cahier quadri 1

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Lemuséeimaginairedel’Espace
manifestation4
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Dans les activités spatiales, si la fonction du transport
demeure centrale, il ne faut pas pour autant occulter ses représentations, réelles
ou fictives, concernant ce même sujet.
Dans l’ancienne Égypte, les barques étaient dévolues à conduire symboliquement
le défunt dans l’Au-delà de la voûte céleste pour assurer son éternité. Une
pratique qui prend une nouvelle ampleur aujourd’hui, puisque placer des cendres
dans le milieu extraterrestre est une pratique funéraire en développement. De
même, le transfert du monde réel vers le monde mystique peut évoquer la question
de la propulsion dans l’espace. Et les anges aux frontières de la vie et de la mort
nous entraînent dans un inconnu à l’instar des spationautes en sortie
extravéhiculaire.
La question de nos origines comme celle de notre finalité trouve des résonances
inattendues après l’annonce au XIXe siècle de « la mort de Dieu ». Dans un milieu
inhospitalier ou simplement inconnu, la voie tracée appelle à suivre une direction
sans terme assuré ; des cheminements que suivent des sondes spatiales expédiées
aux confins du système solaire. Plus proche, la détection de l’origine et de la
destination d’un lanceur extra-atmosphérique transportant une arme peut devenir
cruciale. Plus familier encore, grâce au GPS, le contrôle de flottilles dédiées aux
activités civiles, tisse un lien indissoluble entre transport terrestre et transport
spatial de systèmes de localisation.
Pour le plus grand nombre, les bases spatiales avec leurs lanceurs demeureront
inaccessibles, sauf en reproduction. Mais celles-ci seront nécessairement réduites
en maquette au regard du surdimensionnement de leurs composants, comme celle
qui nous transporte à Baïkonour où le lanceur, après avoir été érigé sur son pas de
tir, arrache les spationautes à l’attraction terrestre. C’est également le lot des
robots et des instruments emportés dans le système solaire : ainsi, transportés audelà de la Terre pour rouler « ailleurs » : les rovers transmettent des images qui
Transport du module
déplacent notre imaginaire.
européen Harmony
par la navette spatiale
vers la Station spatiale
internationale,
le 25 octobre 2007.
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Barque funéraire
Modèle de barque à voile
Bois, traces de polychromie, H : 80 cm, L : 60 cm,
Égypte, Moyen Empire (2033 – 1710 av. J.-C.).
< MUSÉE GEORGES-LABIT, TOULOUSE
Flottant sur un Nil imaginaire, la barque évoque un voyage
dans un espace à la fois connu et inconnu, un milieu changeant dans
lequel l’homme s’inscrit et se déplace.
Lire page 126
25/
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Assomption de la Vierge
Anonyme
Peinture sur bois, 91 x 79,5 cm,
Troyes - XVIe siècle.
< MUSÉE DE VAULUISANT, TROYES
Lire page 133
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La Chaussée
Victor Hugo
Plume et lavis d'encre brune, 15,6 x 36,5 cm - 1850.
< MAISON DE VICTOR HUGO, PARIS
[…] la chaussée se dilue dans l’horizon incertain
où elle s’aventure. Venant on ne sait trop d’où, elle se prolonge
hors champ dans un ailleurs invisible…
Lire page 117
26/
Trois anges en vol, portant l’échelle,
l’éponge au bout du roseau, la lance
et les tenailles, instruments de la Passion
(Arma Christi)
Simon Vouet
Huile sur toile, 132 x 177 cm - 1625.
< MUSÉE DES BEAUX-ARTS ET D’ARCHÉOLOGIE,
BESANÇON
L’échelle et l’ange qui nous regarde semblent faire le lien
entre le monde terrestre et le monde divin.
Lire page 122
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28/
Cosmodrome de Baïkonour
Maquette au 1/1000e, H : 70 cm, L : 177 cm, l : 101 cm.
