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BIOSYSTEMA 6
SYSTEMATIQUE & ECOLOGIE
Cl. Combes
R. Barbault
F. Renaud
A. Dubois
N. Le Brun
Edition préparée par J.-P. HUGOT
1991
Société française de Systématique
57, rue Cuvier, F. 75005 PARIS
ISBN : 2-906892-13-0
Sommaire
Systématique et Écologie : vers un renouveau de l’histoire naturelle – le point de vue d’un écologiste
par Robert BARBAULT ............................................................................................................
3
Systématique et Écologie : le point de vue d’un parasitologiste
par Claude COMBES, François RENAUD et Nathalie LE BRUN
...........................................
39
Systématique et Écologie : le point de vue d’un systématicien
par Alain DUBOIS ...................................................................................................................
49
2
TABLE DES MATIERES
SYSTEMATIQUE ET ECOLOGIE: VERS UN RENOUVEAU DE L'HISTOIRE NATURELLE - LE
POINT DE VUE D'UN ECOLOGISTE ...................................................................................................1
par Robert BARBAULT
STRATEGIES BIODEMOGRAPHIQUES ET COMPARAISONS INTERSPECIFIQUES .......................................... 6
Les stratégies biodémographiques ...................................................................................................... 6
Le concept de stratégie en écologie.........................................................................................6
Contraintes et compromis........................................................................................................8
Un exemple ............................................................................................................................. 10
Le recours aux comparaisons interspécifiques .................................................................................. 14
STRUCTURE ET DYNAMIQUE DES COMMUNAUTES ................................................................................ 24
De la notion de diversité spécifique à celle de biodiversité ............................................................ 24
Quantification de la diversité spécifique............................................................................. 24
Déterminisme de la diversité spécifique: du local au régional.......................................... 25
De la diversité spécifique à la biodiversité ......................................................................... 29
Organisation des guildes et biologie des espèces ............................................................................ 30
Le poids de la biologie des espèces ..................................................................................... 33
Les peuplements sont contraints par leur histoire ............................................................. 34
Coévolution et peuplements.............................................................................................................. 34
Diversifications spécifiques liées à la conquête de nouvelles zones adaptatives............................ 40
Analyse phylogénétique et évolution de stratégies adaptatives particulières................................. 43
CONCLUSION ........................................................................................................................................... 45
REFERENCES ............................................................................................................................................ 47
SYSTEMATIQUE ET ECOLOGIE: LE POINT DE VUE D'UN PARASITOLOGISTE ........ 55
par Claude COMBES , François RENAUD et Nathalie LE BRUN
3
PREMIERE REFLEXION ............................................................................................................................. 56
DEUXIEME REFLEXION . .......................................................................................................................... 58
TROISIEME REFLEXION . .......................................................................................................................... 60
SIXIEME REFLEXION . .............................................................................................................................. 65
CONCLUSION. .......................................................................................................................................... 66
REMERCIEMENTS ..................................................................................................................................... 66
REFERENCES ............................................................................................................................................ 67
SYSTEMATIQUE ET ECOLOGIE: LE POINT DE VUE D'UN SYSTEMATICIEN.............. 71
par Alain DUBOIS
LES CARACTERES ECOLOGIQUES. ........................................................................................................... 74
Caractères directement liés à l'isolement reproducteur interspécifique. .......................................... 75
Caractères non directement liés à l'isolement reproducteur interspécifique.................................... 77
Caractères liés à l'habitat. ................................................................................................... 77
Caractères liés aux périodes d'activité. ............................................................................... 78
Caractères liés à la reproduction. ....................................................................................... 78
Caractères liés à l'alimentation. .......................................................................................... 79
La taille.................................................................................................................................. 80
Divers. .................................................................................................................................... 80
APPORT DE L'ECOLOGIE A LA SYSTEMATIQUE AU NIVEAU DU PROBLEME DE L'ESPECE. ..................... 82
L'éco-éthologie comme mécanisme biologique d'isolement reproducteur entre espèces. ............. 83
L'utilisation des autres caractères éco-éthologiques comme "critère spécifique". .......................... 87
APPORT DE L'ECOLOGIE A LA SYSTEMATIQUE AU NIVEAU DE LA CLASSIFICATION SUPRASPECIFIQUE.90
Ecologie et phylogénie. ..................................................................................................................... 91
Ecologie et classification supraspécifique......................................................................................... 95
4
CONCLUSION ......................................................................................................................................... 103
REFERENCES .......................................................................................................................................... 104
5
SYSTEMATIQUE ET ECOLOGIE: LE POINT DE VUE D'UN SYSTEMATICIEN
Alain DUBOIS1
La systématique et l'écologie entretiennent depuis longtemps des rapports
mutuels à double sens: d'une part l'écologie peut contribuer efficacement à
l'établissement de la taxinomie d'un groupe, et d'autre part la systématique peut être
utile à l'écologiste pour guider ses analyses. J'aborderai ici seulement le premier
aspect de ces interrelations, en me plaçant du point de vue d'un systématicien (la
systématique n'étant pas encore une discipline unifiée, nul ne saurait prétendre
pouvoir parler au nom de tous les systématiciens). La question que je me poserai est
donc la suivante: quels services l'écologie peut-elle rendre à la systématique?
Contrairement à un point de vue encore très répandu parmi les gens étrangers
à cette discipline, la systématique à notre époque est une discipline hautement
synthétique, qui fait appel à un nombre très élevé, en fait au nombre le plus élevé
possible, d'informations portant sur les organismes vivants. Les classifications de ces
organismes qu'elle produit se veulent des synthèses de ces informations à un
moment donné de l'avancement de la science: ce sont à la fois des résultats et des
points de départ, puisque les classifications peuvent être considérées comme des
hypothèses, que des travaux ultérieurs, portant sur de nouveaux caractères ou de
nouveaux organismes, ou utilisant de nouvelles techniques d'analyse, permettront de
tester.
Si les systématiciens ont longtemps utilisé uniquement ou principalement les
caractères morphologiques et anatomiques pour décrire les espèces et définir les
taxons supérieurs, il a toujours existé une tendance chez certains d'entre eux au
moins à prendre en compte également des caractères non-morphologiques, tirés de
l'"histoire naturelle" des organismes étudiés, pour élaborer les classifications.
1
Laboratoire des Reptiles et Amphibiens, Muséum national d'Histoire naturelle, 25, rue Cuvier, 75 005,
Paris, France
HENNIG (1950) a créé le terme d'holomorphe pour désigner l'ensemble des
caractères, morphologiques et autres, qui appartiennent à un organisme: parmi ceuxci, l'écologie et l'éthologie, qui correspondent à l'"histoire naturelle" des anciens,
occupent une place de choix.
L'étude de l'écologie peut s'aborder de deux points de vue distincts, quoique
complémentaires: celui de la synécologie, étude des caractéristiques globales de la
structure et du fonctionnement des écosystèmes, et celui de l'autécologie, étude des
caractéristiques écologiques d'une espèce donnée. Seul ce deuxième type
d'écologie est d'un intérêt direct et immédiat pour les systématiciens et est
susceptible de les aider dans leurs analyses.
L'ensemble des interactions entre un organisme et les paramètres biotiques et
abiotiques du même écosystème, et notamment avec les autres organismes de la
même espèce ou d'autres espèces, permettent en effet de définir la place que cet
organisme occupe dans cet écosystème, qui caractérise ce qu'on peut appeler sa
"niche écologique". Celle-ci peut être considérée comme un ensemble de
"caractères", qui pourront être utilisés par les systématiciens pour l'analyse des
relations entre différentes espèces, la reconstitution de la phylogénie et l'élaboration
d'une classification.
Malgré les importants progrès de l'écologie, et particulièrement de l'autécologie, lors des dernières dizaines d'années, ces progrès ont été inégaux. Ils ont été
notamment bien plus notables en milieu terrestre qu'en milieu marin. Chez les
animaux, les Vertébrés terrestres sont de ce point de vue bien plus étudiés et mieux
connus que tous les autres groupes d'animaux terrestres, et ces derniers encore bien
mieux connus que la plupart des groupes marins.
Les Vertébrés terrestres étant les animaux les mieux connus du point de vue
écologique et éthologique, ils pourront servir de modèles pour l'étude des relations
entre l'écologie et la systématique: ce qui est possible actuellement chez les
Vertébrés, dont l'étude est à cet égard "en avance", le deviendra, espérons-le, dans
l'avenir dans les autres groupes. Ce point de vue est du moins celui que j'adopterai
ici, contrairement à celui de certains collègues qui estiment que ce qui est pour
l'instant impossible dans de nombreux groupes d'invertébrés ne présente pas
d'intérêt ou de valeur générale pour l'ensemble des systématiciens. En réalité,
l'expérience déjà accumulée chez les Vertébrés terrestres, ainsi que dans d'autres
72
groupes (comme certains Insectes), indique que les apports de l'écologie à la
systématique peuvent être très importants et significatifs, et qu'il serait fort
appauvrissant de ne pas les prendre en compte quand cela est possible.
J'envisagerai ces apports successivement dans deux domaines, ou niveaux,
distincts de la systématique: celui du problème de l'espèce d'une part, et celui de la
classification supraspécifique de l'autre. Mais avant de le faire, nous allons examiner
brièvement en quoi consistent les "caractères écologiques".
