Le pronom indéfini - Lacito

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Le pronom indéfini:
sémantisme et fonction.
Avec des exemples de son utilisation
dans des textes scientifiques et juridiques
Version adaptée pour ceux qui n’étaient pas présents lors de la séance du séminaire
François Jacquesson
Séminaire « l’indéfini », Lacito CNRS
28 avril 2015
Le propos de cet exposé est de montrer que
la « position d’indéfinitude »,
qui est centrale dans de nombreuses opérations intellectuelles
où le langage joue un rôle
déborde le cas du morphème « pronom indéfini ».
Pour montrer cela, nous allons d’abord rappeler que les pronoms indéfinis
ont une place dans un ensemble morphosyntaxique général, aux côtés d’autres pronoms.
Ensuite, nous examinerons trois exemples concrets:
les énoncés de la Loi d’Archimède
les énoncés de la Loi du talion
les énoncés du serment d’Hérode à Salomé.
1. Les indéfinis
dans les systèmes de pronoms
Dans les grammaires courantes du français actuel, on trouve le plus souvent :
pronom
Adjectif
l’autre
autrui
le même
chacun
quelqu’un / quelque chose
on
tout, tous
quelques uns
plusieurs
personne / rien
autre
différent
même
quelque
chaque
certain
tout
divers
quelques
plusieurs
tous
maint
aucun
nul
ici, les formulations négatives
sont ‘collées à droite’
Il existe de nombreux travaux sur certains de ces mots ;
mais en partant de ces mots, on rate ne grande partie du fonctionnement du phénomène…
Pourquoi ?
Ces mots répondent à des perspectives distinctes, qui tiennent souvent à leur histoire particulière.
Par exemple « rien », un petit favori de l’anecdote linguistique.
Autre exemple : si dans la liste des indéfinis nous avons inclus « l’autre », faut-il inclure « le contraire » ?
Là aussi, nombreuses discussions.
Autre exemple favori:
celui de « certain »
Ph. Geluck. 1988.
La Vengeance du Chat. Casterman
Un exemple historique
va nous donner une piste plus générale.
L’exemple du Roi Arthur.
Dans la légende médiévale,
le jeune Arthur est nommé roi par magie.
Il est le seul capable d’ôter une épée
du perron de pierre ou de métal où elle est fichée.
Cet épisode célèbre est raconté dans le texte du roman
écrit en ancien français, et conservé dans des manuscrits
comme celui-ci, à droite.
Il est aussi souvent illustré par des images, et l’on voit
sur l’image aussi que le perron où était fiché l’épée
porte une inscription.
Nous allons comparer cette inscription
avec le texte du roman.
BL Add 10292, f. 100
http://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMIN.ASP?Size=mid&IllID=13280
L’image du roi Arthur : l’inscription sur le « perron »
« Ki cheste espee hors oste roy sera del terre »
Traduction : Qui cette épée ôte hors (de la pierre), sera roi de la terre
Nous avons ici le pronom indéfini sous sa forme la plus simple : « qui ».
Dans le texte du roman,
on trouve une autre façon de s’exprimer:
Ed. Sommer, vol. 2, p. 81.
Qui
Celui qui
On n’a plus :
mais
qui ôte cette épée….
celui qui ôterait cette épée…
Qui ôterait cette épée
serait roi de la terre
Formulation ancienne
Pas d’expression obligatoire du sujet
Qui ôterait cette épée
il serait roi de la terre
Formulation moyenne avec sujet
Corrélation exprimée
Celui qui ôterait cette épée
serait roi de la terre
Formulation moderne avec ‘relatif’
Après rejet de l’antécédent
C’est avec cette dernière formulation qui nous expliquerions la 1re aux enfants.
La comparaison
diachronique
synchronique
fait apparaître le rapport entre ‘relatif’ et ‘indéfini’:
Un ‘relatif’, c’est un indéfini à qui on a donné un antécédent – une détermination.
Il n’y a pas de détermination sans la possibilité de l’indétermination.
Qui ?
Interrogatif
(attente de réponse)
Indéfini
Déictique anaphorique
Qui
il
Notre exemple historique montre qu’entre un « pronom relatif » et un « pronom indéfini »,
il existe une proximité telle, qu’on fait de l’indéfini un relatif dès qu’on le détermine par un « antécédent ».