< CITÉ DES SCIENCES ET DE L’INDUSTRIE, PARIS
C'est de là qu'ont été lancées les fusées
emmenant Spoutnik 1 et Spoutnik 2, puis Youri Gagarine
dans l'espace.
Lire page 116
29/
Lama
Prototype de robot martien français,
180 kg - 1999.
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< MUSÉE DES ARTS ET MÉTIERS, PARIS
Lire page 120
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De l’étude des mondes lointains
à la compréhension de notre planète
Éric Chassefière *
Plus que jamais, à l’époque du changement global et du réchauffement climatique, comprendre le
fonctionnement de la Terre nécessite l’utilisation de satellites d’observation, assurant une couverture
globale de la planète, complémentaire des données recueillies au sol, plus précises, mais aussi plus locales.
Cette utilisation de plus en plus approfondie de l’observation spatiale pour caractériser et surveiller la Terre
a démarré à la fin des années cinquante avec l’utilisation de fusées-sondes, utilisées pour explorer, et bien
souvent découvrir les hautes couches de l’atmosphère. Dès 1946, les Américains entreprennent de
transformer les fusées V2 développées en Allemagne pendant la guerre en plate formes d’accès à la haute
atmosphère. En France, sous l’impulsion de Jacques Blamont, les fusées Véronique, répandant des nuages
de sodium artificiel dans leur sillage, révèlent en 1959 la turbopause, vers 100 km d’altitude, frontière
au-dessus de laquelle l’atmosphère cesse d’être turbulente, et permettent pour la première fois de mesurer
les vents à haute altitude. Le premier satellite artificiel, Spoutnik, a été mis sur orbite deux ans plus tôt, et
l’homme investira l’espace en 1961, année du célèbre vol de Youri Gagarine. On a parlé, à l’époque des
premiers vols de fusées destinés à l’exploration de la haute atmosphère, d’une « découverte » de la Terre,
comme si regarder la Terre de l’extérieur, depuis l’espace, inaugurait la possibilité pour l’homme d’en
appréhender les mystères. Cette émergence de l’ère spatiale peut, à bien des égards, être comparée aux
grandes expéditions maritimes de la Renaissance qui ont permis de tracer la géographie de cet inconnu, de
l’immensité du reste du monde, à nos portes. Le voyage de Christophe Colomb avait pour but de rejoindre
la Chine, que Marco Polo avait atteinte par la voie orientale, en partant vers l’ouest, dans un mouvement
permettant donc d’encercler la Terre, de circonscrire l’espace « extérieur », objet d’une curiosité
nécessairement mêlée d’inquiétude. On sait comment s’est terminée l’aventure, Ptolémée ayant fait une
erreur appréciable (plus de 10 000 km) dans son estimation de la circonférence de notre planète. Mais
l’exploration, la cartographie de plus en plus précise, la mesure des méridiens, qui a conduit Arago en
Espagne au début du XIXe siècle, dans des aventures au moins aussi périlleuses que celles qu’avaient connues
Colomb et Magellan, avaient bien pour but premier de circonscrire l’espace de la Terre, d’en établir la
cartographie, et par là même de situer l’Europe sur la carte du monde.
