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Une histoire multipolaire
Si on se contente de jeter un regard rapide sur les événements qui ont marqué
la France et l’Italie, on peut avoir l’impression que les pays ont vécu au même
rythme, tant les points de convergences sont nombreux : les Romains, l’Église
catholique, la Renaissance, l’Union euroenne... Pourtant, une analyse plus
approfondie nous montre rapidement d’innombrables différences. L’histoire n’a
pas eu la même empreinte sur les Français et les Italiens. Il est fondamental de
bien le comprendre.
1.1 L’Antiquité
Dans les premiers temps de lAntiquité, ce territoire qui constitue aujourd’hui
l’Italie a connu une histoire relativement fragmentée. La péninsule peut dailleurs
être divisée en trois grandes zones.
Au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, le Sud de la péninsule et la Sicile ont été
colonisés par diverses peuplades grecques qui fuyaient une crise sociale et
politique, due en grande partie à l’augmentation trop rapide de la population.
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2 Bien communiquer avec vos interlocuteurs italiens
Les anciens Grecs apporteront aux populations locales leur langue, une certaine
organisation sociale et leurs rites religieux. Les liens avec la mère patrie vont
se perpétuer bien après la conquête romaine, voire après la n de l’Empire
d’Occident. Pour illustrer ces relations continues, on mentionne souvent la
présence de minorités hellénophones dans le Sud de la péninsule, même si
personne n’est capable de dire aujourd’hui si celles-ci remontent vraiment à
l’Antiquité ou si elles se sont installées à cet endroit plus tardivement.
LesGrecsappelleronttrèsvitecettezoneΜεγάληΕλλάς3 (Grande Grèce), une
expression qui demeurera longtemps sous la forme latine « Magna Grecia ».
C’est au Centre de la péninsule que l’histoire de ce qui deviendra l’Italie
s’est construite. On y retrouve d’innombrables peuples aux origines diverses.
Pendant des siècles, ces populations vont alterner entre période de coalition
et moments de confrontation directe. Les Étrusques sont les plus célèbres de
ces peuples, de par le mystère qui entoure leur écriture. On peut mentionner
également les Osques, les Samnites, les Sabins, les Ombriens ou les Latins. Ce
sont ces derniers qui agissant comme une sorte de catalyseur, vont permettre à
Rome de se doter d’un véritable code juridique, de mettre en place une are
de métier et d’institutionnaliser l’usage d’une langue commune.
La n de la Guerre sociale (91-88 avant J.-C.) marque traditionnellement le
début de l’ère romaine, lorsque les fédérés latins (« foederati ») obtinrent la
citoyenneté romaine. Cet acte fondamental est d’une certaine façon, le
démarrage mythique de l’Italie. Cet événement est intéressant à plus d’un titre.
Si les faits d’armes furent très nombreux tout au long de l’histoire de l’empire,
les Romains préféraient souvent négocier. De plus, ce fut fréquemment les
autres peuples qui appelèrent de leurs vœux la Citoyenneté romaine.
Il est intéressant de rappeler ici que les Romains se sont très souvent imposés
en jouant de ruse. Après avoir déclenché les hostilités, ils proposaient à certains
peuples ou à certaines tribus de les protéger contre paiement de taxes. Une
fois un territoire conquis, on créait des « colonies » romaines pour maintenir
une forme de contrôle militaire et recueillir les impôts. Toutefois, il n’y avait pas
de véritable colonisation au sens moderne du terme : rien n’était imposé aux
populations locales qui continuaient longtemps à vivre comme elles lavaient
3 Le terme de « Megàle Hellàs » ou « Magna Grecia » utilisé plus tard par les
Romains, apparait au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Il fait référence à la taille
desterritoiresdecesnouvellescoloniesencomparaisonauxterresconnéeset
surpeuplées de la mère patrie (http://www.parodos.it/bloomegaleellas.htm).
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fait pendant des décennies, à condition de reconnaître l’autorité de Rome et de
payer un tribut en échange d’une protection militaire.
Par ailleurs, toute l’histoire romaine est caractérisée par un très grand
métissage : on intègre certaines valeurs des peuples soumis, leur langue, leur
philosophie, certains de leurs dieux. Dès le début de son expansion hors de la
péninsule, la culture romaine était déjà une culture métissée qui avait beaucoup
pris aux autres peuples italiques et qui avait intégré nombre de valeurs et
spécicitésdelaculturegrecque.Cettesituationculminaaucoursdudernier
siècle de l’empire qui fut caractérisé par la présence de nombreux généraux
d’origine slave ou germanique et d’empereurs provenant de toutes les parties
de l’empire.
Autour de 88 avant J.-C., Rome avait accordé la citoyenneté aux populations
italiques. Près de 300 ans plus tard, en 212, Caracalla par décret décida
d’étendre ces droits à l’ensemble des populations de l’empire.
Le Nord de la péninsule italiquenefutjamaistouchéparl’inuencegrecque.
D’ailleurs, les Romains du premier siècle avant J.-C. ne faisaient pas la différence
entre le Nord de l’Italie et le territoire qui constitue aujourd’hui la France : toute
cette zone était pour eux la Gaule. On y retrouvait les mêmes peuples celtiques
et les mêmes traditions : élevage de porcs, production de bière, outils en fer ou
orfèvrerie, répartition des tribus en villages (vici et pagi)...
C’est cette origine commune qui explique que le Nord a une plus grande
proximité avec la France : une similitude que l’on va retrouver dans les substrats
dialectaux, l’organisation familiale et les modes de communication.
