etat, gouvernementalité et cohésion sociale au maroc

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ETAT, GOUVERNEMENTALITÉ ET
COHÉSION SOCIALE AU MAROC
Noureddine El Aoufi
LEID/Université Mohammed V, Rabat
Plan

Etat et développement : la dette primordiale
Etat et légitimité : la gouvernementalité économique
Déficits sociaux et montée des inégalités

Inégalités de quoi?

Inégalités de dépenses : croissantes et persistantes
Inégalités de capacités : structurelles et cumulatives






Déclassement social
Défiance
Etat social
Noureddine El Aoufi/LEID/13 Avril 2011
2
La dette primordiale (1/2)

Au Maroc, la dette primordiale (au sens de Charles
Malamoud, 1989) structure un double lien organique…
 Un lien horizontal et intergénérationnel entre les
individus, les groupes et les communautés…



…Versus fragmentations sociales liées à la
mondialisation…
…définissant une pragmatique altruiste mobilisant les valeurs
de confiance et de réciprocité, réduisant les coûts de
transaction et favorisant les jeux coopératifs.
Un lien vertical qui constitue un invariant de la
configuration Etat/société et Etat/économie.
Noureddine El Aoufi/LEID/13 Avril 2011
3
La dette primordiale (2/2)


La dette primordiale semble présider, en longue
période, à l’équilibre politique et culturel, au
maintien de la cohésion sociale.
Elle fonde la légitimité de l’Etat et sa
souveraineté :


En contrepartie du principe d’allégeance (Al-béia),
l’obligation de protéger, de prendre en charge le
territoire et la population
« Etat de justice » (Ibn Khaldûn) ou Etat de type
« pastoral » (Foucault, 2004).
Noureddine El Aoufi/LEID/13 Avril 2011
4
Gouvernementalité (1/4)

« Par « gouvernementalité », j’entends l’ensemble
constitué par les institutions, les procédures,
analyses et réflexions, les calculs et les tactiques
qui permettent d’exercer cette forme spécifique,
quoique très complexe, de pouvoir qui a pour
cible principale la population, pour forme
majeure de savoir l’économie politique, pour
instrument technique essentiel les dispositifs de
sécurité. » (Foucault, 2004, p.111)
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5
Gouvernementalité (2/4)

«Deuxièmement, par « gouvernementalité », j’entends
la tendance, la ligne de force qui, dans tout l’Occident,
n’a pas cessé de conduire, et depuis fort longtemps,
vers la prééminence de ce type de pouvoir qu’on peut
appeler le « gouvernement » sur tous les autres :
souveraineté, discipline et qui a amené, d’une part, le
développement de toute une série d’appareils
spécifiques de gouvernement et, d’autre part, le
développement de toute une série de savoirs. »
(Foucault, 2004, p.112)
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Gouvernementalité (3/4)



Au Maroc, le Makhzen désigne un mode spécifique
d’exercice de la souveraineté à la fois sur le territoire
(contrôle du bled siba, discipline) et sur la population
(protection contre les risques et les crises)…
…correspondant à la notion d’ « Etat pastoral »
(invention du christianisme selon Foucault) : « conduite
des hommes vers leur salut »
Protectorat : un dualisme institutionnel
 Souveraineté formelle
 Gouvernementalité réelle
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7
Gouvernementalité (4/4)

Indépendance : équilibre instable entre :


Etat de justice (Ibn Khaldûn) dont les ressources
traditionnelles de légitimité sont la protection et la
sécurité
Etat de gouvernementalité utilisant les technologies
modernes de gouvernement (rationalité économique,
« bonne gouvernance », etc.) et le développement
(population et territoire) comme justification de
légitimité.
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Déficits sociaux et montée des inégalités

Rapport du Cinquantenaire : une mise en
perspective historique (1956-1999) faisant
ressortir :
 L’ampleur des déficits sociaux, notamment en
milieu rural
 La montée des inégalités (HCP, 2010; El
Aoufi, Hanchane et Taouil, 2010)
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9
Inégalités de quoi?

