
Actualités JuriSanté n° 76 – Décembre 2011
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Dossier •••Réforme des soins psychiatriques :
voir clair dans une réforme encore obscure
La loi Évin du 27 juin 1990 (1), relative aux droits et à la
protection des personnes hospitalisées en raison de
troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation,
est venue réformer la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés,
dite loi Esquirol (2). C’est cette seconde grande réforme
qui a consacré le principe de « l’hospitalisation libre »
comme régime général de la prise en charge du patient
nécessitant des soins psychiatriques. Il était donc bien
établi que ces patients bénéficiaient dans ce texte, des
mêmes droits que tous les autres patients pris en charge
pour une autre pathologie quelle qu’elle soit.
Par ailleurs, la loi Évin, tout en modernisant la notion
d’hospitalisation en psychiatrie et en posant le principe de
l’hospitalisation libre, fait demeurer deux modes d’hospi-
talisation sans consentement, l’hospitalisation sur
demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office
(HO). Or, la question de laisser en place le représentant
de l’État dans le cadre des soins était d’emblée probléma-
tique.
Enfin, ce texte portait en lui l’obligation d’être réévalué
dès 1995, soit cinq ans après. Or, quelle que soit la qualité
du rapport d’évaluation effectué par Martine Stroll (3),
aucune recommandation ne fut reprise pour modifier la
loi Évin. Il aura fallu attendre la loi du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé pour que la loi de 1990 soit quelque peu retou-
chée (4).
L’évaluation prévue n’ayant pas donné les effets escomp-
tés, il devenait urgent de réformer ce texte dont le temps
semblait passé, afin de rectifier de nombreuses faiblesses
du dispositif. Faiblesses largement décrites dans le rapport
de l’Inspection générale des affaires sociales et de celle
des affaires juridiques en date de mai 2005 (5).
Ce rapport commun abordait les points suivants : l’absence
récurrente du tiers, un régime juridictionnel flou rendant
très aléatoire le recours au juge des libertés et de la
détention (JLD), celui-ci apparaissant peu impliqué dans
son rôle de contrôleur, la nécessité de moderniser les
procédures tout en conservant les deux modes de prise en
charge (HDT, HO), le développement de modes de prise
en charge autres que la seule hospitalisation. Le rapport
pointait par ailleurs l’utilisation abusive des modes d’hos-
pitalisation sous contrainte du seul fait d’absence de place
pour imposer un patient en hospitalisation libre.
Entre temps, la jurisprudence nationale comme interna-
tionale, s’était prononcée sur divers points tels que la
qualité du tiers intervenant dans les conditions de la prise
en charge du patient en HDT. Le Conseil d’État a en effet,
en 2003, précisé la nécessité pour le tiers de démonter un
lien d’antériorité lui donnant qualité (et légitimité) pour
prendre une telle décision en sauvegardant l’intérêt du
patient concerné par la mesure (6).
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a
condamné la France notamment pour le préjudice moral
causé au patient de fait du retard du JLD à statuer sur les
demandes de mainlevée d’une décision préfectorale
d’HO (7).
Les prémices de l’évolution de la loi devenue nécessaire
étaient posés depuis plusieurs années et confirmés
récemment. Encore sur ce point, la CEDH pointe les
dysfonctionnements qu’a pu entraîner la difficulté d’arti-
culation dans le droit français des décisions relevant de la
compétence du juge administratif ou du juge judiciaire,
notamment quand elles ont pour conséquence d’empê-
cher un justiciable de faire valoir ses droits (8).
Un travail de refonte du texte de 1990 était engagé quand
d’autres décisions sont venues en modifier l’économie
générale. Complexes ou simples, peu importe, elles
venaient renforcer d’autant le droit des gens pris en
charge sans leur consentement, et cette seule idée légiti-
mait la modification du projet de loi en chantier.
C’est donc dans un premier temps, le 26 novembre
2010 (9) que le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une
Petit historique de la loi pour les néophytes : histoire de comprendre
Isabelle Génot-Pok,
Juriste, Consultante au Centre
de droit JuriSanté
(1) Loi 90-527 du 27 juin 1990 codifiée pour sa partie prise en charge des patients aux articles L. 3211-1s. CSP.
(2) Jean-Étienne Dominique Esquirol (Toulouse 4 janvier 1772 [1] – Paris 12 décembre 1840) est un psychiatre français, considéré comme le père de l'hôpital
psychiatrique français. Il fit en effet voter la loi de 1838 obligeant chaque département à se doter d'un hôpital spécialisé.
(3) Hélène STROLL, IGAS, Présidente Martine CLÉMENTE, DGS, Rapporteur général et auteur du Rapport n° 97081 Septembre 1997.
(4) Ajouts de la loi du 4 mars 2002 : Art. L. 3211-2-1 sorties accompagnées, Art. L. 3222-1 accès de la CDHP au dossier médical pour répondre aux demandes
d’accès formulées par des patients pris en charge en HDT/HO en cas de situation d’une particulière gravité, composition de la CDHP.
(5) « Propositions de réforme de la loi du 27 juin 1990 » rapport IGAS/IGSJ de mai 2005 commandé par les ministres de la santé et de la justice rendu public en
février 2006.
(6) Arrêt du CE du 3 décembre 2003 n° 244867 : « la décision d’hospitalisation sans consentement d’une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être
prise sur demande d’un tiers qui si celui-ci à défaut de pouvoir faire état d’un lien de parenté avec le malade, est en mesure de justifier de l’existence de
relations antérieures à la demande lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci ».
(7) CEDH 27 juin 2002 L. Rc/France n° 33395/96 (24 jours de délais) ; 27 octobre 2005 Mathieu c/ France n° 68673/01 (4 mois de délais) ; 14 avril 2011
n° 35079/06 (46 jours de délais).
(8) CEDH Baudouin c/ France n° 35935/03 : compétence administrative pour contrôler la légalité externe de la décision préfectorale, compétence judiciaire pour
contrôler le bien-fondé d’une hospitalisation disproportionnée au regard de l’état de santé du patient et en ordonner la mainlevée.
(9) Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (cas de HDT).