HPE ET DEBATS CONTEMPORAINS

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HPE ET DEBATS
CONTEMPORAINS
Cours de première année IEP
semestre 1
Pr. Olivier Brossard, IEP Toulouse,
LEREPS-GRES
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PLAN du cours
 Voir le plan-syllabus qui vous a été distribué
 Quelques commentaires…
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I. INTRODUCTION
HPE, épistémologie et méthodologie
de la science économique
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I.1. Qu’est-ce que l’HPE? Qu’estce que la science économique?
 Comment situer l’HPE comme discipline
par rapport à l’ensemble des domaines des
sciences économiques?
 Y a-t-il un intérêt autre qu ’esthétique à
pratiquer l’HPE?
 Comment allons-nous l’enseigner?
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Définitions : Economie, économie
politique, sciences économiques
 Economie: OIKOS (maison) et NOMOS (loi)
 Chrématistique d’Aristote
 « Economie politique ». A partir de Montchrestien,
1615:
– « Politique » : commence à avoir le sens de « cité » (société dans
son ensemble) plutôt que « gestion des affaires publiques »
 « Sciences économiques »: une discipline universitaire
relativement « jeune »:
– 1817 : JB Say fonde l’ESCP et y développe le premier vrai
enseignement d’économie politique en France
– Décret du 26 mars 1877 introduit l’économie politique en
deuxième année des études juridiques. 1896 : création d’une
agréation d’économie politique
– Autonomisation vis-à-vis du droit ne s’amorce que dans les années
1930
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Définitions (suite)
 (1): « La science qui étudie le comportement humain
comme une relation entre des fins et des moyens rares
qui ont des usages alternatifs » (L. Robbins, 1932, An
Essay on the Nature and Significance of Economic
Science).
 (2): « L’économie est l’étude de la façon dont l’homme et la
société choisissent, avec ou sans recours à la monnaie,
d’employer des ressources productives rares qui sont
susceptibles d’emplois alternatifs, pour produire divers biens de
la consommation présente ou future des différents individus et
groupes qui constituent la société. », Paul Samuelson
 (3): « Étude des mécanismes de production, de consommation et
d'échange dans une structure sociale donnée et des
interdépendances entre cette structure et ces mécanismes »,
Jacques Attali
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(1) et (2): des définitions à la fois
trop restrictives et trop impérialistes?
 Trop restrictives:
– Exemple: les célèbres définitions de Robbins et
Samuelson renvoie à un paradigme particulier
des sciences économiques: l’école néoclassique
 Trop impérialistes:
– Une tendance à vouloir tout expliquer avec les
hypothèses de l’économiecf. la définition de
Robbins.
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Comment en sortir?
Vouloir donner une définition particulière de la
science économique c’est vouloir imposer une école
de pensée:
« Si je définis mon objet comme l'étude de l'affectation par un individu de
son revenu aux différents biens qui lui sont proposés, j'aboutis à
l'équilibre du consommateur de la théorie marginaliste. De même, si je le
définis comme l'étude des conditions dans lesquelles s'effectue la
répartition salaires/profits dans une économie capitaliste, j'aboutis à une
théorie des prix de production, néoricardienne ou marxiste selon les
hypothèses supplémentaires faites. » Claude Mouchot, « Pour une éthique
de l’enseignement de l’économie », p. 3.
http://www.btinternet.com/~pae_news/Mouchot1fr.htm
L’HPE intervient comme discipline nécessaire à la
connaissance de cette diversité et son ambition est de
donner aux économistes « ouverts » la capacité de
tirer partie de cette diversité pour mieux appréhender
les phénomènes économiques.
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L’HPE marginalisée?
 Une discipline de moins en moins enseignée
dans les formations anglo-saxonnes et
même françaises
 Une branche de la recherche universitaire
en sciences économiques assez peu en
vogue aujourd’hui
 Pourquoi?
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Une réponse fréquente:
 A quoi bon connaître et enseigner des
théories obsolètes, voire fausses?
Conception 1: « Unité et unicité des sciences
économiques »
Une réponse moins fréquente:
 La science économique reste « politique »: les
courants dominants tendent à vouloir faire oublier
les courants hétérodoxes
Conception 2: « Economie politique »
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Conception 1 => une vision
restrictive de l’HPE
 HPE utile seulement pour:
– Faire la part de l’héritage
– Éviter de tourner en rond en faisant de fausses
découvertes
 En conséquence:
– Se limiter à l’HPE contemporaine et aux très
grands auteurs classiques
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Nous allons maintenant tenter de
justifier une vision plus large de
l’HPE, comme enseignement et
comme domaine de recherche
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I.2. Orthodoxie, hétérodoxie et HPE
 « La science économique progresse, ne nous
retournons pas »:
– Une vision qui arrange le paradigme dominant
(néo-classique) où l’on considère:
• Que le problème de la valeur est résolu
• Que l’individualisme méthodologique est la seule
méthode possible en économie
• Que (donc) la distinction macro/micro n’a plus de
sens
• Que l’hypothèse de rationalité est la seule
admissible
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I.2. (Suite)
 Il existe pourtant des hétérodoxies fécondes et
dynamiques:
–
–
–
–
–
–
Les post-keynésiens
Les néo-ricardiens (sraffaiens)
Les marxistes
L’école de la régulation
Les institutionalismes
…etc.