L’hypothèse des inégalités de capacités (Sen, 1993,
2000, 2010)




La croissance, y compris dans sa composante pro pauvres,
peut s’accompagner d’une aggravation des inégalités (Rapport
du Cinquantenaire, 2005).
Variables focales : revenus + accessibilités (éducation, santé,
logement)
Il existe des seuils d’acceptabilité des inégalités
Principe du Maximin (Rawls, 1971) : les inégalités ne sont
acceptables que si et seulement si elles profitent aux plus
défavorisés
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Inégalités de dépenses : croissantes et
persistantes (1/4)

Les inégalités se creusent alors que la pauvreté recule
(El Aoufi, Hanchane et Taouil, 2010) :
 Taux de pauvreté : 9% en 2007 contre 24% en 2001
 Hauts revenus (20%) : environ 50% des dépenses en
2007 (46% en 2001) contre 6,7% pour les bas
revenus
 Coefficient de Gini (CG): 40,7% en 2007 (41,1% en
milieu urbain contre 33,1% dans le rural)
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Inégalités de dépenses : croissantes et
persistantes (2/4)

De fortes inégalités territoriales (El Aoufi,
Hanchane et Taouil, 2010) :


Vulnérabilité et pauvreté : taux record (19%) à
Doukkala-Abda, au Sahara et à Taza-Al HouceimaTaounate.
CG les plus élevés : Tanger-Tétouan (47%) et RabatSalé-Zemmour-Zaïr (46%)
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Inégalités de dépenses : croissantes et
persistantes (3/4)

Inégalités et genre : les femmes moins pauvres ?
 Taux de pauvreté plus réduit, en 2007, pour les
femmes chefs de ménage (7,4%) par rapport aux
chefs masculins (9,2%).
 Taux de vulnérabilité : 16,4% pour les femmes contre
17,6% pour les hommes.
 1985-2001 : les hommes plus frappés que les
femmes.
 Inégalités de dépense selon le sexe peu significatives.
 Répartition des dépenses totales moins inégalitaire
chez les femmes : CG de 31% contre 41% pour les
hommes.
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Inégalités de dépenses : croissantes et
persistantes (4/4)





La scolarité réduit la pauvreté mais pas les inégalités
Inégalités socioprofessionnelles plus accentuées
entre 1999 et 2007.
Recul des cadres moyens : taux de pauvreté passant
de 1% en 1999 à 9% en 2007. Idem pour les artisans,
les petits métiers, les employés.
Creusement des inégalités de 7 points en moyenne
pour l’ensemble des catégories (16 points pour les
cadres moyens)….
… et des inégalités intra-groupes : 12 points d’écart
en 2007 contre 8 points en 1999.
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Inégalités de capacités : structurelles et
cumulatives (1/4)

Accès à l’éducation : la reproduction des
inégalités



Scolarisation : un cheminement lent, notamment en
milieu rural
Non scolarisation et déscolarisation étroitement liées
aux déficits en matière d’infrastructures et
d’équipements de base
Acquisitions scolaires : l’impact des inégalités de base
(PNEA 2008)
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Inégalités de capacités : structurelles et
cumulatives (2/4)

Accès aux soins de santé : une forte polarisation
territoriale



Offre de soins : ampleur des écarts régionaux (surcharge
au Grand Casablanca et à Rabat-Salé-Zemmour-Zaer et
manques à Taza-Al Hoceima-Taounate, Tadla-Azilal,
Doukkala-Abda et Souss-Massa-Darâa)
Des disparités en termes de mortalité et de morbidité
Espérance de vie à la naissance : amélioration relative
entre 1994 (69,7 ans) et 2006 (72,4 ans) (75,6 ans en
milieu urbain).
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Inégalités de capacités : structurelles et
cumulatives (3/4)

Accès au logement : des inégalités de manques



Une discrimination par le coût d’accès à la propriété
(74% des ménages sont propriétaires contre 15,5%
de locataires)
En milieu rural : maisons en pisé ou en pierre (71 %
des ménages), maisons en dur (17%), maisons
modernes (5,3 % en 2001 contre 0,2 % en 1998).
En termes de densité d’occupation : nombre moyen
de pièces par ménage : 3,1 au niveau national en 2001
(3 en milieu urbain et 3,2 en milieu rural).
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Inégalités de capacités : structurelles et
cumulatives (4/4)

Qualité du logement : la discrimination par
l’accès aux services de base :


Effectif des ménages branchés en eau potable : 72%
en 2006 (93% urbain et 36% rural).
Equipements sanitaires et réseaux d’assainissement
solide et liquide : manques (notamment rural) et
fortes disparités.
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Déclassement social

Les classes moyennes : un processus de
« démoyennisation » et de déclassement social (HCP,
2010)




