Randonnées estivales

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Randonnées estivales
La constellation du Serpent
Quand on pense au ciel d’été, les premières constellations qui viennent à l’esprit sont
celles du Cygne, de la Lyre ou d’Hercule, probablement parce qu’elles sont constituées
d’étoiles relativement brillantes et qu’elles renferment les « grands classiques » du ciel
profond : les Dentelles, la nébuleuse annulaire M57 ou l’amas globulaire M13.
Il existe pourtant une région du ciel estival moins fréquentée par les amateurs, et qui
n’en est pas pour autant moins intéressante. J’ai décidé de vous parler ici de la constellation
du Serpent, indissociable de celle d’Ophiuchus, qui formaient jadis, à elles deux, l’ancienne
constellation du « Serpentaire ».
1. Origine mythologique
Dans la mythologie grécoromaine, Esculape – assimilé à
l’Asclépios grec – est le fils
d’Apollon et de Coronis. Cette
dernière, alors qu’elle était enceinte,
trompe Apollon avec Ischys, un
mortel. Apollon, furieux, tue les
deux amants, et brûle le corps de
Coronis. Au dernier moment, pris
de remords, il décide de sauver son
fils, qui était encore dans le ventre
de sa mère. Esculape est confié au
centaure Chiron, qui l’initiera à l’art
de la médecine. Le jeune Esculape
devient rapidement très habile, et sa
renommée ne fait que croître.
L’ancienne constellation du Serpentaire (Atlas d’Hevelius).
Hevelius avait représenté la voûte céleste comme si on pouvait
l’observer de l’extérieur, ce qui explique que l’on retrouve la tête
du serpent à gauche et non à droite d’Ophiuchus !
Selon certaines versions du mythe, le dieu, en visite chez un ami, aperçoit un serpent
et le tue. Un second serpent s’approche alors du cadavre du premier en tenant dans la bouche
une herbe mystérieuse qui lui redonne la vie. Esculape s’empare de cette herbe, et s’en sert
pour ressusciter les morts. Ainsi, c’est lui qui ramène à la vie Hippolyte. Selon une autre
source, le pouvoir de ressusciter les morts lui aurait été donné par Athéna, qui lui aurait offert
deux fioles contenant du sang de Méduse, l’une permettant de tuer, et l’autre de rendre la vie.
Hadès, dieu des enfers, observe tout cela d’un très mauvais œil : que deviendra son royaume
si les hommes ne meurent plus ? Il demande donc à son frère Zeus de foudroyer Esculape.
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Bien que de nature divine, et donc en principe immortel, Esculape meurt : le cycle naturel de
la vie et de la mort est restauré.
Pour se venger de la mort de son fils Esculape, Apollon tue les Cyclopes, qui avaient
forgé la foudre de Zeus. Il s’attire alors la colère du maître de l’Olympe, qui le punit en
l’obligeant à servir comme esclave à la cour du roi Admète.
Apollon plaça son fils, dieu de la médecine, sur la voûte céleste, sous la forme de la
constellation du Serpentaire : le dieu tient autour de la taille le serpent qui lui donna le secret
de l’immortalité. D’autres sources expliquent la présence du serpent par le fait qu’après sa
mort, Esculape se serait réincarné en cet animal, et aurait nagé d’Épidaure jusqu’à Rome pour
y établir sa nouvelle demeure. Le serpent est de toute façon un symbole chtonien fort : sa
capacité à renouveler sa peau chaque année est associée au cycle de la vie, de la mort, et de la
résurrection. On retrouve encore de nos jours les traces du serpent d’Esculape dans le
caducée, symbole de la profession médicale. Esculape eut deux filles : Hygée, à l’origine du
mot hygiène, et Panacée, qui donne son nom au remède universel.
En 1930, lorsque l’Union Astronomique Internationale fixa une fois pour toutes les
88 constellations du ciel, l’ancienne constellation du Serpentaire a été divisée en deux parties :
Ophiucus (mot d’origine grecque qui signifie « le montreur » ou « le porteur de serpents ») –
que certains appellent encore erronément Serpentaire –, et le Serpent, composé de deux
morceaux distincts, la Tête du Serpent (Serpens Caput) et la Queue du Serpent (Serpens
Cauda). La partie centrale du serpent est enroulée autour d’Esculape, et fait donc partie de la
constellation d’Ophiuchus.