*
*
*
73
LES CARACTERES ECOLOGIQUES.
Il y a plusieurs manières de concevoir la notion de "caractères écologiques"
d'un organisme: une manière étroite, ne prenant en compte que les informations relatives à la place de cet organisme dans cet écosystème, celles qu'étudient les biologistes spécialisés dans la discipline nommée "écologie" par HAECKEL, et une
manière plus large, qui prend en compte l'ensemble des relations de cet organisme
avec son environnement, avec les autres organismes de son espèce et d'autres
espèces, etc., c'est-à-dire ce qu'on appelait autrefois l'"histoire naturelle" ou le "mode
de vie" de l'espèce. C'est cette deuxième attitude que j'adopterai ici, et qui consiste à
dire qu'il n'y a pas de frontière stricte entre les caractères "écologiques" proprement
dits et les caractères "éthologiques", ou même certains caractères "physiologiques",
"morphologiques", etc. En effet, dans la plupart des cas une espèce ne peut avoir
telle sorte d'écologie que parce qu'elle a telle sorte de comportement, ou de
morphologie, et les distinctions dans ce domaine sont formelles et arbitraires. Chez
les animaux, l'écologie est toujours étroitement liée à l'éthologie, et c'est pourquoi je
parlerai souvent dans ce qui suit de "caractères éco-éthologiques" plutôt que de
"caractères écologiques" au sens strict.
Ces caractères peuvent être classés de diverses manières, mais par exemple
selon la fonction principale qu'ils remplissent pour l'organisme vis-à-vis de son environnement et des autres organismes qui occupent celui-ci. Je propose d'autre part
de reconnaître dans ce domaine deux grands types distincts de caractères: ceux qui
sont liés directement à l'isolement reproducteur interspécifique et ceux qui n'y sont
pas directement liés.
74
Caractères directement liés à l'isolement reproducteur interspécifique.
Je commencerai par ceux-ci parce que ce sont ces caractères qui permettent
l'existence même des espèces, en évitant à celles-ci de s'hybrider et de mélanger leurs pools
génétiques.
De ce point de vue, il faut distinguer (DUBOIS, 1983, 1988) les mécanismes biologiques d'isolement proprement dits des facteurs exogènes d'isolement, car ces derniers ne
sont pas déterminés par le patrimoine génétique des espèces elles-mêmes mais par des
conditions externes, étrangères aux espèces elles-mêmes: il s'agit des barrières
géographiques entre espèces allopatriques et des barrières temporelles entre espèces
allochroniques.
Les mécanismes biologiques d'isolement pour leur part sont de deux types: les
mécanismes d'isolement pré-éjaculatoires, c'est-à-dire qui agissent avant l'émission des
gamètes, et les mécanismes d'isolement post-éjaculatoires, qui agissent après celle-ci
(DUBOIS, 1988). Cette distinction est plus importante et significative que celle qui est parfois
invoquée entre mécanismes prézygotiques et postzygotiques, car les gamètes des individus
des deux sexes peuvent être émis sans que cela soit suivi de la formation de zygotes. Ce qui
importe particulièrement, dans les populations naturelles, c'est que les gamètes soient ou
non émis, car si l'hybridation est un échec ceux-ci auront été gaspillés inutilement: la
sélection naturelle agira donc dans le sens du renforcement des mécanismes d'isolement intervenant avant l'émission des gamètes.
En ce qui concerne les mécanismes d'isolement post-éjaculatoires, qu'ils soient
prézygotiques ou postzygotiques, il s'agit de mécanismes physiologiques, embryologiques
ou génétiques, et nous ne les prendrons pas en considération ici.
Les mécanismes d'isolement pré-éjaculatoires pour leur part peuvent être rapportés à
trois catégories principales: mécanismes écologiques, éthologiques et mécaniques.
Les derniers ne nous intéressent pas non plus particulièrement ici, puisqu'ils relèvent
directement de la morpho-anatomie: il s'agit par exemple des structures des organes
copulateurs (ou génitalias), qui peuvent être différentes dans deux espèces voisines et
interdire une copulation complète; la taille à elle seule peut jouer ce rôle d'isolement
mécanique.
75
Nous nous intéresserons particulièrement ici aux mécanismes d'isolement écologiques et éthologiques.
Les mécanismes écologiques proprement dits peuvent être spatiaux (les deux espèces ayant des habitats ou des lieux de reproduction différents), temporels (les deux
espèces ayant des périodes d'activité ou de reproduction différentes, qu'il s'agisse de
saisons différentes ou simplement de périodes différentes de la journée), ou les deux réunis.
Dans ce cas, les animaux des deux espèces ne se rencontrent pas, du moins lors de leur
reproduction.
En ce qui concerne les mécanismes éthologiques d'isolement, les animaux des deux
espèces peuvent se rencontrer, mais ne se reproduisent pas entre eux, pour l'une des
raisons suivantes:
- il existe une absence totale d'attractivité des animaux des deux espèces les uns pour les
autres;
- les animaux d'un sexe (généralement les mâles) d'une espèce sont attirés par ceux de
l'autre sexe de l'autre espèce, mais ceux-ci les repoussent et refusent l'accouplement;
- les animaux des deux sexes sont attirés, les préliminaires à l'accouplement commencent,
mais ne vont pas jusqu'au bout par suite de différences trop importantes entre les parades
nuptiales ou d'autres caractéristiques (morphologie, couleurs, etc.) des deux espèces.
Parmi les mécanismes éthologiques d'isolement on peut citer, selon le sens physique
auquel ils font appel:
- ceux qui impliquent l'ouïe: c'est le cas des espèces qui présentent une spécificité du chant
d'appel sexuel (mating call);
- ceux qui impliquent la vue: c'est le cas des espèces dont les adultes se distinguent par les
couleurs, la forme, la taille ou d'autres caractères morphologiques externes visibles ou des
espèces qui présentent une spécificité des comportements de parade sexuelle, ou encore
une spécificité des signaux lumineux (chez certains animaux nocturnes ou benthiques);
- ceux qui impliquent les sens chimiques: c'est le cas des espèces qui possèdent une
spécificité des phéromones sexuelles ou d'autres stimulus chimiques.
76
La classification des facteurs qui précède est utile pour analyser les phénomènes
mais un peu artificielle. En réalité, dans la nature c'est souvent une combinaison de plusieurs
de ces facteurs qui agit globalement comme mécanisme éco-éthologique d'isolement entre
deux espèces. Ainsi, pour prendre l'exemple bien connu des espèces qui se distinguent par
le chant, et qui se rencontrent dans des groupes divers (Insectes, Amphibiens, Oiseaux,
Mammifères), ce n'est pas le chant seul qui joue le rôle de mécanisme d'isolement, mais un
ensemble composé du choix de l'époque et de l'heure d'émission des appels, des zones et
des postes de chant, et des caractéristiques physiques des chants émis.
Caractères non directement liés à l'isolement reproducteur interspécifique.
Il s'agit de tous les autres caractères éco-éthologiques des espèces, qui caractérisent
leur place dans l'écosystème et leurs relations avec les autres espèces de celui-ci: en
d'autres termes, il s'agit des divers paramètres de ce que les écologistes appellent la "niche"
de l'espèce. Ces caractères peuvent être groupés en plusieurs catégories.
Caractères liés à l'habitat.
Le choix de la place qu'elle occupe physiquement dans l'écosystème est bien entendu déterminant pour la caractérisation de la niche d'une espèce. L'habitat peut être
appréhendé à plusieurs niveaux, qui ont tous leur importance, depuis la zone
biogéographique et climatique et le grand type de milieu (plaine, montagne, forêt, milieu
ouvert, désert, milieu aquatique dulcicole lentique ou lotique, grands types de milieux marins,
etc.) jusqu'au micro-habitat au sein duquel se trouvent les individus, en passant par les
associations végétales, la place dans les strates de la végétation, le type de sol pour les
plantes, etc. Il est donc possible de caractériser l'habitat de chaque espèce par plusieurs
paramètres, parfois même un nombre assez élevé. De plus, une même espèce peut occuper
des habitats différents à divers stades de son cycle vital, ce qui doit également être pris en
compte dans l'analyse.
Caractères liés aux périodes d'activité.
Chaque espèce n'est active qu'à certains moments, que ce soit à l'échelle de l'année
(activité saisonnière, par exemple pour les espèces qui hibernent ou estivent, ou ont des
périodes de dormance sous forme de graines par exemple) ou à l'échelle de la journée
(espèces diurnes et nocturnes), etc. Ces paramètres temporels ont bien entendu une grande
importance pour les relations de prédation et de compétition avec les autres espèces du
milieu, et donc pour la caractérisation de la niche de l'espèce.
77
Caractères liés à la reproduction.
Les caractères liés à la biologie de la reproduction sont à la fois nombreux et d'une
grande importance écologique et évolutive. Chaque espèce peut se caractériser par son
comportement reproductif et par son mode reproductif.