Mais l’exemple du qui français montre qu’il existe une troisième fonction toute proche: celle de l’interrogatif.
Un interrogatif est aussi un indéfini, puisqu’on ne sait pas, en interrogeant, quelle sera la réponse.
En effet, dans beaucoup de langues les formes de l’interrogatif et de l’indéfini soient identiques ou proches.
Nous avons donc trois fonctions en jeu,
qui opèrent diversement:
1. l’indéfini
2. le relatif, qui est un indéfini qu’on a déterminé
3. l’interrogatif
Et il y a d’autre part la réponse à la question, ou le déterminant du relatif : le déicitique.
Selon les langues, ces fonctions sont diversement distribuées.
En indo-européen « oriental », on a trois formes distinctes :
l’une pour le déictique anaphorique (sa- ou ta-)
et deux distinctes pour l’interrogatif, ka- et le relatif-indéfini ya- :
Cette tripartition morphologique des rôles,
qui est bien connue en sanscrit et pali,
se trouve toujours
dans de nombreuses langues de l’Inde du nord,
« déclinée » aussi pour le temps, le lieu…
KataYa-
Voici un exemple (incomplet) en pali,
sur l’une des inscriptions du roi Ashoka
au IIIe siècle AEC.
L’image à gauche est celle d’un estampage,
et la carte donne le lieu original de l’inscription.
"GRE1-2" by E. Hultzsch - Corpus Inscriptionum Indicarum – Volume 1: Inscriptions of Asoka.
Licensed under Public Domain via Wikimedia Commons - http://commons.wikimedia.org/wiki/File:GRE1-2.jpg#/media/File:GRE1-2.jpg
Dans son étude comparée des inscriptions d’Asoka, Jules Bloch
restituait le passage suivant, qui nous intéresse.
Se ajja
yadâ
tadâ
ayam dhammalipî likhitâ
tî eva prânâ ârabbhare sûpâtthâya dvo moâ eko mago
Bloch. 1950. Les Inscriptions d’Asoka. Belles Lettres.
Le roi Asoka explique qu’auparavant, on tuait de nombreux animaux dans les cuisines royales;
« mais maintenant, au moment où l’on grave ce texte de la Loi,
on ne tue pour le repas que trois animaux, deux paons, une gazelle. »
Cette phrase est articulée
avec deux morphèmes.
L’équivalent en anglais serait :
when
« au moment où »
« à ce moment »
: yadā
: tadā
then
Si l’on compare la distribution des formes – pour ces fonctions qui nous intéressent –
en pali (comme dans l’inscription d’Asoka) et en anglais,
on voit qu’on passe d’un système où trois fonctions sont distinguées par trois morphèmes,
à un système où deux d’entre elles sont confondues.
Système ternaire
Système binaire
Interrog.-relatif
Déictique-anaphor.
who
*tho
which
*thich (mais : such)
Le parallélisme formel
entre question et réponse
n’est pas toujours maintenu !
Les ouvrages de typologie en anglais ont popularisé l’alternative « some- / any- »
Voici un tableau un peu plus complet :
some
any
ever
no
somebody
anybody
nobody
something
anything
(whatever)
nothing
someone
anyone
(whoever)
noone, none
somewhere
anywhere
wherever
nowhere
somehow
anyhow
however
*nohow
*somewhen
*anywhen
whenever
*nowhen
Les séries indéterminées en ‘any-’ et ‘-ever’ décrivent des séries ouvertes.
La série ‘-ever’ est corrélative : wherever you go, you tell me when you leave
Dans la gamme des indéfinis, il existe dans de nombreuses langues des clivages différents ;
qui proposent une « cartographie » différente des domaines de l’indéfinition.
Par exemple, en anglais, les mots somebody ou someone, n’indiquent pas si vous connaissez ou non la personne
You may have ‘seen someone’, whether you know him/her or not
Le latin permet de distinguer, dans la catégorie « quelqu’un » si vous pouvez ou non l’identifier.
