T2 - L`Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée

HISTOIRE DES LAGIDES
TOME DEUXIÈME. — DÉCADENCE ET FIN DE LA
DYNASTIE (181-30 avant J.-C.)
PAR AUGUSTE BOUCHÉ-LECLERCQ.
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS - MEMBRE DE
L’INSTITUT.
PARIS - ERNEST LEROUX, ÉDITEUR – 1904.
CHAPITRE X. — Ptolémée VI Philométor (181-146) et Ptolémée VII
Évergète II (170-116).
§ I. - L'invasion d'Antiochos IV en Égypte. — § II. - Conflits entre les deux Ptolémées. — § III. -
La guerre en Syrie.
CHAPITRE XI. — Ptolémée VII Évergète II (145-116); Ptolémée VIII
Eupator († 145) ; Ptolémée IX Néos Philopator († 130).
§ I. - Rivalité d'Évergète II et de Cléopâtre II. — § II. - Évergète II et Cléopâtre III.
CHAPITRE XII. — Ptolémée X Philométor Soter II [Lathyros] (116-80) et
Ptolémée XI Alexandre ler Philométor (108-88).
§ I. - Ptolémée X Soter H roi (116-108). — § II. - Ptolémée XI Alexandre Ier roi (108-88).§ III. -
Ptolémée X Soter II restauré (88-80).
CHAPITRE XIII. — (Cléopâtre) Bérénice III Philométor Philadelphe
(févr.-août 80?) et Ptolémée XII Alexandre II (août-sept. 80?).
CHAPITRE XIV. — Ptolémée XIII Philopator II Philadelphe Néos Dionysos
[Aulétès] (80-51) ; Bérénice IV (58-55).
§ I. - Ptolémée roi contesté, investi, détrôné (80-58). — § II. - L'interrègne (58-55). — § III. -
Ptolémée restauré (55-51).
CHAPITRE XV. — Le règne de Cléopâtre VI Philopator (51-30) Ptolémée
XIV Philopator (51-47) ; Ptolémée XV Philopator (47-44) ; Ptolémée XVI
(Cæsar) Philopator Philométor (44-30).
§ I. - Cléopâtre VI Philopator et Ptolémée XIV Philopator (51-47).§ II. - Cléopâtre et
Ptolémée XV Philopator (47-44). — § III. - Cléopâtre et Ptolémée XVI (Cæsar) Philopator
Philométor (44-30). — § IV. - Les derniers jours de Cléopâtre.
CHAPITRE XVI. — L'annexion de l'Égypte.
CHAPITRE XVII. — Les derniers rejetons des Lagides.
CHAPITRE X. — PTOLÉMÉE VI PHILOMÉTOR (181-145). PTOLÉMÉE
VII ÉVERGÉTE II (170-116).
Ptolémée Épiphane laissait trois enfants, dont l’aîné pouvait avoir environ six ans
: à savoir, deux fils portant le nom dynastique des Ptolémées et une fille, future
épouse du roi, appelée Cléopâtre (II) comme sa mère. Rien ne fut changé pour le
moment au droit de succession : l’heure néfaste des compétitions et des
partages de souveraineté était proche, mais n’était pas encore venue. L’aîné fut
roi, avec le prédicat officiel de Philométor, sous la tutelle de sa mère1, qui parait
avoir exercé l’autorité royale dans sa plénitude, sans la partager avec un grand-
vizir.
