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123 - 2014
Comptes rendus
Book reviews
G. PICHARD, É. ROUCAUTE (2014), « Sept siècles d’histoire hydroclimatique du Rhône d’Orange à la mer
(1300‑2000), climat, crues, inondations », Méditerranée, no hors‑série, 192 p.
Ce volume, œuvre de deux historiens, spécialistes de l’étude du milieu rural de la Provence rhodanienne dans les
temps modernes, nous présente les résultats d’une imposante recherche documentaire sous l’angle d’une grande rigueur
scientique. Il est d’un grand intérêt pour les géographes tant par l’analyse des crues du euve et de leurs impacts dans
le contexte régional que par l’acquisition de données paléoclimatiques et paléohydrologiques depuis le Moyen Âge.
Cet ouvrage d’érudition s’appuie sur la création de la base de données hydroclimatiques et cartographiques HISTRÔNE.
Ce site web propose une classication des crues en fonction de leur origine et de leur importance et donne une
cartographie de l’étendue des submersions : ce dans la perspectives de nouvelles recherches.
Au prix d’une patiente analyse des données historiques – descriptions des auteurs, marques des hautes eaux de crue
sur les édices, repères sur les limnigraphes – on mesure tout l’intérêt d’avoir pu établir des diagrammes décadaires
de fréquence et d’importance sur une longue période, du xive au xxe siècle (g. 8-10 pour le Rhône, 21 pour la Durance).
Une problématique intéressante est celle des anciennes estimations des débits d’après les hauteurs d’eau : exemple des
mesures et calculs effectués à Arles par Pierre Véran en 1783. Ainsi l’analyse du régime du Rhône inférieur est précisée
à la suite des nombreux travaux du siècle dernier, dont la thèse de Maurice Pardé (1942) et surtout il est mis en rapport
avec les phases paléoclimatiques.
Un grand avantage de l’ouvrage est de nous présenter de nombreux documents, plans et cartes anciennes, sur les
modications historiques des lits du euve, les endiguements et l’hydromorphologie du delta. Le long chap. 1.4 sur :
« les grandes mutations de la vallée, du chenal et de ses embouchures » a le double intérêt de nous évoquer les processus
géodynamiques liés aux crues et de montrer les particularités des sols et des zones humides hérités de ces actions :
anciennes levées, bras morts, étangs et marais. Le dossier cartographique présente les transformations spectaculaires
des lits successifs de la Durance à la conuence et celles de certains secteurs du chenal et des îles du Rhône. La discussion
sur la migration des embouchures du euve et sur l’évolution de la Camargue rejoint de nombreux travaux depuis celui
de l’ingénieur Surell en 1847 à ceux plus récents des géographes : la thèse de Pierre George1 en 1935, les publications de
J.P. Bravard et celles des chercheurs aixois du CEREGE.
L’analyse des phases pluviométriques, dans la perspective des reconstitutions paléoclimatiques constitue le deuxième
grand intérêt de l’ouvrage avec l’étude des périodes de sécheresse et celles d’excès pluviométriques dans le bassin du
Rhône. Les crues du euve sont en rapport avec ces excès, parfois combinées aux fusions nivales brutales et sur la totalité
de son bassin, mais avec souvent une large contribution de la Durance et des eaux cévenoles. Les séquences de crues
extrêmes marquent les phases de péjoration climatique du petit âge glaciaire (PAG). Le chap. 2.3 : « Le Rhône pris par
les glaces… » est du plus grand intérêt parce qu’il nous montre les grands épisodes de glaces ottantes et d’englacement
du euve et, par leur disparition depuis 1963, pose le problème du réchauffement climatique actuel.
Ces grands évènements extrêmes sont décrits dans la troisième partie de l’ouvrage, avec leurs divers impacts en milieu
rural et urbain (exemples de l’inondation de la plus grande partie d’Avignon en 1840 et des dégâts engendrés par la crue
de 1856). Ces exemples, qui se lisent comme les chapitres d’un « roman du Rhône », sont d’un grand attrait pédagogique,
tant pour l’étude du mécanisme des crues, comme celle de mai 1856, que pour décrire leurs effets dans les champs
d’inondation, avec des histogrammes et des cartes faciles à commenter (arborescence des débits, carte de l’extension de
la crue de 1856 de Beaucaire à la mer…).
On peut espérer que cet ouvrage sera largement utilisé pour montrer comment le fonctionnement du euve a pu
marquer les espaces ruraux et urbains au cours des siècles. Et à l’heure où de petits euves côtiers créent des dégâts
considérables et répétitifs dans les zones inondables urbanisées, il suggère combien l’expérience séculaire acquise et
les aménagements récents réalisés dans le bassin du Rhône, malgré l’alerte de 1993/94, limitent maintenant les excès
hydrologiques du euve et les inondations catastrophiques de sa vallée et de son delta. Notons enn que ce volume,
remarquablement illustré et édité, s’inscrit bien dans le cadre des collections de la revue Méditerranée 2 et fait honneur à
ses rédacteurs et aux Presses Universitaires de Provence.
Jean Nicod
Aix Marseille Université
1
Omise dans la bibliographie générale : Pierre George - La Région du Bas Rhône, étude de géographie régionale, J.-B. Baillière et ls, Paris 1935, 691 p.
2
Notons que deux thèmes de l’ouvrage sont repris dans des articles synthétiques dans le no 122 (2014) de Méditerranée « Le petit âge de glace en
Méditerranée » : G. PICHARD, É. ROUCAUTE - Pluies et crues en bas Rhône et caractérisation du petit âge de la glace (PAG) (p. 31-42) ; G. PICHARD,
M. PROVANSAL, F. SABATIER - Les embouchures du Rhône (p. 43-59).
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