Ce qui peut avoir une importance…
Si vous pouvez l’identifier : quidam
Si vous ne pouvez pas :
aliquis
Si vous avouez « j’aime quelqu’un » :
Si « quelqu’un frappe à la porte » :
quemdam amo
aliquis fores percutit
(il est probable que vous connaissez la personne)
(vous ne savez pas qui c’est)
Voici un exemple plus complexe de texte latin où l’on trouve divers types d’indéfinis:
Scilicet et fluvius qui visus maximus ei
Qui non ante aliquem maiorem vidit
mais aussi un fleuve semble le plus grand à celui
qui n’a pas vu avant un (autre) plus grand
et ingens
arbor homoque videtur et omnia de genere omni
maxima quae vidit quisque, haec ingentia fingit
et immense
semble l’arbre et l’homme et tout (objet) de toute sorte :
le plus grand qu’on voit, on le croit sans mesure
Lucrèce 6: 675-678
Nous avons un gradient au long du quel
des langues diverses mettent différemment l’accent
Quelqu’un : quidam
Quelqu’un : aliquis
Qui que ce soit
Some
N’importe qui
Any
Naturellement, chaque langue peut avoir recours à des élaborations morphosyntaxiques
Pour exprimer des degrés que le lexique « plus simple » ne paraît pas situer correctement.
C’est pourquoi, malgré les inquiétudes de Maupertuis* ou de ‘Sapir-Whorf’,
nous ne sommes pas les outils de notre vocabulaire.
*R. Grimsley. 1971. Maupertuis, Turgot et Main de Biran : sur l’origine du langage. Paris, Droz.
Les indéfinis négatifs deviennent souvent,
combinés ou non à une négation,
des mots négatifs:
Neminem vidi
I ve seen nobody
J’ai vu personne
neminem
nobody
Mais il existe des langues qui ne nominalisent pas le négatif ?
En grec moderne :
tu as vu quelqu’un ?
je n’ai vu personne
hai visto qualcuno?
non ho visto nessuno
you saw anybody
I saw nobody
viste a alguien?
No vi a nadie
hast du jemanden gesehen?
Ich habe niemanden gesehen
Você viu qualquer pessoa ?
Eu não vi ninguém
Вы видели любого?
Я не видел никого
< ne – hominem
< no - body
2. Les indéfinis
dans les énoncés scientifiques et juridiques
1er exemple : la Loi d’Archimède
Tout corps plongé dans l’eau…
Les corps plongés dans l’eau…
Un corps plongé dans l’eau…
Le corps plongé dans l’eau…
Si un corps est plongé dans l’eau…
Les façons d’exprimer la généralité de la loi peuvent être très variées,
du moins quand l’énoncé se poursuit par un second versant où la loi est énoncée.
On comprend alors l’enjeu,
et a posteriori l’ambiguïté que pouvait produire « un corps » ou « le corps » est levée.
Il existe plusieurs façons, en français, de formuler la découverte d’Archimède,
qu’on trouve dans la Proposition 5 du Traité des Corps flottants. En voici une :
« Un solide plus léger que le liquide dans lequel on l’abandonne s'y enfonce de telle façon
qu’un volume de liquide égal à la partie immergée a le même poids que le solide entier. »
« Un solide plus léger que le liquide dans lequel on l’abandonne s'y enfonce de telle façon
qu’un volume de liquide égal à la partie immergée a le même poids que le solide entier. »
Mais on peut aussi l’expliquer par des images successives, qui « racontent le problème et sa solution » :
1
2
3
Rappelons en passant
qu’un manuscrit a été récemment redécouvert,
qui contient le Traité des Corps flottants.
Le Palimpseste d’Archimède
www.archimedespalimpsest.org
"ArPalimTyp2" by The Walters Museum - archimedespalimpsest.net..
Licensed under CC BY 3.0 via Wikimedia Commons http://commons.wikimedia.org/wiki/File:ArPalimTyp2.jpg#/media/File:ArPalimTyp2.jpg
Nous allons travailler sur un texte publié.
Archimedis Opera quae extant,
D. Rivault de Flurance (ed.), Paris, 1615, p. 496 (accessible en ligne)
Nous allons analyser soigneusement ces deux phrases, en latin d’abord, en grec ensuite.
Voici le texte latin avec deux traductions ligne à ligne.
