A. Delattre R. Fenart L'évolution morphologique du cerveau. III. Ontogenèse vestibulaire des ventricules latéraux chez l'Homme In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, X° Série, tome 5 fascicule 3-6, 1954. pp. 198-208. Résumé Sommaire. La comparaison dans les axes vestibiens, des ventricules latéraux au cours de l'ontogenèse humaine, a permis de montrer que celle-ci ressemble « qualitativement » à la phylogénèse des ventricules, tant pour la forme que pour la position ; mais l'amplitude des mouvements est moindre. Ces changements de position sont en rapport avec l'accroissement du crâne humain qui se déploie « surtout » par l'arrière dans une zone nouvelle rétro-vestibienne. Des schémas sont proposés pour l'utilisation éventuelle de ces données en neuro-chirurgie. Citer ce document / Cite this document : Delattre A., Fenart R. L'évolution morphologique du cerveau. III. Ontogenèse vestibulaire des ventricules latéraux chez l'Homme. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, X° Série, tome 5 fascicule 3-6, 1954. pp. 198-208. doi : 10.3406/bmsap.1954.2638 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1954_num_5_3_2638 198 L'ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE DU CERVEAU III. _ ONTOGENÈSE VEST1BULA1RE DES VENTRICULES LATÉRAUX CHEZ L'HOMME par le D* A. DELATTRE et R. FENART Professeur Prosecteur d'Anatomie à la Faculté Libre de Médecine de Lille Après avoir étudié dans un précédent travail (1) la destinée des ventricules latéraux dans la série des Mammifères, il con vient de reprendre la question afin de comparer cette évolution à celle des ventricules latéraux au cours de l'ontogenèse hu maine. Il paraît inutile de revenir ici sur la technique employée, nous renvoyons le lecteur à l'article déjà cité. Les plus jeunes fœtus humains examinés étaient âgés approximativement de 2 mois et demi, âge en deçà duquel il est pratiquement imposs iblede disséquer macroscopiquement les canaux semi-circul aires de l'oreille. Or, leur détermination sert de base à l'orienta tion vestibulaire. Les âges des autres pièces sont environ de 3 mois, 4 mois, 5 mois, 8 mois, un peu avant la naissance, des nouveau-nés, un adolescent d'environ 13 ans, des adultes et des vieillards. Les nouveau-nés et les suivants sont tous du sexe masculin. Il existe un hiatus difficile à combler entre la naissance et l'ado lescence. Les ventricules, chez .l'Homme, changent de place, mais varient également dans leur morphologie ; c'est pourquoi il sera question successivement des changements de forme, puis des changements de position des ventricules latéraux. Ceuxci seront étudiés uniquement en projection sur le plan sagittal et on considérera arbitrairement la face gauche prise pour type. (1) Delattre (A.) et Fenart (R.). L'évolution morphologique du cerveau. — II. Les ventricules latéraux. Bull, et Mém. Soc. Anthrop. de Paris, t. 3, 10e s., 1952. DELATTRE. — ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE DU CERVEAU 199 A. — Changements de forme. Nous n'insisterons pas sur le détail de l'évolution des cavités ventriculaires (reliefs internes, rapports avec les éléments qui les délimitent). Il ne sera d'abord envisagé que la forme du prof ilobtenu par projection sagittale du ventricule, indépendam ment de sa situation dans le cerveau et le crâne. Cette étude s'inspire en partie des mensurations proposées au cours de l'étude phylogénique du ventricule. Fig. 1. — Mesures nécessaires à la détermination des coefficients et indices per mettant la systématisation du ventricule. Réduction triangulaire du ventricule. On appelle indice ventriculaire simple le rapport y x 100. Le ventricule étant supposé reposant sur lès cornes frontale et temporale, l est la distance qui sépare les points de contact (fig. 1). Après ablqtion de la corne occipitale, si l'on mène une tangente au ventricule, parallèlement à la droite précédente, la distance comprise entre ces deux droites est h. Alors que pour les Mammifères, les chiffres extrêmes de l'in dice simple étaient de 100 et 137, ils varient ici entre 100 (pour 2 mois 1 /2) et 145 pour ventricules plus âgés et adultes. Cela re vient, à dire que pendant là croissance, la morphologie change. Le ventricule primitivement très concave et semblable en tous points à celui d'un Carnivore, s'allonge en s'étirant vers le haut BULL. ET M8M. SOCIETĚ ANTHBOP. OB PABI8, T. 6, 10* SÉBIB, 1954. 14 '»''*-j4-\4,*'- '""*"> i-*1-* **.' i '-.'