Enjeux anthropologiques des migrations : un détour par l’anthropologie de la santé Stage annuel Apses, 19 et 20 janvier 2017 AGECA Propos introductifs 12 Janvier 2017 : communiqué de presse conjointement signé par deux associations de lutte contre le sida, Act Up et Aides « Si un immigrant vient séjourner, avec vous dans votre pays, tu l’aimeras comme toi-même » Sérieusement ? Propos introductifs Le 11 janvier dernier, en déplacement à Nice, sur le thème de l’immigration, François Fillon déclare que s’il était élu président, l’aide médicale d’Etat (AME), le dispositif d’accès aux soins des personnes étrangères en situation irrégulière, serait supprimée et remplacée par la seule prise en charge des urgences médicales et des maladies infectieuses. Texte du CP « Le seul objectif de cette annonce est de relancer un début de campagne ratée, marquée par des annonces impopulaires et injustes sur la Sécurité Sociale, en tapant sur les sans-papiers. Celui qui affirmait le 3 janvier qu’il « ne prendrait jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne, de la solidarité » a semble-t-il déjà oublié ces belles paroles », souligne Aurélien Beaucamp, Président de AIDES. 300 000 personnes qui vivent et travaillent en France seraient concernées. Cette mesure serait une aberration de santé publique. Elle empêcherait l’accès à la prévention et au suivi médical pour une population déjà précaire, l’AME étant réservée aux personnes ayant moins de 721 euros pour vivre. Elle contribuerait à engorger des services d’urgences déjà sous tension. Elle serait couteuse pour les finances publiques : les prises en charge tardives, alors que les pathologies sont plus avancées et plus lourdes à traiter, vont se multiplier. Actuellement les dépenses de l’AME ne représentent que 0,45% de l’ensemble des dépenses de soins en France Texte du CP François Fillon évoque une prise en charge des maladies infectieuses. Pour le VIH, l’ensemble des recommandations prescrit une mise sous traitement précoce pour ramener la charge virale à un niveau indétectable, améliorer la qualité de vie des personnes et empêcher de nouvelles contaminations. Comment une telle prise en charge serait possible si les personnes n’ont pas accès au dépistage ? Seront-elles condamnées pour être soignées à ce que la maladie se déclare et ne les amène dans la salle d’attente des urgences ? Texte du CP Il est pour nous intolérable que la santé des étrangers malades, et par conséquent celle de l’ensemble de la population française, serve d’argument de campagne à des candidats disposés à flatter les penchants les plus réactionnaires de l’électorat Propos introductifs AME Phantasme que cela mobilise : danger politique, danger sanitaire (parallèle avec années 20) Après le travail, le logement, la santé serait venue s’ajouter au début des années 2000 à la « longue litanie des problèmes posés par les immigrés ». (Fassin, Hommes et Migrations, 2000) Plan de l’intervention Nommer : langage, pouvoir, évidences non questionnées et « prêt à penser » Anthropologie, migrations, santé, inégalités Santé et phénomène migratoire : quelles mobilités? L’exemple du sida Anthropologie de la globalisation et désirs de murs Nommer : langage, pouvoir, évidences non questionnées et angles morts Il n’est de travail sur l’immigration qui ne confronte d’emblée le chercheur à une question qui va également être centrale dans le cadre des politiques publiques : comment nommer son objet ? Toute réalité sociale est enjeu de luttes qui sont aussi, et peut-être avant tout, des luttes pour « nommer » (Bourdieu, 1982). La nomination n’est jamais une action neutre. Nommer Action, car les mots ne sont pas seulement ces « éternelles paroles » immatérielles et sans grandes conséquences. Le langage est performatif ; dire, c’est aussi faire (Austin, 1962), façonner la réalité, d’une autre manière. Les mots posés à propos des étrangers et des immigrés dans l’espace public ont assurément montré combien ils pouvaient contribuer à créer les phénomènes qu’ils prétendaient énoncer Nommer Le choix des mots livre dans le même temps une vision du monde qui les sous-tend. Il