1 Introduction La médiocrité du débat : le Sénégal malade de ses élites et de ses médias. . Cet ouvrage est une contribution au débat économique. Les démocraties sont fortifiées par les débats. Or, le débat économique est délaissé par notre presse au quotidien conséquence d’une part, de la faillite totale des organisations de gauche en mal d’idéal, de corpus idéologique et de famille politique et d’autre part, de la défaillances des élites politiques, administratives, mais surtout intellectuelles. Quant à la nébuleuse société civile, elle change de « xaftann » au gré des intérêts de ses bailleurs. Pourquoi privilégier le débat économique? Parce que l’économie politique est la sphère déterminante en dernière instance, il faut ramener en discussion la problématique de la croissance qui est l’alpha et l’oméga des politiques macroéconomiques. Quel que soit l’angle d’analyse, la croissance économique, sur un demi-siècle est plombée par des défis qui interpellent à la fois la science économique et les économistes. Alors, Où se situent ces blocages et comment les lever ? 2 Les statistiques montrent à suffisance que sur un temps long la croissance est atone et également porteuse de fortes inégalités. Tous les programmes et projets de long terme des gouvernements successifs (OMD, DSRP, SNDE, SCA et PSE) se sont invariablement fixés comme objectif un taux de croissance de 7% pour réduire la pauvreté, les inégalités et le chômage endémique. Les incantations et les vaniteuses proclamations restent silencieuses sur le fait que cet objectif n’a jamais été historiquement atteint. Alors que les inégalités sociales induites par cette croissance précarisent l’ordre social. Cela entraine des frustrations, des humiliations qui conduisent au radicalisme et au fondamentalisme. Avec de fortes inégalité sociales, il n’existe ni société, ni citoyens, ni démocratie. Alors se pose la question de savoir quelles politiques de régulation pour concilier solidarité sociale et efficacité économique? 3 I/ Pertinence et impertinence des politiques sectorielles appliquées. Nous avons fait une découpe méthodologique du demi-siècle à partir de l’application de 4 types de politiques macroéconomiques qui se sont essentiellement déroulées sous la tutelle du FMI et de la Banque mondiale: 1. Celles de l’État développeur de 1960 à 1979; 2. L’avènement des politiques néo-libérales des PAS de 1980 à 2000; 3. Les politiques de la première alternance de 2000 à 2012 qui ouvre l’ère des grands projets et programmes ambitieux avec une gestion informelle et excessivement personnalisée; 4. La deuxième alternance semble naviguer entre continuité et rupture. Nous avons alors analysé les atouts de l’économie sénégalaise et ses dotations factorielles pour ensuite évaluer les différentes politiques sectorielles et les défis qui les bloquent. 4 L’analyse de ces défis est précédée par un avant propos qui vise deux objectifs: 1. le premier traite de la boîte à outils de la science économique dans l’objectif d’armer le citoyen sur les arcanes de la politique économique. La science économique et les économistes sont aujourd'hui interpellés sur leur capacité à apporter des réponses à une interrogation fondamentale : comment organiser la société dans sa dimension économique pour un développement durable et inclusif ? 2. et le second apprécie l’organisation socio-économique du Sénégal qui repose sur des éléments caractéristiques, souvent mal intégrés dans l’élaboration des politiques. Elle se caractérise par la forte sensibilité de la croissance aux variations de la production et de l’exportation des produits de rente, l’utilisation insuffisamment productive des ressources qui en sont tirées ainsi que des apports externes sous forme d’aide publique et d’endettement, l’hyperconsommation en milieu urbain, le système prédateur de prélèvements ou encore la vulnérabilité chronique de l’économie à l’égard de variables et chocs exogènes. 5 1. Au niveau de l’agriculture, le monde agricole est à bout. Le potentiel d’offre de production a été freiné notamment par l’application de politiques irréalistes et impertinentes conséquences de la spécialisation régressive en faveur des cultures de rente (accumulation). Toutes les politiques agricoles proclament de faire de l’agriculture le moteur de la croissance: aucune n’a réussi l’objectif. Pourtant, l’économie agricole dispose de tous les facteurs de production nécessaires pour réaliser une révolution verte: disponibilité d’eau avec la petite et la grande irrigation, de terre, de fertilisants (industries chimiques et de matériel agricole) et de paquet technologique (ISRA et ITA). 2. Au niveau du secteur industriel, les stratégies successivement mises en œuvre (import-substitution, PMI et industries exportatrices, politique des filières) ont lamentablement échoué. Le schéma pertinent des années 70 reposait sur quatre piliers: les industries agro-alimentaires, les industries chimiques et énergétiques, les industries des ressources maritimes et les industries minières. Ce schéma à la fois cohérent et pertinent, n’était pas trop éloigné de ce qui s’était fait en Chine, en Corée et en Malaisie. Il a été systématiquement démantelé par les politiques néolibérales convaincues que l’industrialisation sénégalaise était impossible. On a, ce faisant, cassé les locomotives industrielles. 