Le maître doit chercher à circonscrire quelques-uns des problèmes qui habitent
l'esprit des élèves, à les formuler clairement, puis à établir entre ces problèmes
une certaine hiérarchie. Le maître de philosophie, ainsi à l'écoute de sa classe,
doit, à ce stade, posséder un don de curiosité d'autrui et de sympathie sans lequel
il est vain d'espérer un dialogue véritable avec ses élèves. Il se peut que les
problèmes présentés soient d'ordre assez concret; le maître devra les acheminer
vers un plan philosophique, en les rattachant à une signification plus englobante,
en leur assignant une place dans la constellation des grandes questions
philosophiques. Ce n'est qu'après avoir pris conscience du fait qu'ils se posent des
problèmes d'ordre philosophique que les élèves seront vraiment désireux d'en
éclairer quelques-uns au moyen de la démarche philosophique. Cet éveil
philosophique doit être un étonnement de la conscience, une sorte de regard neuf
et primitif sur le monde; cette candeur de l'interrogation vibre encore, après deux
mille ans, dans les écrits de Platon.
946. Il est utopique de penser qu'on va transformer tous les étudiants en jeunes
philosophes. On doit surtout viser à leur apprendre comment procède la
philosophie, quelle sorte de rigueur doit être la sienne, comment on doit la lire; les
méthodes de la philosophie ne sont pas celles de la littérature, ni celles des
mathématiques, ni celles de la science expérimentale; voilà surtout ce qui doit
rester à l'élève, après une certaine initiation à la culture philosophique. On doit
donc limiter l'ambition des programmes de philosophie. Les méthodes que nous
avons suggérées - recherche en commun, laboratoire du raisonnement, séminaires -
sont des méthodes qui prennent du temps. Mieux vaut étudier quelques problèmes
durant une année, de cette façon inductive, lente et systématique que d'apprendre
par coeur un système philosophique au complet, en résumé ou dans l'original. On
doit se compter heureux si, après avoir réussi un certain accrochage des élèves aux
problèmes de la philosophie, on leur apprend à s'orienter dans l'univers
philosophique, on leur indique où trouver des éléments de réponse à leurs
questions, on les habitue aux rudiments du langage métaphysique le plus courant,
on tes entraîne à la réflexion, à l'analyse, à un certain mouvement dialectique dans
l'intention profondément naturelle de chercher avec eux la réponse à des questions
qui habitent leur esprit ou qu'on y a fait naître.
928. Le passage de la connaissance confuse à la conscience claire, d'après
Spinoza, est générateur de joie et de perfection. Cette conformité et cette
adhésion de l'esprit à la vérité transforment vraiment la personne par sa
participation à une réalité qu'elle a assimilée et absorbée et qui est devenue
elle-même. L'esprit s'agrandit par la philosophie peut-être encore plus que par
toute autre discipline, parce que la philosophie lui donne les raisons de la vie, de
l'être et des choses. Le plan d'universalité où se situe la philosophie aide la
personne à voir sa vraie place dans le monde des réalités et des idées et répond
ainsi à l'une de ses inquiétudes et à l'un de ses besoins les plus profonds.
929. La culture occidentale ne peut se comprendre sans la connaissance de la
pensée philosophique. Toute la littérature en est imprégnée, et cela est encore plus
vrai de la littérature contemporaine qu'auparavant. A celui qui n'a jamais réfléchi
sur une page de Platon, d'Aristote, de Thomas d'Aquin, de Descartes, de Kant, de
Hegel, de Marx, de Bergson, de Sartre ou de tant d'autres philosophes échappe
toute une dimension intellectuelle absolument irremplaçable. Le sens de bien des
oeuvres, celui de la culture, celui de la vie po1itique, ne se comprennent bien
souvent qu'en rapport avec des positions philosophiques - marxisme,
existentialisme, ou autres.
930. Les difficultés que comporte la formation philosophique de la jeunesse sont
largement compensées par le profit qu'elle peut en tirer. Pour que cette formation
évite les principaux écueils qu'elle rencontre souvent, elle devrait être conçue
comme une initiation aux méthodes de cette discipline et aux grands problèmes
que celle-ci aborde généralement Il ne s'agit pas de faire connaître aux élèves de
ce niveau toute l'histoire des idées, ni de chercher à répondre avec eux!, par une
méthode infaillible, à tous les problèmes; on devra centrer cette initiation sur
quelques problèmes tout au plus qui, de toute façon, s'inséreront dans cette
constellation plus générale que constitue l'ensemble de la pensée philosophique.
mile BR
HIER
Les. thèmes actuels de la
hiloso
hie. P.U.P
. 1959.
. 1.