Le comportement reproductif peut faire l'objet d'une description détaillée sous forme
d'un éthogramme, qui peut inclure aussi bien la description des comportements de cours, de
copulation ou de ponte que celle de la structure des nids par exemple. Il faut y ajouter des
caractères qui sont à la limite entre le morphologique et l'éco-éthologique, comme le
dimorphisme sexuel de forme, de couleurs ou de plumage, ou la forme, l'aspect et la couleur
des oeufs.
Quant au mode reproductif, il comporte un nombre élevé de paramètres liés notamment aux périodes et aux sites d'accouplement, de ponte et de développement, à la
fécondité et à la fertilité, et au type de développement. Le "type de développement" par
exemple peut se caractériser par le taux de développement, la durée du développement, la
taille et le stade à l'éclosion, le type et l'importance des soins parentaux s'ils existent, etc.
A un niveau plus synthétique, une espèce peut se caractériser par ce que les écologistes appellent sa "stratégie de reproduction", domaine qui a fait l'objet d'un grand nombre
de travaux récents notamment depuis le travail de 1967 de MACARTHUR & WILSON où ils
définissaient les concepts de "sélection r" et de "sélection K", et celui de 1974 de WILBUR,
TINKLE & COLLINS qui ont insisté sur l'existence d'un continuum entre ces deux extrêmes
et sur la complexité et la multiplicité des facteurs à prendre en compte pour l'analyse correcte
de ces phénomènes. Il en résulte que les analyses nécessaires pour bien caractériser une
espèce de ce point de vue sont nombreuses et lourdes et n'ont jusqu'à présent pu être
menées à bien que pour un nombre d'espèces ridiculement faible par rapport à la totalité des
espèces vivantes.
Caractères liés à l'alimentation.
Les caractères qui traduisent la place trophique d'une espèce dans un écosystème
sont également d'une grande importance pour la caractérisation de sa niche. Ici aussi, il
s'agit d'un ensemble de paramètres qui peuvent être considérés comme des caractères, et
qui sont liés au comportement alimentaire et au régime alimentaire: type de comportement
de recherche de la nourriture, type d'aliments ingérés (c'est-à-dire caractérisation
78
taxinomique et écologique de ces aliments), quantité de nourriture ingérée, taille des proies,
diversité des proies, variabilité du régime alimentaire au cours du temps, etc. Ces caractères
peuvent être appréhendés aussi bien au cours d'études éthologiques portant sur le comportement alimentaire qu'au cours d'études écologiques portant sur le régime alimentaire, les
contenus stomacaux ou intestinaux, etc., les deux types d'approches étant en réalité complémentaires. Les caractéristiques morpho-anatomiques également leurs sont directement
liées, bien évidemment.
Les problèmes de spécificité parasitaire des parasites par rapport à leurs hôtes ont
une dimension alimentaire et une autre qui relève plutôt du domaine du micro-habitat. Ce
problème rejoint celui des relations de spécificité qui lient également certains invertébrés,
notamment des Insectes, à leurs plantes-hôtes: bien que cela ne soit pas toujours reconnu,
les deux problèmes sont en fait de même nature (CROWSON, 1970: 124).
La taille.
La taille d'une espèce peut être considérée comme un caractère purement morphologique, mais il est également fort possible de la considérer comme un caractère écologique.
Pendant longtemps, les biologistes ont considéré la taille globale comme une dimension
parmi d'autres au sein d'un ensemble de dimensions qui pouvaient être mesurés sur un
spécimen.
En
revanche,
les
travaux
récents
sur
les
animaux
ont
amené
les
morphométriciens à distinguer au sein de la morphologie d'un organisme d'une part un
facteur "taille" et d'autre part un facteur "forme", qui sont de plus en plus analysés
séparément. La "forme" d'un organisme est plus complexe que celle d'un objet inanimé,
puisqu'elle change au cours du temps, notamment en fonction des allométries de croissance
des différents organes les uns par rapport aux autres: pour le systématicien moderne, c'est
l'ensemble de ces différentes "formes" successives dans le temps qui constitue la "forme
biologique" de l'organisme étudié. La taille pour sa part peut également être caractérisée à
divers stades: taille de l'oeuf, taille à l'éclosion, à la métamorphose, à la reproduction, taille
moyenne ou maximum des adultes de chaque sexe, etc. Il peut également être significatif de
prendre en compte le rapport de taille qui existe entre les deux sexes d'une même espèce
(ou dimorphisme sexuel de taille). Pour certains travaux, plus que la taille, il peut être plus
utile ou plus aisé de considérer la masse ou le volume de l'organisme. Taille, masse et
volume sont en général étroitement corrélés.
Bien entendu, le facteur taille a une grande importance en écologie, puisque la taille
79
détermine les potentialités de l'organisme en matière de place occupée dans l'habitat et le
micro-habitat, dans le réseau trophique, etc. Il s'agit donc d'un facteur très important à
prendre en compte dans les études écologiques globales portant sur une diversité d'espèces
du même écosystème.
Divers.
Beaucoup d'autres paramètres de la niche écologique d'une espèce peuvent être pris
en compte, même s'ils le sont moins fréquemment que ceux que nous avons vus jusqu'ici.
On peut citer par exemple tous les caractères liés à la prédation, notamment les
mécanismes
anti-prédateurs
(combat,
fuite,
camouflage,
homochromie,
mimétisme,
autotomie, substances répulsives ou agressives, etc.). Il faut également considérer tout ce
qui a trait à la pathologie, blessures, germes infectieux et parasites. L'ensemble du répertoire
comportemental d'une espèce (ou éthogramme) peut être considéré également comme un
ensemble de caractères: cet ensemble inclut, outre ceux que nous avons déjà vus, les
comportements de guet et d'alarme, de jeu, les comportements territoriaux et sociaux en
dehors de la reproduction (hiérarchie, menaces, comportements agressifs), etc. Les
paramètres démographiques qui caractérisent chaque population (taille de la population,
densité, effectif reproducteur efficace, etc.) font également partie de ses caractéristiques
écologiques.
Ce qu'il faut souligner ici, c'est que du point de vue du systématicien toutes les caractéristiques de l'éco-éthologie d'une espèce font partie de l'holomorphe de celle-ci et sont
donc des caractères qui méritent, au même titre que les caractères morpho-anatomiques,
d'être pris en compte pour la construction de la classification. Comment peuvent-ils être pris
en compte pour ce faire? C'est ce que nous allons maintenant examiner, tout d'abord au
niveau de l'espèce puis au niveau de la classification supraspécifique.
*
*
*
80
81
APPORT DE L'ECOLOGIE A LA SYSTEMATIQUE AU NIVEAU DU PROBLEME DE L'ESPECE.
Par "problème de l'espèce", j'entends ici l'ensemble des questions que
peuvent se poser les biologistes de l'évolution quant au statut évolutif et systématique de diverses entités (populations ou groupes de populations) observées dans la
nature: s'agit-il d'espèces, de sous-espèces, de prospecies, etc.? Il s'agit ici de ce
que certains auteurs appellent "taxinomie évolutive" ou "systématique évolutive". En
simplifiant beaucoup, on peut dire qu'une espèce est un pool génique fermé, ou au
moins protégé, c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'introgression notable, significative,
entre lui et les autres pools géniques voisins. Cette définition n'exclut donc pas la
possibilité éventuelle d'hybridations accidentelles ou limitées entre cette espèce et
les autres espèces voisines, mais exclut la possibilité d'un flux génique important et
régulier entre deux espèces: si un tel flux existe, c'est qu'on se trouve au sein d'une
même espèce, quelles que soient par ailleurs les sous-unités morphologiques ou
autres qu'on peut reconnaître au sein de celle-ci.
A ce niveau d'analyse, et bien qu'elle soit souvent négligée par les systématiciens, l'étude de l'écologie et de l'éthologie peut être d'une grande utilité.
Deux aspects de cette approche doivent être distingués. D'une part, l'écologie
et l'éthologie de la reproduction peuvent fonctionner comme mécanismes biologiques
d'isolement entre espèces, et en ce sens jouer un rôle important dans le maintien de
l'intégrité génétique de celles-ci. D'autre part, écologie et éthologie, dans un sens
plus large, traduisent de manière particulièrement synthétique l'existence d'une
divergence génétique entre les espèces. Nous allons considérer successivement ces
deux aspects.
82
L'éco-éthologie comme mécanisme biologique d'isolement reproducteur entre espèces.
L'étude des mécanismes éco-éthologiques d'isolement constitue donc une des
manières de tester l'existence de deux espèces distinctes. Ces mécanismes, dont nous
avons fait ci-dessus un rapide inventaire, agissent avant l'accouplement et/ou avant
l'émission des gamètes des individus des deux sexes des deux entités comparées.
Depuis une vingtaine d'années, les travaux se sont multipliés où des auteurs ont
utilisé des caractères éco-éthologiques, et tout particulièrement l'étude des chants des
mâles, pour distinguer des espèces jumelles ou sub-jumelles. Si ces auteurs tendent
actuellement à attribuer aux différences dans les vocalisations une importance particulière en
systématique, c'est en raison de la fonction éthologique d'isolement attribué à cet aspect de
l'holomorphe de l'espèce. Le chant d'appel a une fonction d'attraction spécifique des femelles
réceptives de la même espèce qui lui permet de jouer un rôle dans l'isolement d'espèces
sympatriques. La démonstration expérimentale de l'existence chez les femelles d'une
discrimination entre différents types de chants et du choix préférentiel ou constant de l'un
d'eux est une bonne indication de l'existence d'un isolement éthologique entre différentes espèces. Cette démonstration expérimentale a été effectuée dans certains cas, mais dans de
nombreux autres travaux les auteurs se sont contentés de décrire, parfois de manière très
détaillée, différents types de chants, mais sans apporter la preuve que les femelles sont
capables de discriminer entre ceux-ci et de choisir l'un plutôt que l'autre.
