Mais le retour du religieux est-il le retour de la religion ? Le religieux
peut-il survivre à/après la mort de la religion ? La mort de la religion n’est-
elle pas la logique profonde de l’histoire moderne ? C’est la thèse radicale
(moderniste ?) de M. Gauchet dans Le désenchantement du monde.
La sécularisation est un processus manifeste, déjà à l’échelle
individuelle d’une vie. La naissance, le mariage et surtout la mort sont
devenus des événements religieusement neutres. Les fêtes religieuses
traditionnelles sont devenues des fêtes de famille, la mort est devenue un
adiaphoron religieux. Tous les gestes, toutes les attitudes du corps qui
soutenaient la pensée de Dieu ont peu à peu disparu. Désormais, les rapports
d’appartenance sociale ou culturelle sortent intacts de la participation ou non
à une religion. On définira la sécularisation comme l’affaiblissement de la
signification de la religion, la tendance pour le monde social à fonctionner,
dans tous ses secteurs d’activités, de façon autonome, sans référence à la
religion. Ce processus n’est pas seulement socio-structural. Il affecte la
totalité de la vie culturelle et spirituelle, l’art, la littérature, la philosophie.
Qu’est-ce alors que la religion dont on il faudrait se persuader que
nous vivons après sa disparition ? Selon Gauchet, une Eglise, une foi, mais
surtout un certain dynamisme à l’égard du social, une « trajectoire vivante ».
Le dépérissement de la religion ne se mesurerait pas à la chute des vocations,
à la baisse de la pratique religieuse mais à la dissolution de la fonction
sociale générale de la religion. La religion fut initialement et essentiellement
« une économie générale du fait humain, structurant indissolublement la vie
matérielle, la vie sociale et la vie mentale. C’est aujourd’hui qu’il n’en reste
plus que des expériences singulières et des systèmes de convictions, tandis
que l’action sur les choses, le lien entre les êtres et les catégories
organisatrices de l’intellect fonctionnent de fait et dans tous les cas aux
antipodes de la logique de dépendance qui fut leur règle constitutive depuis
le commencement. Et c’est proprement en cela que nous avons d’ores et déjà
basculé hors de l’âge des religions »6. Ce qu’est la religion, c’est sa fonction
socio-politique. Mais en cessant de remplir cette fonction, elle a disparu
essentiellement. N’étant plus ce qu’elle était, elle n’est plus. On retrouve à
peu près ce que Feuerbach appelait « l’athéisme pratique ». De fait s’il
continue d’y avoir des individus confessant la foi chrétienne, il n’y a plus de
vrais chrétiens. Feuerbach rapporte cette religion qui s’ignore comme
athéisme à la puissance de la technique7. Le contraire du miracle c’est la
contrainte objective, et surtout pas de s’y opposer par la violence mais de militer pour un
élargissement de l’espace démocratique, de diffuser les valeurs chrétiennes au-delà des
églises, des temples, bref de redonner à l’identité religieuse, selon l’expression de Ratzinger,
encore cardinal à l’époque, un “statut de droit public”.
6 Op. cit., p. 133.
7 C’est une thèse courante que l’essor de la technique et l’urbanisation sont parmi les
premiers facteurs de sécularisation. Feuerbach raisonnait en opposant la religion et la
technique. La technologie est athée par principe, la foi est anti-technologique par nature. Cette
association de la technique et de la sécularisation est pourtant démentie par les courants
religieux nouveaux qui cherchent à séparer la technique moderne et les valeurs séculières de
la modernité. Le pouvoir iranien aimait déjà par exemple à montrer des femmes voilées
manipulant des ordinateurs ou penchées sur un microscope. Dans plusieurs pays arabes, les
étudiants intégristes sont majoritaires dans les établissements scientifiques, en particulier dans
les écoles d’ingénieurs. L’intégrisme peut ainsi concilier le rejet des valeurs éthiques
occidentales tout en acceptant les révolutions scientifiques nées en Occident. On le sait