Essais cliniques : du médecin au médecin investigateur

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VIE PROFESSIONNELLE
Essais cliniques : du médecin
au médecin investigateur
I. Vachier*
L’
* Département de pneumologie,
hôpital Arnaud-de-Villeneuve, CHRU
de Montpellier.
exercice médical répond à des principes de
déontologie définis par le Code de déontologie médicale et des dispositions européennes. Le Code de déontologie médicale est
proposé par l’Ordre des médecins puis soumis au
Conseil d’État. C’est ensuite l’Ordre qui veille à
l’application du Code de la santé publique (CSP),
au maintien des principes de moralité, de probité,
de compétence et de dévouement indispensables
à l’exercice de la médecine, et à l’observation, par
tous ses membres, des devoirs professionnels, ainsi
que des règles édictées par le Code de déontologie
médicale (article R.4127-1 à 112 du CSP).
Le mot “déontologie” apparaît dans la langue française en 1825, dans une traduction de l’ouvrage
du philosophe anglais Jeremy Bentham, qui écrit :
“L’Éthique a reçu le nom plus expressif de Déontologie”.
Le progrès médical est du domaine de la recherche,
de la découverte, de son évaluation et de la mise
en pratique de faits validés. Le Code de déontologie
médicale définit donc les modalités de l’implication
du médecin investigateur dans la recherche clinique.
Le terme “recherche clinique” recouvre l’ensemble des
recherches à visée médicale menées sur l’être humain,
malade ou non. Étroitement complémentaire de la
recherche fondamentale, la recherche clinique va de
la recherche dite “translationnelle” − passerelle entre
les savoirs fondamental et clinique − jusqu’aux études
épidémiologiques, en passant par les essais cliniques
indispensables pour évaluer l’efficacité et la sécurité
des nouveaux médicaments.
Le texte européen qui encadre les principes éthiques
applicables à la recherche médicale impliquant des
êtres humains, y compris la recherche sur du matériel
biologique humain et sur des données identifiables,
est la déclaration d’Helsinki, document de l’Association médicale mondiale (AMM) édité en 1964
à Helsinki (Finlande). Le dernier amendement de
cette déclaration a été adopté par la 59e assemblée
générale de l’AMM en 2008 à Séoul (Corée).
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Cette déclaration comporte 35 principes éthiques
conçus comme un tout indissociable (http://www.
wma.net/fr/30publications/10policies/b3/index.
html).
En France, au début des années 1980, un groupe
de travail (membres du Conseil d’État, professeurs
de médecine et de droit, membres de la Cour de
cassation et le président du Comité consultatif
national d’éthique) affirme la nécessité d’une loi
qui permettrait de légaliser pleinement les essais
cliniques et surtout de faire le point sur la responsabilité civile et pénale des médecins investigateurs
et des promoteurs.
Le 20 décembre 1988 est votée la loi sur la protection des personnes qui se prêtent à la recherche
biomédicale, la loi Huriet-Sérusclat (n° 88-1138 du
20 décembre 1988), qui crée les Comités consultatifs
de protection des personnes qui se prêtent à des
recherches biomédicales (CCPPRB).
En avril 2001, la directive européenne 2001/20/
CE établit le principe que “les intérêts du patient
priment toujours sur ceux de la science et de la
société”. Une directive est un acte liant les États
membres destinataires quant aux résultats à
atteindre, tout en laissant le choix des moyens et
de la forme. Cette directive est donc adoptée en
France en avril 2004 (loi n° 2004-806, L. 1121-1
à L. 1126-7 et R. 1121-1 à R. 1125-13 du CSP) et les
CCPPRB deviennent des Comités de protection des
personnes (CPP).
Les bonnes pratiques cliniques (BPC) garantissent
en recherche biomédicale la qualité et l’authenticité
des informations recueillies et le respect de la loi et
des règlements garantissant les droits des personnes
dans la recherche biomédicale. La dernière version
du texte français des BPC pour les recherches biomédicales portant sur un médicament à usage humain
date du 24 novembre 2006.
En application des BPC, toute recherche biomédicale doit faire l’objet de contrôles de qualité réalisés
en début et en cours d’essai sous la responsabilité
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du promoteur de la recherche. Cette fonction est
en général assurée par les assistants de recherche
clinique (ARC) du promoteur.
L’ensemble de ces dispositifs a permis de définir clairement les obligations du médecin investigateur. Il
est le garant de la protection des personnes, de la
qualité des soins et de toute la prise en charge du
patient. Il doit avant tout respecter les règles de
déontologie et faire primer le soin sur la recherche. Il
doit s’assurer du respect des autorités compétentes
(Agence nationale de sécurité du médicament et des
produits de santé [ANSM], CPP, Conseil national de
l’Ordre des médecins [dont l’avis n’est pas bloquant
s’il est négatif] et Code de déontologie médicale).