Quand des expériences de discrimination peuvent être menées à bien, les femelles
réceptives manifestent souvent, comme on pouvait s'y attendre, une nette préférence pour
un type de chant. Toutefois ce n'est pas toujours le cas, et même quand les femelles sont
capables de discriminer il existe souvent un certain pourcentage d'erreurs: s'il en va de
même dans la nature, on peut s'attendre à ce que ces erreurs aboutissent à des croisements
hétérospécifiques, et effectivement de tels croisements sont parfois observés. Le chant et les
autres mécanismes éco-éthologiques d'isolement fonctionnent rarement de manière parfaite
et dans certains cas sont insuffisants pour isoler deux espèces sympatriques.
83
En réalité, si jusqu'à présent l'étude des chants a rendu de grands services en systématique,
c'est que cette étude n'a pas été coupée des autres aspects du travail systématique,
notamment l'étude de la morphologie: dans bien des cas le chant a constitué un indicateur
particulièrement sensible de l'existence d'une hétérogénéité, jusque-là non décelée par les
biologistes dans les populations naturelles; cette hétérogénéité une fois soupçonnée, elle a
en général pu être confirmée par l'examen d'autres caractères. En ce sens, et en l'absence
d'expériences de discrimination ou d'autres études éthologiques expérimentales, on peut
considérer le chant comme un caractère d'un type particulier et souvent très utile, mais pas
comme un mécanisme d'isolement reproducteur à l'efficacité démontrée. Il en va de même
pour les autres caractères éco-éthologiques susceptibles d'agir comme mécanisme
d'isolement, qui n'ont pour la plupart pas fait l'objet d'autant de travaux que le chant.
L'utilisation de caractères éco-éthologiques pour distinguer des espèces jumelles ou
sub-jumelles exige donc de prendre un certain nombre de précautions méthodologiques. Il
ne suffit pas de constater que deux groupes d'animaux émettent des chants significativement
différents, par exemple, pour en conclure qu'il s'agit d'espèces différentes. Le chant doit à cet
égard être traité comme le serait un caractère morphologique. Comme pour les caractères
morphologiques, la différence de chants n'a pas la même signification en sympatrie et en
allopatrie (ou, de manière parallèle, en synchronie et en allochronie). En sympatrie, l'existence de deux groupes d'animaux ayant des chants différents peut traduire soit l'existence
d'un polymorphisme génétique ou d'une variabilité acquise du comportement au sein d'une
même espèce, soit l'existence de deux espèces distinctes sympatriques. Ce qui permettra de
trancher entre ces deux possibilités est un ensemble d'arguments tirés de divers domaines:
existence ou non d'hybrides entre les deux formes, corrélation absolue ou non des types de
chants avec certains caractères morphologiques ou autres, etc. En allopatrie, comme c'est la
règle en ce qui concerne le problème de l'espèce, il est toujours difficile de trancher et là
aussi la corrélation des caractères bioacoustiques avec d'autres caractères tirés de la
morphologie pourra rendre de grands services. Il est donc très utile d'étudier en détail l'écoéthologie de la reproduction de formes voisines, notamment dans les rassemblements de
reproduction hétérogènes, et d'examiner en particulier si tous les couples sont homogènes
ou s'il existe des couples composites. Dans la dernière hypothèse cependant, il sera
impossible de savoir si l'on a affaire à des espèces distinctes sans faire appel à d'autres
méthodes.
D'assez nombreux auteurs considèrent que des formes allopatriques présentant de
légères différences morphologiques mais des chants similaires peuvent constituer des sousespèces distinctes d'une même espèce, mais que des formes allopatriques dont les chants
sont différents constituent des espèces distinctes. C'est ainsi que BOGERT, un spécialiste
des chants d'Amphibiens, écrivait en 1960: «When the mating calls of allopatric populations
are approximately as divergent as those of sympatric species, in the absence of any other
84
criterion, it is reasonable to assume that divergence has reached the species level.»
(BOGERT, 1960: 301). Bien que dans la plupart des cas cette conclusion soit sans doute
justifiée, la notion de "niveau spécifique de divergence" est hautement sujette à caution et
doit être évitée. Il existe chez certaines espèces des variations géographiques du chant (ce
qu'on appelle chez les oiseaux les "dialectes régionaux"), et des populations éloignées ou
isolées d'une même espèce peuvent donc avoir des chants différents, qui peuvent même
parfois n'être pas reconnus lors d'expériences de discrimination. A l'inverse des espèces
allopatriques peuvent posséder des chants quasiment identiques. Plusieurs cas sont connus
où des espèces qui possèdent, en allopatrie, des chants très similaires, manifestent dans les
zones de sympatrie des chants plus nettement différents: ce phénomène de "divergence en
sympatrie" constitue une bonne indication que les deux formes considérées sont des
espèces distinctes.
Il est assez rare que, lorsque l'étude des chants a suggéré l'existence de deux espèces sympatriques distinctes, ne puissent être ensuite décelées des différences, parfois
ténues mais constantes, de morphologie, de comportement, d'habitat, de régime alimentaire,
etc., corrélées avec les types de chants et confirmant que ceux-ci correspondent bien à des
pools géniques séparés.
Pour finir, je tiens à souligner que si l'étude des chants est actuellement particulièrement "à la mode" en zoologie (en partie grâce à la facilité d'analyse qu'offre maintenant le
sonagraphe, qui permet de "visualiser" les chants et de les caractériser qualititativement et
quantitativement, tout comme des caractères morphologiques), le chant n'est nullement le
seul
caractère
éco-éthologique
susceptible
d'agir
comme
mécanisme
d'isolement
reproducteur entre espèces. Bien d'autres mécanismes peuvent jouer ce rôle. L'extrait qui
suit de l'ouvrage d'André BROSSET (1976), qui a trait à l'écologie de la chauve-souris
Hipposideros caffer, dont des centaines de milliers d'individus s'abritent dans des cavernes
du nord-est du Gabon, en donnera un exemple original:
«On aurait pu croire, a priori, que, libérés de l'hypothèque des saisons, et vivant la plus
grande partie du temps dans un micro-climat stabilisé, ces Mammifères se reproduiraient
suivant un rythme endogène non synchronisé avec le cycle annuel, hypothèse d'autant plus
crédible que le stimulus déclencheur des cycles reproducteurs se trouve être ailleurs la
variation saisonnière de la longueur du jour, phénomène qui n'existe pas sous l'équateur, et
encore moins pour des Mammifères qui passent la plus grande partie de leur vie dans des
cavernes obscures.
Cependant, la reproduction de ces Chauves-Souris troglophiles est strictement
saisonnière et synchronisée. Toutes les femelles mettent bas simultanément un petit unique,
85
pendant le printemps austral, c'est-à-dire en octobre. Comme je l'ai montré pour l'Asie
également, l'équateur "biologique" se situe à environ 4° au nord de l'équateur géographique.
C'est sur cette ligne que se fait la permutation des cycles chez les Vertébrés à reproduction
annuelle saisonnière. Cependant, sur la "ligne de démarcation", chez une même espèce
comme le petit Hipposideros Hipposideros caffer, coexistent sur les mêmes terrains de
chasse, mais habitant le jour des cavernes différentes, des colonies dont le cycle est austral
et pour d'autres boréal. Des études précises sur la morphologie comparée des individus
appartenant à ces deux types de cycles ont montré que leur séparation génétique était totale, ce qui apporte un fait nouveau et important dans l'étude de l'évolution chez les
Vertébrés, à savoir qu'à l'intérieur de populations sympatriques, c'est-à-dire vivant sur un
même terrain, l'asynchronisme de certains rythmes biologiques peut créer une barrière aux
échanges de gènes, rendant possible un isolement génétique. Ce phénomène peut aboutir à
la formation d'une espèce nouvelle. Le rôle exact joué par la ligne équatoriale dans ce processus de ségrégation génétique reste inconnu, et son analyse serait d'un grand intérêt.»
(BROSSET, 1976: 74).
Dans ce cas précis, s'il était démontré que le fait d'avoir un cycle austral ou boréal
n'est pas sujet à variation au cours de la vie d'un individu, et n'est pas non plus l'objet d'un
simple polymorphisme génétique au sein d'une population, on aurait certainement affaire à
deux espèces séparées, ce que des études d'électrophorèse devraient permettre de
confirmer.
86
L'utilisation des autres caractères éco-éthologiques comme "critère spécifique".
