Principales pathologies infectieuses transmises à l homme par les

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 8 - octobre 2000
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MISE AU POINT
l existe actuellement en France environ 45 millions d’ani-
maux de compagnie. Outre 1,5 million de rongeurs,
5,7 millions d’oiseaux et 21,4 millions de poissons, on
compte 7,6 millions de chiens et 8,1 millions de chats (1). Les
chiens et les chats sont pour la plupart en contact étroit avec
l’homme (animaux de compagnie, chiens de garde, chiens de
chasse) ; les autres chiens et chats, considérés comme errants,
dépendent néanmoins de l’homme d’une manière directe (chats
errants nourris par des amis des bêtes) ou indirecte (nourriture
trouvée dans les ordures). Ces rapports étroits favorisent la
transmission d’agents microbiens de l’homme vers les animaux
ou de l’animal vers les hommes.
Le chien et le chat sont tous deux des carnivores et, de ce fait,
hébergent naturellement des flores microbiennes voisines. Ces
flores normales sont habituellement différentes de celles de
l’homme (2) et les germes qui les composent peuvent se trans-
mettre à l’homme. Le chien et le chat peuvent également être
infectés par de très nombreux micro-organismes ne faisant pas
partie de leur flore normale et contaminer ainsi l’homme à leur
tour. Bien entendu, une maladie ne se développera chez
l’homme que si celui-ci est sensible au micro-organisme trans-
mis par l’animal. Cette sensibilité dépend du germe considéré
et de sa voie de pénétration dans l’organisme humain.
Les infections transmises par les chiens et les chats sont dues
aux trois grandes classes d’agents infectieux : bactéries, virus
et parasites. Il y a peu de chances que l’encéphalopathie spon-
giforme féline, due à un “agent transmissible non convention-
nel”, soit transmissible et transmise à l’homme.
Ces micro-organismes peuvent pénétrer dans l’organisme
humain par plusieurs voies : par morsure ou griffure, par inges-
tion, par inhalation, par voie transmuqueuse ou transcutanée,
laquelle peut faire intervenir un vecteur arthropode hémato-
phage.
Nous limiterons cet exposé aux principales pathologies bacté-
riennes, virales et parasitaires pouvant être rencontrées en
France, où chiens et chats sont acteurs ou maillons bien réels
d’une chaîne de transmission. Ces animaux interviennent encore,
en particulier en zone tropicale, dans bon nombre d’autres cycles
parasitaires comme hôtes ou réservoirs, tant principaux qu’ac-
cessoires. Une autre revue consacrée à tous les animaux de com-
pagnie a été récemment publiée par Geffray (3).
Principales pathologies infectieuses
transmises à l’homme
par les chiens et les chats
!
Y. Piémont*, J. Waller**, J.P. Gut***, H.J. Boulouis****
*Institut de bactériologie de la faculté de médecine et hôpitaux universitaires
de Strasbourg, 67000 Strasbourg.
**Institut de parasitologie de la faculté de médecine et hôpitaux universitaires
de Strasbourg, 67000 Strasbourg.
***Institut de virologie de la faculté de médecine et hôpitaux universitaires de
Strasbourg, 67000 Strasbourg.
****École nationale vétérinaire d’Alfort, unité de microbiologie-immunologie-
pathologie générale, 94704 Maisons-Alfort Cedex.
RÉSUMÉ.
Les chiens et les chats sont susceptibles de transmettre à l’homme de nombreux agents pathogènes. Cette transmission s’effectue le
plus souvent par morsures ou griffures. Les morsures ont de fortes chances d’être infectées par des Pasteurella, par des bactéries diverses aéro-
bies et anaérobies et par Bartonella henselae, agent de la maladie des griffes du chat. Ces morsures peuvent également être la porte d’entrée
du virus de la rage et de la bactérie du tétanos, dont le risque doit toujours être pris en compte sur le plan prophylactique. Les griffures de
chat, quant à elles, sont souvent susceptibles de transmettre Bartonella henselae. Les chiens et les chats peuvent aussi transmettre à l’homme
divers bactéries et parasites par voie digestive (Salmonella, Campylobacter, Toxoplasma, Echinococcus, Toxocara) ou par voie respiratoire
(Coxiella). Les agents pathogènes capables d’infecter l’homme par simple contact sont les Leptospira, les larves d’ankylostomes et les teignes.