 Chacune de ces écoles alternatives peut-être reliée
à des pensées antérieures au néo-classicisme tel
qu’il s’est développé dans les années 50
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I.3. L’ambiguïté de la notion de
progrès des « sciences » économiques
 L’HPE perd beaucoup de son utilité s’il existe un
progrès quasi-linéaire des sciences économiques.
 En effet, il s’agit alors seulement de connaître les
errements du passé pour éviter de les reproduire
 Il y a bien eut des progrès décisifs au 20ème siècle
sur :
L’analyse du rôle des anticipations/La compréhension
des interactions stratégiques/L’analyse de l’émergence
et de l’influence des institutions/…etc.
 Mais…
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I.3. (Suite)
 Des pans entiers du savoir économique sont
encore incertains et soumis à des débats déjà
anciens:
– La théorie monétaire
– La mesure du capital, de la productivité et des richesses
produites
– « Main invisible versus effets de composition »
• Question de la coordination des actions économiques
– Nature de l’homo economicus
– Etc.
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I.4. Recherche, politique économique et
HPE: Peut-on produire des connaissances dans l’ignorance
des savoirs passés?
 Un exemple: l’interrogation, à la mode, sur la
« Nouvelle économie »:
 On y retrouve un problème récurrent de l’analyse
économique : la mesure du capital
 La diffusion des TIC a-t-elle généré des gains de
productivité? Si oui, quel impact peut-on en
attendre sur la croissance, sur l’emploi?
 Pour répondre à cette question, on se heurte à une
sérieux problème de mesure:
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I.4. (Suite)
 Productivité définie à partir de la vision néo-
classique de la production:
– Production: Y=F(K,L) et productivité du travail: y=Y/L
y est une fonction croissante de K
– Lorsque l’on remplace les hommes par des ordinateurs,
la productivité du travail augmente, jusqu’à ce que cette
forme de substitution capital/travail prenne fin
– Donc: phénomène pas durable s’il n’y a pas d’autres
sources de croissance de la productivité
 Définition : Gains de productivité globale des
facteurs (PGF) ou « résidu de Solow » : toute
augmentation de Y non due à une  de K ou L
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I.4. (Suite)
 Débat : les TIC ont-elles engendré des gains de
PGF et donc une modification durable du rythme
de la croissance (potentielle)?
 Pour répondre il faut être capable de mesurer
correctement la contribution du « capital TIC » à
la croissance de la production et retrancher cette
contribution pour obtenir le « résidu de Solow ».
 Or la mesure d’un stock de capital (TIC) agrégé
est très problématique à cause de ce que l’on
appelle les « PARADOXES DU CAPITAL »
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Les paradoxes du capital
 Peut-on définir un volume K de capital physique
agrégé? NON
 Wicksell (1901, Lectures on Political Economy):
« Chaque bien capital particulier est mesuré en une unité
étrangère à elle-même »
 1950-1960: on reconnaît que l’hétérogénéité des
biens de capital interdit d’utiliser une fonction de
production agrégée du type Y=F(K,L) :
« CONTROVERSE DES DEUX CAMBRIDGE »
 Pourtant une telle fonction fut largement employée
dans les années 50 par les théoriciens de la
croissance et encore aujourd’hui dans le débat sur
« TIC et croissance ».
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 Le débat récent sur la nouvelle économie a été
complètement pollué par ce problème de mesure
du capital
– Mesure du capital TIC: « au coût des facteurs » ou « au
service rendu »?
– Expl.: Si la qualité des ordinateurs s’améliore, la
mesure au service rendu s’accroît mais pas celle au coût
des facteurs
– La contribution du capital informatique va dépendre de
la mesure choisie et donc la mesure de la PGF aussi
 On aurait gagné beaucoup de temps si les
économistes du début du 21ème siècle avait eu
connaissance des analyses de Wicksell et de la
« controverse des deux Cambridge ».