Indépendamment des caractères éco-éthologiques d'isolement, les caractéristiques
globales de la niche écologique d'une espèce, l'ensemble des paramètres de l'éco-éthologie
ce celle-ci, peuvent également être utilisés comme "critère spécifique". L'éco-éthologie
constitue en effet, au même titre que la morphologie, un indicateur synthétique de
divergences génétiques entre espèces. Celui-ci doit être utilisé en s'assurant des mêmes
précautions méthodologiques que pour les caractères morphologiques, et notamment,
comme cela a déjà été souligné ci-dessus, en prenant en compte les relations spatiotemporelles entre les entités comparées: allopatrie, sympatrie ou parapatrie; allochronie ou
synchronie.
Une autre précaution méthodologique importante à prendre avant d'employer ce type
de caractères en systématique est de vérifier qu'on n'a pas affaire à un polymorphisme
génétique au sein d'une même espèce. Le polymorphisme génétique va parfois se loger
dans des domaines où on ne s'attendrait pas à le trouver a priori. Ainsi, par exemple chez les
poissons, on connaît des cas de polymorphisme génétique au sein d'une même espèce
concernant le régime alimentaire et les caractères morphologiques associés (morphoanatomie de la bouche et du tube digestif, etc.). A défaut d'une analyse approfondie (faisant
par exemple appel dans ce type de situation aux techniques électrophorétiques), on
risquerait de prendre pour des espèces sympatriques ce qui ne sont en fait que des morphes
d'une même espèce. Ce problème peut se poser pour tous les caractères éco-éthologiques,
y compris le chant, les caractères liés à la reproduction, la taille, etc.
Il n'est pas rare de trouver dans les travaux des systématiciens, après le paragraphe
de description de l'espèce, un paragraphe intitulé "écologie et éthologie", ou "mode de vie",
etc. Ce paragraphe est bien souvent limité à quelques lignes, où sont caractérisés le milieu
préférentiel de l'espèce et quelques aspects de son comportement, ce qui est manifestement
insuffisant pour définir les niches, et encore plus pour en permettre une comparaison
quantitative. Certains systématiciens qui ont une bonne expérience du terrain accordent plus
que d'autres de l'importance à l'écologie des différentes formes observées, et n'accordent le
statut spécifique qu'à celles dont ils estiment que l'écologie diffère suffisamment. Ces
comparaisons sont malheureusement effectuées de manière largement subjective.
87
D'un autre côté, il existe maints travaux, souvent extrêmement précis, sur l'autécologie de
telle ou telle espèce, mais ils portent trop souvent sur une seule ou quelques espèces. On
manque, à l'heure actuelle, de travaux synthétiques d'autécologie comparée des différentes
espèces d'un même peuplement, d'une même région ou d'un même groupe systématique.
Du point de vue du problème de l'espèce, il est pourtant certain qu'une définition ou une
"mesure" précise des niches écologiques permettrait de fructueuses comparaisons entre
espèces et formes proches, en sympatrie comme en allopatrie. Des travaux partiels dans ce
sens ont été réalisés, par exemple, chez les Amphibiens, sur les stratégies de reproduction
des diverses espèces composant une communauté (CRUMP, 1974), sur les caractéristiques
comparées de l'écologie larvaire (HEYER, 1973, 1974, 1976; INGER, VORIS & FROGNER,
1986; INGER, 1987) ou adulte (INGER & COLWELL, 1977; INGER et al., 1987) de
différentes espèces, ou sur les régimes alimentaires des espèces d'une communauté
(BARBAULT, 1974 a-b). Un travail très intéressant a été consacré en 1978 par William
DUELLMAN à l'étude d'un nombre assez élevé de paramètres de la niche écologique de
plusieurs dizaines d'espèces d'Amphibiens et de Reptiles d'une zone de forêt amazonienne
située en Equateur. Cet auteur a pu estimer les similitudes entre les niches des espèces de
cette communauté en fonction des paramètres suivants: macrohabitat (type de milieu),
microhabitat (répartition verticale), période d'activité dans le nycthémère, alimentation (type
et quantité de proies), taille, mode de reproduction, site de chant des mâles reproducteurs, et
trois caractères tirés du chant des mâles.
Des techniques comparables, appliquées non plus cette fois au sein d'une communauté donnée, mais à des comparaisons entre populations allopatriques, pourraient sans
doute fournir des informations sur le degré de divergence des niches des formes
considérées, et, partant, sur leur degré de divergence génétique. A soi seul, ce critère, pas
plus que le critère morphologique, ne permettrait de décider si des formes distinctes sont des
espèces distinctes, mais il pourrait apporter une information supplémentaire. De telles
méthodes permettraient peut-être aussi de mieux comprendre les phénomènes de
compétition entre formes voisines, aux répartitions essentiellement allopatriques, dans les
régions où elles se trouvent en contact, les phénomènes d'écotone et de renversement des
forces sélectives, d'infériorité adaptative des hybrides, etc. Tous ces phénomènes sont pour
l'instant trop souvent appréhendés en termes généraux et imprécis; ils font rarement l'objet
de mesures ou de descriptions fines et restent donc dans bien des cas des modèles
théoriques ou des hypothèses de travail plus que des faits établis.
88
Un aspect particulier de l'écologie des espèces, qui ne sera pas abordé ici, est leur
infestation par des parasites et les problèmes de spécificité parasitaire. Comme je l'ai déjà
indiqué, les problèmes associés à la spécificité alimentaire de certains Insectes vis-à-vis de
leur plante-hôte rentrent dans la même problématique générale.
*
*
*
89
APPORT DE L'ECOLOGIE A LA SYSTEMATIQUE AU NIVEAU DE LA CLASSIFICATION
SUPRASPECIFIQUE.
La majeure partie des systématiciens actuels estiment qu'une classification supraspécifique des êtres vivants n'a de sens que si elle traduit le fait que ces êtres
vivants sont issus d'une évolution. C'est en tout cas le point de vue que j'adopterai
ici, tout en étant conscient qu'il existe encore un certain nombre de systématiciens
pour qui la classification doit reposer uniquement sur des critères de ressemblance
phénétique, la reconstitution de l'évolution des organismes étant jugée par eux trop
difficile ou impossible.
Parmi les systématiciens qui estiment que la classification doit refléter
l'évolution des organismes, il existe encore deux grandes écoles qui sont en désaccord quant à la manière de construire cette classification: à la suite de HENNIG,
les cladistes estiment que la classification doit être la simple transcription, sur un
autre plan, et selon un certain nombre de conventions, de l'arbre phylogénétique ou
cladogramme; pour leur part, et à la suite d'auteurs comme SIMPSON (1961) et
MAYR (1969, 1974, 1981 b), les systématiciens synthétistes, évolutionnistes ou
"éclectiques" estiment que la classification ne doit pas reposer seulement sur l'arbre
phylogénétique, mais, en plus de celui-ci, sur la prise en compte de la divergence
plus ou moins importante survenue entre espèces après la spéciation qui leur a
donné naissance.
Etant donné que les deux écoles en question sont d'accord pour dire que la
classification doit s'appuyer sur une reconstitution de la phylogénie du groupe étudié,
nous allons dans un premier temps examiner l'aide que l'écologie peut apporter au
systématicien pour cette reconstitution. Dans un deuxième temps nous verrons
comment les données écologiques peuvent être employées par les systématiciens
synthétistes pour définir les taxons.
90
Ecologie et phylogénie.
Les caractères écologiques et éthologiques de chaque espèce faisant partie de son
holomorphe, d'un point de vue théorique ces caractères peuvent être utilisés aussi bien que
les caractères morphologiques et anatomiques pour la reconstitution de la phylogénie.
Toutefois, étant donnée la nature particulière de ces caractères, ils ne peuvent être employés
dans tous les cas et, quand ils peuvent l'être, des précautions particulières sont nécessaires.
Tout d'abord, les caractères éco-éthologiques ne peuvent être utilisés en paléontologie, sinon par inférence à partir de la morphologie et des caractéristiques des dépôts dans
lesquels les fossiles ont été découverts: dépôts terrestres, lacustres, marins, etc.
Ensuite, si tous les caractères éco-éthologiques font partie de l'holomorphe, ils ne
sont pas tous utilisables de la même manière pour l'analyse phylogénétique. Ainsi, les
caractères directement liés à l'isolement reproducteur interspécifique, que nous avons
examinés à part ci-dessus, sont effectivement des caractères d'un type particulier. Ils
apparaissent en général au cours du processus de spéciation et ont pour fonction
d'empêcher ou de réduire l'hybridation entre espèces voisines. Ce sont donc de bons
caractères au niveau du problème de l'espèce, comme nous l'avons vu, mais en revanche ce
sont en général de mauvais caractères pour l'analyse phylogénétique: ils sont très labiles,
sujet à une évolution très rapide et à une forte influence du milieu. Par exemple les caractéristiques physiques du chant des mâles sont connus pour être de fort mauvais
caractères phylogénétiques, très sensibles aux contraintes de l'environnement, et ceci
particulièrement dans les groupes comme les Oiseaux où le chant est au moins partiellement
acquis par apprentissage. Or, pour pouvoir être valablement utilisés pour la reconstruction de
la phylogénie, les caractères doivent avoir un déterminisme génétique. Chez les Vertébrés
supérieurs, bien des caractères éthologiques font l'objet, au moins partiellement, d'un
apprentissage et d'une transmission culturelle: ils ne peuvent donc être employés pour établir
le cladogramme du groupe. Un autre problème propre aux caractères directement liés à
l'isolement reproducteur est que ces caractères sont particulièrement sensibles au
phénomène que les anglo-saxons appellent "character displacement": pour ces caractères,
les espèces tendent souvent à diverger en sympatrie et à converger en allopatrie, ce qui
rend également délicate leur utilisation en analyse phylogénétique.