La régente n’eut sans doute aucune peine à apaiser la querelle qui allait naître
entre la Syrie et l’Égypte : mais, toute dévouée à ses enfants, elle n’eut garde de
prêter l’oreille aux insinuations et sollicitations qui, on peut le conjecturer
presque à coup sûr, durent lui venir de la cour d’Antioche. Son frère Séleucos IV
cherchait partout à nouer des alliances qu’il pût utiliser à un moment donné
contre Attale et les Romains : il n’est pas probable que l’homme qui faisait des
avances à Persée et lui donnait sa fille en mariage ait oublié qu’il avait une sœur
régnant en Égypte, une sœur dont le mariage avait été jadis considéré comme
un gage d’alliance entre les deux dynasties2 Mais Cléopâtre entendait rester
fidèle à l’alliance romaine, dont l’Égypte ne pouvait se détacher sans péril. Elle
régna en paix jusqu’à sa mort, qui survint prématurément en 174 ou 1733, et le
1 On me permettra de considérer comme à peu près liquidée déjà la question signalée
plus haut (tome I), celle de la tutelle légale soi-disant exercée par M. Æmilius Lepidus,
soit sur Épiphane (Eckhel, Drumann, Mommsen, Bandelin, Wilcken, Mahaffy, Niese), soit
sur Philométor (Guiraud). Le débat perd tout intérêt quand on est persuadé que cette
tutelle n’a jamais été qu’une légende de famille, fondée sur une prétention de la
diplomatie romaine, qui voulait absolument protéger les Lagides, au besoin, malgré eux.
En ce sens, le tuteur était non pas un Romain, mais le peuple romain, comme le dit le
SC. de 167, visant Philométor et son frère : quanta cura regum amicorum liberos tueatur
populus Romanus, documento Ptolemæum Ægypti regem esse (Tite-Live, XLV, 44). Le
caractère légendaire de la tutelle et ancestral de la monnaie qui l’attribue à Lepidus
infirme l’argument de Guiraud, qui trouve Lepidus trop jeune au temps d’Épiphane.
Quant au prétendu frère aîné de Philométor, ayant régné avant lui sous le nom d’Eupator
(Lepsius, Mahaffy), la question sera traitée plus loin, p. 56, 2. Nous la tenons pour réglée
provisoirement, dans le sens négatif, par le fait qu’aucun auteur ne connaît plus de deux
fils à Épiphane. Josèphe (Ant. Jud., XII, 4, 11) dit expressément qu’Épiphane mourut
καταλιπών δύο παΐδας έτι βραχεΐς τήν ήλικίαν κτλ. On a des monnaies de la régence,
frappées à Paphos, portant d’un côté ΒΑΣΙΛΙΣΣΗΣ ΚΛΕΟΠΑΤΡΑΣ, de l’autre ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ
ΒΑΣΙΛΕΩΣ (Svoronos, p. 225). Sur le règne de Philométor, voyez J.-G. Droysen, De
Lagidarum regno Ptolemæo VI Philometore rege. Berolin., 1831 (Cf. Bibliographie).
2 Tite-Live (XLII, 26) comprend Ptolémée parmi les rois sollicitatos legationibus Persei.
3 Sur la date de la mort de Cléopâtre I, nous avons aucun renseignement précis. Les
opinions varient de 174 (Lepsius, Poole, etc.) à 173 (Wilcken) et 172 (Droysen). Ce qui
est certain, d’après Tite-Live, XLII, 29, c’est qu’elle était morte en 171 (Cf. Strack, p.
196). L’envoi de l’ambassade romaine en 173 me parait avoir été occasionné par la mort
de Cléopâtre.
surnom de Philométor, donné officiellement à son fils aîné, parait attester qu’elle
mérita réellement la reconnaissance du jeune roi1.
§ I. — L’INVASION D’ANTIOCHOS IV EN ÉGYPTE.