* Planétologue, LATMOS (Laboratoire Atmosphères, milieux, observations spatiales), CNRS
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Pluralité et singularité des mondes
Notre horizon s’est élargi, et c’est maintenant la Terre que nous cherchons à situer sur la carte de
l’univers. L’exploration du système solaire n’est même pas achevée, et loin s’en faut, que l’on découvre de
nombreuses planètes autour d’autres étoiles. Ainsi, à cinq cents ans de distance, les spéculations de
Giordano Bruno sur la pluralité des mondes et la possibilité de créatures vivant près d’autres étoiles se
trouvent-elles, à défaut d’être confirmées, tout au moins permises par les découvertes récentes. Les
progrès de la biologie moléculaire suggèrent que l’apparition de la vie, dans certaines conditions,
notamment la présence d’eau liquide, pourrait être la norme, et non l’exception. Rechercher des traces
de vie, aussi bien dans le système solaire que sur des planètes tournant autour d’autres étoiles est devenu
un objectif essentiel de la planétologie. Mais s’interroger sur la possibilité même que la vie se soit
développée sur d’autres planètes demande de caractériser les conditions environnementales d’apparition
de la vie, démarche à laquelle on a donné le nom « d’exobiologie ». L’existence d’eau liquide est
généralement considérée comme une condition nécessaire à l’apparition de la vie, mais d’autres facteurs
interviennent, tels que la disponibilité d’énergie et de nutriments.
Ces facteurs, qui conditionnent l’habitabilité d’un milieu, dépendent étroitement des conditions
environnementales. Celles-ci sont certes déterminées par le climat, mais également par les mécanismes à
l’œuvre dans la terre profonde. Sans convection dans son noyau métallique, la Terre, à l’instar de Mars ou de
Vénus, ne posséderait pas de champ magnétique, son atmosphère ne serait pas protégée des particules
énergétiques en provenance du Soleil, qui bombardent la Terre, et peut-être l’atmosphère se serait-elle
dissipée précocement, comme ce fut le cas sur Mars. En l’absence de convection dans le manteau, et donc
sans tectonique des plaques, le cycle du carbone océanique, qui assure la stabilité du gaz carbonique
atmosphérique, sans lequel notre planète serait entièrement gelée, ne fonctionnerait pas. Les systèmes
vivants ont eux-mêmes un impact sur le climat, à travers par exemple la végétation. Le système climatique
influence le système hydrologique, et l’existence d’eau liquide, permise par un climat doux (température
supérieure à 0°C) conditionne probablement le bon fonctionnement de la tectonique des plaques, permise par
l’hydratation des roches qui les rend plus ductiles, plus aptes à se déformer et glisser les unes sur les autres.
Ainsi, l’existence et le développement de la vie, et le fonctionnement global de la Terre en tant que
système, sont-ils étroitement liés, et ne peuvent-ils être étudiés l’un sans l’autre. Le système couplé
géosphère-biosphère constitue un tout indissociable, un système caractérisé par des flux d’énergie et de
matière entre ses différents compartiments qui, en retour, en régulent la stabilité sur le long terme. On
le sait, la Terre, qui a résisté à tant d’épisodes déstabilisateurs (éruptions volcaniques de grande ampleur
à l’origine des traps, impacts géants, épisodes glaciaires d’origine astronomique ou tellurique), présente
une stabilité sur le long terme à toute épreuve, qu’elle doit à sa capacité à se réguler elle-même. Chaque
autre planète du système solaire, et des systèmes extrasolaires, doit être également appréhendée comme
un système. Ces systèmes présentent certaines caractéristiques en commun, et d’autres au contraire qui
les différencient. L’objet de la « planétologie comparative » est d’étudier ces ressemblances et ces
différences, nous y reviendrons. Mais nous voyons déjà se profiler une cartographie d’un tout autre ordre
que la simple délimitation des espaces, et le positionnement de notre propre espace dans cet ensemble.
La carte de l’univers sur laquelle nous voulons situer la Terre ressemble davantage à un arbre de vie. Il
s’agit d’établir une généalogie des proximités et des dissemblances entre la Terre et les planètes, qui nous
permette donc de comprendre l’origine de la Terre en tant que système, et ce qui fait que nous avons pu
y naître et l’habiter. Dans cette métrique particulière, les planètes nous sont devenues proches, non pas
tant parce que les caméras des sondes d’atterrissage nous dévoilent de nouveaux paysages (ce qui n’est
pas sans importance), mais parce que nous nous posons au sujet de la Terre les mêmes questions
scientifiques qu’à propos des planètes, ce qui est une façon nouvelle et profonde de s’approprier la
question de l’origine et du devenir de la Terre.