Si nous nous tournons vers les caractères éco-éthologiques de la deuxième catégorie
que nous avons reconnue tout-à-l'heure, ceux qui ne sont pas directement liés à l'isolement
reproducteur interspécifique, nous découvrons également des problèmes. Il est notamment
91
clair que les caractères qui sont à la fois simples et très clairement adaptatifs sont plus que
d'autres susceptibles d'apparaître indépendamment dans plusieurs lignées par convergence,
et ne doivent donc être employés qu'avec beaucoup de prudence pour reconstituer la
phylogénie. Les caractères réputés "neutres", ou du moins dont la fonction adaptative ne
nous apparaît pas clairement et qui semblent moins susceptibles d'apparaître plusieurs fois
par convergence, sont préférables pour ce travail. Il en va de même pour les caractères
adaptatifs très complexes, dont la complexité exclut la probabilité d'une convergence
indécelable par une analyse soigneuse.
Enfin les adaptations écologiques et comportementales, tout comme les caractères,
peuvent faire l'objet de phénomènes d'aneuchronie (ou hétérochronie; voir DUBOIS, 1987 a),
qui sont susceptibles d'obscurcir les homologies et les morphoclines dans certains cas. Une
bonne illustration de ce problème est offerte par les va-et-vient successifs entre le
développement larvaire libre et le développement direct chez certaines rainettes marsupiales
d'Amérique du Sud (DEL PINO, 1980; SCANLAN, MAXSON & DUELLMAN, 1980; DEL PINO
& ESCOBAR, 1981; WASSERSUG & DUELLMAN, 1984; DUBOIS, 1987 b).
L'utilisation des caractères éco-éthologiques pour la construction du cladogramme
exige donc, comme pour les caractères morphologiques, de pouvoir identifier des caractères
homologues, reconnaître des morphoclines et établir la polarité évolutive des caractères.
Pour établir cette polarité, les seuls critères utilisables sont ceux de la comparaison extragroupe et de la comparaison intra-groupe, puisque le critère paléontologique ne peut être
employé et qu'il en est en général de même pour le critère embryologique ou
développemental (quoique dans certains cas l'ontogénie d'un comportement au cours de
l'ontogénie de l'individu puisse être étudiée).
Comme dans le cas des caractères morphologiques, le critère le plus fiable est celui
de la comparaison extra-groupe: un caractère rencontré aussi bien au sein du groupe étudié
qu'au sein de son groupe-frère doit être considéré comme plésiomorphe, tandis qu'un
caractère qui n'est rencontré qu'au sein du groupe étudié mais pas dans son groupe-frère ni
dans des groupes plus éloignés doit être considéré comme apomorphe. Le problème
principal dans ce cas est d'identifier avec certitude les homologies entre caractères écoéthologiques observés chez différentes espèces.
En ce qui concerne la comparaison intra-groupe, tous les critères doivent être employés avec prudence. Ainsi par exemple le critère de complexité est d'un emploi très difficile
dans ce contexte: on connaît de nombreux cas de simplification secondaire des caractères
éco-éthologiques, par exemple de la structure du chant (voir p. ex. DUBOIS & MARTENS,
92
1984), en fonction de contraintes du milieu, si bien que le caractère le plus complexe n'est
pas nécessairement apomorphe. La seule hypothèse qui peut être acceptée de manière
générale est que plus un caractère éco-éthologique est complexe, moins il a de chances
d'être apparu indépendamment par convergence dans des lignées différentes (voir
CROWSON, 1970: 101): la présence commune d'un tel caractère chez plusieurs espèces
peut donc être considérée comme une synapomorphie réunissant celles-ci, mais ne
permettant pas de toujours d'établir les relations phylogénétiques entre ces espèces et
d'autres espèces présentant un caractère éco-éthologique moins complexe.
On rencontre assez souvent dans les travaux des systématiciens l'idée selon laquelle,
lorsque dans un groupe existent certaines espèces qui peuvent être définies comme des
"généralistes", celles-ci seraient plus primitives que les espèces plus "spécialisées". En
réalité, comme l'a notamment fort bien souligné CROWSON (1970), rien n'est moins
démontré. Le fait d'avoir une écologie plus "généraliste" (par exemple, dans le domaine des
régimes alimentaires, d'avoir un régime omnivore), est en fait un choix écologique comme un
autre, une spécialisation comme une autre, et il serait très dangereux de considérer comme
une loi le fait que les espèces les plus primitives étaient des "généralistes"! Bien entendu, il
existe effectivement des groupes où des espèces "généralistes" ont donné naissance à des
espèces plus spécialisées, mais le contraire existe aussi.
La spécialisation écologique s'accompagne souvent d'une spécialisation morphoanatomique, ce qui a amené un bon nombre d'auteurs à considérer les caractères écoéthologiques comme peu utiles pour la construction du cladogramme, car redondants par
rapport aux caractères morpho-anatomiques qui leurs sont liés. En réalité, comme l'ont
souligné certains auteurs, dont particulièrement Ernst MAYR (p.ex. 1981 a), dans bien des
cas des adaptations comportementales ou des spécialisations écologiques apparaissent tout
d'abord dans une lignée avant toute modification morpho-anatomique, et ce n'est qu'après un
certain temps que ces modifications y font leur apparition, permettant à leur tour un
affinement de l'adaptation ou de la spécialisation dans la même direction. Par ailleurs,
lorsqu'un mode de vie est abandonné au profit d'un autre, ceci peut être suivi aussi de la
perte de certains caractères morpho-anatomiques (CROWSON, 1970: 112), mais cette perte
non plus n'est pas nécessairement synchrone. Les caractères éco-éthologiques peuvent et
doivent donc être considérés en eux-mêmes, indépendamment des caractères morphoanatomiques avec lesquels ils sont souvent, mais pas toujours, corrélés.
93
Ce problème de la corrélation ou de la dissociation éventuelle des caractères morphoanatomiques et des caractères éco-éthologiques mérite une attention particulière. C'est ainsi
que CROWSON (1970: 93-94) a insisté à juste titre sur la prudence dont il faut faire preuve
pour l'utilisation de caractères éco-éthologiques pour la reconstruction de la phylogénie, dans
un passage intéressant dont voici la traduction:
«Supposons que deux taxons, A et B, sont considérés par certains chercheurs comme
proches parents, en raison de certaines similitudes morphologiques, mais que d'autres
systématiciens sont plus impressionnés par les différences morphologiques entre ces
taxons, et pour cette raison estiment que ceux-ci ne sont pas étroitement apparentés. Si à ce
moment de nouvelles recherches éthologiques ou écologiques mettent en évidence des
similitudes dans les modes de vie de A et B qui étaient jusque-là inconnues, les partisans de
la proche parenté de A et B y verront sans doute une confirmation de leur point de vue. En
réalité, si les similitudes morphologiques entre A et B peuvent être considérées comme des
adaptations au mode de vie qui s'avère similaire dans les deux taxons, les nouvelles
informations ne renforcent en fait pas du tout l'interprétation selon laquelle les deux taxons
sont étroitement apparentés, et peuvent même en réalité l'affaiblir. On pourrait même dire
que la similitude morphologique malgré des différences dans le mode de vie est un meilleur
indice de parenté phylogénétique que la similitude morphologique corrélée à une similitude
des modes de vie. De la même manière, des différences morphologiques malgré des
similitudes dans les modes de vie méritent qu'on leur accorde plus de "poids" que des
différences morphologiques corrélées à des différences éco-éthologiques. La différence de
structure entre l'aile d'une chauve-souris et celle d'un oiseau est plus significative que celle
entre l'aile de la chauve-souris et la main d'un homme.»
Ces remarques sont très intéressantes et montrent qu'il faut être prudent dans ce
type d'analyse, mais elles n'ôtent pas leur intérêt ni leur importance aux études éthologiques
et écologiques pour la reconstruction de la phylogénie: en effet, si l'on adopte le
raisonnement de CROWSON, il reste que pour pouvoir apprécier si des différences
morphologiques sont ou non corrélées avec des différences éco-éthologiques, il faut
disposer de donner précises et fiables sur l'éco-éthologie.
94
Ecologie et classification supraspécifique.
Dans ce qui précède nous nous sommes intéressés à la construction du cladogramme, et nous avons envisagé l'aide que l'étude de l'éco-éthologie peut nous apporter à
cet égard: pour intéressante qu'elle puisse être, cette aide ne peut être que limitée, les
caractères tirés de l'éco-éthologie ne venant que s'ajouter à tous les autres caractères de
l'holomorphe, dont la majeure partie sont tirés de la morpho-anatomie. En effet pour pouvoir
construire un cladogramme avec un certain degré de fiabilité, il faut disposer d'un nombre
élevé de caractères, d'autant plus élevé que le nombre de taxons concernés est lui-même
élevé, et les caractères éco-éthologiques actuellement disponibles pour ce type d'analyses
sont bien trop peu nombreux pour permettre à eux seuls de construire un cladogramme.