Enfin, il doit respecter le droit des patients, avec
obligation d’information et recueil du consentement écrit, libre et éclairé. Il doit vérifier la situation
du patient sur le fichier national des personnes qui
se prêtent à des recherches biomédicales (période
d’exclusion et indemnités perçues). Il doit respecter
la volonté du patient de se retirer du protocole à
tout moment sans porter préjudice à la qualité de
ses soins futurs et arrêter le protocole en cas de
mise en danger ou d’aléas.
Le rôle du médecin investigateur est de diriger et
d’encadrer un essai clinique. Son souci principal est
le bien-être et la santé des volontaires sains ou des
patients inclus dans un essai.
Il peut être à l’origine de l’idée de recherche et concevoir le protocole de l’essai clinique qu’il dirige. Dans
le cadre d’essais cliniques dits multicentriques et/­ou
internationaux, il peut avoir été désigné pour le suivi
de l’étude menée.
Le médecin investigateur est entouré d’une équipe
de professionnels constituée d’infirmiers et de techniciens d’étude clinique. Il encadre le recrutement
des volontaires et/ou des patients participant à
l’étude clinique avec qui il sera en contact tout au
long de l’essai. Il doit veiller à ce que les produits de
recherche soient utilisés conformément au protocole
approuvé. Il est le garant du respect des exigences
réglementaires, des bonnes pratiques cliniques et
des principes éthiques en vigueur.
La recherche clinique dans les maladies respiratoires,
c’est aujourd’hui 15 046 études référencées (www.
ClinicalTrials.gov) réalisées dans le monde entier,
dont 4 638 réalisées en Europe et 1 066 en France
(données exhaustives basées sur les déclarations des
études aussi bien institutionnelles qu’industrielles,
par le promoteur), qui nous placent dans un wagon
de tête avec l’Allemagne et le Royaume-Uni.
La récente enquête du LEEM (Les Entreprises du
Médicament) “Place de la France dans la recherche
clinique internationale” montre les difficultés de
notre pays à maintenir sa position dans la compétition internationale dans le domaine des essais de
médicaments : si la compétitivité française demeure
tirée par 2 aires thérapeutiques “phares”, le cancer et
les maladies rares, elle cède en revanche du terrain
dans 2 autres domaines clés : le cardiovasculaire et
le diabète (1).
Cette enquête a pour but de définir la place de la
France dans la recherche clinique internationale (1).
Elle est réalisée tous les 2 ans et vise donc à comparer
les résultats avec ceux des enquêtes précédentes.
L’objectif est de renforcer l’image de la compétitivité
française comparativement aux autres pays européens et, in fine, de permettre une réorganisation
de la recherche clinique en France.
En Europe, le pays qui montre l’activité de recherche
clinique la plus importante est l’Allemagne. Si on
tente de faire un comparatif entre les 2 pays, il
semble que l’Allemagne tire son épingle du jeu par
la qualité de ses investigateurs, la cohérence des
objectifs qu’ils annoncent et la vitesse de recrutement. L’importance du marché et des autorités
d’enregistrement allemande et française sont à peu
près comparables. Pourquoi l’Allemagne fait-elle
mieux ? Probablement grâce à une simplification
des formalités administratives, mais surtout grâce à
une organisation très professionnelle des structures
de recherche clinique dédiées. Des programmes
spécifiques ont été mis en place pour soutenir les
études cliniques dans les universités, avec l’objectif
de former des réseaux de compétence de recherche
et d’atteindre un niveau de savoir-faire international
en matière de BPC. Ces centres de recherche sont
aussi impliqués dans le transfert des conclusions
de la recherche biomédicale vers leur utilisation
clinique en coopération avec des cliniques universitaires.
Quelle est la place
de la France dans le domaine
du respiratoire ?
Les quelques schémas extraits de l’enquête 2012
font référence aux études avec participation française dont le début de la période d’inclusion des
patients était prévu entre le 1er janvier 2010 et le
31 décembre 2011.
Le tableau (p. 116) montre que le nombre d’études
respiratoires prises en comptes dans cette enquête a
plus que doublé par rapport à 2009, avec un nombre
de patients concernés par ces études multiplié par 3.
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Tableau. Le respiratoire a vu son nombre d’études (phase II-III) doubler entre 2010 et 2012, et son nombre de patients tripler (“Place de la France dans la
recherche clinique internationale”, enquête 2012 © LEEM).
Aire thérapeutique
Neurologie
Enquête
Nombre
d’études
Nombre
de patients
Nombre
de centres
Nombre moyen
de patients
par étude
Nombre moyen
Vitesse
de patients recrutés de recrutement*
par centre
2012
34
599
141
18
3,9
0,7
2010
32
654
138
20
4,6
0,9
Oncologie/
Onco-hématologie
2012
120
3 288
813
27
3,7
0,4
2010
92
2 998
636
33
4,0
0,4
Ophtalmologie
2012
6
52
22
9
2,7
0,4
Psychiatrie
2012
15
442
89
29
3,7
0,4
2010
18
622
117
35
4,7
0,7
2012
8
117
30
15
4,2
0,3
2010
5
51
17
10
4,7
2,6
2012
13
3 599
121
277
24,3
21,8
2010
8
5 688
115
711
43,5
27,7
2012
23
990
262
43
4,3
0,6
2010
9
305
54
34
5,8
1,2
2012
24
1 400
139
58
5,6
0,8
2010
32
1 316
170
41
14,9
2,8
Maladies rares
Vaccins
Respiratoire
Autres
* Vitesse de recrutement : nombre de patients recrutés/centre/mois.