Enfin, les arthropodes hématophages peuvent transmettre à l’homme certains agents pathogènes du chien et du chat comme les Rickettsia,
Leishmania, Dirofilaria, et d’autres agents comme des arbovirus.
Mots-clés :
Chiens - Chats - Bactéries - Parasites - Virus.
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CONTAMINATION HUMAINE À LA SUITE
D’UN TRAUMATISME
Bactéries
!Bactéries des morsures
"Flore des morsures. La cavité buccale du chien et du chat
est, comme celle de l’homme, très riche en bactéries aérobies
et anaérobies strictes. Le développement et les modifications
de cette flore sont à l’origine de stomatites et de parodontites
qui représentent l’affection oropharyngée la plus fréquente chez
le chien et le chat (2).
Les germes naturellement présents dans la flore buccale de
ces animaux sont potentiellement pathogènes pour l’homme
lors de morsures. Il s’agit principalement de bactéries à Gram
négatif : Pasteurella multocida, Pasteurella canis, Pasteu-
rella dagmatis, Capnocytophaga canimorsus (anciennement
appelé DF2), Capnocytophaga cynodegmi (anciennement
DF2-like), bactéries EF4b,Pasteurella bettyae (anciennement
HB5), Neisseria canis, Neisseria weaverii (anciennement
M5). D’autres bacilles à Gram négatif formés de certains cap-
nophiles comme Actinobacillus actinomycetemcomitans ou
Eikenella corrodens et d’autres anaérobies stricts comme
Porphyromonas gingivalis, Fusobacterium spp sont souvent
isolés. Des germes à Gram positif (Staphylococcus interme-
dius, lactobacilles) peuvent également être isolés, ainsi que
des spirochètes. Une autre bactérie transmise par l’intermé-
diaire de morsures est Bartonella henselae (cf. chapitre “des
griffures”).
En tout état de cause, le germe le plus fréquemment isolé de
morsures est sans conteste Pasteurella multocida.
"Pasteurella (4)
#Épidémiologie. Les Pasteurella sont des bactéries commen-
sales des muqueuses du tractus respiratoire supérieur et du tube
digestif des vertébrés supérieurs. Ce sont des parasites obliga-
toires de ces muqueuses. Le mode de transmission habituel
entre individus s’effectue par simple contact avec les sécrétions
rhinopharyngées et la salive. La survie dans le milieu extérieur
est possible après leur élimination avec les déjections ou même
sous forme d’aérosols (5). Les Pasteurella étant sensibles à la
dessiccation et au froid, le rôle de réservoir du milieu extérieur
est limité. La contamination humaine s’effectue de deux
manières : par inoculation et par infection secondaire.
La transmission par inoculation est celle qui prédomine en cli-
nique humaine. La bactérie est inoculée par voie transcutanée,
habituellement par morsure animale, mais parfois aussi par du
matériel inerte souillé par des déjections. L’infection peut aussi
se développer après léchage par un animal de lésions cutanées
préexistantes (ulcère variqueux). Les morsures sont le fait de
chiens dans 80 % des cas et de chats dans 15 % des cas (6, 7).
Selon les études, 12 à 66 % des chiens et 50 à 90 % des chats
sont porteurs de Pasteurella dans la gueule (2, 8). La fréquence
des pasteurelloses d’inoculation est comprise entre 15 et 60 cas
par million d’habitants (4).
Les formes de pasteurellose par infection secondaire sont assi-
milables à des infections opportunistes : la bactérie ayant colo-
nisé des muqueuses devient commensale de l’organisme, puis
est à l’origine d’un processus infectieux lors d’une altération
marquée de l’état immunitaire de l’hôte. La fréquence des pas-
teurelloses respiratoires est mal connue ; cependant, l’exercice
professionnel en milieu agricole expose plus à ce type d’in-
fection que l’exposition limitée à de petits animaux domes-
tiques comme les chiens et les chats (4).
#Symptomatologie clinique
– Pasteurellose locale ou locorégionale. Les formes locales
sont secondaires à une morsure ou à une griffade. Les membres
supérieurs sont atteints dans 61 % des cas, l’extrémité des
membres inférieurs dans 22 % et la tête dans 14 % des cas, par-
ticulièrement chez les jeunes enfants.
Les formes locorégionales découlent des formes locales avec
atteinte du ganglion satellite du territoire infecté. La pasteu-
rellose d’inoculation peut se compliquer fréquemment d’une
atteinte ostéo-articulaire par extension de l’infection (habi-
tuellement limitée) aux plans cutanés et aux gaines synoviales.
