présente La mort - ne serait-elle que celle d'une guêpe -, est toujours une chose grave, digne de nos méditations. Jour après jour, tout au long de l'été, je surveille avec une curiosité émue la mort des guêpes de mon jardin. Un détail entre tous me frappe: certaines guêpes, après s'être gravées de nourriture, brusquement succombent. Elles viennent à la surface, se laissent glisser, tombent sur le dos et ne se relèvent plus, comme foudroyées. Elles ont fait leur temps. Elles sont tuées par l'âge, inexorable toxique. Rien n'est plus éphémère que la vie d'une guêpe. C'est l'affaire d'une saison, une seule. Des milliers de guêpes de la ruche, une seule survivra pour assurer la survie de l'espèce. Toutes les autres mourront avant l'arrivée de l'hiver... Mais les femelles, dernières nées de la ruche, loin d'être accablées par la décrépitude, débutent au contraire dans la vie. Elles ont la vigueur du jeune âge. Aussi, lorsque la saison de l'hiver les saisit, elles sont encore capables de quelque résistance, alors que les vieilles travailleuses brusquement périssent... Certains mâles, tant que leur rôle n'est pas terminé, résistent assez bien. Mon jardin en possède quelquesuns, toujours dispos, alertes. Je les vois faire des avances à leurs compagnes, sans bien insister. Pacifiquement, on les repousse de la patte. Ces attardés ont manqué le bon moment; ils périront inutiles. Les femelles dont la fin approche se distinguent aisément des autres par le négligé de leur toilette. Elles ont le dos poussiéreux. Les bien portantes, une fois la réfection prise sur le bord du godet à miel, s'installent au soleil et continuellement s'époussettent. Les pattes d'arrière, en de doux étirements nerveux, ne cessent de brosser les ailes et le ventre; celles d'avant passent et repassent les tarses sur la tête et le thorax. Les malades, insoucieuses des soins de propreté, restent immobiles au soleil ou bien errent languissamment. Elles renoncent au coup de brosse. Mauvais signe que cette insouciance de la toilette. Deux ou trois jours après, en effet, la poudreuse sort une dernière fois du guêpier, pour jouir encore un peu du soleil; puis, les griffeuses sans vigueur abandonnant l'appui... Doucement elles s'affalent à terre et ne se relèvent plus. Elles ne viennent pas mourir dans la ruche où le code des guêpes impose propreté parfaite. Si les travailleuses étaient encore là, farouches hygiénistes, elles appréhenderaient les impotentes et les entraîneraient au dehors. Premières victimes du mal d'hiver, elles sont déjà mortes, et les nouvelles moribondes procèdent ellesmêmes à leurs funérailles, en se laissant choir sur le sol. Pour des raisons de salubrité, condition indispensable en telle multitude, ces guêpes stoïques se refusent à trépasser dans le logis même. Les dernières survivantes gardent jusqu'à la fin cette répugnance. C'est pour elles une loi jamais abrogée, si réduite que soit la population. Du dortoir des jeunes tout cadavre doit être écarté. Inexorablement, au fil des jours, et au fur et à mesure que l'été s'en va, la ruche se dépeuple. La mort est le sort inexorable de ces guêpes. Elles n'auront connu qu'une saison. Elles n'auront jamais cessé de travailler jusqu'à ce que la mort vienne les faucher... Je comprends la disparition des mâles. Ayant terminé leur rôle de fécondation, ils sont désormais inutiles. Je m'explique moins bien le décès des jeunes femelles qui, le printemps revenu, seraient d'un si grand secours lors de la fondation des colonies nouvelles. Sorties de leurs cellules de nymphes, ces jeunes femelles avaient les robustes attributs du jeune âge. Elles étaient l'avenir, et ce caractère sacré de la maternité future ne les a pas sauvées. Comme les débiles mâles, retirés des affaires, comme les ouvrières, usées par le travail, elles ont succombé. L'abondance des cadavres dans le charnier de la ruche me prouve qu'elles doivent se compter par centaines et centaines, peut-être par milliers. Une seule guêpe suffit à la fondation d'une cité de trente mille habitants. Si toutes prospéraient, quel fléau! Les guêpes tyranniseraient la campagne. L'ordre des choses veut que l'immense majorité des guêpes périsse, tuée non par une épidémie accidentelle et l'inclémence de la saison, mais par une destinée inéluctable qui met la même fougue à détruire qu'à procréer. Une seule guêpe, sauvegardée d'une manière ou de l'autre, suffit au maintien de l'espèce. Et ces milliers de cadavres serviront de nourriture aux fourmis et aux autres insectes prédateurs du jardin... W.A.Mozart - Petite musique de nuit – Andante Macro-photographie - Steve McSweeny Texte inspiré de Jean-Henri Fabre de la vie des insectes, Nelson, Paris, 1946 Création Florian Bernard Tous droits réservés – 2005 [email protected] Scènes Ce diaporama est strictement privé. Il est à usage non commercial. Il n'est pas destiné à un site internet, ni au grand public. Il est envoyé gratuitement, par courrier électronique, à une liste de personnes qui souscrivent aux conditions de l'abonnement. Le fait de recevoir ce diaporama par personne interposée, sans être abonné, ne lui enlève aucunement son caractère privé ni ses restrictions. Il est interdit de modifier ce diaporama et de l'utiliser à quelque fin que ce soit, sans autorisation. Pour des raisons de sécurité, prière de ne pas envoyer de pièces jointes à cette adresse car elles seront automatiquement refusées. Cette adresse n'accepte que des messages en texte seulement, sans fichier annexé ni pièces jointes. Florian Bernard - Florimage [email protected] ® Florimage est une marque déposée