La mort de Cléopâtre mit fin à cette période de tranquillité2. Le roi encore mineur
tomba sous la tutelle — effective, sinon officielle — de favoris de bas étage, dont
on s’explique mal l’insolente fortune, l’eunuque Eulæos et un affranchi d’origine
syrienne, Lenæos, qui était probablement l’économe de la maison royale. Ces
singuliers « tuteurs3 », firent de leur mieux pour dépraver et efféminer leur
pupille, de façon à détourner son attention des affaires et à gouverner sous son
nom, même après qu’il fut parvenu à sa majorité4. Ils avaient intérêt à hâter
cette déclaration de majorité légale, à faire couronner le roi et à le marier au
plus vite, car ils se sentaient surveillés de près par les Romains, qui, habitués
déjà à se considérer comme les tuteurs nés de la dynastie, auraient pu être
tentés de prendre en main la gérance du royaume. Dans le courant de l’année
173, probablement aussitôt qu’il avait été informé de la mort de Cléopâtre, le
Sénat avait envoyé à Alexandrie une ambassade qui, passant par la Macédoine
pour vérifier si réellement Persée faisait les préparatifs de guerre dénoncés par
Eumène, était chargée de renouveler amitié avec Ptolémée5. La présence des
envoyés du Sénat ne put que faire sentir aux régents officieux la nécessité de
s’abriter derrière un régime légalement défini.
Nous n’avons aucun renseignement sur le sacre et le mariage du jeune roi,
événements qui, selon toute apparence, ont eu lieu dans le courant de l’année
172. Le précédent posé par Épiphane ne permet pas de douter que le sacre ait
été célébré, suivant le rite national, à Memphis, après la proclamation de la
majorité à Alexandrie et peut-être le mariage. On ne sait à laquelle de ces
cérémonies il faut rapporter une expression obscure du IIe livre des Macchabées,
où il est dit que le nouveau roi de Syrie, Antiochos IV Épiphane, envoya en
1 On a vu plus haut qu’il est imprudent de vouloir formuler des règles générales
d’interprétation à propos des surnoms. Je ne crois pu, avec Gutschmid, que Φιλοµήτωρ
indique toujours une minorité sous la régence d’une reine mère : mais, ce serait
exagérer en sens inverse que de nier toute adaptation du prédicat à la personne, surtout
lorsqu’un surnom apparaît pour la première fois. Pausanias (I, 9, 1) entend Φιλοµήτωρ
au sens de aimé de sa mère, car il dit d’un autre Philométor (Ptol. X Soter II) que ce
surnom lui fut donné par ironie, attendu qu’il n’y eut pas de roi aussi détesté par sa
mère.
2 Mahaffy (History, p. 180) suppose qu’il y eut alors des troubles, qui peut-être
décidèrent Ptolémée fils de Glaucias à se réfugier, comme reclus, dans le Sérapeum de
Memphis, en 113. C’est une conjecture libre.
3 Diodore (XXX, 15-16) les appelle έπίτροποι Πτολεµαίου τοΰ µείρακος, et Tite-Live (XLII.
29), tutores regis. On peut se demander si le σπάδων et le Κοιλοσυρίτης γεγονώς δοΰλος
avaient officiellement cette qualité. Ils étaient régents de fait : cum post mortem
Cleopatræ Eulaius eunuchus nutritiva Philometoris et Lenæus Ægyptum regerent. On a
des monnaies (Svoronos, p. 228-229), frappées en Égypte, qui portent au revers l’initiale
Ε ou ΕΥΑ(αΐος).
4 Voyez ci-après une indication de ce genre dans un passage de Justin, défalcation faite
de l’hyperbole.
5 Tite-Live, XLII, 6.
Égypte Apollonios à l’occasion des πρωτοκλήσια du roi Ptolémée Philométor1.
