Les réovirus et le virus de la stomatite vésiculeuse (VSV)
doivent leur oncotropisme à un défaut dans la voie
PKR/IFN. Les réovirus humains se multiplient préféren-
tiellement dans les cellules possédant une voie de signali-
sation Ras active (soit environ 30 % des tumeurs). La
protéine Ras inhibe l’activation de la protéine kinase PKR
et rend ainsi possible la synthèse des protéines virales [2,
3]. Une injection de virus sauvage chez des souris portant
une tumeur humaine xénogreffée (glioblastome U87) in-
duit la régression spontanée de 60 à 80 % des tumeurs. Le
VSV est très sensible à l’inhibition de la synthèse d’ARNm
par l’interféron a, ce qui favorise sa multiplication dans les
cellules tumorales ayant un défaut dans la voie d’activation
des interférons [4]. Récemment, une étude a montré qu’il se
réplique tout aussi bien dans les tumeurs hypoxiques [5].
De même, la transformation in vitro de cellules humaines
ou de rat augmente leur capacité à permettre certaines
étapes d’infection des parvovirus (amplification de l’ADN
viral, expression du génome viral, lyse cellulaire) [6, 7]. Cet
oncotropisme est à mettre en parallèle avec la prédilection
naturelle des parvovirus pour les cellules en prolifération et
peu différenciées [8]. Ainsi, l’infection d’animaux par un
parvovirus (MVMp pour la souris ou H-1 pour le rat) exerce
une action antitumorale vis-à-vis de tumeurs greffées et/ou
permet de protéger l’organisme hôte contre l’apparition de
tumeurs [9]. Enfin, une étude clinique récente tente de
démontrer l’effet de la souche MTH-68/H de Newcastle
disease virus (NDV) sur des gliomes humains [10].
Cependant, l’effet oncolytique de ces virus sauvages, qu’il
s’agisse de réovirus, de parvovirus ou du VSV, ne permet
pas une régression totale et irréversible de la tumeur et est
souvent limité par la réponse immunitaire de l’hôte, qu’elle
soit acquise suite au traitement ou préalablement acquise
[11]. En effet, 50 à 80 % des adultes sont séropositifs pour
le parvovirus humain B19 [12], plus de 50 % pour le réo-
virus humain [13]. On a donc eu recours à la biologie
moléculaire pour améliorer les propriétés oncolytiques de
virus naturellement oncotropiques ou pour assigner des
propriétés oncolytiques à des virus qui n’en avaient pas
naturellement.
Induction d’une immunité antitumorale
Certains virus oncolytiques entraînent la destruction des
cellules tumorales via l’induction d’une immunité antitu-
morale spécifique ou non spécifique. Dès les années 1970,
Sinkovics – avec la souche PR8 du virus influenza A – et
Cassel – avec la souche 73T du virus de la maladie de
Newcastle (NDV) – ont eu l’idée de combiner l’efficacité
des virus oncolytiques et une immunité active tumeur-
spécifique en préparant des lysats de cellules tumorales
humaines infectées (appelé oncolysat), utilisés comme pré-
parations thérapeutiques [14]. Plus tard, un oncolysat d’in-
fluenza PR8 s’est révélé efficace contre des tumeurs ova-
riennes [15], puis un oncolysat du virus de la vaccine chez
des patients atteints de mélanomes [16] et bien d’autres, en
induisant une réponse immunitaire de type humoral contre
les antigènes viraux et les antigènes tumoraux révélés par
l’infection virale [17]. Les meilleurs résultats ont été obte-
nus par Cassel et Murray en 1992 dans la prévention de
rechutes métastasiques de mélanomes traités avec un onco-
lysat de la souche 73T du NDV.
Les cellules tumorales sont pour la plupart naturellement
très peu immunogènes du fait de la faible expression des
protéines du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH)
ou des médiateurs de la réponse immunitaire (cytokines).
Certaines protéines virales rétablissent cette immunogéni-
cité en induisant une immunité antitumorale spécifique qui
permet la régression de la tumeur et une protection à long
terme contre une éventuelle récurrence tumorale. L’infec-
tion virale de cellules tumorales peut par exemple induire la
production de facteurs diffusibles capables d’activer les
cellules présentatrices de l’antigène [18]. En outre, l’ex-
pression conjointe d’antigènes viraux et de CMH-I à la
surface des cellules cancéreuses infectées peut induire une
réponse CTL spécifiquement dirigée contre ces cellules.
Ces différents effets sont susceptibles de renforcer l’action
lytique propre du virus en favorisant la synthèse et la
présentation d’antigènes tumoraux, ainsi que l’activation
d’une réponse immunitaire antitumorale accompagnée de
l’infiltration de la tumeur par diverses cellules effectrices.
Par ailleurs, l’infection virale peut également sensibiliser
les cellules néoplasiques cibles à certains facteurs cytotoxi-
ques produits par ces cellules, comme cela a été montré
pour le TNFadans le cas de cellules exprimant la protéine
adénovirale E1A [19]. Cette immunité acquise spécifique
antitumorale a aussi été démontrée pour HSV1 [20].
De nombreux virus sont aujourd’hui à l’étude sur ce point,
notamment des parvovirus recombinants [21]. La réponse
immunitaire peut par conséquent potentialiser l’effet des
virus oncolytiques en se dirigeant contre des cellules can-
céreuses. Néanmoins, cette réponse pourrait constituer un
problème puisqu’elle réduit par la même occasion le nom-
bre de virus et donc l’efficacité du traitement. Nous repar-
lerons de ce point dans la dernière partie de cette revue.
Augmentation de la spécificité
des thérapies conventionnelles
L’infection par des virus oncolytiques peut engendrer une
augmentation de la sensibilité des cellules tumorales à la
chimiothérapie et/ou à la radiothérapie. La plupart des
médicaments utilisés pour tuer les cellules tumorales sont
plus ou moins toxiques pour les cellules normales. Néan-
moins les cellules normales répondent à un tel traitement en
entrant en apoptose ou en arrêt de cycle cellulaire, notam-
ment via l’activation de suppresseurs de tumeurs comme
p53 ou pRB. Ces mécanismes limitent ainsi la propagation
revue
Virologie, Vol. 9, n° 4, juillet-août 2005
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