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L’hypothèse Gaïa
« Nous avons regardé la Terre avec notre imagination, et donc un regard neuf, et nous avons trouvé
beaucoup de choses, et notamment l’émission par la Terre d’un signal infrarouge caractéristique de la
composition chimique anormale de son atmosphère. » Ainsi s’exprime James Lovelock qui, en 1972, et donc
au tout début de l’ère de l’exploration planétaire, a publié dans la revue Atmospheric Environment un court
article exposant « l’hypothèse Gaïa ». Gaïa est avant tout un concept, la métaphore d’une Terre vivante, dont
la vie à sa surface régule elle-même les conditions de sa durabilité. Dans le monde de pâquerettes noires et
blanches imaginé par Lovelock, la multiplication des pâquerettes noires réchauffe la Terre, et celle des
blanches la refroidit, par un effet physique lié à la réflectivité de la planète, et la proportion des fleurs
blanches et noires s’ajuste afin de maintenir une température constante, et optimale, à la surface de la Terre
au cours de l’évolution géologique (qui voit également le Soleil devenir de plus en plus brillant). Cette
théorie a été développée et complexifiée depuis, et n’est pas à proprement parler démontrée, même si, à
bien des égards, elle préfigure l’approche de la Terre en tant que système que nous avons décrite. Elle
témoigne en tout cas d’une démarche totalement nouvelle dans les années soixante-dix, à savoir porter sur
la Terre un regard extérieur, celle d’un scientifique qui, immergé dans l’équipe des biologistes spatiaux de la
NASA, et s’interrogeant sur la possibilité que Mars abrite la vie, en vient à questionner le pourquoi de la
stabilité de la vie sur notre propre planète. Cette démarche, permise par le contexte de développement rapide
de l’exploration planétaire à cette époque, et le questionnement qu’elle fait naître sur les mondes lointains,
est emblématique de l’approche de la planétologie comparative. Portée à ses débuts par J. Lovelock, puis bien
d’autres, elle constitue une véritable révolution, qui n’aurait pu se produire sans cette ouverture et cette prise
de recul par rapport à notre propre planète qu’a constitué l’exploration des autres planètes.
Dans un article mémorable publié dans la revue Nature en 1993, Carl Sagan tenta, à partir des mesures
effectuées par la sonde Galileo, en route vers Jupiter, qui venait de passer au voisinage de la Terre, de
découvrir la vie sur la Terre, sans faire d’hypothèse a priori. Les mesures spectroscopiques montraient la
présence dans l’atmosphère de vapeur d’eau, d’oxygène moléculaire, de méthane, de protoxyde d’azote et
d’ozone et, par ailleurs, la présence d’eau liquide était prouvée par la réflexion spéculaire de la lumière
solaire sur l’océan. Il était ainsi possible de reconstituer la composition atmosphérique de la Terre. La
présence de méthane et de protoxyde d’azote militait, sans le démontrer, pour une origine biologique. Mais
c’est dans les mesures de réflectivité spectrale faites au dessus de l’Amazonie, qui révélaient la présence de
chlorophylle, que se trouvait la preuve que la surface n’était pas rocheuse, mais végétale. La présence de
chlorophylle expliquait ainsi la grande quantité d’oxygène atmosphérique, due à la photosynthèse. La Terre
vue par Galileo était vivante, mais quel était le degré d’évolution de la vie ? Notre Terre il y a trois cents
millions d’années aurait montré les mêmes caractéristiques. L’activité intense en ondes radio mesurée par
la sonde permit de trancher en faveur d’une vie évoluée. Il sera beaucoup plus difficile de détecter la vie sur
les planètes extrasolaires, car il n’est pas possible de se rendre sur place, et les mesures doivent être faites
de très loin, ce qui les rend beaucoup plus délicates, mais il n’y a plus d’obstacle de principe à la découverte
de vie sur des planètes distantes de plusieurs dizaines d’années-lumière. Et ainsi que l’avait proposé Lovelock
