite ») Bambang Yudhoyono
(yuddha, « guerre » et yana, « chemin »). Aujourd’hui, il n’y a plus que
ead of
.1275No. 55
2012).
dans l’île de Bali que la majorité de la population se réclame de
l’hindouisme (avec les réserves que nous avons déjà exposées
(https://asialyst.com/fr/2015/07/09/bali-creation-de-limaginaireoccidental/)).
Diffusion de l’islam
L’une des premières questions que l’on peut donc se poser porte sur le
passage d’un système religieux à un autre. Rémy Madinier, spécialiste
français de l’islam en Asie du Sud-Est, écrit – dans son ouvrage paru en
2012, L’Indonésie, entre démocratie musulmane et islam intégral :
histoire du parti Masjumi (1945-1960) – que « l’arrivée de l’islam en
Indonésie demeure encore aujourd’hui une question très
controversée ». L’historien américain Peter Sluglett, spécialiste du
Moyen-Orient, considère lui qu’il faut penser la diffusion de l’islam en
Asie du Sud-Est, et en particulier en Indonésie, comme « une série de
développements étirés et progressifs, commençant avec l’arrivée dans
la région de marchands musulmans au VIIIe siècle, peut-être même
plus tôt »*. Des textes arabes et chinois de l’époque attestent en effet de
la présence de marchands et même de communautés musulmanes dans
les ports du sud de la Chine au IXe siècle, et à Sriwijaya (l’actuelle
Palembang dans le sud de Sumatra) au Xe siècle.
En Indonésie, la conversion de la population à l’islam semble donc être
un processus plutôt qu’un événement. L’essor de l’islam dans l’archipel
commence vers la fin du XIIIe siècle. Dans son ouvrage A History of
Islamic Societies (2002), l’historien américain Ira M. Lapidus, nous
apprend ainsi qu’en 1282, le roi de Samudra sur la côte nord de
Sumatra est encore hindou mais a des conseillers musulmans. Le plus
ancien témoignage écrit connu attestant de l’établissement de l’islam
en Indonésie, est la tombe de Malik Al-Salih, roi de Samudra mort en
1297.
Lorsqu’en 1292 Marco Polo, dans son voyage de retour de Chine par la
mer, fait escale dans le port de Perlak près de Samudra, il y constate la
présence d’une communauté musulmane bien établie. Le voyageur
marocain Ibn Battûta, qui fait à son tour escale à Samudra en 1346 lors
de son voyage en Chine, est reçu par son prince, Al-Malik Al-Zahir qui
est donc musulman. Egalement, plus caractéristique du monde
indonésien est le cimetière de Troloyo, près du site de la capitale du
royaume hindou-bouddhique de Majapahit dans l’est de Java, où l’on
trouve des tombes musulmanes dont les dates vont de 1376 à 1611.
Louis-Charles Damais de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO)
pense qu’il s’agit de personnages importants, peut-être même de
membres de la famille royale. Ces tombes attestent donc de la présence
de l’islam au cœur même du plus prestigieux des royaumes javanais de
la période hindou-bouddhique, dès son apogée au XIVe siècle.
L’origine des marchands qui apportent l’islam en Indonésie est
incertaine. Selon Sluglett, les différents éléments trouvés en Aceh et
d’autres lieux à Sumatra suggèrent comme origine des premiers
marchands musulmans venus dans l’archipel, les régions indiennes du
Gujarat et de Malabar. Dans le cas de Java, des Chinois ont également
joué un rôle dans la diffusion de l’islam sur la côte nord de l’île, où au
XVe siècle déjà ils formaient d’importantes communautés. La tradition
javanaise associe des Chinois à l’islam, dont évidemment l’amiral
Zheng He, qui fait escale dans l’île lors de ses différentes expéditions de
1405 à 1433.
Un facteur fondamental dans la diffusion à travers l’archipel
indonésien est la politique menée par Parameswara, un prince
bouddhiste de Palembang qui fonde Malacca vers 1400. Pour faire face
aux ambitions du royaume siamois d’Ayutthaya, Malacca se met sous la
protection de l’empire chinois. Cette protection permet à la cité-Etat de
prospérer et de devenir le plus important port d’Asie du Sud-Est.
Parameswara pousse les commerçants musulmans qui contrôlent le
réseau reliant le Moyen-Orient et l’Inde d’une part, à la Chine et
l’archipel d’autre part, à utiliser son port. Malacca se retrouve ainsi à la
tête d’un vaste réseau marchand qui couvre l’ensemble de l’archipel
indonésien. Ce réseau permet la diffusion, à la fois du malais (la langue
de Parameswara, originaire de Sumatra) et de l’islam.