Rome fait le lien entre l’Italie et la France. Cette grande civilisation antique
a donné, aux deux peuples, une grande partie de leurs valeurs, leurs mythes
et bien évidemment leur langue. Cette appartenance commune est une sorte
de convergence mythique qui explique que Français et Italiens vont se trouver
plusdafnitésquelorsqu’ilssontencontactaveclesvoisinsgermaniquesou
slaves. Pourtant, l’histoire commune est relativement courte, 300 à 400 ans tout
au plus. Et surtout, Rome n’a pas été vécue de la même façon dans les deux
pays. L’Italie est d’un côté le lieu qui a vu la naissance de cette civilisation, son
épanouissementetsan,alorsquelaFranceenaétéunedesesinnombrables
provinces.
Alors que c’est le Centre de l’Italie qui a produit les valeurs de la République
romaine, la Gaule a rejoint l’ensemble au moment où il basculait sur l’Empire.
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Les écrits qui traitent des caractéristiques du pouvoir romain au moment de
l’Empire sont très nombreux. Il semble bien que l’organisation du pouvoir n’ait
pas été perçue de la même façon au centre et à la périphérie. Les Italiens
insistent notamment sur le fait que le passage de la République à lEmpire fut
graduel4 Il demeurera toujours une certaine ambiguïté sur l’origine du pouvoir
de l’empereur. Si les prérogatives du Sénat ont beaucoup uctué au cours
detoutelariode,lessouverainsromainsonttoujoursafrméavoirreçule
pouvoir de cette instance qui représentait la société.
Le fonctionnement de l’empereur romain est très éloigné de ce que la mytho-
logie collective française a développé autour de Napoléon. Nous faisons ici
l’hypothèse que la vision française de l’empereur héréditaire, est à rechercher
dans la tradition franque qui a donné Clovis et Charlemagne.
Aujourd’hui encore, l’Italie est très marqe par les valeurs et les modes
de vie romaines, notamment celles de lépoque de la République, auxquelles
l’école consacre bien plus de temps qu’en France. En Italie, le mythe de la patrie
se base sur l’idée de la République romaine et en intègre les principales valeurs
(vie publique, rhétorique, ruralité, frugalité...).
«Oratorest,Marceli,virbonusdicendiperitus»traduitpar«LOrateurest,Marc
monls,l’hommebondansl’artdelaparole5».
La famille romaine : un système à plusieurs strates…
La gens (pluriel en latin : gentes) est dans le système social romain, un « clan » ou
un groupe de familles portant un nom en commun, le gentilice (en latin gentilicius) qui
descendait par les mâles d’un ancêtre commun. La gens vivait sous l’autorité d’un pater
familias, interprète de la volonté divine, prêtre, juge et chef. La femme tient une place
modeste, bien que par l’influence étrusque, son rôle soit moins effacé que celui de la
femme grecque, confinée dans son gynécée. À la gens sont associés des esclaves, peu
nombreux, et des clients, libres, possédant un petit lot de terres6.
4 Par l’expression « passage graduel », on entend qu’Auguste fut très réservé dans
son appropriation des attributs de différentes « potestas » : cela se traduisit par
un passage sans chocs, et donna naissance à une des plus longues périodes de
paix de l’histoire de l’Empire romain.
5 Issu de Liberdeagricultura, communément connu comme Deagricultura. Cette
œuvre en prose, de l’auteur latin Marco Porcio Catone, dit Caton le Censeur, a été
probablement écrite en l’année 160 avant Jésus-Christ.
6 Site : http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/1449158/
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« Les empereurs romains sont de grands patriotes qui assument les affaires
publiques,lestransmettenttoutnaturellementàleurhéritierprésomptif,ouencore
lesconquièrentdehautelutte.L’empereurn’estdoncpasunroihéréditaire.Parfois,
lesempereursadoptentlapersonnedestinéeàleursucder.Parfois,lasuccession
esthéréditaire.Maisdanscecas,lenouvelempereur,nesuccèdeàsonpère,dans
sonposte,ques’ilenareçuexpressémentl’investiture.Encasdecrise,ungénéral
portéentriompheparsessoldatspeutparlesarmesaccéderaupouvoirsuprême,
c’estlecaspendantlacriseduIIIe scle.Jusqu’àlandel’empirebyzantin,l’idée
queletrônen’étaitlapropriétédepersonne, nid’un individunid’unedynastie,a
survécu.»
Jean Béranger7
«Lerôled’empereurromainétaitd’uneambigtéàrendrefou(...).UnCésardevait
avoirquatrelangages:celuid’unchefdontlepouvoircivilestdetypemilitaireet
qui donne des ordres ; celui d’un être supérieur (mais sans être un dieu vivant)
verslequelmonteuncultedelapersonnalité;celuid’unmembredugrandconseil
d’Empire,leSénat,oùiln’estquelepremierparmisespairs,quin’entremblentpas
moinspourleurtête;celuidupremiermagistratdelEmpirequicommuniqueavec
sescitoyensets’expliquedevanteux…Iln’estpasproprtairedesontrône,mais
estunsimplemandatairedelacollectivité,chargéparellededirigerlaRépublique.»
Paul Veyne8
1.2 Le Moyen Âge
La chute de l’Empire romain en 4769 créa une grande confusion. Cependant,
comme les premiers envahisseurs germains étaient romanisés, peu daspects
de l’organisation sociale furent touchés. Il en fut tout autrement en 568, lorsque
les Lombards s’installèrent sur la plus grande partie de la péninsule (sans
toucherauxterritoiresponticaux).
7 Recherchessurl’aspectidéologiqueduprincipat, Bâle, 1953, p. 72.
8 Quandnotremondeestdevenuchrétien, Albin Michel, 2007, p. 24.
9 En septembre, l’empereur Romulus Augustule est déposé par le roi Odoacre, roi
des Hérule qui se proclame roi d’Italie (http://jean-francois.mangin.pagesperso-
orange.fr/romains/ro_6.htm).
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