il y a trente ans, c’est en observant les spectres infrarouge de ces planètes, qui nous permettront de savoir
si leurs atmosphères sont riches en gaz susceptibles d’être produits par l’activité biologique, comme l’ozone
(formé à partir de l’oxygène moléculaire) ou le méthane, que nous prévoyons de rechercher la vie en dehors
du système solaire. Il faudra pour cela déployer dans l’espace d’immenses télescopes, utilisant les techniques
de l’interférométrie, car ces planètes très lointaines, émettent peu de lumière, et celle-ci doit être séparée de
la lumière produite par l’étoile centrale. Il sera cependant difficile d’exclure pour des gaz tels que l’ozone ou
le méthane, s’ils étaient observés, une origine non biologique. Les outils de la planétologie comparative, et
la généalogie que nous avons évoquée, basée sur l’étude détaillée des planètes du système solaire, nous
seront d’une grande utilité pour définir la proximité à la Terre d’éventuelles planètes extrasolaires présentant
des indices d’une vie possible, en vue de diagnostiquer (ou non) la présence de vie.
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La Terre et les planètes, une approche commune
Tout comme l’exploration des mers avait suscité de remarquables progrès scientifiques, par exemple dans le
développement d’horloges précises et insensibles au mouvement de la houle (car c’était la seule façon de
suivre précisément la longitude des bateaux), l’exploration spatiale s’est traduite par des progrès techniques
importants dans les domaines de la miniaturisation des capteurs, de la microélectronique et des techniques
liées plus spécifiquement à l’envoi, la propulsion et la navigation des vaisseaux (autour de la Terre et vers
l’espace lointain). De nombreux instruments utilisés pour l’observation de la Terre ont été installés sur des
véhicules interplanétaires, puis des sondes qui ont atterri sur quelques planètes (Vénus, Mars, Titan). C’est
avec les mêmes caméras, les mêmes spectromètres, les mêmes radars que ceux qui nous fournissent l’état
quotidien de notre atmosphère ou de notre océan, que nous observons les planètes et avons découvert, sur
Mars des cyclones ressemblant à s’y méprendre aux tempêtes terrestres, sur Titan des nuages et des lacs de
méthane, sur Io des volcans en activité. C’est aussi avec les outils du géologue, l’œil de la caméra en premier
lieu, mais aussi toute la panoplie de spectromètres actifs et passifs, qu’ont été mis en évidence à la surface
de Mars un grand nombre de minéraux altérés, des terrains polygonaux traduisant des phénomènes
glaciaires, des reliefs suggérant des écoulements fluides récents. Utiliser pour l’observation des planètes les
mêmes instruments que ceux qui servent pour caractériser notre environnement proche, c’est pour le
physicien ou le géologue se rapprocher de son objet d’étude. Jusqu’à présent, cette proximité passe
principalement par l’envoi d’instruments à bord de missions spatiales, qui sont déployés en orbite ou à la
surface des planètes, ce qui limite les capacités d’analyse. La prochaine étape sera de rapporter des
échantillons des planètes, et en premier lieu de Mars au milieu de la décennie 2020, mettant directement
sous les microscopes des scientifiques des fragments de terres lointaines.
L’histoire de l’exploration spatiale des planètes est déjà très riche. Les Soviétiques sont les premiers à avoir
posé un engin automatique sur Vénus au début des années soixante-dix. Puis ce fut au tour des Américains,
dont les deux sondes Viking se posèrent sur Mars en 1976. L’épopée des sondes Voyager, qui observèrent la
plupart des planètes du système solaire externe dans les années quatre-vingt, est restée gravée dans tous
les esprits. L’Europe s’est engagée il y a plus de vingt ans dans l’exploration planétaire, et a mis récemment
des véhicules en orbite autour de Mars et Vénus. Le Japon, la Chine, l’Inde visent la Lune, Mars, et les
astéroïdes. Les découvertes faites sont nombreuses, et témoignent d’une extrême diversité des planètes.