L’évolution de l’infection peut être aiguë ou subaiguë. Les formes
aiguës sont caractérisées par la précocité (moins de 24 heures)
des signes inflammatoires et l’intensité exceptionnelle des dou-
leurs. Cette période précoce suivant l’inoculation est celle du dia-
gnostic bactériologique par isolement de la bactérie.
Les formes subaiguës se présentent comme des atteintes inflam-
matoires et réactionnelles, touchant principalement les articu-
lations par un mécanisme vraisemblablement immuno-aller-
gique. Les signes apparaissent de quelques jours à quelques
semaines après l’épisode aigu initial sous forme de douleurs et
d’atteinte articulaire (ténosynovite ou arthrite réactionnelle).
En l’absence de thérapeutique, l’évolution se fait vers une algo-
dystrophie et une déminéralisation osseuse (9).
– Pasteurellose systémique. Outre la forme d’inoculation, les
Pasteurella peuvent être responsables d’infections systémiques.
Le spectre clinique de ces infections est très vaste, car la plu-
part des organes peuvent être infectés : peau, os, articulations,
sphère ORL, appareil respiratoire, cœur, vaisseaux, encéphale,
organes abdominaux, appareil génito-urinaire (incluant des
infections materno-fœtales) et yeux.
Les pasteurelloses systémiques concernent essentiellement
l’appareil respiratoire. L’infection est soit d’origine hémato-
gène, soit par colonisation descendante à partir d’un portage
oropharyngé. Des bactériémies peuvent se développer préfé-
rentiellement à partir d’un foyer viscéral. Les atteintes neuro-
méningées sont d’origine hématogène ou proviennent d’une
infection par contiguïté à partir d’un foyer ORL. Les atteintes
digestives et génito-urinaires résultent de la présence transi-
toire ou prolongée de la bactérie sur les muqueuses digestive
ou génitale. Un cas d’infection in utero pendant le premier tri-
mestre de la grossesse a été signalé (10)..../...
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– Pasteurellose aiguë sur terrain débilité. Les pasteurelloses
survenant sur un terrain non fragilisé sont généralement d’évo-
lution favorable. Sur un terrain débilité, la mortalité est impor-
tante. Elle est, par exemple, de 60 % chez le cirrhotique (11).
Les autres facteurs de risque sont notamment les affections néo-
plasiques, les hémopathies, les connectivites, une corticothé-
rapie, la présence de matériel étranger comme les prothèses
vasculaires.
Les bronchopneumopathies surviennent sur des pathologies
respiratoires anciennes comme les dilatations des bronches ou
les bronchopneumopathies chroniques obstructives.
#Prise en charge thérapeutique. Les Pasteurella sont naturelle-
ment sensibles à la plupart des bêtalactamines. Cependant, il existe
des souches résistantes, et particulièrement celles d’origine
bovine, dont 12 % produisent une bêtalactamase de type ROB-1.
Elles sont sensibles au chloramphénicol, au cyclines, aux fluo-
roquinolones, aux sulfamides et au cotrimoxazole. Elles sont
de sensibilité intermédiaire aux macrolides et résistantes à bas
niveau aux aminosides.
Le traitement d’une pasteurellose d’inoculation doit prendre en
compte le fréquent polymicrobisme de ces affections, car de
nombreuses espèces bactériennes (y compris des bactéries anaé-
robies), commensales de la cavité buccale du chien ou du chat,
sont présentes dans la morsure. On réalise d’abord un prélève-
ment bactériologique et quelques gestes chirurgicaux simples
(irrigation ou lavage et débridement de la plaie). Puis une anti-
bioprophylaxie (3 à 5 jours) est instaurée en monothérapie, avant
toute documentation bactériologique. Chez l’adulte, on recom-
mande l’association amoxicilline-acide clavulanique, et en
seconde intention des cyclines ; chez l’enfant, on utilisera plu-
tôt l’association amoxicilline-acide clavulanique ou une cépha-
losporine orale. Si le traitement est instauré plus tardivement
pour une infection patente, sa durée sera de 10 à 14 jours (4,12).
Le risque de tétanos doit être également pris en compte par le
contrôle de la vaccination ou l’injection de gammaglobulines
chez un sujet non ou mal vacciné. Le risque de la rage doit aussi
être évalué et une vaccination peut s’avérer nécessaire (12).