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I.5. HPE et rôle de l ’histoire
dans les théories économiques
 Pas de modèle universel et atemporel du
fonctionnement économique
 Si la connaissance économique peut être ahistorique, alors il y aura une fin à l ’HPE
 Si ce n’est pas le cas, alors l’HPE vivra tant
que vit la discipline
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Exemples de théories économiques
« historiquement situées »
 Quesnay et les physiocrates
 Marx : plus-value et exploitation
– Liée à une époque où la croissance a lieu
principalement dans le secteur secondaire, dans un
contexte d’extension du salariat
– Aujourd’hui : tertiarisation de l’économie; extension de
l’actionnariat
 TQM : de Say et Ricardo à I. Fisher : toujours liée à
un certain mode de fonctionnement de l’émission
monétaire et dépendante de l’ajustement de l’offre et de la
demande de B&S
 Keynes : théorie de la demande effective: on l ’a
crue morte dans les 70 ’ et elle revient en force au
début du 21èmePr. siècle
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I.6. HPE et épistémologie de la
science économique
 Les théories des sciences physiques : des théories
changeantes d’une « réalité » permanente 
exemple de l’astronomie
 Les théories économiques: des théories à la fois
changeantes et récurrentes d’une réalité changeant
avec l’histoire des sociétés
 Donc l’histoire de la pensée économique est aussi
une histoire de l’objet de la science économique
qui se redéfinit avec l’évolution des pensées
économiques
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 « L’histoire de l’économie politique […] n’est pas
discontinue, et pourtant elle n’est pas non plus
continue; elle n’est jamais refondée, et pourtant
les théories qui la jalonnent redéfinissent toujours
leur objet et leurs méthodes. […] elle laisse
apparaître une lutte sempiternelle de théories
contradictoires; ces théories ne meurent jamais,
patientant, enfouies, pour ressurgir dominantes et
renforcées… » R. Di Ruzza, p. 14
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I.6. (Suite: Epistémologie? Petit
rappel)
 J. Piaget : « En première approximation, l’étude de
la constitution des connaissances valables »
 J.-L. Lemoigne: 3 questions dans l’épistémologie:
– Question gnoséologique: qu’est-ce que la
connaissance? Qu’est-ce qui est à connaître?
– Question méthodologique: comment la constituer?
– Question éthique: comment apprécier sa valeur?
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Ce qui est à connaître:
 La réponse de la science économique depuis A. Smith:
Expliquer l’occurrence d’un ordre dans l’économie alors
qu’elle est « motivée par l’intérêt personnel et contrôlée
par un très grand nombre d’agents différents », Arrow &
Hahn, General Competitive Analysis
 i.e.: problème de la coordination des actions économiques
dans les économies individualistes
 NB1 : sans doute pas de définition absolue de l’objet de la
connaissance économique (ici : économies
capitalistes/individualistes)
 NB2: il existe un conflit ontologique sur la nature de cet
objet de connaissance : positivisme-réalisme versus
constructivisme. Ce conflit implique un conflit des
méthodes
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Comment le connaître? Le conflit des
méthodes en sciences économiques
 Méthode positiviste: une




 Une méthode inductive et
constructiviste (Piaget,
méthode hypothéticoDuhem, Bachelard, etc.). Un
déductive
exposé en est donné par
Procéder par construction
Clower et Howitt:
abstraite (monde virtuel)
puis par réfutation empirique  Partir des « faits stylisés »
pour déterminer des
Inspirée du positivisme
problèmes empiriques
poppérien
 Construire des modèles qui
Suppose qu’il existe une
«sauvent ces phénomènes»
réalité indépendante de la
(Duhem)
théorie à laquelle celle-ci
 « Si l’économie doit se contenter
peut être confrontée
d’être une subdivision des
Popper; Friedman (« tout se
mathématiques qui utilise une
passe comme si »)
terminologie particulière, alors
elle ne mérite pas d’exister »
Clower & Howitt
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Comment apprécier la valeur des
connaissances produites par les sciences
économiques?
 Valeur =
 Valeur =
 rigueur de la
 réalisme des
démonstration
mathématique
+
 résistance à la
falsification empirique
hypothèses
+
 Résistance à la
falsification
+
 Caractère opératoire
des connaissances
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Un représentant célèbre du positivisme en
économie: M. Friedman
 1953, Essays on Positive Economics, University of
Chicago Press
 Les hypothèses (rationalité maximisatrice, etc.)
n’ont pas besoin d’être réalistes: «le seul test
pertinent de la validité d’une hypothèse est la
confrontation de ses prévisions avec l’expérience»
 « Tout se passe comme si …»: exemple de la
densité des feuilles sur un arbre ou du joueur de
billard. « Tout se passe comme si les managers
étaient rationnels » même si ça n’est pas vrai :
argument de la sélection naturelle
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Positivisme de M. Friedman
(Suite)
 Problème: si le « tout se passe comme si » est
falsifiable en sciences physiques, il n’en est rien
en économie:
– Exemple: on peut toujours arguer qu’il y a du
chômage non pas parce que la théorie néoclassique est fausse, mais parce que des
«frictions» empêchent les prévisions du modèle
de se réaliser:
 Glissement permanent d’une prétention positive à
une posture normative sur les hypothèses
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CONCLUSION DE L’INTRODUCTION
 Intérêt de l’HPE comme enseignement
 Intérêt de l’HPE comme domaine de recherche
 Ne plus parler de « la » science économique mais
des sciences économiques
 Ce n’est pas parce que l’on prévoit mal que l’on
n’est pas « scientifique »
Contre-exemple: les charlatans prévoient très bien
Il existe aussi des énigmes et erreurs de prévision dans
les sciences dites « dures »
 L ’abstraction mathématique n’est pas suffisante et
peut-être pas non plus nécessaire pour garantir la
scientificité de l ’analyse économique
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