L’exploration de nos deux planètes-sœurs, Mars et Vénus, s’est avérée décisive pour comprendre les
principaux facteurs qui ont évité à la Terre d’évoluer vers un climat désertique, impropre à la vie. Plus proche
du Soleil, l’océan terrestre n’aurait sans doute pas pu condenser aux époques primitives, et la Terre
connaîtrait les conditions de la fournaise qui règne sur Vénus. De plus petite taille, à l’image de Mars, la
Terre aurait probablement été incapable de conserver son atmosphère, et se serait désertifiée. En l’absence
de gaz carbonique dans l’atmosphère, la température de surface de la Terre serait d’environ -20°C, et la Terre
serait donc entièrement gelée et désertique, ressemblant à Mars. La voie vers des conditions climatiques
clémentes, et stables sur le long terme, était étroite. L’analyse des cas de nos plus proches voisines dans le
système solaire a permis de lever un coin du voile.
Entre Mars et Vénus
Vénus est un désert montagneux recouvert d'une atmosphère dense de gaz carbonique (environ 90 bars au
sol), imprégnée d'acide sulfurique, et l'effet de serre y est considérable, avec une température de surface qui
avoisine 500°C. Le climat de Vénus constitue une phase terminale possible pour le climat de la Terre dans
quelques milliards d’années, lorsque la luminosité du Soleil sera plus grande qu’aujourd’hui, car la synthèse
progressive de l’hydrogène en hélium dans le cœur solaire se traduit par une densification et une
amplification progressive des réactions nucléaires, donc de la luminosité. Dans un scénario possible, évoqué
par Jim Kasting dans les années 80, un réchauffement important de la Terre se traduirait par l’évaporation
progressive des océans, renforçant l’effet de serre, et conduisant à terme à l’évaporation totale de l’océan,
ainsi que cela a dû se produire dans le passé sur Vénus. Sous la couverture thermique que constituerait alors
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Le mont volcanique Maat sur la planète
Vénus, reconstitué à partir des données
radar de la sonde Magellan.
La région martienne Noctis Labyrinthus
reconstituée à partir des données
stéréoscopiques de la sonde européenne
Mars Express.
l’atmosphère dense de vapeur d’eau (300 bars), la température serait de 1 500°C, les roches calcaires à la
surface de la planète asséchée entreraient en fusion et relâcheraient leur gaz carbonique dans l’atmosphère,
tandis que l’hydrogène provenant de la vapeur d’eau s’échapperait vers l’espace au sommet de l’atmosphère.
La Terre évoluerait ainsi, au fil des temps géologiques, vers un état similaire à celui de Vénus. Ce scénario,
s’il nous éclaire sur notre avenir lointain, ou du moins un avenir possible de la Terre, ne nous est que de peu
d’utilité pour comprendre le réchauffement climatique actuel, dont les échelles de temps sont beaucoup
plus courtes, et les modalités infiniment plus complexes. Il ne faut cependant pas négliger le rôle qu’a joué
la découverte de l’importance de l’effet de serre sur Vénus, au cours des années soixante, dans notre prise
de conscience des dangers de l’effet de serre, dont le principe avait été énoncé il y a plus d’un siècle par le
savant suédois Svante Arrhenius.