Borne inférieure (0,75 fois la médiane des revenus ou
des dépenses) et borne supérieure (2,5 fois la médiane).
Fractions supérieures (revenu supérieur au revenu moyen
qui est de 5 308 DH) : 28%
Couches intermédiaires (revenu situé entre la médiane et
la moyenne nationale) : 42%
Couches inférieures (revenu inférieur à la médiane qui est
de 3500 DH) : 30%.
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Défiance (1/3)

Confiance dans les institutions (Dimeglio et
Hanchane, 2009; El Aoufi, Hanchane et Taouil,
2010) :


Confiance à l’égard des « institutions de
souveraineté » (69,9% pour les Fores armées, 57,1%)
51,8% pour la Police)
En revanche, confiance plus limitée dans les
« institutions civiles » : partis politiques (18,56%),
syndicats (20%), Parlement (21,68%), médias (33%).
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Défiance (2/3)

Confiance interpersonnelle :



22,82% des personnes interrogées font confiance à la
« plupart des gens » contre 70,96% ayant déclaré
« penser que les gens essaient de tirer avantage
d’eux.»
57,37% sont des femmes (contre 49,44% n’ayant pas
confiance).
Les individus travaillant à plein temps et les
étudiants font moins confiance à autrui.
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Défiance (3/3)



A l’inverse, les travailleurs indépendants et les
femmes au foyer semblent relativement moins
défiants.
Pour les autres catégories sociales, les différences de
distribution ne sont pas prégnantes.
Le sexe et le statut professionnel semblent ainsi
déterminer la confiance interindividuelle, mais pas
l’âge et le diplôme.
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Etat social (1/2)



Le développement est irréductible à la croissance et
celle-ci n’engendre pas automatiquement le
développement
L’effet de la croissance sur le développement dépend
des capacités humaines (éducation fondamentale,
alphabétisation, santé de base, égalité hommes/femmes,
participation politique)
L’ échafaudage institutionnel et le «détour
démocratique » impliquent des coûts de transaction qui
sont nécessaires au développement (Acemoglu et
Robinson, 2001; North, 2005; Aoki, 2001; North,
Wallis et Weingast, 2010)
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Etat social (2/2)




L’engagement de l’Etat dans le processus de
dotation des catégories les plus défavorisées en
capacités humaines est dicté par :
la dette primordiale
la gouvernementalité
L’arbitrage en faveur de ces catégories est justifié
non seulement par l’ampleur du déficit enregistré
mais aussi et surtout par les possibilités qu’ils
offrent en termes de réduction des inégalités de
capabilités.
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Références (1/4)




Acemoglu D. and Robinson James A. (2005), Economic
Origins Of Dictatorship And Democracy : Economic And
Political Origins, Cambridge University Press, New York.
Aglietta M. et Orléan A. éds (1998), La monnaie
souveraine, Odile Jacob, Paris.
Aoki M. (2001), Towards a Comparative Institutional
Analysis, The MIT Press, Cambridge, Massachussetts
Dimeglio I. et Hanchane S. (2009), « Institutions,
confiance et richesse des nations », Critique économique,
n° 24, p. 35-57.
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Références (2/4)





El Aoufi N., Hanchane S. et Taouil R. (2010), Inégalités et
cohésion sociales. Une analyse économique, IRES, Rabat.
Foucault M. (2004), Sécurité, territoire, sécurité. Cours au Collège
de France 1977-1978, Hautes Etudes/Gallimard/Seuil, Paris.
Haut-Commissariat au Plan (2009), Enquête sur les classes
moyennes, Rabat.
Hirschman A. O. (1958), The Strategy of Economic Development,
Yale University Press
Ibn Khaldûn A. (1377), Muqaddima, (trad. A.
Cheddadi,2006)
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Références (3/4)





Malamoud C. (1989), Le cru et le cuit, La Découverte,
Paris.
North Douglas C. (2005), Processus de développement
économique, Editions d’organisation, Paris.
North Douglas C., Walllis John J., Weingast Barry R.
(2010), Violence et ordres sociaux, Gallimard, Paris.
Rawls J. (1971), Théorie de la justice, Seuil, Paris, 1987.
Rodrik D. (2008), Nations et mondialisation. Les stratégies
nationales de développement dans un monde globalisé, La
Découverte, Paris.
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Références (4/4)





Royaume du Maroc (2006), Rapport du
Cinquantenaire, Rabat.
Sen A. (2010), L’idée de justice, Flammarion, Paris.
Sen A. (2000), Repenser l'inégalité, Seuil, Paris.
Sen A. (1993), Ethique et économie, PUF, Paris.
Walzer M. (1983), Sphères de justice, Seuil, 1997.
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