3. En réponse aux crises permanentes de ces deux secteurs, l’économie s’est progressivement «tertiarisée», avec un secteur informel qui a littéralement explosé sous le poids du gonflement rapide des activités parallèles, souterraines, non structurées et inorganisées et une administration publique qui a anormalement enflé. 6 L’industrie textile l’exemple de la liquidation d’une chaine de valeur d’un apport inestimable. La théorie économique dans les années 50 et 60, assimilait l’industrialisation du Tiersmonde à la fameuse formule « le textile d’abord » Le schéma précédent donne raison à cette assertion. La filière textile était constituée de 7 unités industrielles avait un effectif de 2000 à 3000 employés. Elle faisait vivre environ 25 000 personnes avec une masse salariale 4,5 milliards de FCFA/an, des cotisations sociales de 1,15 milliards de FCFA/an. Actuellement avec la sous-facturation des produits textiles importés est estimé à 7,7 milliards de FCFA/an. Au moment où les asiatiques ont fait ce qu’il fallait pour construire une industrie textile forte, au Sénégal toutes les industries ont été démantelées : ICOTAF, CCV, NSTS, FTT, SOTEXKA, les industries d’impression, SOSEFIL, SOTIBA-SIMPAFRIC, COSETEX, la confection industrielle, INDOSEN. Nous possédions dans le domaine une culture industrielle allant de la culture du coton à la confection, en passant par l’égrenage, le tissage, la filature, le tricotage et l’ennoblissement et le génie créateur . Nos importations de textile ont aujourd’hui explosé en donnant du travail aux autres et en nous privant (Ibrahima Macodou Fall). 7 Tableau : Le développement industriel par la remontée des filières. Décennie Japon Corée du Sud – Taiwan – Singapour – Hong-Kong Malaisie - Indonésie Thaïlande Philippines 1990 Bio-industries Informatique Nucléaire Cosmétiques Électronique Automobile Électronique 1980 Electronique Robotique Construction navale Chaussures Textile Travail du bois 1970 Automobile Construction navale Chaussures Textile Travail du bois Textile 1960 Sidérurgie 1950 Textile 8 Textile III/ Les politiques économiques, les programmes et les projets, révèlent cinq lourds défis qui ont plombé la croissance. 1. Le premier est celui de l’incapacité des politiques agricoles à propulser la croissance. Le potentiel d’offre de production a été freiné par l’application de politiques irréalistes et impertinentes conséquences de la spécialisation régressive en faveur des cultures de rente (accumulation). De plus, les systèmes de prélèvements ne laissent aucune base autonome d’investissements aux agriculteurs. A cela s’ajoute l'absence ou le mauvais état des infrastructures de base (routes, hydraulique rurale, énergie), l'instabilité des cours mondiaux ou encore l’accès limité aux marchés du Nord suite aux subventions européennes et américaines. Plus de 60% de la population agricole contribue pour moins de 5% à la croissance avec de faibles productivités par cultivateur et par surface cultivée. 2.Le second concerne l’industrialisation avortée : les preuves, les médiocres performances d’un demi-siècle de politiques industrielles dont les moteurs ont été éteints depuis les années 80. Les indicateurs mettent en lumière que la région de Dakar à elle seule recueille près de 90 % du nombre total d’entreprises,70 % de la valeur ajoutée du secteur industriel,75 % des emplois permanents et plus de 75 % des salaires distribués. 3. Le troisième est la tendance à l’hypertrophie du secteur tertiaire et la montée du secteur informel. Le secteur informel représente environ 60% du PIB, emploie 90% de la main-d'œuvre et génère un cinquième des investissements. Il constitue plus de 90% du tissu économique. Il contribue pour moins de 33% à la croissance et au chiffre d’affaires et à 42% à la création d’emplois. 9 4. Le quatrième examine les problématiques des transverses, de la politique commerciale et du déficit extérieur chronique et la faible compétitivité . L’absence d’équipements adéquats pour la fourniture des moyens de transports, d’électricité, de l’eau, et de réseaux de communication et de télécommunication fait qu’il est impossible d’optimiser les processus de production et de tirer pleinement parti des avantages liés aux dotations factorielles. Il en résulte un manque de compétitivité tenant aux coûts des facteurs de production relativement élevés (salaires, matières premières, fret), compromettant ainsi la productivité globale des facteurs (PGF). 