-• ' '-• : * • ( 200 SOCIÉTÉ D'ANTHROPOLOGIE DE PARIS (fig. 2). L'allongement des deux cornes (frontale et temporale) est inégal. La première grandit plus vite que la deuxième. Aussi le ventricule s'étire non seulement vers le haut, mais encore en Fig. 2. Evolution morphologique du ventricule latéral, du fœtus de 2 mois 1/2 a l'adulte. , Fig. 3. — Changements de position des ventricules latéraux par rapport aux axes vestibiens. arrière. C'est ce que montre le rapport т (fig. 1) : a et b sont les deux portions de la droite /, interceptées par la hauteur h tracée comme il a été dit. Chez le fœtus de 2 mois 1 /2, cette hauteur tombe au milieu des deux cornes, d'où rapport = 1. Pour 3 mois il est de 1,5 ; à la naissance, de 3, et chez l'adulte de 7 et même DELATTRE. — ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE DU CERVEAU 201 davantage. La hauteur tombe ainsi de plus en plus près de la corne temporale. Des faits précédents il résulte un allongement de l'espacé pincé par les deux branches du fer à cheval ventriculaire. Ceci est bien noté sur la figure 2 où cet espace est à peu près circu laire chez les fœtus jeunes, alors qu'il s'étend ensuite dans le sens indiqué plus haut. Cet aspect est accentué de façon plus frap pante encore par l'amincissement relatif des branches du ven tricule par rapport à l'espace qu'elles délimitent (fig. 2). ad. Homo. fœ Fie. le dessens 4.ventricules —deComparaison leur déplacement. latérauxentre par l'ontogenèse rapport aux (à axes gauche) vestibiens. et la phylogénèse Les flèches indiquent (à droite) Sur le fer à cheval ventriculaire, simple au début, vient se greffer la corne occipitale qui atteindra son plein développe ment dès l'enfance. On sait que dans la lignée animale la corne, inexistante chez les Carnivores et tous les ordres inférieurs, apparaît chez les Primates et l'Homme. En fait, l'apparition, au cours de l'ontogenèse humaine, de la corne occipitale correspond plutôt à un comblement progress if et différentiel des cavités, très larges dans les premiers sta des. Mais du point de vue morphologique, « tout se passe comme si » un diverticule apparaissait vers 3 mois, pour devenir très large dans les mois suivante et, enfin y s'effiler en une corne occipitale adulte. Le mécanisme de comblement, invoqué plus haut, explique les diverses variantes de cornes occipitales étudiées chez l'Homme par Lazorthes (1),. ainsi que la constatation d'une corne oc, (1) Lazorthes (6.) et Poulhès. Lee variations de la scissure calcarine .et de la corne occipitale des ventricules latéraux. C. R. Ли. des Anatomislet, 1948. Lazorthes (G.). Bimes et Poolhès. Processus d'accolément des parois des vent ricules latéraux. Etude histologique. Ibid., 1948. 202 société d'anthropologie de paris cipitale bifide que nous avons signalée chez certains Pri mates. La corne occipitale « pousse » chez l'Homme, dans une direc tion à peu près constante quel que soit l'âge (fig. 2) ; ceci par rapport au ventricule lui-même. Ce fait est objectivé par la recherche de l'indice ventriculaire occipital : y x 100, où h* est défini comme le Л de l'indice simple, mais en tenant compte de la corne occipitale. Cet indice tend chez l'adulte vers la même limite que l'indice simple, soit aux environs de 145°. Il a été montré que l'indice occipital des Primates était su périeur à l'indice ventriculaire simple, autrement dit que l'im plantation de la corne se faisait plus haut sur le ventricule. Ce fait est vraisemblablement en rapport avec une « bascule occi pitale » (prise dans les axes vestibulaires) moins marquée. B- — Changements de position. Afin de les préciser, il est nécessaire de styliser les profils ventriculaires en les simplifiant. La méthode employée sera la réduction du ventricule à un triangle, et ceci de la façon suivante («g. 1). Le côté TC des triangles représente l'axe de la corne tempor ale,T et С étant les intersections de cette droite avec le profil. Le point « S » est déterminé par le point de tangence d'une pa rallèle à TC, à la corne frontale. Le triangle ainsi formé ne définit le ventricule que d'une façon imparfaite, mais a l'avantage d'être facilement comparable à d'autres triangles. Le côté le plus important à considérer est le côté temporal TC. 11 serait susceptible à lui seul de montrer les mouvements du ventricule. Il est également curieux de s ignaler que ce triangle est rectangle à son sommet temporal T. Les triangles figurant les ventricules des Mammifères ont un angle, en T, inférieur constamment à 90° ; c'est une autre conséquence de l'allongement ventriculaire déjà noté. Dans