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PHILOSOPHIQUE
PHILOSOPHIQUE
: 2009 = 11
: 2009 = 11
On le voit dans cette brève esquisse, tout surgit d’une inquiétude première1.
C’est elle, bien davantage qu’une quelconque thèse ou qu’un contexte culturel donné,
qu’il s’agit pour nous, lecteurs d’aujourd’hui, de partager. La pensée d’Augustin se
présente tout entière comme une quête de Dieu. Oublier cet aspect essentiel ou le
considérer comme secondaire serait se condamner à ne pas comprendre l’œuvre et à en
manquer la teneur et la portée proprement philosophiques. Ce n’est pas seulement à
travers le théologien qu’on voit poindre le philosophe, mais encore dans le simple
croyant qu’est Augustin, et finalement dans l’homme même, cet « homme » qui se
donne lui-même comme une « part quelconque de la création » divine2.
C’est là, certainement, dans la reconnaissance et la mise en œuvre spéculative de
cette inquiétude humaine qui n’est d’aucun temps, que se trouve l’irréductible actualité
d’Augustin. Or, dans la mesure où c’est à partir d’elle que surgit l’exigence du signe et
son étude, la doctrine augustinienne du signe prend à nos yeux un relief qui l’arrache au
simple intérêt historique qu’on pourrait lui porter.
III. L’auteur, son époque et ses sources : concept et histoire
Il est néanmoins évident que ce que nous avons identifié comme le nerf de la
pensée augustinienne n’accède au statut théorique qu’en endossant certaines formes et
certains motifs historiquement déterminés. Une fois isolée sa source, la doctrine du
signe chez l’évêque d’Hippone ne se laisse comprendre que si l’on connaît les éléments
à partir desquels elle se déploie. Se portant sur les signes, l’attention d’Augustin
embrasse du même coup un vaste champ qui exige qu’on en prenne aujourd’hui une
connaissance approfondie3. N’y a-t-il pas alors, dans cette investigation, geste
d’historien ? Oui et non. Oui : il y a bien une exploration du passé comme tel visant à
produire son intelligibilité. Non, parce que le but poursuivi n’est pas la connaissance
historique mais la participation plénière à ce qui se joue actuellement dans la pensée
étudiée. Le but, ici, n’est pas tant de connaître que de penser.
C’est ainsi que, traitant du signe chez Augustin, on en vient fatalement à discuter
anges, langage adamique, péché, miracles, symbolique des nombres, augures, astrologie
1 Confessions, I, 1 : « Tu nous as faits orientés vers toi, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose
pas en toi. Fecisti nos ad te et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te » (Les Confessions, trad.
E. Tréhorel et G. Bouissou, « Bibliothèque augustinienne », vol. 13-14, Paris, Institut d’études
augustiniennes, 1998, t. 1, p. 273).
2 « Te louer, voilà ce que veut un homme, parcelle quelconque de ta création. Laudare te vult homo,
aliqua portio creaturae tuae » (Ibid.).
3 Sans céder ici à aucune considération érudite, on peut nommer les principaux lieux auxquels Augustin a
nourri et élaboré sa pensée du signe : dialectique et théorie du langage selon le stoïcisme ; néoplatonisme
(Plotin et Porphyre) ; la Bible ; les Pères (et en premier lieu Ambroise, dont il fut l’auditeur à Milan) ; le
contexte religieux romain hérité du paganisme (augures, présages, haruspices) ; les connaissances
scientifiques et pseudo-scientifiques de son temps : astronomie/astrologie, médecine/physiognomonie,
mathématique ; les arts libéraux (droit, rhétorique). La diversité de ces champs permet d’entrevoir la force
et l’originalité de ce qu’on a pu appeler « la synthèse augustinienne » (T. Todorov, Théories du symbole,
Paris, Seuil, 1985, (1ère éd. 1977), pp. 34-58).
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