1716 et le rire du roi…
E
n 1239, LouisIX accomplit l’un des
gestes majeurs de son règne : il acheta
aux Vénitiens, qui l’avaient obtenue des
Byzantins, une insigne relique, la cou-
ronne d’épines du Christ (ill. xx). Pour
la conserver, il t construire dans son palais de la Cité
une chapelle qui est considérée comme l’un des plus
remarquables chefs-d’œuvre de l’art gothique, alors à
son point culminant.
La Sainte-Chapelle est au fond le cœur de l’expo-
sition proposée à la Conciergerie par le Centre des
monuments nationaux. Tout au long du parcours
de visite, elle en est comme le terme et le couronne-
ment ; LouisIX s’y eace devant le Christ, l’événe-
ment central proposé à la vénération étant, à travers
les reliques, à travers les vitraux, la crucixion. Saint
Louis y est présenté comme l’inspirateur, le créateur
du monument qui exprime sans doute le mieux ce
qu’est devenu à l’apogée du Moyen Âge le Dieu des
chrétiens : le Dieu crucié.
Le « Roi Très Chrétien »
Dans les premiers siècles du christianisme, c’est le
Ressuscité qui l’a emporté dans l’image que le haut
Moyen Âge a donnée de Dieu. Puis, l’Église, au second
concile de Nicée de 787, autorise les images, contraire-
ment aux tendances iconoclastes qui dominent pen-
dant certaines périodes dans l’Empire byzantin. De ce
fait, dans les pays où s’est installé le christianisme latin,
l’usage des images a fourni un moyen incomparable à
l’Église et à la société chrétienne de rapprocher par la
vue Dieu de l’homme et de placer au centre de l’his-
toire le plus grand événement de celle-ci, l’Incarnation.
LaSainte-Chapelle permet l’ostension de la source
fondamentale du prestige de la royauté. Le principal
insigne du pouvoir est la couronne et, désormais, c’est
à Paris qu’on peut admirer et vénérer cet aribut majeur
de la royauté : la couronne du Christ qui est une cou-
ronne d’épines. Le roi de France, en tant que possesseur
terrestre de cee couronne, devient en quelque sorte
le roi des rois. Et c’est ce que ressentit la chrétienté
du xiiiesiècle en voyant la Sainte-Chapelle du palais
royal parisien ou en entendant parler d’elle. Actes de
dévotion, l’acquisition de la Couronne d’épines et la
construction de la Sainte-Chapelle sont aussi des actes
politiques. La chrétienté latine a échappé à la théocra-
tie puisqu’elle a partagé le pouvoir entre Dieu et César.
Mais l’ostension de la Couronne est le symbole du
caractère divin de la royauté chrétienne dans l’incarna-
tion d’un salut qui s’obtient par le sacrice. Et le roi de
France est le possesseur de cet insigne. L’empereur du
Saint Empire romain germanique ne possède plus que
l’ombre d’un pouvoir terrestre qui s’eace sous l’éclat de
la Couronne d’épines de la Sainte-Chapelle.
La foi se confond donc pratiquement avec le pouvoir.
Ce n’est pas à Rome, lieu du couronnement impérial,
mais à Paris, agenouillé devant les reliques du Christ,
que le roi de France acquiert un prestige supérieur à
celui de tous les autres rois de la chrétienté. La cou-
ronne d’épines du Christ fait de Saint Louis le Rex chris-
tianissimus, le « Roi Très Chrétien ». Saint L ouis a voulu
montrer que le roi est l’image de Dieu, rex imago Dei,
etaux insignes du pouvoir, couronne, trône, sceptre,
ila comme ajouté cee couronne portée par l’Homme-
Roi qu’a été Jésus incarné.
L’une des grandes nouveautés qu’apporte à l’huma-
nité le christianisme, c’est ce personnage exception-
nel : lesaint. Le saint se manifeste après sa mort par
ses miracles. Or la plus puissante des reliques est celle
qui provient de celui qui fut bien plus qu’un saint, à
savoir Jésus incarné. La relique est objet de dévotion,
tout en étant aussi source de pouvoir. Et LouisIX
parvient à acquérir la relique suprême, celle de la
couronne de la crucixion. Saint Louis n’est pas le
premier chrétien puissant qui ait acquis des reliques
pour renforcer son pouvoir. Mais àcee recherche il
est le grand gagnant, et cee exposition le démontre
par nombre d’objets exposés.
Outre la Sainte-Chapelle, il est d’autres lieux
sacrés de la monarchie capétienne, comme l’abbaye de
Et le rire du roi…
Jacques Le Goff
Page de gauche
Ill.1
Maurice Poussielgue-
Durand, d’après
Jules-Godefroy
Astruc, Couronne
d’épines dans son
reliquaire, 1896
Or, cristal de roche,
diamants, pierres fines,
d.28,5cm
Paris, trésor
de Notre-Dame
Saint-Louis_v3_2.indd 16-17 08/07/14 09:14
2928 du saint à l’homme, parcours d’un mythe à rebours
Ill.9
Eugène Delacroix
La Bataille de
Taillebourg, 21 juillet
1242, 1837
Versailles, musée
national des châteaux de
Versailles et de Trianon
L’Héroïque Fermeté de saint Louis de Guillaume Guillon-
Lethière21. Le second montrait un sujet rare, quand « le
prisonnier de Damiee, menacé par l’émir Octaï à qui
il a refusé de vendre l’ordre de chevalerie, au prix de la
liberté et d’une couronne, dée le sabre de l’assassin de
Moadan
22
». D’inspiration antiquisante et d’un style
noble, il était sans doute le meilleur de tous les Saint
Louis commandés par le régime.
Saint Louis
comme figure historique
Monté sur le trône à la faveur des journées révolu-
tionnaires de juillet 1830, Louis-Philippe, quoique lui
aussi « ls de saint Louis », t peu de place à son aïeul,
du moins dans les premiers temps de son règne. Sans
doute voulait-il se démarquer de ses prédécesseurs en
évitant la référence à une gure royale, certes incontes-
table mais tout de même très liée à l’Ancien Régime et
aux Bourbons de la branche aînée, qui n’étaient pas par-
venus à conserver leur trône. Et, lorsque saint Louis t
son retour dans les programmes ociels, ce ne fut plus
comme une gure de référence, une caution de vertu
et de piété pour le régime, mais comme une véritable
gure historique, jalon de cee histoire de France qui
revivait au gré des travaux des historiens, soutenus par
un Roi-Citoyen passionné d’histoire.
Et, tout naturellement, c’est dans le cadre du pro-
jet des Galeries historiques de Versailles, commencé
en 1832-1833, que saint Louis eectua son vrai retour
dans les commandes ocielles. Le premier lieu où l’on
retrouvait saint Louis était la galerie des Batailles, où
LaBataille de Taillebourg d’ Eugè ne De lacr oix
23
fut inst al-
lée en 1837. L’événement était un épisode passablement
oublié de l’histoire médiévale, mais devait illustrer la
participation du roi aux combats pour la consolidation
de son royaume, selon le thème général de la galerie. On
y voit saint Louis franchissant le pont de Taillebourg,
sur la Charente, à la tête de ses troupes, pour mater la
rebellion des barons du Poitou, passés au ser vice de son
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