5. Le cinquième est relatif à l’insuffisante implication du secteur privé comme principale source de création des richesses et les défaillances du système de financement du développement. Très faible taux de bancarisation environ 12% ; trop forte concentration des crédits bancaires sur trois secteurs : les services (28 %), le commerce (26 %) et les industries manufacturières (24 %) ; les crédits long-terme sont faibles, ne représentent que 5 % des crédits et se concentrent pour plus de 70 % aux grandes entreprises et les besoins de financement des PME sont énormes : le financement des investissements (40 %), le financement du stock (30 %) et le financement de nouvelles activités 10 (15 %)°. III/ Compétitivité, problématiques des infrastructures (transverse) politique commerciale, implication insuffisante du secteur privé et les défaillances du système de financement. L'économie sénégalaise souffre aussi d'un manque de compétitivité qui explique en partie l’ampleur du déficit extérieur chronique. La raison tient aux coûts des facteurs de production qui sont relativement élevés (salaires, matières premières, fret etc. ) et qui compromettent la productivité. Il apparait, de manière récurrente, que les entraves les plus importantes à l’essor de la croissance et de la compétitivité de l’économie sénégalaise tiennent à la faible accumulation en capital physique et humain, au déficit des infrastructures (transverses), aux faibles capacités managériales, aux faiblesses institutionnelles (carences de l’État de droit), aux l’insuffisances de la systémie bancaire dans le financement des activités productives et à la baisse à long terme de la productivité globale des facteurs. Les paramètres institutionnels permettent de réduire les coûts des transactions soulèvent beaucoup de lacunes. En effet, tout n’est pas d’avoir de bonne stratégie, il faut aussi disposer d’instruments fiables de mise en œuvre des politiques ce amène à questionner l’Etat, son administration et ses moyens d’action. 11 En conclusion: un demi siècle de pari perdu pour une croissance économique robuste. 1. Un demi-siècle de politiques économiques et autant d'échecs avec ses désastreuses conséquences sociales : croissance atone, inégalités grandissantes, chômage, pauvreté et précarité. Comment les responsables politiques peuvent-ils se tromper à ce point et s’entêter à maintenir un modèle amoché? Toute cette analyse montre que nous avons des défis monstrueux en termes de croissance, de création d’emplois, de réduction de la pauvreté. Faire du Sénégal un pays émergent cela ne tombe pas du ciel. Les pays émergents ont réussi à sortir du sous-développement en appliquant d’excellentes visions stratégiques qui reposent solidement sur les vertus prussiennes de travail, de rigueur, de discipline, d’épargne et sur le secteur privé soutenu par un patriotisme économique réfléchi et courageux. 2. Si les gouvernements successifs se sont avérés incapables de mener des politiques publiques efficaces pour une croissance robuste, c’est parce qu’ils ont persisté dans l’utilisation de théories qui n’ont pas été faites pour cela ; ce qui les a amené à persister dans l’erreur à toujours placer leur lanterne à la 12mauvaise place. Alors, il faut attaquer les défis avec vigueur: 6 niveaux de relance d’un débat salvateur. 1. Repenser les politiques sectorielles dans une dynamique d’offre productive. développer une politique industrielle audacieuse fortement articulée en amont et en aval à l’agriculture et qui valorise les ressources du sol et sous-sol afin d’exploiter toutes les chaines de valeur et de rendre la croissance durable Enfin, il faut exploiter les énormes possibilités de l’économie des services et des technologies qui sont les grandes sources de la croissance pour demain. 2. Mettre la PME/PMI la Cendrillon de l’économie au cœur des politiques macroéconomique: représentent 70% du tissu des entreprises dans les secteurs porteurs de la 20% et plus du Produit intérieur Brut, 30% de la valeur ajoutée nationale. Toutefois, le patronat doit sortir de son attentisme, de ses attitudes frileuses et globalement inefficaces et rompre avec ses techniques artisanales de gestion pour se montrer agressif et performant en vue de reconquérir le marché intérieur et s’ouvrir de nouveaux créneaux à l’extérieur. 3. Résoudre les déficiences du financement qui est le carburant du développement. Le niveau de financement de l’économie reste faible (environ 20% du PIB) et traduit les griefs persistants que les PME ont vis-à-vis du secteur bancaire. À l’analyse, ce secteur présente des lacunes et dysfonctionnements 4. Elargir les gains de productivité par le développement de trois secteurs transversaux fortement générateurs d’externalités positives devant rentabiliser les investissements massifs 5. Mettre le pays au travail, différentes révolutions industrielles dans le Monde se sont déroulées dans des conditions de travail surexploité. Plus édifiantes encore les « ateliers de sueur » qui ont permis aux pays asiatiques de vaincre le sous-développement. 6.Rompre avec le modèle de consommation extraverti .Le pays ne peut pas continuer de travailler et de créer des emplois pour l’extérieur en consommant plus de tout et de partout ? . 14