Seules les études
impliquant la France
ont été retenues.
Figure 1. La performance de la France est meilleure dans certaines aires thérapeutiques (oncologie/maladies rares/anti-infectieux-virologie-vaccins)
[“Place de la France dans la recherche clinique internationale”, enquête 2012 © LEEM].
116 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 3 - mai-juin 2013
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Seules les études
impliquant la France
ont été retenues.
Figure 2. La France est particulièrement performante en maladies rares ainsi qu’en oncologie (“Place de la France dans la recherche clinique internationale”, enquête 2012 © LEEM).
Seules les études
impliquant la France
ont été retenues.
Figure 3. L’anti-infectieux/virologie/vaccins se distingue en termes de vitesse de recrutement (nombre de patients recrutés/centre/mois) [“Place de
la France dans la recherche clinique internationale”, enquête 2012 © LEEM].
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Ces études ont été réalisées par plus de 250 centres.
Il semblerait que nous devions accentuer nos efforts
en termes de vitesse d’inclusion des patients et de
nombre de patients inclus par centre ouvert.
Les figures 1 à 3 (p. 116-117) sont les indicateurs
de performances quant au nombre de patients par
étude et par aire thérapeutique en France.
Par sa position déterminante dans la concrétisation
de projets de recherche, la recherche clinique est une
composante clé de la compétitivité de la recherche
biomédicale. Elle a en outre une valeur formatrice
et structurante. C’est un mode privilégié d’accès à
l’innovation thérapeutique pour le patient et une
source de formation continue pour les personnels
médicaux et soignants. Elle participe ainsi à l’amélioration de la qualité des soins et contribue à la
réputation de la médecine française.
Quel intérêt de maintenir
les essais cliniques
sur le territoire français ?
➤➤ Pour que les patients bénéficient plus tôt de traitements novateurs.
➤➤ Pour conserver l’avance de la France en matière
d’innovation médicale.
Pistes pour améliorer la compétitivité
en France
Pour en savoir plus…
• L eem Enquête Attractivité 2012
– Rapport final – 30/11/2012.
http://www.leem.org/sites/
default/files/Enquete-Attractivite-2012.pdf
180 mm
La performance en recherche clinique est l’affaire de
tous ; médecin et médecin investigateur, chacun a
sa place. La mise en place au niveau régional d’un
réseau visant à échanger sur la capacité et la volonté
de chacun à s’impliquer, à évaluer son potentiel de
participation complète ou partielle à un essai ou
simplement à proposer ces essais à des patients
serait profitable. Ce type de réseau peut en effet
être le point de départ d’échanges :
➤➤ en amont, sur l’éligibilité des patients à différents
essais ;
➤➤ en cours, sur le suivi et l’apport des nouvelles
molécules dans les pathologies étudiées ;
➤➤ en aval, sur l’intérêt et le devenir de ces molécules.
Bien sûr, tout cela doit se faire de façon tout fait
transparente :
➤➤ vis-à-vis du promoteur, en respectant les règles
de confidentialité avec une communication autorisée ;
➤➤ vis-à-vis des autorités de santé, en respectant
les différents liens d’intérêts ;
➤➤ vis-à-vis de l’ensemble des patients et médecins,
en respectant les règles de déontologie médicale.
Pour conclure, et c’est certainement le point de
départ, la recherche clinique doit faire l’objet d’un
enseignement spécifique et obligatoire au sein des
facultés de médecine et autres structures de formation paramédicale. Il semble urgent d’inculquer une
culture de recherche clinique chez tous les professionnels de santé. Pour ce faire, il est indispensable
que les internes, par exemple, aient l’obligation dans
leur cursus de choisir un stage hospitalier en immersion dans une structure de recherche clinique (centre
d’investigation clinique, délégation à la recherche
clinique et à l’innovation, structure privée, contract
research organization, etc.). Cet enseignement, qui
n’est pas obligatoire, n’est dispensé aujourd’hui que
sous forme de diplôme universitaire, sans vraiment
d’obligation de pratique sur le terrain. Une formation
tant théorique que pratique au sein des instituts
de formation des infirmiers mais aussi des kinésithérapeutes, pharmaciens, etc., semble aujourd’hui
incontournable. Une meilleure connaissance par
les professionnels de santé de la recherche clinique
aidera à une meilleure reconnaissance de cette activité par le grand public. Il est urgent de ne plus
associer le fait de participer à une étude clinique
au sentiment de devenir un “cobaye”…
■
Chers abonnés, chers lecteurs,
toute l’équipe Edimark vous souhaite
un très bel été d’évasion
et de réflexion et vous donne
rendez-vous dès la rentrée !
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145 mm
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