Le traitement des pasteurelloses systémiques doit faire appel à
des molécules bactéricides. On propose habituellement une
bêtalactamine par voie intraveineuse associée ou non à une fluo-
roquinolone pendant 10 à 15 jours.
Le traitement de la pasteurellose subaiguë par antigénothéra-
pie par voie intradermique avait été proposé par l’équipe de
Reilly en 1952 (13). Après avoir été utilisée en France, cette
méthode a été abandonnée, principalement parce que son inno-
cuité n’était pas garantie.
!Bactéries transmises par les griffures
$Bartonella henselae (14, 15). Depuis les travaux de Debré
(16),on sait que le chat peut transmettre une infection après grif-
fure. C’est ce qu’il est convenu d’appeler la maladie des griffes
du chat, ou lymphoréticulose bénigne d’inoculation. La mala-
die des griffes du chat, typique chez un sujet immunocompé-
tent, se caractérise par un antécédent de griffure, de morsure ou
de contact étroit avec un chat. Il s’agit souvent d’un chaton
récemment adopté. Sur le trait de griffure se développe, en 3 à
10 jours, une papule ronde, d’un rouge-brun et dont la taille est
de un à quelques millimètres. Elle ne persiste habituellement
que pendant quelques jours, mais peut subsister plusieurs
semaines. Dans les une à deux semaines suivantes, un ou plu-
sieurs ganglions lymphatiques drainant la zone d’inoculation
subissent peu à peu une augmentation de volume, et atteignent
une taille de plusieurs centimètres en deux à trois semaines. Leur
volume ne change pas durant les deux à trois semaines suivantes,
puis décroît en deux à trois semaines supplémentaires. En tout,
la durée de la maladie est de deux à trois mois. Certains cas plus
sévères durent plus longtemps, et beaucoup sont si discrets qu’ils
ne sont pas diagnostiqués. Dans leur évolution tardive, les gan-
glions peuvent devenir fluctuants dans 10 % des cas environ,
avec, en regard, un érythème cutané. Ils peuvent suppurer s’ils
ne sont pas drainés à l’aiguille. Chez la moitié des patients, la
maladie des griffes du chat ne se traduit que par une adénopa-
thie. Carithers (17) observe que 41 % des patients infectés ne
sont pas fébriles et que, pour les autres, la température peut
dépasser 39 °C dans 9 % des cas. Certains de ces patients souf-
frent d’anorexie, de céphalée, d’arthralgies, de myalgies et de
douleurs du cou, du dos et des extrémités. Les ganglions atteints
se situent préférentiellement aux membres supérieurs (aisselle,
épitrochlée), puis, par ordre de fréquence décroissante, à la
région cervicale et sous-mandibulaire et à la région fémorale.
Les autres localisations (préauriculaire et claviculaire) sont plus
rares.
La maladie des griffes du chat peut se présenter dans 5 à 13 %
des cas sous une forme atypique sévère. Chez ces patients, des
symptômes systémiques sévères en raison de la dissémination
de l’infection existent, en plus des adénopathies (18). Ces
patients présentent une fièvre prolongée de plus de deux
semaines, un malaise, une fatigue, des arthralgies et des myal-
gies ; chez certains, on note une éruption cutanée, une perte de
poids et une splénomégalie, voire des lésions osseuses. Des
lésions hépatiques et/ou spléniques peuvent être détectées par
échographie ou par tomodensitométrie par scanner. Il existe
également des patients immunocompétents ayant une maladie
des griffes du chat disséminée sans adénopathie périphérique
détectable. Cette affection se traduit alors par de la fièvre, des
douleurs abdominales et des symptômes périphériques sévères.
Une hépato-splénomégalie peut accompagner ce tableau ; le
scanner met en évidence de multiples lésions hypodenses ; à la
ponction-biopsie du foie, des bacilles colorables par la tech-
nique de Warthin-Starry peuvent être détectés. B. henselae est
aussi responsable, chez les patients immunocompétents d’en-
docardite, d’affections neuroméningées, du syndrome oculo-
glandulaire de Parinaud (qui est la cause principale), de la neu-
rorétinite de Leber, de névrite optique et de nombreuses
manifestations vitro-rétiniennes.
Chez les patients immunodéprimés, B. henselae est aussi res-
ponsable d’affections diverses : angiomatose bacillaire, péliose
.../...
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