ce même ordre d'idées, le côté TC augmente avec l'âge. Cette réduction triangulaire du ventricule latéral va permettre, non seulement de comparer les positions des ventricules, mais encore de trouver une base donnant un moyen de calculer un coefficient d'agrandissement, afin de réduire tous ces profils à des tailles comparables. En effet, le moyen indiqué pour réduire les ventricules an imaux à une même dimension ne peut s'appliquer ici, car chez les animaux adultes, l'épaisseur encéphalique et l'épaisseur ven triculaire sont relativement comparables les unes aux autres. \ DELATTRE. — ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE DU CERVEAU 20Э Dans le cas présent de l'ontogenèse humaine, si Ton utilise cette méthode basée sur l'intersection du plan vestibulaire hori zontal avec la direction de la scissure sylvienne, les ventricules fœtaux seront incomparablement plus grands que les ventricules adultes. C'est pourquoi nous réduirons tous les ventricules au moyen xde la dimension du côté ST 4'un adulte pris pour type ; ceci nous donnera le coefficient d'homothétie à employer dans chaque Fig. 5. Rotation des triangles ventrículaires autour de leur point T rendu commun : amplitude = 46°, cas. Ce dernier devra être d'autant plus grand que le cerveau sera plus petit. L'ensemble de ces profils superposés les uns sur les autres en « position » vraie mais en grandeur plus ou moins réduite, est figuré en 3. L'examen de ce schéma montre d'un seul coup d'œil l'évolution du ventricule latéral au cours de l'ontogenèse hu maine à partir de deux mois 1 /2 (fœtus). Le ventricule se dé place par rapport aux axes vestibulaires, en haut et en arrière. Il suit donc les mêmes lois évolutives qualitatives que le ventricule des Mammifères et subit une rotation et une transla tion. Sur la figure 4, ont été dessinées côte à côte les positions extrêmes trouvées d'une part chez les Mammifères (Rat et Homme) et d'autre part chez un fœtus de 2 mois 1 /2 et un Homme adulte. 204 société d'anthropologie de paris L'évolution est de même sens mais d'amplitude moindre, au cours de l'ontogenèse humaine. En effet, la concavité du ventri cule est située en dessous du plan horizontal chez le Rat, tandis que le point de départ chez le fœtus est nettement plus élevé. Il en résulte une translation moindre du point T pour atteindre de part et d'autre la position humaine adulte. De même, la rotation du ventricule autour de ce même point T Fig. 6. — Crânes humains d'âge croissant, embolies les uns dans les autres selon les axes. Les lieux géométriques des points cranio métriques principaux ont été dessinés. Le pariétal д été enlevé. En cartouche : bascule du foramen magnum. est moins accusée dans l'ontogenèse puisque, si la corne tempor ale du rat est oblique en haut et en avant, celle du fœtus le plus jeune parmi ceux étudiés, est déjà oblique en haut et en arrière. De plus, s'il a été dit que sa forme correspondait à celle d'un Carniyore, sa « position » répond également à ce même stade phylogénique. Après ces quelques considérations d'ordre général, il convient de revenir sur la rotation et la translation du ventricule : mou- DE LATTRE. — ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE DU CERVEAU 205; ^vements qui peuvent servir à décomposer n'importe quel glisselent dans un plan, et d'essayer ensuite d'en saisir les causes, îlles-ci relevenť de facteurs crâniens et de facteurs7 encépfaaiquee. : La translation porte le pôle temporal du ventricule (point T) (peu près verticalement à partir d'une position un peu inférieure à l'horizontale, jusqu'à la position adulte (fig. 4). Elle est le fait principalement de facteurs encéphaliques : accroissement relatif de l'épaisseur de matière cérébrale entre le ventricule et F.m. •v Fig. 7. — Bascule du trou occipital (42°) chez les individus dont les ventricule» sont représentés sur la figure 3. le moule crânien. Cet épaississement se produit sous le point T, déterminant sa migration, et aussi sous la corne frontale, mais de façon plus intense encore, d'où rotation autour du point T. Pour mesurer cette dernière avec efficacité, on a représenté sur la ligure 5 l'ensemble des triangles ventriculaires en les faisant coïncider par leur point T pris pour centre d'un système d'axes rectangulaires, mais en respectant leur inclinaison vestibulaire sinon leur position vraie. On peut noter indifféremment le déplacement au moyen du côté TS, ou du côté TC puisqu'ils avaient été trouvés rectangulaires. C'est la corne temporale qui a