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judéonazaréens, la transmission de leur pensée messianiste politique aux Arabes, la conquête, la
diffusion sous l’autorité des califes du discours et des textes dits fondateurs de l’islam, jusqu’au
phénomène de cristallisation de l’islam intervenu à partir du 9e s.
Ce cadre est le suivant : un groupe sectaire ex judéochrétien, appelé judéonazaréen, portait un
courant d’idées politico-religieuses messianistes qui a émergé au 1er siècle. Ce courant résulte de la
déformation de certaines idées chrétiennes, alors absolument nouvelles, dans le contexte
d’exacerbation du nationalisme juif en certains milieux qui a mené à la première Guerre Juive – on
parlera en ce sens de messianisme préchrétien, orienté par une lecture politique des prophéties
messianiques
. Les tenants de ce courant ont repris les idées nouvelles apportées par Jésus et
répandues par les premiers chrétiens
mais en transformant les perspectives de salut et de libération
de l’emprise du mal, que Jésus avait dit offrir dès maintenant, dans l’attente de leur accomplissement
définitif et pour le monde entier lors de sa venue « dans la gloire »
. Dans leur esprit, le mal étant
assimilé à l’impureté religieuse, la libération de l’emprise du mal revenait à la soumission à la « justice
de Dieu », c’est-à-dire à la loi de Moïse, appliquée dans toute la rigueur dont eux-mêmes, comme
« purs » et « justes », s’autoproclamaient les champions et les juges. Les promesses chrétiennes de
libération totale de l’emprise du mal, dans le monde entier à l’accomplissement des temps, ont été
relues comme promesses de soumission du monde à la loi de Dieu, et donc d’éradication physique du
mal sur toute la terre, gage de bonheur, de félicité éternelle, c’est-à-dire du bien absolu, du bien
supérieur à tous les autres.
Reconnaissant Jésus comme le messie politique et guerrier qu’ils fantasmaient, comme une sorte
de réformateur venu rétablir la loi et l’Alliance, chasser l’occupant romain et réinstaurer Israël, ils ont
interprété son arrestation par les pouvoirs juifs et sa mort sur la croix comme un échec : Jésus aurait
été empêché de remplir la mission politique qu’ils voulaient le voir accomplir du fait de la corruption
et de la trahison des élites juives, tant civiles que religieuses (notamment celles du Temple). La
promesse de son retour « dans la gloire » a été déformée en celle d’une redescente physique de Jésus,
comme chef de guerre venant terminer sa mission : soumettre le monde entier à la loi de Moïse. Ils
ont vu dans la destruction du Temple en 70 un châtiment divin, à l’issue d’une guerre à laquelle,
comme les chrétiens, ils n’avaient pas pris part (c’était selon eux à Jésus de mener cette guerre) : Dieu
punissait les mauvais Juifs, et faisait ainsi cesser le culte sacrificiel corrompu. Voyant que Jésus ne
« redescendait pas » pour autant relever le Temple comme ils voulaient croire qu’il l’avait promis
, ils
ont mûri le projet de le faire eux-mêmes en prenant le contrôle de Jérusalem et en rétablissant ainsi
le culte selon la loi de Moïse. Les conditions auraient alors été remplies pour que Jésus puisse revenir
et prendre la tête des armées, afin de mettre en œuvre le salut du monde par l’éradication physique
du mal.
Proche des judéochrétiens, puisque issu de la communauté chrétienne de Jérusalem, ce groupe
s’en est séparé lors de la première Guerre Juive, pour s’établir à l’écart, en particulier en Syrie. Il y a
embrigadé certains de ses voisins, des Arabes chrétiens de la tribu des Qoréchites, comme
mercenaires et affidés dans son projet de conquête de Jérusalem et de restauration du Temple. Pour
cela, les judéonazaréens ont transmis à ces Arabes leurs espérances messianistes, en formant des
prédicateurs en langue arabe dès la fin du 6e s. (Waraqa ibn Nawfal et Mahomet), et en revendiquant
Les prophéties d’Isaïe, Daniel (particulièrement Dn 7) ou Ezéchiel annoncent le rétablissement d’Israël et son
rayonnement sur les nations
On verra plus loin comment l’on peut établir la préexistence des idées chrétiennes sur les idées judéonazaréennes
On pense aux Evangiles, particulièrement Mt 24,30-51 ; Mt 25,31-32 ; Lc 12, 8-9 et aussi aux épitres : He 9, 28
Jn 2,19 ; Mc 14,58