car elle oblige à une analyse spirituelle. Il faudrait se convaincre que le rejet de l’étranger
restera sans effet quant à la restauration de notre propre identité. C’est ailleurs que se
trouve la clé de l’identité : dans le dynamisme qui porte une société vers son idéal, vers une
finalité qu’elle a d’abord conçu comme vérité à suivre ! « Comment la France peut-elle rester
elle-même dans un monde ouvert, comment réussir l’unité dans la diversité ? » s’interrogeait
l’ancien premier ministre, Alain Juppé (Le monde, 6 mai 2014). Les discours politiques
n’exonèrent pas leurs auteurs de l’effort nécessaire de rendre compte de ce que nous
sommes, de « nos principes républicains fondamentaux » que l’histoire a façonnés et qui
nous unissent. Nous sommes bien face à une « crise des narrations », à une paresse du
« verbe » qui refuse de penser une diversité et donc une rencontre. Avec quelles ressources
pourrons-nous expliquer les structures de pensée de la culture européenne à ceux qui
naissent ou arrivent en France et en Europe ? Si vous n’avez rien à partager, on vous prendra
même ce que vous avez et pensez vous préserver pour vous.
Les repères culturels et religieux des « autres » ne pourront qu’inexorablement
s’imposer à ceux qui n’auront pas pris la peine de cultiver leur héritage. Nous le constatons
déjà à travers la manière largement admise de penser la religion en France à partir des
paradigmes de l’Islam, comme si l’Europe n’avait pas un héritage philosophique et religieux
apte à interroger les fondements des autres religions. Il est toujours possible de dénoncer
l’immigration et les religions mais il serait plus judicieux de s’interroger sur nos propres
représentations du monde, et faire l’effort de penser notre héritage – fut-il parfois sombre –
pour respirer une heureuse gratitude à l’égard de ce monde présent. L’amour (et donc la
quête) de la vérité a été en Europe, le projet de développement humain le plus puissant.
La pensée religieuse en France depuis une trentaine d’années se réduit globalement
à ce que relayent les médias. Elle est celle d’un observateur pour qui les religions sont prises
comme un tout et ne se distinguent pas les unes des autres. Or, le contenu de la foi est
déterminant par rapport à l’attitude même des croyants. Si notre société se trouve en prise
avec des attitudes religieuses prescriptives qu’elle ne sait pas décrypter, n’est-ce pas le signe
qu’il est temps de réinvestir la formation spirituelle ?
Par exemple, il est devenu très commun et commode de parler des « religions du
livre » pour désigner l’Islam, le Judaïsme et le Christianisme. Or, cette expression
politiquement acceptable est née dans l’Islam pour parler des deux religions historiques qui
la précèdent. Elle est un critère de dénomination propre à l’Islam. Le Christianisme ne s’est
jamais appelé une religion du livre, puisqu’il est en sa racine une religion de la personne, le
Christ. Ce genre d’expressions largement relayées par les médias, seule source autorisée
d’éducation religieuse, indique que l’ignorance ouvre peu à peu mais très sûrement la voie à
une interprétation musulmane des questions religieuses. Des chrétiens eux-mêmes, peu
formés à leur propre religion, sont enclins à vouloir affirmer la visibilité de leurs pratiques
par effet de concurrence, de résonance médiatique et d’impact sur le web.
Imperceptiblement, la religion se pense donc à la manière musulmane. A cela rien ne
s’oppose puisque nous n’avons finalement plus chez nous de perception claire de notre
héritage. Nous avons des valeurs, mais elles ne tiennent pas sans leurs fondements. Nous
nous targuons des beaux fruits de la devise républicaine, mais nous n’irriguons plus les
racines de l’arbre. Il est très surprenant de vouloir affirmer notre souveraineté, notre
identité nationale et barrant la route aux étrangers (essentiellement aux religions
étrangères, car nous acceptons volontiers leurs dollars), alors que nous sommes déjà
devenus étrangers à notre propre histoire spirituelle. Les corps intermédiaires (familles,