été choisie (TC) par similitude avec les mensurations faites chez l'animal. L'amplitude de la rotation ventriculaire a été trouvée de 206 société d'anthropologie de paris 46° entre le fœtus de 2 mois 1 /2 et l'adulte, alors qu'elle est de 70° entre le Rat et l'Homme. - La rotation ventriculaire entraîne dans sa pince l'ensemble : claustrum, insula, noyaux gris, qui s'élève donc en tournant légèrement. Ces déplacements se sont effectués concurremment avec la croissance du crâne. Il est bon de rappeler par un schéma (fig. 6) l'ensemble de ce développement. Sur ce dessin ont été représentés les profils orientés de crânes humains, d'âge croissant, depuis le fœtus humain de 4 mois 1 /2 jusqu'à l'adulte. Ils sont en grandeur vraie les uns par rapport aux autres, c'est-à-dire non ramenés à une commune mesure, puis réduits. Les lieux géométriques des points craniométriques princ ipaux de la voûte s'y trouvent sous la forme de lignes courbes, de plus en plus concaves vers l'arrière à mesure qu'on s'approche de l'inion. Cette constatation très importante montre que suivant la même loi d'évolution phylogénétique du crâne, celui de l'embryon humain se développe « surtout » vers l'arrière. Il offre ainsi, au cerveau et aux ventricules latéraux, un espace nouveau qui leur permet de venir s'y loger. Ce développement postérieur du crâne peut également s'ob jectiver par les variations de l'angle foraminien (entre le trou occipital et le plan vestibulaire horizontal). Cette variation dans l'intervalle étudié est de 42° environ (fig. 7). , On peut donc dire, avec l'écart d'erreur possible au cours des manipulations, mensurations, figures, etc., qu'il existe une corrélation nette entre la bascule occipitale (42tí) et la rotation ventriculaire (46°). Le ventricule, au cours Ae l'ontogenèse humaine, suit donc avec quelque retard le mouvement du foramen magnum et de la loge cérébelleuse. G. — Situation du ventricule chez l'adulte. Il semble utile pour terminer, de donner, en guise de conclusion, tm schéma (fig. 8) qui montre en grandeur et position réelles la situation vestibienne du ventricule latéral d'un Homme adulte. Cette position est une moyenne qui n'est susceptible que de peu de variations avec le type crânien, et même l'âge de l'adulte, car elle est acquise dès le début de l'adolescence. Un point remarquablement fixe de cet ensemble, déjà signalé par Lazorthes, est le trou de Monro situé à 30 mm à la fois au-dessus et en avant des axes. La figure 8 permet de prendre sur le crâne DELATTRE. ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE DU CERVEAU 207 s repères désirés en chirurgie crânienne, pour l'abord d'un >oint quelconque des cavités liquidiennes, après avoir au préa* ible déterminé sur le vivant la position des axes vestibiens par îe technique tomographique du labyrinthe exposée ailleurs (1). \ La morphogénèse des ventricules latéraux, au cours du déve loppement du cerveau humain, est parallèle à la morphogénèse des ventricules au cours du développement évolutif du cerveau des Mammifères. L'analyse de ce véritable mouvement ventriculaire montre FlG. 8. Position vestibulaire en grandeur réelle d'un ventricule adulte. En bas, l'hypophyse. qu'il s'accomplit en même temps et dans le même sens que le « véritable » mouvement de l'arrière-crâne humain au cours de l'ontogenèse. La cavité crânienne s'agrandit par l'arrière car la loge occi pitale tourne autour de l'axe vestibien. Les lobes occipitaux s'engagent dans cet espace nouveau et entraînent les ventricules. Les plans de référence vestibiens permettent de voir des déplacements et de les mesurer. Grâce à eux il est possible d'en comprendre le mécanisme. {Travail du Laboratoire de Cranioloaie comparée de la Faculté Libre de Médecine de Lille : P* A. Delaltre.) (1) Payelleville et Fenart. Emploi de la tomographie du Labyrinthe dans l'orientation du crâne. J. Se. méd. de Lille, t. 71, n° 9. 15 sept. 1953. ííf.r-^ř*VV 208 société d'anthropologie de paris Sommaire. La comparaison dans les axes vestibiens, des ventricules latéraux au cours de l'ontogenèse humaine, a permis de montrer que celle-ci ressemble « qualitativement » à la pbylogénèse des ventricules, tant pour la forme que pour la position ; mais l'amplitude des mouvements est moindre. Ces changements de position sont en rapport avec l'accroissement du crâne humain qui se déploie « surtout » par l'arrière dans une zone nou velle rétro-vestibienrie. Des schémas sont proposés pour l'utilisation éventuelle de ces données en neuro-chirurgie.