
deux thèmes est envisagée. Les lignes de forces de cette transformation sont les suivantes: sur 
la pensée et sur l’action, au niveau psychologique et au niveau moral et politique, le point de vue 
individualiste a cédé devant le point de vue social, ce qui a signifié un montée en pertinence 
des questions relatives à la constitution sociale de l’individualité, aux déterminations sociales de 
ses pensées et de ses actions, et des questions relatives à la constitution sociale des formes de 
gouvernement,  des droits subjectifs, des dispositifs législatifs. 
  Si les rapports sociaux viennent reconfigurer les problèmes philosophiques du sujet 
et du pouvoir, alors le philosophe doit consentir à une forme, non pas de subordination, mais de 
secondarité. C’est la conséquence la plus difficile à accepter dans la perspective que je décris. 
Elle n’a pourtant rien de regrettable, et cela pour la philosophie elle-même. En acceptant de 
recevoir ainsi une impulsion externe, le philosophe entre dans une nouvelle pratique théorique. 
La confusion la plus grande serait de croire qu’il devrait se faire enquêteur, sociologue de 
substitution. On a pu, et on peut sans doute encore enquêter en philosophe dans certains 
domaines, mais il y a un domaine où enquêter en philosophe se heurte à une objection majeure, 
et c’est précisément le monde social. Et cela parce que dès qu’il y a eu quelque chose comme 
un « monde social », il y a eu une formation de savoir indépendante de la philosophie qui a pris 
ce monde en charge. Le social n’a pas précédé comme niveau de réalité les sciences sociales 
qui l’étudient. Il n’a pas d’abord été un champ pour philosophe, puis est devenu un champ pour 
savants spécialisés. Il a pris forme au carrefour de plusieurs disciplines qui l’ont fait apparaître en 
même temps qu’elles se constituaient comme disciplines (avec un rôle essentiel joué dans ce 
cadre par l’économie). 
  Depuis deux siècles, le philosophe pour lequel les choses sociales importent, reçoit 
forcément  ses problèmes du dehors. Il re-formule dans son champ, s’exerce à fabriquer 
autrement ses concepts par la prise en compte du social — non pas comme méta-concept 
abstrait, mais comme réalité empirique décrite par quelqu’un d’autre, à savoir par le sociologue. 
Par exemple, il cesse de penser l’État dans le sillage des théories juridico-politiques classiques 
et dans leur reformalisation à l’aide des théories néo-contractualistes de la justice, mais suit 
la conceptualisation de l’État formulée à partir des pratiques sociales qui le fabriquent et le 
soutiennent en permanence, et mesure l’écart creusé dans une histoire plus longue du concept. 
Bref, il défait ses catégories sous l’effet du point de vue sociologique, et les refait autrement. 
  Le sociologue conceptualise donc tout seul, et il n’a pas besoin d’aide pour 
cela. Néanmoins, lui non plus ne sort pas indemne de cette mise en relation. La question 
philosophique qui se pose à lui, c’est justement celle de la fabrication de concepts à l’échelle 
de l’histoire de la modernité, à l’échelle de la forme de rapport à soi que les sociétés modernes 
ont noué depuis deux siècles, et du type de réflexivité qu’elles se sont appliquées. Et cette 
fabrication a deux grands registres : l’esprit (le sujet, l’individu, le statut de la pensée, etc…) et la 
politique (la légitimation du pouvoir, la formation de l’autorité, la nature des lois…). C’est ainsi que