La Tête et la Queue du Serpent sont situées de part et d’autre de la constellation d’Ophiucus.
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2. Description générale
La Queue et la Tête du Serpent se trouvent dans des régions très différentes du ciel.
Serpens Caput est située en dehors de la Voie Lactée ; on y trouve principalement des
galaxies, mais toutes de faible luminosité. Serpens Cauda par contre est localisée au voisinage
du cœur de la Voie Lactée, non loin de la constellation du Sagittaire, et elle accueille donc
amas ouverts, nébuleuses diffuses et nébuleuses obscures.
L’étoile la plus brillante du Serpent (α Serpentis) s’appelle Unuk Elhaia ou
Unukalhai, ce qui signifie le Cou du Serpent en arabe. C’est une étoile géante de
magnitude 2,6, de couleur orangée, située à 73 années-lumière de la Terre. La Tête du Serpent
est la partie de la constellation la plus facile à repérer : elle est constituée d’un triangle formé
par les étoiles β (magnitude 3,7), γ (magnitude 3,8) et κ (magnitude 4,1).
Entre γ et β, on trouve R Serpentis, une étoile variable de type Mira, dont la magnitude
varie de 5,2 à 14,4 en 357 jours !
2. Les étoiles δ et θ Serpentis
L’un des objets remarquables de la Tête du
Serpent est l’étoile double δ, située entre Unuk
Elhaia et β Serpentis. Un petit télescope suffit pour
distinguer les deux composantes de ce système,
constitué de deux étoiles de couleur jaune pâle, de
magnitudes 4,2 et 5,2, séparées de 4,4 secondes
d’arc. Les deux astres tournent autour de leur centre
de gravité commun en 3 170 années. Un télescope
de très grand diamètre permettrait d’observer deux
compagnons supplémentaires, de magnitudes 14,7 et
15…
L’autre étoile double remarquable du Serpent
est à rechercher cette fois dans Serpens Cauda, il
s’agit de θ Serpentis, facilement résolue avec un
grossissement de 20 ×, c’est-à-dire en utilisant un
petit télescope ou de puissantes jumelles. Certains
amateurs affirment que des jumelles 7 × 50 sont
suffisantes pour séparer ce système : à tester lors des
prochaines Nocturnes ! En effet, les deux
composantes – de couleur plutôt bleue – sont séparées de 22 secondes d’arc, soit environ la
moitié du diamètre apparent de Jupiter, et leurs luminosités sont assez proches (magnitudes
4,6 et 5).
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3. L’amas globulaire M5
La vedette incontestée de la constellation
du Serpent est l’amas globulaire M5,
malheureusement trop souvent oublié ! Situé
dans sa tête, il est considéré comme le deuxième
plus bel amas globulaire visible depuis
l’hémisphère nord après celui d’Hercule, M13.
Cet amas a été découvert par Gottfried
Kirch le 5 mai 1702. Messier l’a observé quant à
lui le 23 mai 1764 : « une jolie nébuleuse dont je
suis certain qu’elle ne contient pas d’étoiles »…
L’amas globulaire M5 dans Serpens Caput.
William Hershell observe M5 en mai 1791 et y
dénombre pas moins de 200 étoiles à l’aide de
son télescope de 40 pieds, en précisant que le cœur de l’objet est si compact qu’il est
impossible d’en distinguer les composantes.
L’amas M5 a également servi à de nombreuses autres études en astrophysique.
Dès la fin du XIXe siècle, de nombreuses étoiles variables ont été découvertes dans cet
amas. En 1955, un peu moins d’une centaine avaient déjà été observées. Les étoiles variables
de M5 ont été utilisées en 1917 par Harlow Shapley qui, en se servant de photographies prises
à l’aide du télescope de 60 pouces de diamètre du Mont Wilson, parvint à démontrer que la
vitesse de la lumière dans le vide était indépendante de sa longueur d’onde (c’est-à-dire de sa
couleur) : en effet, les moments où se produisent les maxima d’intensité de chacune de ces
étoiles sont les mêmes, que les photographies soient prises avec un filtre jaune ou un filtre
bleu.