Une analyse se trouve sur la page suivante.
texte latin
traduction serrée
Solidarum magnitudinum quaecumque
levior humido
fuerit demissa in humidum (manens)
usque eo demergetur ut
tanta moles humidi, quanta est partis demersae,
eamdem quam tota magnitudo gravitatem habeat.
traduction adaptée :
Une quelconque des grandeurs solides,
plus légère que le fluide
qu’on aura plongée dans le fluide,
émergera jusqu’à ce que
une masse de fluide égale à celle de la partie immergée
ait le même poids que la grandeur entière
Un objet quelconque
plus léger que l’eau
qu’on a plongé dans l’eau
en ressort juste autant
que sa partie immergée, en poids d’eau
fasse son poids tout entier.
Solidarum magnitudinum quaecumque
une grandeur solide quelconque
sujet 1
levior humido
plus légère que l’eau
fuerit demissa in humidum (manens)
qu’on aura mise dans l’eau
usque eo demergetur
y sera plongée au point
verbe 1
ut tanta moles humidi
quanta est partis demersae,
que une masse d’eau aussi grande
sujet 2
que celle
de sa part immergée
eamdem quam tota magnitudo gravitatem habeat.
ait le même poids que la grandeur entière
verbe 2
complément 2
Même chose pour le texte grec. Analyse sur la page suivante.
stereôn megetheôn to kouphoteron
parmi les grandeurs solides le [celui qui est] plus léger
on tou hugrou, kathêmenon es to hugron,
étant que le liquide, plongé dans le liquide,
mekhri tosoutou katakluthêsetai, hôste
sera immergé jusqu’à ce que
talêkouton ogkon tou hugrou, halikos an
un aussi grand volume de liquide que (celui)
tou kathêmenou mereos êi touto to baros,
qu’aurait sa part immergée, ait le même poids
ho to holon megethos, ekhein.
que l’ensemble de la grandeur.
trad. adaptée:
Le solide plus léger
que l’eau, plongé dans l’eau,
ira sous l’eau jusqu’à ce que
le volume d’eau
qu’a sa part immergée, ait le poids
du solide entier.
stereôn megetheôn to
on
kouphoteron
kathêmenon es to hugron,
tou hugrou,
la grandeur solide
(qui est)
sujet 1
plus légère
que l’eau
mekhri tosoutou
katakluthêsetai,
jusqu’au point
sera immergée
verbe 1
plongée dans l’eau
hôste
touto to baros, ho to holon megethos, ekhein
talêkouton ogkon tou hugrou halikos an tou kathêmenou mereos êi
que
un volume d’eau qui serait égal à sa part immergée
sujet 2
le même poids, que la grandeur entière aurait
complément 2
verbe 2
Dans la version grecque originale, il n’y a pas de pronom indéfini.
Cependant, l’énoncé de la loi d’Archimède est assuré par l’équilibre grammatical.
On peut mimer la structure en la résumant :
Un solide flotte dans l’eau quand
le poids d’eau équivalent à son volume immergé
équivaut à son poids total.
La loi devient prend la forme de deux équilibres enclavés.
D’une part une description (B) des conditions de possibilités de (A) : « Un solide flotte dans l’eau quand etc. »
A
B
D’autre part l’explication de (B), qui tient à l’équivalence
entre le poids du solide et le poids du volume d’eau déplacé
B-1
B-2
Dans l’énoncé en latin l’indéfini est explicite :
« tout corps solide que, …il aura»
et dans l’énoncé français au début on a :
« un corps solide que… aura »
Mais en grec, c’est l’énoncé complet qui permet de saisir l’enjeu de la phrase et, de ce fait,
la portée exacte (le « champ d’application ») de l’indéfinition du sujet de la phrase.
On constate donc que ce n’est pas le « pronom indéfini » qui suffit à créer l’indéfinition
2e exemple : la Loi du talion
Stèle d’Hammourabi, XVIIe siècle AEC, Louvre
L’expression « Loi du talion » évoque « Œil pour œil, dent pour dent ».
Le mot « talion » est latin. On trouve une formule de ce genre dans le plus ancien Code latin,
la Loi des Douze Tables, vers 450 AEC.
Si membrum rupsit ni cum eo pacit, talio esto :
‘si on a rompu un membre et qu’il n’y a pas eu d’accord, on rend la pareille’.