est donc important de le situer au sein d’une configuration, de dresser un état des lieux du « nommable », des termes utilisés à un moment donné, car : « Si nommer est (…) problématique, c’est que les mots et les notions s’inscrivent dans un passé (qui constitue leur référentiel historique) et un présent (qui fournit leur trame contextuelle) qu’il s’agit précisément de saisir » (Fassin, 2006 : 20). Nommer Immigré versus résident étranger Succès du terme « migrants » : « Il semble que l’usage du « migrant » marque à la fois une nouvelle époque de la Forteresse Europe, un immigré international et un Autre globalisé pour l’Europe unifiée. (…) De manière voulue ou non, ce glissement sémantique symbolise donc une coupure avec le passé singulier de la France afin d’envisager un avenir global européen. » (HobsonFaure, 2005). « Boat people » versus « crise des migrants » Nommer Étranger, immigré, migrant, difficulté de « nommer » dans la société française actuelle : « Plus généralement toute la confusion qui règne aujourd’hui entre les catégories « étranger » et « immigré », « étranger » et d’ « origine étrangère », « racial » et « ethnique », ne résulte pas d’erreurs au regard de ce qui serait une définition précise de ces catégories (…). Elles disent une vérité profonde et inacceptable, à savoir que la nationalité effective importe bien moins que l’altérité perçue, que des personnes françaises continuent d’être vues comme n’étant pas d’ici » (Fassin, 2006 : 27). Anthropologie, migrations, santé, inégalités Anthropologie et façonnements sociaux du biologique (Cf techniques du corps de Marcel Mauss) Santé : définitions anthropologiques, statut des inégalités de santé (naturalisation) Anthropologie médicale critique et économie politique de la santé Anthropologie, migrations, santé, inégalités Sayad et le « phénomène migratoire », dyade émigration/immigration Tarrius et les territoires circulatoires, accent mis sur les compétences Appaduraï De la question sociale à la question raciale? Anthropologie, migrations, santé, inégalités Nationalisme méthodologique, « immigration et pensée d‘Etat » Santé et phénomène migratoire : quelles mobilités? Qu’est-ce qui circule? Tourisme médical versus migrations sanitaires, circulation des modèles sanitaires, globalisation des déterminants de santé, des thérapeutes et des produits Le » Global care chain » Santé et phénomène migratoire : quelles mobilités? Le départ, la trajectoire migratoire et l’arrivée : trois « moments » Santé : dernier des « droits d‘avoir des droits »? L’exemple du sida Enjeux et usages des chiffres, mobilisations Modèle de « santé des migrants » et ses limites Régularisation au titre de la maladie Anthropologie et globalisation Politique de la survie cf travaux de Marc Abélès Encampement du monde Cf Agier Inégales valeur des vies : cf enjeux du comptage de SOS Med Economies morales et anthropologie du droit à la santé (S. Willen) Eléments de conclusion 214 millions de migrants internationaux en 2009 (3% de la population mondiale), et l’apparition de zones de transit inédites, la globalisation humaine implique un effacement relatif des catégories qui avait permis par le passé d’analyser les migrations. Les distinctions se sont estompées entre pays de départ, pays d’accueil et pays de transit, certains d’entre eux étant les deux ou les trois à la fois (Mexique, Turquie, Maroc) (Withol de Wenden, 2009). A contrario les frontières qui encadrent les espaces nationaux restent des « animaux politiques bien vivants » (Fouché, 2012): sur les 248 000 kilomètres de frontières terrestres existantes, 26 000 ont été instituées depuis 1991. Partout dans le monde, se règlent régulièrement des problèmes de frontières: par médiation politique ou par l'intervention de la Cour internationale de justice. Eléments de conclusion Profond paradoxe du monde contemporain : la globalisation est liée à une dynamique de disparition des frontières au sens de la circulation généralisée permise et, dans le même temps, génère un monde où l’obsession des frontières et le désir de murs (Brown, 2009) semblent n’avoir jamais été aussi forts.