L’analogie de cette expression avec celle d’άνακλητήρια, usitée pour la
proclamation de la majorité des rois, et le caractère exclusivement égyptien du
sacre, indiquent, ce semble, que ce n’est pas à Memphis, mais à Alexandrie, que
le roi de Syrie s’est fait représenter, comme oncle des jeunes souverains2. Quant
au mariage, précoce pour les deux conjoints, il a dû suivre de très près la
proclamation de la majorité du roi et former le second acte de cette grande
solennité. Une inscription récemment découverte, dont la date ne peut guère
descendre en deçà de 172/1, adresse au couple royal, au roi Ptolémée et à la
reine Cléopâtre, dieux Philométors, les hommages d’une commission de
chrématistes ou juges ambulants, qui a parcouru divers nomes dans les années
VIII et IX du règne (174/3-173/2)3. Il est donc avéré que le trône fut occupé par
un couple royal, conformément aux exigences de l’étiquette nationale, dans le
courant de l’année 172/1. De Memphis, les souverains jugèrent sans doute à
propos d’affirmer leur prise de possession en se montrant aux populations et aux
clergés des temples. On retrouve leurs traces à Parembolé (Debôt), dans une
inscription gravée sur un pylône du temple. C’est un hommage fait au nom du roi
Ptolémée et de la reine Cléopâtre, sœur et femme, dieux Philométors, à Isis, à
Sérapis et aux dieux cohabitants4.
Le couple royal ne jouit pas longtemps de ces loisirs. La mort de Cléopâtre avait
ravivé et porté à l’état aigu un débat qui durait depuis son mariage. On a vu plus
haut qu’elle avait reçu en dot de son père Antiochos III le Grand la Cœlé-Syrie,
ou un droit éventuel à la possession soit du sol, soit des revenus de la province,
et que, en tout cas, cette clause du contrat n’avait pas été exécutée, ou ne
l’avait pas été dans le sens où on l’entendait à Alexandrie. Ptolémée Épiphane se
préparait à revendiquer par les armes son droit méconnu, lorsque la mort
l’arrêta. Il avait d’autant plus de chance de réussir, que son beau-frère Séleucos
1 II Macchabées, 4, 21. Il est bon de distinguer tout d’abord entre πρωτοκλήσια (τά) et
l’expression évangélique πρωτοκλισία (Matth., 23, 6, etc.), pour n’en pas conclure qu’il
pourrait être ici question de lit (nuptial). Ce qui complique le problème, c’est que Polybe
(XXVIII, 10) mentionne à une date postérieure (en 169) les άνακλητήρια du roi
Ptolémée. La difficulté se trouve écartée en admettant — ce que nous avons déjà fait et
ferons plus loin — que les άνακλητήρια de 169 concernent Ptolémée Évergète II. Strack
(p. 197) e conservé l’opinion, déjà réfutée par Bandelin, que l’ambassade romaine de
173 venait assister aux άνακλητήρια de Philométor, célébrées cette année-là.
2 Cet Apollonios était à Rome en 173, comme ambassadeur chargé par Antiochos
Épiphane de présenter des excuses, des cadeaux et des protestations de fidélité au Sénat
(Tite-Live, XLII, 6). Il a pu s’acquitter de sa nouvelle mission en 172.
3 Inscription trouvée en 1891 à Ghazi, au sommet du Delta, près la branche de Rosette,
aujourd’hui à Berlin (Strack, n. 93. Cf. Krebs, Götting. Nachr., 1892, n. 15, p. 534 sqq.).
En 172, Ptolémée pouvait avoir entre 14 et 15 ans au plus, et Cléopâtre était plus jeune
encore.
4 CIG., 4979. Letronne, I, 10. Strack, n. 87. On a beaucoup disserté sur la date de
l’inscription, avant de savoir que Ptolémée était déjà marié avant 171, et on ne trouvait
les trois conditions réunies — Ptolémée Philotor seul roi, marié, sans enfant — que
vers l’an 164 (Letronne) ou 165 (Droysen). Depuis, Wilcken n’a pas hésité à reporter la
date de l’inscription en 272/1. On rencontre aussi à Parembolé des hommages de rois
nubiens. Je ne sais s’il faut en conclure, avec Mahatfy (History, p. 179), qu’il y avait alors
entre le roi nubien Atkhéramon et Philométor les mêmes relations que jadis entre
Ptolémée Philopator et Ergamène. Cf. la dédicace du pronaos du T. d’Antæopolis (Qaou-
el-Kebir) par Ptolémée et Cléopâtre Philométor (CIG., 4712. Letronne, I, 24. Strack, n.
81).
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