Cette sentence est rapportée par Aulu-Gelle, XX, 1, à l’occasion d’une discussion sans doute fictive entre le juriste
Sextus Caecilius, également spécialiste d’histoire du droit, et le philosophe Favorinus.
Au début de la discussion sur l’obscurité de certaines de ces lois anciennes
(600 ans séparent la discussion de la rédaction des Lois des XII Tables),
Sextus Caecilius explique les principes d’une philologie et d’une anthropologie
qui doivent tenir compte de la spécificité de la langue et de la société d’autrefois.
Et à propos de la loi citée, Favorinus dit en substance :
mais si quelqu’un a cassé un membre à un autre par mégarde,
comment pourra-t-on rendre la pareille ?!
Si membrum rupsit ni cum eo pacit, talio esto
BNF Ms Latin 13038. f. 190v
http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9080780z/f150.zoom
La Loi est en vieux latin,
comme Aulu-Gelle l’explique dans la conversation qu’il rapporte.
Cela se voit : beaucoup de scribes – comme ci-dessus – ont été déroutés !
Le manuscrit montre aussi les efforts du correcteur ancien, qui a essayé de distinguer les mots amalgamés.
Une autre référence incontournable en fait de « loi du talion »,
avec une morphosyntaxe différente, se trouve dans un des évangiles.
Mathieu 5, 38-39 :
Vous avez entendu qu’on a dit :
Œil pour œil (et) dent pour dent
Or moi je vous dis de ne pas vous ‘opposer’ au mauvais.
Mais celui qui te gifle sur la joue (droite), tends lui aussi l’autre.
Le Codex Bezae et les vieilles traductions latines n’ont pas le ‘et’.
le Codex Bezae et quelques autres documents n’ont pas ‘droite’.
Ici, Jésus cite de toute évidence une formule bien connue, une sorte de ‘formule toute faite’.
En effet, elle se trouve trois fois dans la Bible,
dans des contextes à chaque fois un peu différents.
L’exposé le plus net du talion se trouve en Lévitique 24, 19-21 :
Voici d’abord une traduction française :
L’homme qui cause une lésion à son prochain,
il lui sera fait comme il a fait.
Fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent !
Celui qui cause une lésion à un homme,
on la lui causera.
Qui frappe une bête
en restituera une,
et qui frappe un homme
sera mis à mort.
La fameuse formule est déjà ici
une ‘formule toute faite’
citée comme telle.
Mais elle est intégrée à une série
de formulations juridiques
Cette traduction française (celle de Dhorme) utilise 3 procédés pour rendre l’indéfini en tête d’énoncé:
« l’homme qui » avec anaphorique plus loin
« celui qui »
avec anaphorique plus loin
« qui »
sans anaphorique.
19Et-homme
quand il.donnera lésion à son prochain,
comme il.a.fait
ainsi il.sera.fait à lui
20Fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent
Comme il.donnera lésion à humain,
ainsi il.sera.donné à lui
21Et-frappant bête
il.complètera une,
et-frappant humain
sera.mis.à.mort.
we-îš kî-yittén mûm ba-’amît-ô
kaašèr ‘aśah,
kén ya’aśèh l-ô
šèvèr taḥat šèvèr
‘ayin taḥat ‘ayin
šén taḥat šén
kaašér yittén mûm ba-adam
kén yinnatèn b-ô
Û-makkéh behémah
yišallemè-nah
û-makkéh adam
Il y a donc
yûmat
aussi 3 morphosyntaxes
dans l’original ;
mais différentes du français.
Les détails sont page suivante.
19Et-homme
quand il.donnera lésion à son prochain,
comme il.a.fait
ainsi il.sera.fait à lui
20Fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent
Comme il.donnera lésion à humain,
ainsi il.sera.donné à lui
21Et-frappant bête
il.complètera une,
et-frappant humain
sera.mis.à.mort.
we-îš kî-yittén mûm ba’amît-ô
kaašèr ‘aśah,
kén ya’aśèh l-ô
šèvèr taḥat šèvèr
‘ayin taḥat ‘ayin
kaašér yittén mûm ba-adam
kén yinnatèn b-ô
Û-makkéh behémah
yišallemè-nah
û-makkéh adam
yûmat
šén taḥat šén
1er cas : ‘homme’ – fréquemment en fonction de pronom indéfini, comme en français « on » < homo.