L’âge de l’amas M5 a fait l’objet de nombreuses controverses ; il est estimé
actuellement à quelque 13 milliards d’années, et son diamètre réel à 130 années-lumière, ce
qui fait de M5 l’amas globulaire le plus volumineux du catalogue de Messier.
M5 est facilement repérable aux jumelles, puisqu’en théorie, il est à la limite de la
visibilité à l’œil nu. Dans des jumelles grossissant 7 ×, il suffit de placer l’étoile α Serpentis à
gauche du champ de vision : l’amas est alors situé à droite, légèrement en dehors du champ.
Petit truc : les étoiles γ et α forment un segment qui semble pointer en direction de M5. Avec
des jumelles grossissant 20 ×, on peut déjà distinguer des étoiles du halo.
Vu dans un petit télescope, M5 présente un cœur bien contrasté, et quelques étoiles de
sa périphérie sont discernables. Sous un grossissement de 100 ×, le halo de l’amas est résolu,
et son extension est de 10 minutes d’arc (soit le tiers du diamètre apparent de la Pleine Lune).
Dans des instruments de plus grand diamètre (de 20 à 25 centimètres), M5 est
splendide : il montre un cœur granuleux assez brillant, et sa périphérie, de forme assez
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irrégulière, occupe un champ d’environ 12 minutes d’arc ; des chaînes d’étoiles assez faibles
semblent pointer vers l’extérieur de l’amas, dans toutes les directions, excepté vers l’Est, où le
halo semble plus aplati.
À travers des instruments de 30 ou 35 centimètres, le spectacle est féerique…
4. La nébuleuse de l’Aigle M16
Contrairement à ce
que son nom pourrait
laisser sous-entendre, la
Nébuleuse de l’Aigle est
située dans la Queue du
Serpent. Cet objet est
devenu l’un des plus
célèbres du ciel depuis que
le télescope spatial Hubble
en
a
magistralement
immortalisé le cœur, où
trônent les fameux Piliers
(Pillars). Restons toutefois
sur Terre : la vision de la
nébuleuse
dans
un
télescope d’amateur n’a
rien à voir avec celle que
nous a offerte Hubble. Mais les photographies prises par les amateurs révèlent déjà les fameux
Piliers !
En fait, la Nébuleuse de l’Aigle (aussi connue par les Anglo-Saxons sous le nom de
Nébuleuse de l’Étoile Reine) est associée à
l’amas ouvert M16. L’amas a été découvert en
1746 par Philippe de Chéseaux, qui le décrit
comme « un amas d’étoiles entre les
constellations du Serpent, du Sagittaire et
d’Antinoüs ». Le 3 juin 1764, Messier
observe l’objet et découvre que les étoiles de
l’amas « baignent dans une faible lueur » .
L’usage de la vision décalée est bien
utile pour observer ce genre d’objets !
La Nébuleuse de l’Aigle dans Serpens Cauda.
À l’oculaire d’un télescope de
20 centimètres de diamètre, l’amas M16 compte une cinquantaine d’étoiles de magnitude 8,
30
ainsi que des étoiles plus faibles, perdues dans la nébulosité environnante. L’usage d’un filtre
OIII (c’est-à-dire qui ne laisse passer que la lumière en provenance des atomes d’oxygène
deux fois ionisés) est intéressant, puisqu’il renforce le contraste avec le fond du ciel. Une zone
triangulaire sombre est visible dans la nébuleuse, elle trouve son origine dans la présence de
poussières qui absorbent la lumière visible.
Les Piliers ne peuvent être vus qu’au travers d’un télescope de 30 à 35 centimètres de
diamètre au moins. Quant aux structures qui sont à l’origine des termes « Nébuleuse de
l’Aigle » ou « de l’Étoile Reine », elles sont difficiles à discerner, même avec d’aussi beaux
instruments…
Bonne balade !
Francesco Lo Bue (UMH)
Les célèbres Piliers de la Nébuleuse de l’Aigle, vus par le télescope
spatial Hubble.
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