L'atmosphère de Mars est également constituée de gaz carbonique, mais, à l’inverse de l’atmosphère de
Vénus, elle est ténue (environ 7 mbars) et la température de surface reste généralement très au-dessous de
0°C, même en été. Mars présente des traces géologiques d’activité fluviatile ancienne, mais l’hydrosphère
martienne a disparu depuis longtemps (environ 4 milliards d’années), sous l’effet de l’échappement de
l’atmosphère vers l’espace, favorisé par la petite taille de Mars et son champ gravitationnel plus faible, et
du piégeage de l’eau sous forme d’eau gelée dans le sous-sol de la planète. Comme dans le cas de Vénus,
l’atmosphère ne présente pas d’anomalie de composition marquée signalant la présence de vie, mais la
découverte récente de méthane, en très petites quantités, demeure énigmatique. L’absence de tectonique
des plaques sur Mars est, paradoxalement, d’un intérêt majeur pour la recherche et la caractérisation de la
vie primitive. Sur Terre, on ne retrouve pas de témoins de la vie datant de plus de 3,6 milliards d’années, car
les roches sont en permanence recyclées par l’érosion et les mécanismes tectoniques. La surface de Mars
est en revanche très ancienne, certaines régions de l’hémisphère Sud étant demeurées inaltérées depuis plus
de 4 milliards d’années. Ainsi, si la vie est apparue sur Mars à l’époque où elle apparaissait sur la Terre, il
devrait être possible d’en retrouver les traces fossiles, et ainsi de restituer indirectement l’apparition de la
vie sur les deux planètes. Mars pourrait ainsi être considérée comme un arrêt sur image de la Terre primitive,
constituant une fenêtre sur le passé de notre planète. Cela suppose d’être capable d’envoyer à la surface de
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Mars des robots dont le rayon d’action soit suffisant pour explorer des régions étendues de la planète. Il sera
par ailleurs nécessaire de prélever des échantillons qui ne sont pas au contact direct de l’atmosphère,
oxydante et qui détruit la matière organique. Des capacités de forage sont prévues sur les prochaines
missions exobiologiques à destination de Mars, par exemple sur le véhicule mobile Exomars de l’ESA. On
peut néanmoins anticiper que l’exploration humaine, et le déploiement d’infrastructures permettant une
exploration géologique avancée (sur les flancs des canyons, ou via des carottages profonds), sera nécessaire,
dans le cas où l’on trouverait des traces de vie à la surface de Mars, pour mener un travail de fond sur la
reconstitution de l’émergence du vivant.
Un miroir de notre Terre
À l’heure de la crise économique et du dérèglement climatique, dont le coût s’annonce considérable, il paraît
illusoire de parier sur l’exploration humaine pour « habiter » l’espace, prendre pied sur les planètes. Les
mirages du terraforming, technique d’ingénierie qui consiste à rendre une planète telle que Mars habitable,
ne résistent pas à l’analyse de la complexité des mécanismes naturels de régulation du climat, dont il est
parfaitement irréaliste de penser que nous saurons les déclencher et les entretenir artificiellement à l’échelle
d’une planète. Ayant déréglé la Terre, nous n’avons rien trouvé de plus intelligent pour la remettre à
l’équilibre que de cesser de la perturber. L’exploration des planètes, par l’utilisation de robots (relativement)
peu coûteux, nous a fait prendre conscience de la spécificité du système Terre et nous interroger sur l’origine
des planètes, et leurs différents scénarios possibles d’évolution. Elle a permis de mieux situer la Terre dans
l’arborescence, d’améliorer la compréhension que nous avons de son fonctionnement en la comparant à
d’autres planètes, d’acquérir le recul nécessaire pour apercevoir des couplages entre couches profondes,
superficielles et externes que nous n’aurions même pas soupçonnés il y a vingt ans, d’aborder avec de
nouveaux outils, et sur de nouveaux terrains, la difficile question de l’origine de la vie. Il reste beaucoup à
faire. Les planètes sont à la fois lointaines, car difficilement accessibles, et proches, car elles nous renvoient,
dans l’approche scientifique, à la compréhension de notre environnement dans toute sa diversité, richesse
que nous n’aurons sans doute jamais fini d’explorer.
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