Si nous admettons maintenant que nous avons réussi à construire le cladogramme et
que celui-ci nous paraît fiable, que nous reste-t-il à faire pour établir la classification du
groupe étudié? C'est à ce niveau qu'intervient le désaccord entre systématiciens cladistes et
synthétistes. Les cladistes pour leur part estiment que le plus gros du travail est fait et qu'il
ne reste plus qu'à traduire le cladogramme dans un autre langage, celui de la classification:
pour ce faire, il existe un certain nombre de systèmes conventionnels, et selon le système
choisi le résultat pourra se présenter de manière assez différente (en ce qui concerne le
nombre de rangs hiérarchiques notamment), mais dans le fond toutes ces classifications
seront équivalentes. Les systématiciens synthétistes pour leur part estiment que le travail
n'est pas fini et que d'autres éléments doivent être pris en compte pour établir la classification. La différence est importante: il s'agit d'une divergence philosophique quant à ce que
doit être une classification.
A partir d'ici, nous allons donc laisser les cladistes, pour qui le travail est fini, et
continuer le chemin avec les seuls synthétistes.
95
Alors que la démarche des cladistes en matière de classification peut être qualifiée de
structuraliste, puisque seule leur importe la structure du cladogramme, meilleure
approximation connue de l'arbre phylogénétique traduisant les relations de parenté au sein
du groupe étudié, la démarche des synthétistes est plus complexe et peut être qualifiée
d'historico-causale. Les synthétistes ne se contentent pas de constater qu'il y a eu une
évolution au sein de ce groupe, ni de reconstituer, autant que faire se peut, l'arbre
phylogénétique de celui-ci. Leur ambition est également de prendre en compte, dans
l'élaboration de la classification, les facteurs responsables des phénomènes évolutifs
observés. Pour les biologistes qui font leur la théorie dite "synthétique" de l'évolution, ces
facteurs ne sont pas à chercher dans un "projet" des espèces vivantes elles-mêmes, mais
dans les interactions entre les espèces vivantes, et entre celles-ci et le milieu où elles vivent.
Un rôle déterminant, même s'il n'est pas unique, est attribué à la sélection naturelle, et donc,
bien évidemment, aux facteurs écologiques, comme moteur de l'évolution des organismes.
L'intention des systématiciens synthétistes est donc de prendre les informations écologiques
en compte dans l'établissement de la classification.
Une contribution majeure à l'élaboration de la théorie synthétique de la classification
des organismes a été apportée par le paléontologue Georges Gaylord SIMPSON,
notamment dans ses ouvrages de 1944 et de 1953. De même que chaque espèce peut être
caractérisée par sa niche écologique, concept qui renvoie à l'ensemble des interactions entre
l'espèce et le milieu, abiotique et biotique, où elle vit, les taxons supérieurs peuvent
également être caractérisés par leur "niche", celle-ci étant plus "large" que celle de chacune
des espèces incluses. SIMPSON a proposé la formule de zone adaptative pour désigner
l'ensemble des relations entre un groupe d'organismes et son environnement. Pour sa part,
Julian HUXLEY (1958) a popularisé l'emploi du terme grade pour désigner les niveaux
d'organisation correspondant à des zones adaptatives données. Un grade est un ensemble
d'organismes présentant en commun un certain nombre de caractéristiques adaptatives. On
pourra ainsi parler du grade tétrapode, du grade homéotherme ou du grade mammalien. Un
grade peut être soit homophylétique (ou monophylétique au sens de MAYR et SIMPSON;
voir DUBOIS, 1986), soit polyphylétique (ou hétérophylétique).
96
La conception synthétique de la classification est appelée parfois par ses détracteurs
cladistes "conception gradiste" de la classification, ce qui est inexact. Une conception
purement gradiste de la classification ne prendrait en compte que les niveaux d'organisation
des organismes, sans se soucier de leur origine phylogénétique, tandis que les
systématiciens synthétistes s'appuient en premier lieu sur la phylogénie, ou du moins ce
qu'on en connaît, pour construire la classification. Il serait plus correct de qualifier la
conception synthétiste de la classification de "clado-gradiste", puisqu'elle prend en compte à
la fois les deux types d'informations.
Les zones adaptatives ne sont pas juxtaposées de manière continue. Elles sont
séparées les unes des autres par des discontinuités, des zones "inadaptatives". Le
généticien des populations Sewall WRIGHT a proposé en 1932 le concept de "pic adaptatif",
qui a été repris et adapté par SIMPSON, MAYR, STANLEY et d'autres. Selon ce concept, les
espèces sont conçues comme des entités qui occupent des pics ou sommets sur un
"paysage adaptatif". Ces pics représentent des génotypes correspondant à des holomorphes
particulièrement bien adaptés (ou, en termes de génétique des populations, à la "fitness"
particulièrement élevée). En revanche les génotypes qui occupent les "vallées" ou "fossés"
qui séparent les zones adaptatives dans ce paysage sont déséquilibrés et condamnés à
l'extinction. Le passage d'un pic adaptatif à un autre est donc un événement périlleux, qui ne
réussit que rarement: dans la plupart des cas, les populations qui quittent les pics adaptatifs
sont condamnées à l'extinction; dans de rares cas, elles parviennent, au prix d'une
modification importante de leur génotype, à "accoster" sur une nouvelle zone adaptative et à
gravir un nouveau pic adaptatif. Un nouveau type d'organismes est alors apparu, avec une
nouvelle morphologie et une nouvelle écologie: dans la nouvelle zone adaptative, une
multiplication des espèces est alors possible par des spéciations successives, chaque
espèce occupant une niche écologique distincte au sein de la zone adaptative.
La conception synthétique de la classification s'appuie sur cette conception de
l'évolution. Selon cette conception, on accordera le statut de taxon supraspécifique à un
ensemble d'espèces étroitement apparentées et occupant une même zone adaptative. Il est
important de noter que ce critère ne s'applique qu'après le critère phylogénétique, c'est-àdire au sein d'un groupe homophylétique (ou monophylétique au sens de MAYR et
SIMPSON), et ne peut permettre de regrouper dans un même taxon des espèces d'origine
phylogénétique distincte, car alors le taxon serait polyphylétique, et les synthétistes, tout
comme les cladistes, rejettent les taxons polyphylétiques. En revanche, lorsqu'au sein d'un
groupe homophylétique il existe des sous-ensembles morphologiques et écologiques, ceuxci pourront selon les synthétistes se voir accorder le statut de taxons, que ceux-ci soient
holophylétiques (ou monophylétiques au sens de HENNIG), ou qu'ils soient paraphylétiques.
97
Dans une telle conception de la classification, les taxons sont séparés par des discontinuités mesurables, c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'espèces intermédiaires entre eux,
dans le domaine morphologique comme dans ceux de l'écologie et de l'éthologie. Certains
auteurs, notamment ceux qui se placent dans une perspective gradualiste stricte, ont critiqué
ce critère en estimant que cette absence d'espèces intermédiaires n'était pas significative,
puisqu'elle était due à l'extinction de ces espèces, qui avaient nécessairement dû exister.
Cette critique n'est pas valable, qu'on se place dans une perspective d'évolution quantique
ou gradualiste. En effet, d'un point de vue quantique (par exemple celui de la théorie des
équilibres ponctués de ELDREDGE & GOULD, 1972), il n'est pas nécessaire de postuler
l'existence de ces espèces intermédiaires, car la zone adaptative qui sépare deux zones
adaptatives ne peut être traversée que par des populations transitoires, à durée de vie très
brève, qui ne laissent en général pas de fossiles, et qui ont un taux d'anagenèse très élevé,
d'où de véritables sauts évolutifs. Même si l'on se place dans une perspective gradualiste, et
qu'on postule donc que le passage d'une zone adaptative à une autre se fait lentement, en
passant par un certain nombres d'espèces intermédiaires, il est certain que l'extinction de
celles-ci nous donne un critère non arbitraire pour définir les taxons, comme le faisait
remarquer SIMPSON en 1961. Il est de plus clair que, dans un grand nombre de cas du
moins, les extinctions ne sont pas aléatoires. Le phénomène d'extinction n'est en effet pas
un à-côté négligeable de l'évolution des organismes, il en est au contraire, au même titre que
le phénomène de spéciation, l'un des paramètres fondamentaux, comme l'ont souligné
certains auteurs, notamment STANLEY (1979) dans son remarquable livre intitulé
Macroevolution.
98
Si l'on admet la validité des principes que je viens de présenter, le problème se pose
maintenant de savoir comment reconnaître, d'un point de vue pratique, les ensembles
d'espèces qui occupent des zones adaptatives séparées. L'idéal est de disposer de données
précises sur l'écologie des espèces, et à cet égard les travaux d'écologie peuvent apporter
un concours précieux à la systématique. Mais dans ce domaine les données font encore
largement défaut. S'il existe beaucoup de travaux d'écologie théorique sur les questions qui
nous intéressent ici (et notamment sur les concepts de niche écologique, de stratégie
adaptative, etc.), les études de terrain consistent souvent en une comparaison fine des
écologies d'espèces peu nombreuses, souvent étroitement apparentées. Il est rare que des
travaux comparatifs de ce type portent sur des espèces nombreuses, soit d'un même
peuplement, soit d'un même groupe taxinomique dans divers peuplements. Ce sont pourtant
de tels travaux qui permettraient de mieux appréhender de manière concrète la réalité et les
particularités des zones adaptatives telles que SIMPSON (1944, 1953), MAYR (1970) et
d'autres les conçoivent, et d'estimer de manière plus objective les ressemblances et
divergences écologiques entre espèces d'un même peuplement ou de divers peuplements.