2e cas : une formulation corrélative : kaašér > kén : ‘comme > ainsi’ – avec anaphorique.
3e cas (à 2 reprises) : un participe (mais sans article) : ‘un qui frappe’.
Dans la Bible, la formule « œil pour œil, dent pour dent » est déjà une citation.
En effet, nous la trouvons mille ans plus tôt sur la stèle d’Hammourabi.
B
La stèle se lit de haut en bas
et de droite à gauche,
d’abord la face avant, ensuite l’arrière.
Notre passage se trouve sur
la face arrière, sur le 17e secteur
en partant du haut.
A
« Si quelqu’un a crevé l’œil d’un homme libre*, on lui crèvera l’œil » (trad. Finet)
translittération
49 48 47 46 45
secteur 17
45
šumma awilum
Si homme
46
iin DUMU awilim
œil fils homme.Gen
47
uḫtappiid
crèvera
48
iin šu
œil lui
49
uḫaappadu
sera.crevé
Traduction plus littérale :
Si un homme crève l’œil d’un fils d’homme
Son œil sera crevé.
* Finet traduit awilum par ‘homme libre’ parce que le Code
d’Hammurabi étudie ensuite le cas du serf, puis de l’esclave.
Traduire par ‘homme’ aurait été embarrassant.
Il y a donc ici
1/ le mot « homme »
2/ une conjonction corrélative
3/ un anaphorique
Si un homme crève l’œil d’un homme,
son œil sera crevé.
1/ le mot « homme »
2/ une conjonction corrélative et un anaphorique
Le mot « homme », awilum, a une double fonction:
a/ il décrit le champ d’application de la Loi : les êtres humains
b/ et il vaut un indéfini : n’importe lequel d’entre eux
Il a les fonctions du début de l’énoncé de la Loi d’Archimède : Solidarum magnitudinum quaecumque
Un corps solide quelconque
La conjonction corrélative ouvre une proposition, à laquelle l’anaphorique marquera la réponse.
Cela correspond à l’assertion de la Loi, l’équivalence qu’elle énonce.
3e et dernier exemple :
les traductions d’un serment,
une histoire de passion et d’horreur !
Lucas Cranach, v. 1530
Musée des Beaux-arts, Budapest
« Il y eut un jour propice quand, pour son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses grands,
pour les chefs et les premiers de la Galilée,
et que la fille de cette Hérodiade entra, dansa, et plut à Hérode et aux convives.
Le roi donc dit à la fillette : Demande-moi tout ce que tu veux, et je te le donnerai.
Et il le lui jura:
Tout ce que tu demanderas je te le donnerai, même la moitié de mon royaume. »
Marc 6:21-23
Filippo Lippi. La Danse de Salomé.
Codex Sinaiticus, Ve siècle.
« Ce que tu demanderas (ou: demanderais)
je te donnerai »
Nous allons maintenant donner une série de traductions de cette courte phrase binaire.
On pourra y découvrir la variété des structures utilisées – pour une situation homologue: une « situation d’indéfini ».
Parfois, cette situation sera effectivement exprimée par un pronom indéfini, avec variantes,
et parfois autrement. Ajoutez ce qui se passe dans les langues que vous connaissez ! Merci !
Salomé dansant devant Hérode
Gustave Moreau
Concluons ces deux parties, l’une théorique et l’autre expérimentale.
La « fonction indéfini » entre en jeu dans de nombreuses circonstances,
dont certaines sont essentielles aux cultures humaines, comme le raisonnement scientifique ou juridique.
Elle joue plus largement un rôle dans l’exposé de l’hypothèse, menant par un raisonnement à une conclusion.
Cependant, les moyens pour exprimer cette « fonction indéfini » sont variés
◊
le nom avec sens générique (avec article ou non), notamment « homme »
◊
le nom d’action lié au verbe de l’hypothèse (le participe)
◊
un pronom. Ce dernier peut-être
◊
une relatif-indéfini « qui » dans une phrase corrélative
◊
un pronom explicitement indéfini « quiconque »
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