Au XVIIIe siècle, à l’exclusion de Bali, tous les Etats des régions
côtières de l’archipel ont à leur tête un souverain musulman. La
diffusion de l’islam à travers l’archipel s’est traduite par un espace
idéologique et culturel qui va d’Aceh à la pointe nord de Sumatra à
l’Ouest, au nord des Moluques à l’Est, en passant par le littoral de
Bornéo, la côte nord de Java et le sud de Célèbes. C’est déjà une bonne
partie de l’Indonésie actuelle.
L’islam dans la conception indonésienne de
la nation
Une deuxième question porte sur la place de l’islam dans la conception
indonésienne de la nation. Selon l’historiographie indonésienne
officielle, ce n’est pas dans des milieux musulmans qu’une « conscience
nationale » émerge. En 1908, des étudiants en médecine issus de la
Boedi
kitnya
Boedi
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2008)
noblesse javanaise créent une association dont le but est de donner aux
Javanais une éducation occidentale, tout en développant leur propre
culture. On considère donc que le mouvement national indonésien est
né dans les milieux aristocratiques d’éducation européenne. Certes, les
milieux musulmans sont aussi les initiateurs d’un mouvement : en 1911,
des commerçants javanais musulmans fondent le Sarekat Dagang
Islam (« association commerciale musulmane ») pour lutter contre la
concurrence chinoise grandissante. Ce mouvement propose lui aussi un
message de modernité, comme le présente Peter Malcolm Holt et al.,
dans leur imposant ouvrage : The Cambridge History of Islam (1970).
Mais comme l’écrit l’historien australien M. C. Ricklefs dans son livre A
History of Modern Indonesia since c. 1200, ce qui va orienter le
mouvement national dans les années 1930, c’est la conscience que la
diversité religieuse des Indes néerlandaises implique le rejet d’un
projet islamique. D’ailleurs, les figures les plus éminentes qui vont
apparaître durant cette période, et qui seront les premiers dirigeants de
l’Indonésie indépendante, n’appartiennent pas à la mouvance
musulmane.
Les fondements de l’Etat et de la nation indonésiens ne seront pas
l’islam. La constitution rédigée dans le sillage de la proclamation de
l’indépendance en 1945 ne contient d’ailleurs aucune référence à l’islam
(https://asialyst.com/fr/2015/06/05/indonesie-un-pays-musulman/).
Cette conception n’est pas partagée par certains milieux musulmans.
En 1947 dans l’ouest de Java éclate la rébellion du Darul Islam (« cité
de l’islam »), qui entend créer un « Negara Islam Indonesia » (« Etat
islamique d’Indonésie »). Le mouvement est rejoint par des groupes en
Aceh dans le nord de Sumatra et dans le sud de Célèbes. Ce n’est qu’en
1961 que les derniers rebelles rendront les armes.
Aujourd’hui, ce qu’on observe, surtout depuis la démission de Soeharto
en 1998, c’est la montée d’actes d’intolérance de la part d’organisations
qui se réclament de l’islam. Les persécutions à l’encontre de minorités
religieuses seraient en augmentation. Le précédent gouvernement du
président Susilo Bambang Yudhoyono était accusé d’en être complice
(http://www.thejakartapost.com/news/2013/12/30/yearenderindonesia-s-pluralism-alive-awful-shape.html). Cette intolérance ne
vise pas seulement des personnes mais aussi des symboles. En février
2012, des membres du Partai Keadilan Sejahtera (« parti de la justice
prospère ») islamiste déclaraient que l’emblème de la Croix-Rouge
indonésienne – fondée en 1945 peu après la proclamation de
l’indépendance – ne correspondait pas à l’identité d’un pays dont la
majorité de la population était musulmane. L’organisation a aussitôt
répliqué que « l’Indonésie n’[était] pas un pays fondé sur une foi mais
un pays séculier
(http://thejakartaglobe.beritasatu.com/archive/indonesian-redcross-refuses-to-change-its-logo/). »
La grande majorité des Indonésiens, y compris musulmans, semblent
toutefois tenir à leur Etat et leur nation pluralistes. Le score des partis
se réclamant de l’islam lors des élections législatives stagne autour de
15 %. Le gros des voix, aux alentours de 70 %, va à des partis dits
« nationalistes », un terme que la politologue australienne Michele
Ford qualifie d’euphémisme pour « secular » (mot qui ne correspond
qu’imparfaitement au français « laïc », NDLR). Mais la construction de
cet Etat et de cette nation pluralistes n’est pas achevée.
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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur
en management interculturel au sein de l’équipe «
Gestion et Société » (http://www.cerebe.org). Depuis
2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur
de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en
entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier
français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.
Anda Djoehana
Wiradikarta
(https://asialyst.com/fr/auteur/andadjoehana-wiradikarta/)
(https://www.facebook.com/AndaDW)
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