Comme nous l'avons déjà vu au sujet du problème de l'espèce, à part quelques
travaux
exemplaires
portant
sur
quelques
groupes
systématiques
dans
quelques
écosystèmes, il faut reconnaître que nous manquons encore cruellement de données. C'est
ce qui explique que les notions de niche écologique et de zone adaptative, pourtant
fondamentales dans l'interprétation des phénomènes évolutifs à la lumière de la théorie
synthétique, restent encore fort peu fonctionnelles, et c'est ce qui explique aussi à mon avis
en partie l'attitude de rejet des cladistes face à la conception synthétistes de la classification:
ils ont l'impression que des concepts comme celui de zone adaptative sont trop imprécis,
trop peu objectifs, pour pouvoir être utilisés dans la construction d'une classification
scientifique des êtres vivants. Il s'agit à mon avis d'un domaine dans lequel, avec l'aide des
écologistes, les systématiciens synthétistes devront faire les progrès les plus importants
dans l'avenir pour pouvoir présenter une interprétation vraiment synthétique des faits
évolutifs et s'en servir pour la construction de la classification.
99
A défaut de données écologiques précises, il pourra dans certains cas être légitime de tenter
de déduire de la seule morphologie la fonction adaptative des caractères. Il va sans dire que
de tels travaux ne peuvent être réalisés que par des spécialistes du groupe étudié, ayant
notamment une connaissance sur le terrain d'au moins une partie des espèces de celui-ci. Il
est certain que dans les groupes dont l'écologie est d'étude difficile (par exemple de
nombreux groupes marins), ainsi qu'en paléontologie (du moins dans les groupes qui ne sont
connus qu'à l'état fossile et pour lesquels des comparaisons ne peuvent être faites avec des
espèces actuelles), les travaux de ce type sont difficiles sinon impossibles à réaliser.
En l'absence de toute donnée, il pourra être utile de s'appuyer sur l'étude des
convergences: ainsi un caractère, ou mieux un ensemble de caractères, susceptible
d'apparaître indépendamment dans plusieurs lignées, chez des animaux soumis à des
conditions de milieu similaires, a des chances d'être adaptatif.
Ce critère invite donc à donner plus de poids, dans l'établissement de la classification,
aux caractères à signification manifestement adaptative, qu'à ceux non clairement adaptatifs.
En l'absence d'indication sur sa fonction, mieux vaut éviter par exemple de reconnaître un
genre pour des animaux qui présentent un caractère morphologique un peu spécial.
Nous nous trouvons ici dans la situation opposée à celle dans laquelle nous étions
lorsque nous tentions de reconstituer la phylogénie du groupe étudié: en effet, dans ce cas
les caractères clairement adaptatifs doivent être traités avec une particulière prudence,
puisqu'ils sont plus que les caractères réputés "neutres" susceptibles d'apparaître par
convergence dans des lignées différentes. Ceci est particulièrement vrai pour les caractères
adaptatifs simples, dont un excellent exemple est la ventouse des Batraciens Anoures, qui
est apparue par convergence dans de nombreux genres appartenant à des lignées distinctes
(voir par exemple OHLER & DUBOIS, 1989). Il s'agit d'un mauvais caractère pour l'analyse
phylogénétique, mais par ailleurs d'un bon caractère pour la classification, car la présence de
ventouses est toujours liée à une spécialisation écologique particulière, variable du reste
selon les cas (modes de vie arboricole ou torrenticole notamment). Une fois donc qu'on
dispose d'un bon cladogramme pour un groupe de Batraciens Anoures, il est légitime, au
sein d'une même lignée, de reconnaître un taxon particulier (sous-genre, genre, tribu, etc.)
pour les espèces d'une même lignée qui possèdent des ventouses.
Pour ceux qui s'intéressent à l'emploi des caractères écologiques pour reconnaître les
taxons supraspécifiques, je ne saurais trop recommander la lecture de l'article de Robert
100
INGER (1958). Cet auteur, en s'appuyant sur plusieurs exemples très probants pris
notamment chez les Amphibiens, proposait d'employer des critères écologiques pour mieux
identifier les genres en zoologie. Bien entendu, il ne proposait pas de définir les genres en
fonction de la seule écologie, mais de prendre en compte, quand cela est possible, les
informations supplémentaires que l'écologie peut fournir.
Certains auteurs estiment que le critère écologique ou adaptatif ne devrait pas être
utilisé pour définir les taxons supérieurs, parce que, comme nous l'avons déjà vu, ce critère
ne peut pas toujours être utilisé, par exemple en paléontologie. Un argument du même type
a été invoqué également contre l'emploi d'autres critères en systématique, par exemple
contre l'emploi du critère d'hybridabilité pour définir les genres en zoologie (voir DUBOIS,
1988). En réalité un argument de ce type pourrait être invoqué contre la plupart des
méthodes utilisées en systématique. En systématique moderne on fait appel à des données
portant sur la morphologie, l'anatomie, la biochimie, la caryologie, l'éco-éthologie, la
parasitologie, etc. Il est bien rare que toutes ces données soient disponibles pour un groupe
particulier et, en paléontologie, la seule de ces informations qui soit disponible est la morphologie des parties fossilisables des animaux. Toutefois aucun systématicien n'a, du moins
espérons-le, suggéré de n'employer en systématique aucune autre méthode que celle qui
constitue le plus petit dénominateur commun à toutes les études possibles, et n'a proposé de
fonder la systématique des animaux sur les seules parties fossilisables! La systématique
emploie le nombre le plus élevé possible d'informations concernant les êtres vivants. Dans
certains cas les informations sont abondantes, dans d'autres elles le sont moins, mais il est
toujours souhaitable d'en avoir le plus possible. Le critère écologique ou adaptatif n'est
certes pas utilisable dans tous les cas, mais ceci n'interdit nullement de faire appel à lui
quand cela est possible. En outre, on peut espérer que dans certains des cas où le critère
est actuellement inutilisable pour de simple raisons matérielles (par exemple pour l'étude de
l'écologie d'animaux marins), les progrès de nos techniques d'étude permettront dans l'avenir
de le rendre utilisable.
SIMPSON (1961) a proposé une utile distinction entre deux types de critères qui
peuvent être employés pour construire les taxons: les critères d'inclusion et les critères
d'exclusion. Comme exemple de critère d'inclusion, on peut citer le critère d'hybridabilité, qui
permet de réunir en un genre les espèces susceptibles de donner entre elles des hybrides
adultes viables (DUBOIS, 1981, 1988). Le critère écologique ou adaptatif, pour sa part, est
un critère d'exclusion. Il peut être particulièrement utile pour séparer en des taxons différents
des espèces morphologiquement et phylogénétiquement proches mais entre lesquelles existent des différences importantes en matière de niche écologique ou de zone adaptative. Le
critère est moins utile pour réunir, car autant il peut être aisé de démontrer l'existence
101
d'importantes différences écologiques entre espèces, autant il est difficile, à moins que
l'écologie de celles-ci soit particulièrement bien connue, d'être certain qu'il n'existe pas entre
elles de différences significatives dans tel ou tel domaine de leur écologie.
*
*
*
102
CONCLUSION
Si les systématiciens avaient aujourd'hui une demande à adresser aux écologistes, ce serait peut-être de consacrer peut-être un peu plus de temps à l'étude de
cas concrets dans la nature qu'à élaborer des modèles théoriques et mathématiques
destinés à rendre compte des données concrètes que l'on possède déjà. Ce serait
donc d'être avant tout des naturalistes, plus que des théoriciens même brillants. Pour
mieux connaître et interpréter le monde vivant qui nos entoure, il nous faut des
données, encore des données, de plus en plus de données: observations sur le
terrain, données expérimentales sur le terrain ou au laboratoire, et corrélation de
toutes ces données écologiques avec les données morpho-anatomiques et
phylogénétiques.
Cette tâche est d'autant plus urgente que beaucoup d'écosystèmes de notre
planète sont actuellement en danger de destruction ou de profonde modification, et
qu'avec eux des milliers d'espèces sont menacées d'extinction. Il est urgent de recueillir des données sur l'éco-éthologie de ces espèces, en même temps que de
récolter, je dirais presque de "sauver", des spécimens pour l'étude morpho-anatomique. Si j'avais donc un souhait à formuler pour l'avenir, ce serait que plus de
crédits soient disponibles pour embaucher et payer des naturalistes et les envoyer
dans le monde entier effectuer des missions et des travaux de terrain, même si ce
devait être un peu au détriment des crédits disponibles pour acheter et faire fonctionner des ordinateurs ou de coûteux appareils de laboratoire.
*
*
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103
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